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EXISTE‑T‑IL UN RISQUE DE DÉFLATION ?

Dans le document 4 PRODUCTION, DEMANDE ET MARCHÉ DU TRAVAIL (Page 67-73)

La hausse annuelle de l’IPCH global dans la zone euro s’est nettement ralentie ces dernières années, revenant de 3,0 % en novembre 2011 à 0,5 % en mai 2014 1. Dans un environnement de faible croissance économique et d’atonie de la création de monnaie et de crédit, cette évolution a suscité des débats concernant l’ampleur du risque de déflation dans la zone euro.

Dans ce contexte, il est important de faire la distinction entre les différentes définitions du terme déflation. Adoptant une définition très stricte, certains observateurs parlent de déflation lorsque le taux annuel d’inflation a été négatif pendant une période d’un trimestre. Sur cette base, le FMI a récemment estimé le risque de déflation dans la zone euro à fin 2014 à 20 % environ 2. Toutefois, de telles estimations sont extrêmement trompeuses, dans la mesure où elles n’opèrent pas de distinction entre la nature des chocs à l’origine de l’inflation et n’examinent pas non plus la persistance de la dynamique des prix.

Dans une perspective plus large et plus significative, il est préférable de prendre en compte la nature des chocs entraînant un recul de l’inflation, le contexte économique dans son ensemble et le comportement des anticipations d’inflation. En effet, des taux d’inflation durablement négatifs sont source d’inquiétude s’ils créent en retour des interactions négatives avec l’économie réelle.

Par exemple, une déflation prolongée alourdit le service de la dette, la réaction des banques, des ménages et des entreprises étant alors susceptible de créer des interactions négatives supplémentaires entre l’économie réelle et le niveau des prix 3.

Pour évaluer le risque de déflation, il est crucial d’identifier la nature et la persistance des principaux facteurs et, notamment, de déterminer dans quelle mesure l’évolution de l’inflation peut être imputable à des facteurs d’offre ou de demande. L’indice global des prix peut devenir négatif pour une courte période dans un contexte de chocs d’offre transitoires, tels que des variations des cours des matières premières ; c’est ce qui s’est produit dans la zone euro et dans certains autres pays en 2009, par exemple. Toutefois, une période d’inflation annuelle négative n’implique pas, en soi, une déflation dans un sens économiquement significatif, à moins que les baisses de prix ne deviennent généralisées et ne finissent par s’ancrer dans les anticipations d’inflation 4.

1 Selon l’estimation rapide d’Eurostat pour mai 2014.

2 Perspectives de l’économie mondiale, avril 2014.

3 Pour de plus amples détails concernant le canal de la déflation par la dette, cf. l'encadré intitulé Financial stability challenges posed by very low rates of consumer price inflation de la Financial Stability Review de la BCE, mai 2014.

4 Une définition similaire de la déflation a été présentée dans The Monetary Policy of the ECB, BCE, 2011.

Par exemple, si les anticipations d’inflation à long terme demeurent stables, les mouvements des cours des matières premières n’auront qu’un effet transitoire sur l’inflation. En outre, il est essentiel de distinguer l’incidence des chocs d’offre résultant de réformes structurelles, qui peuvent avoir des implications pour l’évolution de l’inflation à l’horizon pertinent pour la politique monétaire 5. Si les réformes structurelles risquent dans un premier temps d’entraîner des pressions à la baisse sur le taux d’inflation, reflétant également des améliorations du côté de l’offre dans l’économie, on peut s’attendre à voir l’inflation se redresser progressivement, à mesure que la demande agrégée s’améliore.

Les critères empiriques distinguant une véritable déflation d’une simple atonie de l’évolution des prix, de nature moins pernicieuse, incluent :

• un taux annuel de variation des prix à la consommation négatif sur une période prolongée ;

• un taux de variation des prix négatif pour un nombre important de postes du panier de biens et services ;

• une perte d’ancrage des anticipations d’inflation à long terme qui s’établissent à un niveau inférieur à ceux compatibles avec la définition de la stabilité des prix retenue par la banque centrale ;

• un taux de croissance du PIB durablement très faible ou négatif et/ou un taux de chômage élevé ou en hausse.

Dans le cas de la zone euro, il convient de ne pas confondre des ajustements des prix relatifs avec des variations globales du niveau des prix : parler de déflation fait sens si la baisse prolongée et généralisée du niveau des prix concerne l’ensemble des pays. Il n’existe pas de véritable risque déflationniste tant que l’évolution de l’IPCH dans la zone euro est en ligne avec la stabilité des prix. Des taux d’inflation négatifs dans différents pays peuvent, parfois, être compatibles avec le fonctionnement normal d’une union monétaire, dans la mesure où ils contribuent à rétablir la compétitivité, c’est‑à‑dire qu’ils peuvent indiquer des ajustements des prix relatifs résultant de facteurs d’offre.

