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DÉCOLONISER LES INSTITUTIONS

Dans le document Marion RADI (Page 144-147)

b. La langue dans le contre-transfert culturel

IV. DÉCOLONISER LES INSTITUTIONS

Nous avons vu dans cette recherche que l’accueil fait à ces psychiatres venus exercer en France porte les traces d’un double héritage, corporatiste et colonial. Les rapports entre l’institution française et ces psychiatres algériens sont donc empreints d’une forme de colonialité qu’il convient de mettre en lumière si l’on veut pouvoir ensuite le remettre en question, voire le désamorcer. La discrimination institutionnelle subie par les patients migrants a déjà été largement étudiée par l’ethnopsychiatrie (Mestre, 2007). Il serait donc intéressant de se questionner plus largement sur la discrimination institutionnelle subie par les soignants.

1. L a trace du colonialisme dans les institutions

Les analyses suggérant que d’autres formes de dépendance politique et économique succédaient à la décolonisation, empêchant par là de mettre fin à la « colonialité » (Ali et al, 2017) ne sont pas nouvelles, et touchent nombre de domaines de la vie et du travail. Cette « colonialité » structure les expériences, que ce soit dans les anciens pays colonisés ou au sein même des anciennes puissances coloniales. Les études post-coloniales ont en particulier comme objectif de dévoiler ces phénomènes et de les critiquer.

a. La langue

Ngugi Wa Thiong’o (1986) considère que la langue a un rôle essentiel dans la colonialité des pays africains. Selon lui, la communication entre êtres humains est au coeur de l’évolution d’une culture et porte les histoires, l’esthétique et les valeurs d’une culture. Dans son livre « Décoloniser l’esprit », il amène l’idée que la culture est indissociable de la langue, rouage essentiel de sa genèse, son évolution et sa transmission entre générations. Le langage est la condition de la conscience humaine et son utilisation est donc centrale dans la façon dont se définissent les individus. Les langues coloniales sont donc pour l’auteur des « bombes culturelles » qui contribuent à l’effacement des histoires et identités pré-coloniales. Pour Ngugi Wa Thiong’o, la langue est donc vectrice de ce

et de son héritage. C’est selon lui la plus grande menace que porte le néocolonialisme contre les nations africaines. Comme vu précédemment, Kateb Yacine considère lui que ce n’est pas tant la langue française qui est un vecteur de néocolonialisme mais la maîtrise que la France cherche à en garder, notamment à travers l’OIF.

b. Un néocolonialisme ?

Le néocolonialisme désigne les formes nouvelles de colonialisme. Il désigne une politique menée par d’anciens pays colonisateurs avec leurs anciennes colonies, devenues des pays souverains (Ardant, 1965). Les anciens colonisateurs tentent de maintenir ces territoires dans une certaine dépendance, souvent par l’intermédiaire de liens économiques. Il est différent du colonialisme car il concerne des Etats souverains et que la domination est située au niveau économique. Le néocolonialisme se base sur l’idée que la fin de la colonisation n’a pas mis un terme à la domination et à l’exploitation des anciennes colonies, les pays colonisateurs ayant précisément élaboré de nouvelles formes de domination et dès lors d’exploitation (ibid.). Ceci vient révéler le caractère théorique de l’indépendance politique, qui ne peut vraiment exister et produire ses effets sans indépendance économique.

Le processus de conquête coloniale et de destruction des formes diversifiées d’organisation sociale et de références symboliques est toujours en cours, cherchant à enlever toute légitimité et décrédibiliser la vision du monde de ceux qui ont été écrasés au nom de la rationalité universelle (ibid.). Dans la lignée d’Edward Saïd, les penseurs postcoloniaux ont produit une critique radicale d’un eurocentrisme dominateur et destructeur de la raison coloniale et des oppositions Nord/Sud ou Occident/Orient.

2. Vers une démarche décoloniale

Les études postcoloniales transforment les perspectives d’études et de recherches universitaires depuis une trentaine d’années (Sibeud, 2011). Elles partent de l’hypothèse que les héritages du colonialisme, culturels et intellectuels, sont toujours présents, diffus dans nos sociétés. Leurs modes d’expression peuvent être très divers mais leurs traces sont persistantes, de même que leurs effets délétères.

Les études postcoloniales ont pour but de faire un inventaire de ces héritages afin de les critiquer et, possiblement, de les désamorcer. Elles poursuivent donc la décolonisation, sous d’autres formes. La démarche décoloniale prend deux dimensions. Elle cherche tout d’abord à mettre en lumière les différentes formes de violence issues de « la modernité coloniale ». Elle a également pour but de faire émerger des manières de vivre et de penser le monde où toutes les humanités seraient à égalité. Décoloniser le monde c’est aussi décoloniser les savoirs et la connaissance en revenant à la multiplicité de leurs formes et de leurs valeurs. C’est adopter un regard réflexif et poser que tout savoir est situé, qu’il a une logique et une rationalité, qu’il vienne d’Europe ou d’ailleurs (ibid.) Les anciens pays colonisés continuent donc à lutter après les indépendances pour leur reconstruction identitaire. Rapidement, les débats autour de la place de l’héritage colonial, et notamment la langue des colonisateurs, occupent une place centrale dans la construction des sociétés post-coloniales. En Algérie, malgré la volonté de se défaire de la prééminence du français dans l’enseignement et l’administration, plusieurs années sont nécessaires avant que l’arabe ne devienne la langue nationale, au détriment des autres langues du pays, notamment le berbère, ou tamazight, qui a mis de nombreuses années avant d’obtenir une reconnaissance nationale.

Dans le document Marion RADI (Page 144-147)