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1.3.1. Théorie de PC Nowell (1976)

Peter C. Nowell est célèbre pour avoir décrit en 1960 avec David Hungerford le chromosome Philadelphie, premier marqueur génétique d'un cancer, la leucémie myéloïde chronique (Peter C. Nowell, 2007). En 1976, il fut le premier à proposer un modèle d'oncogénèse basé sur l'instabilité génétique à partir de ses observations caryotypiques. Jusqu'à la publication de ses travaux en 1976, il était admis que les cancers évoluait à partir d'une seule cellule ancestrale qui portait déjà toutes les anomalies responsables du phénotype tumoral et le transmettait à toutes ses cellules filles (Théorie atavique (« Ecology and Evolution of Cancer. 1st Edition », 2017)). En 1976, PC Nowell proposa une théorie toujours en vigueur selon laquelle la plupart des cancers sont bien issus d'une seule cellule dite cellule d'origine (cell of origin) mais leur phénotype et leur génotype ne sont pas figés.

La progression tumorale résulte d'une variation génétique acquise au sein du clone ancestral qui induit une sélection séquentielle des sous-clones les plus agressifs.

Figure 62: Modèle de l'évolution clonale des cancers (P. C. Nowell, 1976)

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Nowell suggérait déjà à l'époque que chaque patient devrait bénéficier d'une prise en charge thérapeutique spécifique individuelle (bien avant la médecine personnalisée d'aujourd'hui), qui pourrait être mise en défaut par l'émergence de sous-clones génétiquement variants résistants au traitement. Il préconisait que la recherche se focalise sur la compréhension et le contrôle des processus évolutifs des tumeurs avant d'atteindre le stade terminal et létal du cancer (P. C. Nowell, 1976).

Les premiers modèles murins de tumeurs solides ont montré dès 1982 que différentes sous-populations cellulaires portaient différentes caractéristiques phénotypiques incluant un potentiel métastatique et de résistance aux traitements lié à l’hétérogénéité génétique. Même si la sélection naturelle sélectionne les phénotypes et non les génotypes, chaque cellule cancéreuse contient de multiples anomalies génétiques de type mutations somatiques, réarrangements chromosomiques, et variations épigénétiques d’expression génique qui impactent nécessairement l’évolution phénotypique décrite dans les modèles murins (Harris et al, 1982).

1.3.2. Modèle « multiple-hit » de Vogelstein

(1988)

Le modèle de l'oncogenèse colo-rectale de Vogelstein décrit de multiples étapes d’initiation et de progression de la tumeur qui sont liées à l’acquisition progressive de mutations activatrices d’oncogènes et de mutations inhibitrices de gènes suppresseurs de tumeur (Théorie « M » pour mutationnelle s’opposant à la théorie atavique) (Figure 63) (Fearon & Vogelstein, 1990).

1.3.3. Sélection clonale darwinienne (2007)

Les études pionnières sur les leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL) de l’enfant ont révélé non pas une croissance tumorale linéaire avec acquisition séquentielle de mutations et successions de clones comme suggéré par le modèle « multiple-hit » mais une séquence évolutive branchée complexe entre le stade pré-diagnostic (pré-natal) et le stade de la rechute. L’architecture clonale des LAL a été élucidée par analyse sur cellules isolées et a montré une considérable complexité de structure branchée (en forme d’arbres) comprenant des clones distincts divergents à partir d’un ancêtre commun et subissant une sélection naturelle lie à l’évolution somatique et à l’acquisition de phénotypes de résistance comme décrit par Darwin dans son diagramme de divergence des espèces (Mullighan et al., 2007, Greaves et al, 2008) (Figure 64).

Figure 64: Sélection naturelle dans le cancer.

