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f. Une pratique à la croisée des cultures

Dans le document Marion RADI (Page 128-132)

On retrouve donc chez ces psychiatres la cohabitation des cultures algérienne, française et médicale. Les enquêtés n’en prennent pas toujours la mesure. C’est notamment le cas des plus jeunes qui sont dans un parcours pour obtenir la reconnaissance de leur diplôme et l’acceptation dans la société française. Les plus anciens ont plus de distance avec cela, sont sortis de cette quête de reconnaissance.

2.f.1. Les moins de cinquante-neuf ans

Cette recherche de neutralité, notamment chez les plus jeunes, est finalement importante pour eux, dans leur quête de reconnaissance. Certains disent ne pas voir l’intérêt de partager une même culture dans la prise en charge des patients. Ils reviennent très vite sur leur rôle de médecin, de professionnel de santé, qui semble justifier cette neutralité et le fait que qui que soit les patients, la conduite à adopter est la même.

Cela illustre le fait que ces stratégies de neutralité culturelle parlent d’eux, de leur propre migration et de leur recherche d’intégration dans la société française. Il semble qu’à travers cette neutralité dans les entretiens, c’est bien leur culture qu’ils cherchent à dissimuler au sein de l’institution française. Cette neutralité n’en est finalement pas une, elle est plutôt la marque d’une recherche d’acculturation dans leur pratique.

2.f.2 Les plus de cinquante-neuf ans : l’atout des différentes cultures

Les psychiatres âgés de plus de cinquante-neuf ans ont une approche différente. D’une part, n’étant pas venus dans les mêmes conditions et pour les mêmes motifs, comme vu dans la première partie, leur désir d’intégration en France ne s’est pas manifesté de cette manière. N’ayant pas pu rentrer chez eux au moment de la guerre civile, et étant en France par non-choix, ils évoquent beaucoup plus facilement les éléments de cultures pouvant apparaître au cours des entretiens et revendiquent le fait d’être plus à même de comprendre les difficultés liées à la culture maghrébine.

Messaoud : Si c’est une beurette ou un beur, y a pas de problèmes, je lui parle en français, et derrière mes paroles, il y a toute la culture. Par exemple dans mes mots il y a … mes mots coulent de source en tenant compte par exemple de la pression familiale, du rôle de la mère etc. etc. Donc c’est pas pareil, c’est des collègues ils vont lui dire : « Vous avez vingt-et-un ans, vingt-deux ans, comment ça se fait, faudrait vous émanciper ?! ». La beurette s’en moque. même si elle sortie de HEC, parce qu’il y a la pression familiale, moi jamais je dirais une chose pareille.[...] Donc voilà, il y a eu bien entendu cette chance d’être biculturel.

Pour Messaoud, il est donc entendu que sa double culture est un atout dans la prise en charge des patients maghrébins. Il explicite son propos un peu plus tard au cours de l’entretien en expliquant :

Messaoud : comme vous l’avez compris, c’est une chance incroyable d’être un être de passage. Vous n’êtes pas obligé ni de lécher les bottes ni rien.

Par l’expression « être de passage », Messaoud fait référence à son internat de psychiatrie en France. N’étant pas destiné à rester en France, il n’était pas vu comme ses confrères comme un concurrent pour un poste à l’hôpital et cela a selon lui contribué à avoir de très bons rapports avec eux et à être très bien intégré dans les services où il a pu par moment utiliser sa culture algérienne

pour réfléchir à des situations de patients maghrébins avec le reste de l’équipe. Messaoud ne s’est pas senti en position d’infériorité car, n’ayant pas d’intention de rester, il ne cherchait pas à une reconnaissance française de son diplôme. Ses collègues le reconnaissaient en tant que médecin et lui-même se considérait en tant que tel et avait prévu de rentrer en Algérie où il était reconnu comme médecin. Il n’a donc, à cette époque, pas eu de doutes quant à ses compétences et ne s’est pas battu auprès de l’institution hospitalière pour une reconnaissance de son diplôme (lors de sa première venue en France). Il a donc commencé par avoir des rapports égalitaires avec ses homologues français, comme un médecin d’un autre pays venu faire une formation en France. Il n’a donc pas ressenti le besoin de mettre de côté sa culture et a même considéré comme un avantage le fait d’avoir une double culture, ce que lui ont également signifié ses collègues français. Cela signifie ici que sans le besoin d’intégration, il n’y a pas non plus de recherche d’acculturation.

2.f.3. La reconnaissance, gage de la cohabitation des cultures ?

Il semble donc que ce soit lorsque ces médecins se sentent intégrés et accueillis en France qu’ils s’autorisent à exprimer une part de culture dans leurs relations avec les patients. Cela parle donc d’une part de leur processus de métissage et de leur acclimatation en France, mais également de l’accueil qui leur est réservé au sein de l’institution hospitalière et de la considération qu’ils reçoivent en tant que professionnels de santé. Or, on peut ici faire l’hypothèse que se sentir à l’aise et accueilli quelque soit sa culture ne peut qu’aider à accueillir les patients avec leur culture également et la potentielle part culturelle de leurs troubles et de comprendre leur expérience de migration. Ces médecins sont donc plus en mesure de réaliser la richesse que représente leur métissage s’ils se sentent bien intégrés

Les enquêtés parlent facilement des différences existant entre l’exercice de la psychiatrie en France et en Algérie, avec les différences entre les lieux de prise en charge, les possibilités thérapeutiques s’offrant à eux etc... A travers ces discours, ils expliquent que la relation de soins entre un psychiatre et son patient est codée culturellement. Ils tiennent à s’adapter à la manière française de

prendre en charge les patients. C’est bien de l’expérience de décentrage14 dont parlent ces

14 Le décentrage est une position précautionneuse qui consiste à avoir toujours en tête l’idée selon laquelle nous ne sonnes pas au centre du monde, que nous ne sommes pas le modèle et que les choses peuvent être différentes, autres que ce qui nous est familier. (Moro, 1998). Le décentrage cherche donc à éviter l’ethnocentrisme, c’est-à-dire un

psychiatres en exprimant toutes les différences de prise en charge observées entre les deux pays. Cela leur permet d’avoir une réflexivité critique sur les pratiques à l’oeuvre dans ces pays. Le fait d’avoir expérimenté ce décentrage est une richesse pour eux et fait partie du processus de métissage.

Tous ces éléments semblent confirmer que le fait d’avoir obtenu la reconnaissance de ses compétences et de se sentir à sa place dans la société française les aide à voir leur culture d’origine comme un avantage dans leur travail. Pour les autres, leurs origines sont pour l’instant une entrave à leur reconnaissance au sein de la société d’accueil. On peut faire l’hypothèse que cela contribue à la mise à distance de cette culture. Cela les empêche aussi d’utiliser l’avantage de leur double appartenance culturelle dans leur pratique.

Leur identité culturelle peut être investie ou désinvestie au regard du contexte. Ils l’utilisent de manière très cadrée.

3.

Le contre-transfert culturel

Dans le document Marion RADI (Page 128-132)