Épisodes historiques de déflation

Adopter une perspective historique permet de conforter la thèse selon laquelle la déflation devrait être définie comme une baisse généralisée et prolongée du niveau des prix qui s’ancre dans les anticipations d’inflation, renforçant ainsi les tendances négatives des prix.

Depuis les années cinquante, certaines économies avancées ont connu des périodes d’inflation annuelle négative, notamment le Canada, Hong‑Kong, Israël, le Japon, la Norvège, la Suisse et les États‑Unis. Toutefois, ces périodes se sont rarement transformées en véritables épisodes de déflation, beaucoup étant de courte durée et exerçant des effets plutôt bénins sur l’économie réelle.

En général, les périodes d’inflation négative liées à des facteurs d’offre ont eu tendance à avoir un coût économique moins élevé, voire nul, que celles résultant de la demande.

5 La variation annuelle des prix peut devenir temporairement négative en raison d’évolutions impliquant une réduction des coûts du côté de l’offre. On peut notamment citer comme exemple une forte amélioration de la productivité qui ne s’accompagnerait pas d’une augmentation proportionnelle des salaires, une réduction des barrières tarifaires ou des modifications des termes de l'échange résultant, par exemple, d'une baisse des cours du pétrole. Cf. également l'encadré intitulé La période actuelle de désinflation dans la zone euro du Bulletin mensuel de mars 2009.

Les périodes d’inflation négative observées aux États‑Unis, au Canada et en Norvège de la fin des années quarante au milieu des années cinquante, en Israël en 2003 et en 2004 et en Suisse en 2009 et de fin 2011 à mi‑2013 ne peuvent être qualifiées de déflationnistes que dans un sens strictement technique. Le recul des prix a essentiellement concerné une faible part des postes de l’indice des prix et n’a pas exercé d’incidence majeure sur la croissance du PIB ou, lorsque les données sont disponibles, sur les anticipations d’inflation à moyen et à long terme. Si, ces dernières années, la Suisse s’est distinguée par des taux d’inflation durablement négatifs ou nuls, les déterminants à l’origine de ces évolutions des prix résultaient de facteurs extérieurs plutôt que d’une demande intérieure faible. En effet, l’économie suisse a progressé à un rythme soutenu durant cette période.

Il existe très peu de cas récents de véritable déflation dans les économies avancées. Les deux épisodes déflationnistes les plus prononcés observés depuis la fin de la seconde guerre mondiale ont concerné le Japon (1995‑2013) et Hong‑Kong (1999‑2004). Dans les deux cas, la déflation résultait du dégonflement des bulles des prix des actifs. En effet, après des phases d’expansion non soutenables financées par la dette, les baisses des prix des actifs – et les ajustements des bilans du secteur public et du secteur privé qui y sont associés – peuvent constituer une source de déflation persistante plus importante que les chocs d’offre et de demande classiques 6. Dans les deux cas, la déflation a été généralisée, un grand nombre des composantes des prix sous‑jacents pour les biens et les services ayant apporté des contributions constamment négatives (graphique  A). Dans  le  même  temps, ces  deux  épisodes de taux d’inflation durablement négatifs se sont accompagnés d’une stagnation de l’activité économique.

De plus, dans le cas du Japon, les anticipations d’inflation à long terme ont souffert d’une certaine perte d’ancrage, mais sont demeurées cependant en territoire positif (cf. graphique B).

Il convient de noter que Hong‑Kong est une économie ouverte de taille réduite et que le Japon peut constituer un point de référence plus utile pour les autres économies avancées.

Graphique A Part des postes de l’indice des prix affichant une variation annuelle des prix négative durant les épisodes déflationnistes au Japon et à Hong‑Kong

(en pourcentage du total des éléments)

0

1994 1998 2002 2006 2010

10

1999 2000 2001 2002 2003 2004

Sources : Ministère des affaires intérieures et de la communication du Japon et calculs de la BCE.

Notes : L’IPC se décompose en 62 postes. Données mensuelles

Sources : Census et Statistics Department de Hong Kong et calculs de la BCE.

Notes : L’IPC se décompose en 9 postes. Données trimestrielles.

6 Cf. également M. Bordo et A. Filardo, Deflation in a historical perspective, Working Papers, 186, BRI, 2005.

Existe‑t‑il un risque de déflation dans la zone euro ?