L’évolution clonale des cancers est comparée à un processus de diversification génétique et de sélection naturelle rappelant les prises de notes de Charles Darwin datant de 1837 et préparatoires de sa « théorie de l'évolution des espèces » (1859) (à droite)

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Grâce à l’avènement des nouvelles techniques de séquençage, la caractérisation des hémopathies malignes a montré un constant remodelage génétique au cours de la maladie, conduisant à une forte hétérogénéité génétique tumorale.

1.3.4. Hétérogénéité génétique tumorale

Les analyses de séquençage haut débit dont le Cancer Genome Atlas et, plus spécifiquement en hématologie, les travaux issus du Broad Institute (Boston) et WUSTL (St Louis) ont révélé un très haut degré d’hétérogénéité génétique inter-tumorale (c’est-à-dire, des centaines de mutations différentes affectant des tumeurs différentes) et également un haut degré d’hétérogénéité génétique intra-tumorale (c’est-à-dire, différentes lésions génétiques affectant différents sous-clones à l’intérieur d’une même tumeur individuelle)(Landau et al., 2013, 2015, Walter, 2012). Ces auteurs ont décrit également un niveau élevé d’hétérogénéité intra-tumorale dû à des modifications génétiques mais aussi épigénétiques à type de profils de méthylation stochastique et localement perturbée de l’ADN qui conduisait à un bruit de fond transcriptionnel, avec un découplage de la relation entre la méthylation du promoteur et l’expression du gène (Landau et al., 2014). Les auteurs suggèrent que des effets possiblement transitoires pourraient générer une sous-population de cellules tumorales capables de survivre à des stress environnementaux et de propager de nouveaux génotypes dans la population tumorale.

Ces différents niveaux d’hétérogénéité génétique et épigénétique ont probablement un effet sur l’adaptabilité aux modifications de l’environnement tumoral et donc sur

la sélection des différents sous-clones au cours de la maladie. En particulier, le lien

entre l’hétérogénéité génétique et la résistance aux traitements a été établi par la même équipe. Grâce à des travaux de modélisation mathématique de l’évolution clonale des LLC, 4 hypothèses de scénario d’évolution clonale et d’équilibre clonal ont été proposés par Landau et al (Figure 65) (Landau et al., 2013).

Concernant les syndromes myélodysplasiques, les travaux de séquençage haut débit de type « whole genome/exome » initiés à la Washington University in St Louis School of Medicine (WUSTL) ont permis de reconstituer l’architecture clonale des syndromes myélodysplasiques (M. J. Walter et al., 2013; Matthew J. Walter et al., 2012) (Figure 6).

Figure 65: Modélisation de la transformation progressive d'une LLC

(Landau et al., 2013).

Figure 66: Évolution dynamique des SMD en LAM secondaire

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Ces travaux et d’autres très récents (Mossner et al., 2016; Silva-Coelho et al., 2017)démontrent que l’évolution d’un syndrome myélodysplasique en leucémie aiguë myéloïde secondaire (LAMs) est un processus hautement dynamique modelé par les multiples cycles d’acquisition de mutations génétiques et de sélection clonale Darwinienne et par l’environnement du cancer dont fait partie le traitement anti-cancéreux. (Figures ).

Figure 67: Profils d'évolution clonale de patients atteints de SMD recevant des soins de support.

Le cancer est donc considérée aujourd’hui comme une maladie évolutive dans laquelle l’hétérogénéité clonale associée à l’instabilité génétique et aux variations du micro-environnement joue le rôle de moteur de la plasticité tumorale et de terreau de la progression de la tumeur. Les divers génotypes identifiés produiront divers phénotypes qui seront plus ou moins sensibles aux variations de l’environnement tumoral : ils seront en compétition vis-à-vis des ressources et devront s’adapter aux

Figure 68: Profils d'évolution clonale de patients atteints de SMD recevant du lénalidomide. (Silva-Coelho et al., 2017)

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pressions sélectives exercées par exemple par les traitements (Ujvari, Roche, & Thomas, 2017).

1.4. SYNDROMES MYELODYSPLASIQUES