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4.3 Facteurs d’influence de la crédibilité

4.3.2 Expériences antérieures et connaissances évaluatives des parties

L’analyse du discours des participants à l’étude fait état d’un caractère dynamique dans la perception qu’entretiennent les parties prenantes à l’égard de l’évaluation et de la crédibilité qu’elles lui confèrent. Non seulement cette perception est appelée à se redéfinir en fonction des différentes expériences évaluatives vécues, mais elle peut également se moduler au courant d’une même démarche.

Les résultats permettent de déceler que les parties prenantes sont davantage réticentes et réfractaires face à l’arrivée d’une évaluation en début de processus; elle est alors considérée comme une activité peu populaire pour plusieurs d’entre elles. Cette faible popularité résulte parfois d’expériences évaluatives antérieures négatives, mais principalement d’un manque de connaissances à l’égard de l’évaluation. L’annonce de la tenue d’une évaluation amène bien souvent son lot d’appréhensions auprès des différents groupes de parties prenantes. En effet, bien que ces dernières reconnaissent majoritairement le bien-fondé et la pertinence de procéder à une évaluation, elles peuvent y entrevoir l’ajout de travail additionnel et de tâches supplémentaires à leur horaire déjà en surcharge. D’ailleurs, pour plusieurs gestionnaires, cette situation rend la mobilisation des troupes ardue; peu d’entre elles lèvent la main lorsqu’arrive le temps de parler d’évaluation dans une rencontre d’équipe. De par le vocabulaire spécifique qu’elle comprend, elle mérite d’être davantage démystifiée et mieux

vulgarisée auprès des parties prenantes non initiées. Puisqu’il ne s’agit pas de leur

champ de spécialisation, de nombreuses parties prenantes vivent une insécurité face à ce processus lorsqu’il leur apparait peu familier. Elles l’associent à une démarche

d’énergie. Cette observation peut être dénotée dans le discours des participants

lorsqu’ils se replongent dans le souvenir de leurs premières expériences évaluatives.

C’est sûr que je sais d’avance que ça va être du travail […]. Mon agenda déborde et ça ne finit plus. Et je sais que c’est important de le faire et je sais à la limite [que] c’est comme ça qu’on va finir par être plus efficace. Donc, à un moment donné, l’agenda va déborder moins. Je pense que […] formellement, les gens acceptent le bien-fondé de ça, ils [ne] veulent juste pas en parler énormément.

Je vous avouerais que comme pour 90 % ou même 95 % des gens dans le milieu communautaire, c’est un peu une bête noire.

L’évaluation est un peu quelque chose d’incompréhensible, dans un jargon et avec des techniques un peu obscures.

Quand on demande à quelqu’un de participer dans quelque chose qui n’est pas 100 % clair, […] ça peut être intimidant […]. C’est moins confortable d’être dans le rôle de quelqu’un qui participe dans quelque chose qui n’est pas connu, qui n’est pas clair […]. Donc, c’est pour ça que je pense que c’est difficile d’engager les gens, de mobiliser les gens à participer dans ce type d’activité.

Je vous dirais que la première fois, je trouvais que c’était très

théorique. Il y avait des notions que j’avais de la misère à comprendre […]. Des notions nouvelles, un nouveau vocabulaire, je n’étais pas habitué avec ça, je trouvais ça un peu compliqué. Ça a été plus ardu la première fois de toutes. […] Et comme c’était une évaluation échelonnée sur plusieurs étapes et [qu’] entre ces étapes, il y avait quand même quelques mois avant que l’on se rencontre à nouveau, [ça] faisait que là, j’étais comme un peu perdu.

Si je me fie à l’historique de l’organisme, […] ils ont trouvé cela demandant, très impliquant, très demandant. C’est sûr que quand ça ne fait pas partie de ta culture, c’est plus difficile d’embarquer dans tout le processus. […] Donc […] quand tu pars de loin, c’est quelque chose.

Par méconnaissance des visées d’une évaluation, certaines parties prenantes seraient craintives à l’idée de se faire évaluer sur une base personnelle, percevant l’évaluation comme une intrusion dans leur quotidien et anticipant négativement des réprimandes relativement à leur compétence. Plusieurs acteurs seraient ainsi méfiants face à l’évaluation, craignant un jugement quant à leur performance individuelle, pouvant hypothétiquement mener à une éventuelle perte d’emploi.

