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b. Partir avant tout

Dans le document Marion RADI (Page 69-72)

Chez certains psychiatres, on retrouve une volonté de quitter l’Algérie importante au point que leur priorité n’est absolument pas d’être médecin mais de partir.

1.b.1. Une migration en plusieurs étapes

Cette migration que les médecins interrogés décrivent comme un hasard de la vie et une opportunité, se révèle au fur-et-à-mesure de l’entretien être un désir ancien et réfléchi. Nombre d’entre eux expliquent avoir déjà tenté d’émigrer et être venus en France plusieurs fois par le passé, ce qui témoigne d’un désir de migration beaucoup plus ancré et lointain que ce qu’ils laissent entendre au premier abord.

Moi : [...]Donc ce qui a motivé votre choix de venir exercer en France, c’est de suivre votre compagne. Quel était votre projet à la base ?

Ali

: A la base euh … comme tout le monde, venir en France, faire des études, j’étais inscrit à l’université de … Ah ça je ne vous l’ai pas dit, je voulais passer le PCEM1 en France du coup. J’étais inscrit, je l’ai passé. J’étais classé cent soixante-dix-huit et ils en ont pris cent quarante-cinq. Après j’ai tenté de le refaire mais… Voilà, pour mon âge, j’avais trente-quatre ans...

Moi : Et donc c’est votre mari qui était à l’origine de votre projet de départ en France c’est ça ?

Ramah : Oui, c’était mon mari. Mais pour l’anecdote, j’avais ce projet moi d’abord. J’allais venir en 2005, j’étais acceptée à Ville-Evrard pour faire de la pédopsychiatrie. J’avais un visa d’étude, un visa d’installation. J’étais acceptée. Mon aîné avait ses neuf mois exactement. Et là donc le consulat de France m’appelle pour me dire … Voilà, puisqu’on vous attend en France, vous allez partir mais laisser votre enfant en Algérie. Il était en bas âge donc je ne suis pas partie.

On retrouve dans ces extraits un désir de migration qui s’inscrit dans le temps et qui peut aboutir après plusieurs tentatives. Il ressort aussi, ce que nous évoquions plus haut, à savoir une évidence de l’émigration, qui semble être le seul choix possible en vue d’une vie personnelle et professionnelle meilleure.

1.b.2. Fuir le service militaire

Un élément retrouvé explicitement à trois reprises est l’idée de se soustraire au service militaire de deux ans imposé par l’Etat algérien. Le service militaire, ou service national en Algérie est obligatoire pour tous les hommes de plus de dix-neuf ans. Jusqu’en 2002, sa durée était de vingt-quatre mois, elle a ensuite été réduite à dix-huit mois puis douze mois en 2014.

Le sentiment d’appartenance à l’Algérie, qui peut être très présent par ailleurs, ne passe absolument pas par le service militaire. Certains trouvent des stratégies pour l’éviter. Ainsi, Lotfi nous apprend que les Algériens ayant une double nationalité algérienne et française peuvent choisir d’effectuer leur service militaire dans l’un ou l’autre des deux pays. Il s’agirait d’un accord tacite entre les deux

pays7. Lotfi explique donc que, bien qu’il soit né en France, la seule raison l’ayant poussé à

demander la nationalité française est l’avantage découlant de celle-ci, à savoir un service militaire se limitant à la journée d’appel et de préparation à la défense. Pour ceux n’ayant pas comme Lotfi cette double nationalité, la stratégie pour éviter le service militaire est de quitter le pays.

Ainsi Salah explique vouloir absolument fuir le service militaire au point que réussir à faire médecine est devenu une motivation secondaire au départ.

Moi : Et pourquoi tu es parti ?

Salah : Parce que le concours du résidanat en 1993-1994 a été annulé. Et on commençait à envoyer des convocations pour faire le service militaire, surtout pour les médecins. On était une chair à canon très recherché dans cette période tumultueuse. Donc si tu ne fais pas de formation, tu intègres une caserne, tu fais ton service militaire, tu fais dix-huit mois. C’est un pays autoritaire avec des gens qui ont des connaissances, les fils des généraux qui ne font rien mais si tu es le peuple …. C’était effrayant pour moi cette idée. Même en temps de paix. Il était hors de question que je fasse le service militaire, que je me fasse commander par qui que ce soit… Ça me donnait des cauchemars ce truc là… Donc souci sécuritaire ajouté, annulation des concours de résidanat … Je ne peux pas dire que je suis venu faire mes études ici en France, ce serait malhonnête, j’ai sauvé mes fesses.

Salah est très clair quant à ses motivations. Il a pu fuir et rester en France. D’autres ont pu faire

comme lui mais certains,les plus anciens notamment n’ont eu d’autres choix que de revenir se plier

à cette obligation, à une époque où ils pouvaient être considérés comme « traîtres à la nation », disent Messaoud et Salah, si ils ne se soumettaient pas ; c’est le cas de Messaoud, qui a tenté de multiples fois de justifier son travail à l’étranger sans que cela ne le dispense.

1.b.3. Eviter le service civil

Le service militaire est suivi, pour les jeunes médecins d’un service civil, dont la durée varie selon

les régions où il est effectué. Il va de deux ans dans les régions du sud algérien, beaucoup moins

attractives et plus rurales, à quatre ans dans les grandes villes de la côte méditerranéenne, où il est beaucoup plus difficile d’avoir un poste. Cela laisse la place aux fameux passe-droits évoqués plus haut. Ce service civil était au centre des revendications de la grève nationale des résidents ayant eu

lieu en 2018 et 2019 pendant plus de six mois8. Il revient très fréquemment dans les discours justifiant le départ chez les jeunes résidents algériens.

1.b.4. L’abandon de la médecine

Certains partent donc sans avoir de perspectives professionnelles et se retrouvent à exercer d’autres métiers que le leur. L’idée de (re)devenir médecin apparait par la suite avec les rencontres de compatriotes médecins. Cela est notamment retrouvé chez Lotfi, qui, à un moment, quitte complètement le milieu médical pour travailler dans le commerce.

Lotfi : Bref, je décroche mon diplôme et je me barre en France. Et là, en France je commence des petits boulots, je travaille avec Selecta, qui vend des chocolats, des boissons tout ça. Je commence à travailler, je gagne un peu ma vie. J’oublie la médecine.

Dans le document Marion RADI (Page 69-72)