Les taux d’inflation faibles dans la zone euro reflètent une conjonction de facteurs d’offre et de facteurs de demande. Les facteurs d’offre mondiaux, y compris une décélération des prix de l’énergie et des produits alimentaires, ont joué le rôle le plus important. L’appréciation du taux de change effectif de l’euro a également contribué au ralentissement de l’inflation, amplifiant l’effet des cours des matières premières. Les facteurs locaux, tels que l’incidence des réformes structurelles sur le marché du travail et sur les marchés de biens et services, ont également contribué à atténuer les tensions sur les prix. Dans le même temps, les facteurs de demande ont pesé sur l’inflation, en particulier dans les pays où les excès antérieurs à la crise ne sont pas encore entièrement dissipés.

Toutefois, au niveau de la zone euro dans son ensemble, la situation actuelle ne va pas dans le sens de l’imminence d’un véritable épisode déflationniste et ce, pour les raisons suivantes :

• la part des postes de l’IPCH dont les taux de variation annuels sont négatifs n’est pas exceptionnellement élevée par rapport aux précédents épisodes de désinflation (cf. graphique C) ;

• il n’existe aucun signe attestant d’une perte d’ancrage des anticipations d’inflation à moyen et long terme. Les mesures tirées d’enquêtes et des marchés – cours des obligations et contrats de swaps – sont demeurées à des niveaux compatibles avec l’objectif d’inflation de la BCE (cf. graphique D) 7 ;

• les dernières projections macroéconomiques établies par les services de l’Eurosystème pour la zone euro semblent indiquer que, même si les tensions sur les prix demeureront faibles sur une période prolongée, l’inflation mesurée par l’IPCH devrait progressivement augmenter ;

• en outre, la croissance économique devrait se redresser graduellement, tandis que le chômage diminue lentement après avoir atteint des niveaux élevés 8.

7 Cf. également l'encadré intitulé Résultats de l’enquête du deuxième trimestre 2014 auprès des prévisionnistes professionnels du Bulletin mensuel de mai 2014.

8 Cf. l'article intitulé Projections macroéconomiques pour la zone euro établies par les services de l’Eurosystème du Bulletin mensuel de juin 2014.

Graphique B Anticipations d’inflation à long terme et inflation effective au Japon et à Hong‑Kong

(variations annuelles en pourcentage ; données semestrielles ; axe des abscisses : inflation effective ; axe des ordonnées : anticipations d’inflation à long terme)

a) Japon

0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5

0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5

- 3,0 - 2,0 - 1,0 0,0 0,1 0,2 0,3

b) Hong Kong

0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0 3,5 4,0

0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0 3,5 4,0

- 5,0 - 4,0 - 3,0 - 2,0 - 1,0 0,0 1,0

Sources : Consensus Economics, Ministère des affaires intérieures et de la communication du Japon et calculs de la BCE.

Note : Les données ont trait à la période 1995‑2013.

Sources : Consensus Economics, Census and Statistics Department de Hong‑Kong et calculs de la BCE.

Note : Les données ont trait à la période 1999‑2004.

Si des ajustements importants des prix relatifs sont en cours dans certains pays de la zone euro, il est toutefois peu probable que ces processus se traduisent par une spirale déflationniste, les gains de compétitivité pouvant déjà être considérés comme un soutien aux exportations.

Conclusion

Le terme déflation fait référence à une baisse généralisée et durable des prix exerçant des effets négatifs sur la croissance économique. Dans le contexte de la zone euro, il convient d’analyser les risques déflationnistes pour la zone dans son ensemble, en tenant compte du fait que, au sein d’une union monétaire, une inflation négative dans différents pays peut refléter des variations des prix relatifs visant à restaurer la compétitivité.

Par rapport aux épisodes historiques de véritable déflation enregistrés dans les économies avancées, le risque de déflation dans la zone euro apparaît écarté au stade actuel. En particulier, il n’existe aucun élément indiquant l’apparition de baisses des prix soutenues et généralisées et les anticipations à moyen et long terme demeurent solidement ancrées. En outre, la reprise économique est en cours dans la zone euro, contribuant à une absorption progressive des capacités productives inutilisées dans l’économie. Bien que le risque de véritable déflation dans la zone euro puisse par conséquent être considéré comme écarté actuellement, des périodes trop prolongées de taux d’inflation positifs mais faibles pourraient également, dans certaines circonstances, constituer une source d’inquiétude nécessitant une réponse appropriée de la part des autorités.

Graphique C Part des postes de l’IPCH affichant des taux de variation annuels négatifs

(en pourcentage du total des postes) 40

35 30 25 20 15 10 5 0

40 35 30 25 20 15 10 5 0 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 Sources : Eurostat et calculs de la BCE.

