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b. Une spécialité par non-choix

Dans le document Marion RADI (Page 100-103)

Ouarda, elle, mettra une trentaine d’années à être reconnue comme médecin en France, après une spécialisation en rhumatologie, puis un poste de FFI dans un service de chirurgie. C’est finalement comme psychiatre qu’elle arrivera à faire reconnaître son diplôme, au moment où sa fille aînée, née quelques années après son arrivée en France, entre elle-même en première année de médecine.

Ouarda : Par le biais de la PAE, j’ai été inscrite à l’Ordre des médecins. D’ailleurs quand je suis allée à l’Ordre des médecins, il y avait une cérémonie pour faire les inscriptions. Parce que je n’étais pas reconnue comme médecin généraliste ! La première chose que j’ai dite c’est « je vais vous présenter le parcours d’un combattant ». J’ai commencé à leur dire « je viens ici avec ma fille qui rentre en première année de médecine »… [pleurs]. Ma fille qui passait son concours de première année et qui l’a eu, pendant que moi j’étais reconnue comme médecin en France. Et ça, à 56 ans ! [Ouarda est arrivée et a commencé son parcours en France à l’âge de 27 ans].

On voit toute la violence de la situation de Ouarda, qui a mis trente ans à faire reconnaître son diplôme alors qu’elle avait de nombreuses qualifications.

Ouarda explique qu’elle a dû prêter le serment d’Hippocrate à l’Ordre des médecins, au moment de la reconnaissance de son diplôme. Cela n’avait plus de sens pour elle puisque la majeure partie de sa carrière médicale était derrière elle. C’est donc une perte de sens et une impossibilité d’intégration à la communauté médicale auxquels ont dû faire face nombre de ces psychiatres à qui on n’accorde pas la plénitude de l’exercice alors qu’ils sont contraints de la prendre dans les faits.

c. Les anciens : de l’indigénat à la non-reconnaissance du diplôme

Pour ceux nés à l’époque où l’Algérie était française, la scolarité était liée à leur statut d’indigène et ils ne pouvaient pas prétendre à n’importe quelles études. Les indigènes et les français de la métropole n’avaient pas les mêmes droits. Etudier en France leur a permis de quitter ce statut et la violence inhérente à celui-ci.

Messaoud, âgé de soixante-et-onze ans, nous explique qu’étudier en France lui a permis de se sentir considérer comme n’importe quel autre élève, tandis qu’en Algérie, étant considéré comme indigène, il ne pouvait pas prétendre à la même reconnaissance que les autres.

Messaoud : Je vais vous raconter deux anecdotes. Pour rentrer au lycée, il fallait passer le concours d’entrée en sixième, sauf les trois premiers de CM2. J’avais à cette époque-là deux ans d’avance. J’étais donc dispensé… Mais non car c’était « sauf les indigènes ». Donc, j’ai été obligé de passer l’examen d’entrée en sixième. Bien sûr que je l’ai eu ! Vous savez qu’à cette époque-là on était Français d’origine indigène, on n’avait pas le même statut. Lorsqu’à la fin de l’année, autrefois y avait l’estrade, on remettait les prix. Et les meilleurs on leur donnait des livres … sauf l’indigène. Il fallait que je sois en bas de l’estrade. Lorsque je suis venu en France, tout a été changé, l’indigénat n’existait plus, n’existait pas en France. On m’a toujours considéré au lycée comme … Y avait pas de racisme. Même les pieds noirs qui avaient fui et les Juifs qui avaient fui l’Algérie, on se trouvait très bien entre nous, comme d’ailleurs jusqu’à maintenant… sauf quelques-uns. Donc c’est quand je suis arrivé en France que je n’ai plus eu cette étiquette d’étranger ou de … j’étais français. Et quand je suis venu faire psychiatrie, c’est pareil, on ne m’a jamais dit : « Tu es un étranger. Un algérien » Tous mes collègues, mes confrères.

L’expérience de Messaoud est propre à sa génération, car malgré les difficultés à faire reconnaître son diplôme par la suite et le déclassement qu’il connaîtra par rapport à ses collègues médecins de nationalité française, avec, d’une certaine façon un indigénat qui ne dit pas son nom, il garde en mémoire les souvenirs d’un mépris bien plus grand à l’époque de l’Algérie coloniale. Cela confirme ce que dit Aïssa Kadri, sociologue, sur le fait que c’est tardivement, et plus en métropole que dans la colonie, que l’enseignement supérieur s’ouvre aux Algériens. Jusque dans les années cinquante, on retrouvait un enseignement supérieur spécifique aux « français musulmans », qui était en marge du système universitaire « classique », réservé aux français de la métropole. Ces filières destinées à une société dominée se trouvaient donc subordonnées à celles réservées aux Européens (Kadri in Geisser ; 2000).

Les plus anciens ont donc fait tout ou partie de leurs études médicales en France et sont retournés exercer en Algérie. Ils reviennent au début de la décennie noire, car directement menacés dans leur pays. A cette époque, dans les années quatre-vingt-dix il n’y avait en France aucune possibilité de faire valoir son diplôme si on était étranger. Et plus, avoir un diplôme français mais une nationalité étrangère entraine la considération du diplôme comme étranger. C’est le cas de Mounir qui, ayant

refusé de demander la nationalité française, a dû attendre neuf ans que le Conseil de l’Ordre des médecins le reconnaisse comme psychiatre alors même qu’il avait réalisé ses études de médecine et son internat de psychiatrie en France.

Mounir : Ah on était considéré comme médecin à diplôme étranger oui. C’était l’aberration totale. On était qualifié de médecins à diplôme étranger. Bon, c’est pas une insulte hein mais ça veut dire aussi, toutes les contraintes… voilà. Donc j’ai travaillé comme assistant à titre étranger, ensuite comme attaché pendant des années.

Messaoud, qui a expliqué en quoi venir en France lui a permis de sortir de son statut d’indigène déchante lorsqu’il revient exercer la psychiatrie en France après avoir été menacé en Algérie. Il est alors rattrapé par son statut d’indigène.

Messaoud : On repart à la galère !On galère ! Parce que en revenant ici, en France, je me retrouvais dans un statut d’associé… C’est-à-dire que mes copains, avec qui j’étais interne, étaient chefs de clinique, et puis les années passant étaient chefs de service. Et c’étaient des drôles de situations ! Parce qu’il y avait peu de psychiatres qui étaient venus. On était peu nombreux au début. Donc vous voyez un peu la gêne. On était ensemble, lui il est chef de service et moi je suis assistant-associé, comme un interne !

Ces psychiatres plus âgés ont donc été confrontés de différentes façons au racisme institutionnel11,

que l’on observe de façon assez explicite à travers ces extraits d’entretiens. Ceci est d’autant plus violent pour Messaoud que la France avait, de prime abord, représenté l’accès à un statut équivalent aux autres étudiants.

11 Forme de fonctionnement des institutions qui provoque des inégalités ou une exclusion de certaines populations dans des secteurs importants de la société. Ce fonctionnement n’est pas forcément fondé sur une conviction raciste des

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Dans le document Marion RADI (Page 100-103)