Je dirais que de l’avoir vécu personnellement dans mon travail, ça prend une démystification de l’imaginaire que les gens ont d’être évalués, parce que les gens ont tendance à se sentir vulnérables face à l’évaluation, parce qu’ils prennent ça personnel dans leur travail. Ces processus-là peuvent réellement fragiliser certaines personnes, parce que ces gens-là, des fois, vont prendre l’évaluation comme étant de l’évaluation de leur travail. […] De là peut venir une certaine résistance.

En réponse à ces craintes et à cette perception globale de l’évaluation qui peut se montrer plutôt négative chez certaines parties prenantes, les participants mentionnent l’importance de bien situer la pertinence de procéder à un processus évaluatif en tout début d’exercice afin d’en assurer sa crédibilité. L’habilitation en matière d’évaluation, l’implantation d’une culture organisationnelle évaluative ainsi que l’implication des parties prenantes au sein de la démarche demeurent également des stratégies gagnantes pour supporter le bon déroulement de l’évaluation crédible, favorisant une plus grande acceptation et une meilleure adhérence de leur part.

Dans l’équipe, je ne pense pas que personne n’y aille de reculons. « J’espère que ce ne sera pas compliqué à faire », va peut-être ressortir, mais je pense qu’avec une courte explication de ce que ça peut apporter de le faire, tout le monde va embarquer dans l’équipe.

Avant ces rencontres-là, nous on avait pris le temps d’expliquer c’était quoi, pourquoi était faite l’évaluation. D’abord, que c’était une exigence du bailleur de fonds, que c’était une évaluation participative pour améliorer et réfléchir à nos pratiques et non pas contraignante ou de jugement, etc. Donc, on a bien expliqué les intentions du processus d’évaluation […], pour les rassurer, en disant que ce n’était pas pour les planter ou quoi que ce soit. Donc je pense que ça a été plutôt bien reçu puisqu’on a fait ça, mais c’est vrai que si je retourne dans mes souvenirs dans le temps, à la base, avant de prendre le temps d’expliquer ça, il y avait quand même des craintes. « Est-ce [que] si on n’a pas une bonne évaluation, on ne sera plus financé? Qu’est-ce que ça veut dire? » […] Non, ça n’a pas été un défi en termes de réceptivité de l’évaluation, mais je pense qu’on avait pris le temps de bien expliquer.

C’est quelque chose qui doit être bien vendu aux équipes de travail. Alors dans ma gang, j’ai un job de marketing […] à faire.

Selon les participants, la perception qu’entretiennent les parties prenantes relativement à l’évaluation et à la crédibilité qu’elles lui accordent est amenée à être modulée selon les différentes expériences évaluatives vécues et en fonction des connaissances acquises en matière d’évaluation. L’évaluation étant davantage présente dans les milieux et se réalisant de plus en plus dans une optique participative, les acteurs concernés sont invités à prendre part à des processus où leurs voix sont écoutées et prises en considération. Lorsque ces expériences évaluatives se déroulent bien et se traduisent en souvenirs positifs pour les parties prenantes, elles arrivent à façonner positivement leur façon de percevoir l’évaluation et leur propension à lui accorder une crédibilité, permettant de dissoudre certaines craintes issues d’une peur liée à l’inconnu lorsque survient un nouvel exercice évaluatif.

Parce qu’il y a six mois, quand on prononçait le mot évaluation, on sentait comme un nuage gris arriver. Mais là, quand on prononce ce mot-là, les gens n’ont plus envie de se cacher, c’est correct, c’est

accueilli comme un autre point à l’ordre du jour.

Depuis quelques années, on en parle plus et de plus en plus; les gens comprennent que ça peut être aidant de faire ça. […] Mais je pense que de plus en plus, les gens sont conscients que c’est important et que c’est intéressant, même pour nos propres apprentissages.

En résumé, l’annonce de l’arrivée d’une démarche d’évaluation peut susciter des réticences et résistances chez les parties prenantes non initiées à ce type d’exercice. Le cumul d’expériences évaluatives positives contribue à apaiser ces craintes lors du déroulement subséquent d’évaluations, les parties prenantes connaissant plus amplement la nature du processus et se sentant plus outillées pour y faire face. Ainsi, bien qu’elles puissent associer l’évaluation à un processus empreint de complexité et de lourdeur, situer sa pertinence et vulgariser ses différentes étapes en tout début d’exercice permettent de la rendre plus accessible, plus démocratisée, plus acceptée et plus crédible aux yeux des parties prenantes.