Notes : Parts de 85 postes affichant des taux de variation annuel inférieurs à zéro (non pondérés). Les données sont mensuelles et recouvrent la période allant jusqu’en avril 2014.

Graphique D Anticipations d’inflation à long terme et inflation effective dans la zone euro

(variations annuelles en pourcentage)

0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0

0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0

- 1 0 1 2 3 4

Sources : Consensus Economics, Eurostat et calculs de la BCE.

Notes : L’axe des abscisses correspond à l’inflation effective en glissement annuel et l’axe des ordonnées correspond aux anticipations d’inflation à six à dix ans établies par Consensus Economics. La période d’échantillonnage s’étend d’avril 1999 à avril 2014. Données semestrielles.

4 PRODUCTION, DEMANDE ET MARCHÉ DU TRAVAIL

Le PIB en volume de la zone euro a augmenté de 0,2 % en rythme trimestriel au premier trimestre de l’année. Cette évolution confirme la poursuite d’une reprise progressive, son rythme étant toutefois légèrement plus faible que prévu. Selon les données d’enquêtes les plus récentes, la croissance a également été modérée au deuxième trimestre 2014. Par la suite, la demande intérieure devrait continuer d’être soutenue par une série de facteurs tels que l’orientation accommodante de la politique monétaire, les effets de l’amélioration en cours des conditions de financement sur l’économie réelle, les progrès réalisés en matière d’assainissement budgétaire et de réformes structurelles et l’accroissement du revenu disponible réel sous l’effet de la baisse des prix de l’énergie. Cela étant, même si les marchés du travail ont montré de nouveaux signes d’amélioration, le chômage demeure important dans la zone euro et, globalement, le niveau des capacités de production inutilisées reste élevé. De plus, le taux annuel de variation des prêts des IFM au secteur privé est resté négatif en avril, tandis que le nécessaire processus d’ajustement des bilans dans les secteurs public et privé devrait continuer de peser sur le rythme de la reprise économique.

Ce scénario prévoyant une reprise modérée ressort également des projections macroéconomiques de juin 2014 établies par les services de l’Eurosystème pour la zone euro, qui tablent sur une hausse du PIB annuel en volume de 1,0 % en 2014, de 1,7 % en 2015 et de 1,8 % en 2016. Par rapport aux projections macroéconomiques de mars 2014 établies par les services de la BCE, la projection de croissance du PIB en volume a été révisée à la baisse pour 2014 et à la hausse pour 2015. Les risques entourant les perspectives économiques dans la zone euro continuent d’être orientés à la baisse.

4.1 PIB EN VOLUME ET COMPOSANTES DE LA DEMANDE

Le PIB en volume a encore augmenté de 0,2 % en rythme trimestriel au premier trimestre 2014, après trois trimestres de croissance positive (cf. graphique 48). Cette évolution reflète les contributions positives de la demande intérieure et de la variation des stocks, après la contribution négative apportée par cette dernière composante au quatrième trimestre 2013. Même si la demande intérieure a contribué de façon positive à la croissance au niveau de la zone  euro, elle a affiché des évolutions plus modestes dans certains pays, en raison essentiellement de variations plus faibles que prévu de la consommation privée et de l’investissement. Cette faiblesse est toutefois considérée comme étant en partie de nature temporaire et s’explique par la faible consommation d’énergie (liée à la clémence de l’hiver) ainsi que par la mise en œuvre de mesures budgétaires (qui affectent le profil de croissance de la consommation privée). Au premier trimestre, les échanges commerciaux ont apporté une contribution négative à la croissance, la hausse des importations étant supérieure à celle des exportations.

Graphique 48 Croissance du PIB en volume et contributions à son évolution, indice composite des directeurs d’achat et indicateur du climat économique de la Commission européenne

(taux de croissance trimestriel ; contributions trimestrielles en points de pourcentage ; indices ; données cvs)

- 0,8

Demande intérieure – hors stocks (échelle de gauche) Variation des stocks (échelle de gauche)

Exportations nettes (échelle de gauche) Croissance du PIB total (échelle de gauche) Indice composite des directeurs d’achat (échelle de droite) Indicateur du climat économique 1) (échelle de droite)

T1 T2 T3 T4 T1

Sources : Eurostat, Markit, enquêtes de la Commission européenne auprès des chefs d’entreprise et des consommateurs et calculs de la BCE 1) L’indicateur du climat économique est normalisé avec la moyenne et l’écart‑type de l’indice des directeurs d’achat sur la période présentée dans le graphique.

Encadré 6

Dans le document 4 PRODUCTION, DEMANDE ET MARCHÉ DU TRAVAIL (Page 67-73)