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1. Discussion

1.3 Evaluation du dispositif mis en place et perspectives

Nous avons voulu vérifier si une lecture littéraire était possible. Nous entendions lecture littéraire comme l’engagement d’un processus de lecture de nature à produire sur les élèves des effets, des réactions, des questions, un positionnement personnel, une capacité à illustrer un texte tout en discutant les images proposées. Notre analyse montre qu’il n’y a pas de différences fondamentales entre les élèves placés en lecture sur papier ou sur Internet, mais cela peut être dû au dispositif didactique qui a servi pour l’analyse.

Compte-tenu du fait qu’un texte n’est jamais semblable à un autre du même genre, et que de ce fait, sa singularité va mobiliser les compétences des élèves différemment, d’autant plus que celles-ci sont également singulières et soumises à de nombreuses variables (et donc artefacts), le meilleur moyen de poursuivre ce questionnement sur la lecture littéraire nous semble d’interroger des élèves individuellement sur leurs procédures et leurs interprétations de textes lus sur Internet. Comparer les réactions permettrait d’établir une typologie de lecteurs et confiner dans d’assez vaines recherches sur l’enseignement et l’apprentissage de ces objets. Je doute de l’utilité de ces recherches parce que l’effort de cerner les valeurs particulières des variables de l’interaction enseigner-apprendre, notamment les particularités du « rapport au savoir » (Charlot 1997), ne peut porter ses fruits que s’il s’articule à une mise en question de ce qui est à enseigner dans une conjoncture socioculturelle donnée. »

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DUMORTIER Jean-Louis, Formation littéraire et compétences, notes pour un débat initié par l’INRP. (s.d)

de lectures que l’on pourrait elle-même comparer aux différentes typologies mises en évidence jusqu’à présent à partir de « lecteurs traditionnels ».

D’autres pistes peuvent être explorées.

1/ Le dispositif montre que munis d’un objectif de lecture précis et de consignes à l’appui, les élèves conduisent une lecture littéraire sur Internet ou sur papier en fonction de la compréhension et de l’appropriation qu’ils se font des objectifs et de la consigne. Le support ne crée pas les différences, mais des paramètres liés au support interviennent probablement. Ils devraient être étudiés avec plus de précision à partir d’autres dispositifs de recherche.

2/ Internet est sous-utilisé : les élèves n’ont pas accédé à la richesse iconographique du conte qui aurait permis de mettre en valeur les lectures du conte faites par les multiples illustrateurs de tous pays et de toutes époques. Il faudrait d’abord travailler en amont sur les stéréotypes pour pouvoir mener ensuite un travail de comparaison critique qui mènerait à une véritable lecture littéraire interprétative du conte. Des questions restent en suspens qui n’ont pas été posées explicitement au cours de la séquence et on peut le regretter : pourquoi ne trouve-t-on pas d’illustrations de la scène de Grimm (les pieds coupés) ? Pourquoi sont-ce toujours les mêmes scènes qui sont représentées ? Pourrait-on proposer d’autres illustrations que celles de ces scènes ?

3/ Pour lire vraiment et se construire comme lecteur il faut que le lecteur soit conscient de lire, soit maître des opérations qu’il conduit. Le dispositif permettait occasionnellement aux élèves d’opérer des retours réflexifs. Ceux-ci devraient être approfondis. On pourrait ainsi partir des représentations des élèves sur la lecture, leur demander ce qu’est « lire » pour eux et interroger sur les différents supports de lecture et mobiles de la lecture. Pour les élèves qui n’intègreraient pas dans leurs représentations le support Internet comme support de lecture, un travail plus approfondi s’imposerait visant à faire prendre conscience des opérations de décodage, repérage, construction du sens, organisation de celui-ci, stratégies du lecteur et produit final de la lecture en termes de connaissances acquises et d’évolution des représentations à la fois sur le

thème, le sujet de la lecture et sur le processus de lecture lui-même. Des entretiens individualisés et l’analyse de parcours de lecteurs sur Internet conduits avec l’élève semblent l’outil d’enquête indispensable pour compléter les réponses à des questionnaires méta-cognitifs écrits.

4/ Choisir un texte très connu –ou supposé tel, puisque les élèves croyaient connaître l’histoire de Cendrillon, mais ont avoué la redécouvrir-, est un point de départ intéressant permettant de mettre en valeur que l’on n’a jamais vraiment fini de lire, et que les textes littéraires sont toujours nouveaux. En cela, un usage mieux didactisé de l’image, utilisée à la fois comme langage sur le texte et comme langage de l’élève permet d’enrichir la lecture du conte et montre à l’élève le potentiel culturel d’Internet. Une telle séquence permet à l’élève de s’approprier des outils de recherche et de lecture et de ne pas cantonner Internet à ses fonctions de communication ou ses fonctions documentaires. Toutefois cette lecture d’un texte très connu devrait être accompagnée de la lecture de textes moins connus, exactement comme on le demande actuellement aux élèves pour des textes imprimés. C’est par les usages que les enseignants préconiseront que la représentation d’Internet évoluera. De même que le professeur de français tente de faire évoluer les rapports des élèves avec la lecture et les livres en faisant « manipuler » les textes, de même il peut utiliser Internet autrement qu’à des fins utilitaires (documentation, information, communication) et orienter l’outil vers des fins littéraires.

5/ Du côté de la lecture littéraire sur Internet, il y aurait apprendre à prendre le temps de mettre en perspective des contenus hyper liés, parfois contradictoires ; à apprendre aussi à considérer le potentiel sémantique de leurs articulations ; à apprendre à questionner (donc mettre à distance) les documents numériques. Nous voyons ici que l’analyse que nous proposons se heurte à l’absence de certitudes concernant la lecture littéraire sur Internet. Une « lecture profonde », synonyme de lecture littéraire impliquerait la prise en compte de la notion de cohérence textuelle, revisitée par l’hypertexte. Et cet hypertexte implique forcément toutes sortes de textes, réunis en un seul support –Internet-, unis entre eux par des liens de cohérence divers, à étudier.