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Etat de l’art sur la corrosion de l’aluminium

Chapitre III : Influence des lacunes d’oxygène sur les mécanismes d’initiation de la

1. Etat de l’art sur la corrosion de l’aluminium

Le terme de corrosion désigne le fait qu’un matériau se dégrade sous l’action du milieu ambiant et par un autre processus que purement mécanique. En France son coût est estimé à 1 euro par jour et par personne en 2002 soit 4% PIB.1 Au niveau mondial, le coût (direct et indirect) de la corrosion est estimé à 2% du produit brut mondial.221 Ce phénomène touche tous les secteurs d’activité et tous les domaines de l’économie. La lutte contre la corrosion est donc un enjeu majeur pour la durabilité et la fiabilité des matériaux en lien direct avec la sécurité des biens, des personnes et leur santé.

Une des réponses trouvées à ce problème est d’utiliser un matériau naturellement protecteur contre la corrosion. Dans ce cadre, l'aluminium est très utilisé car il est connu pour sa bonne résistance à la corrosion grâce à la présence en surface d’un film passif protecteur. Cependant, l'aluminium est sensible à la présence d'ions agressifs. Par exemple, les ions chlorures peuvent dépassiver la surface diminuant ainsi l’épaisseur du film passif et engendrer une corrosion par piqûres.20 La compréhension de ce phénomène est essentielle à la préservation des matériaux. C’est pourquoi de nombreuses études ont été menées et plusieurs modèles décrivant les mécanismes de corrosion de l’aluminium ont été proposés.21,222–226 Actuellement, le modèle élaboré par McCafferty21 à la suite de plusieurs études,19–21,227 est le plus proche des données expérimentales. Le mécanisme se déroule en plusieurs séquences : l'étape initiale de la corrosion par piqûre implique au moins l'adsorption d'ions agressifs, l'incorporation de tels ions dans le film passif faisant diminuer le courant capacitif de la couche passive, la migration des ions vers l’interface oxyde/métal, l'amincissement du film et enfin la dissolution de l’aluminium se produisant sur la surface de l'oxyde et/ou du métal après la formation et la rupture de « cloque » au sein du film passif.

L’oxyde d’aluminium présent à l’interface solution/oxyde se compose généralement d’un oxy-hydroxyde du type AlOOH.228,229 Dans des solutions aqueuses, le PZC (point of zero charge) de l’aluminium qui définit le caractère des charges superficielles est d’environ 9-9,5.227,230 La surface de l’aluminium sera donc chargée positivement lorsque la solution a un pH inférieur à λ,5 comme dans la plupart des systèmes d’eau naturel. La surface attire par conséquent des ions négatifs.

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De nombreuses études utilisant des radio-traceurs sur des poudres et des métaux recouverts d’un film d’oxyde ont ainsi démontré que les chlorures s’adsorbaient à la surface de l’oxyde.231–236 Citons notamment les travaux de Kolics et al.235 qui ont démontré que l’adsorption de chlorures en surface était dépendante du pH. Ainsi, plus le pH augmente, plus la concentration de chlorures en surface diminue en lien direct avec la charge de surface.

Des observations expérimentales237 ont démontré dans un premier temps que les chlorures s'accumulent à la surface d'aluminium avant le début de la piqûre. Les études par XPS et XANES de Natishan et al238–240 ont permis de démontrer que les Cl- s’adsorbaient non seulement à la surface mais s’incorporaient également dans l'oxyde d'aluminium, les énergies de liaisons des chlorures en surface étant différentes des énergies de liaison des chlorures au sein du film. Les auteurs suggèrent également que la présence de Cl- au sein du film passif ne peut être due à l’incorporation des chlorures lors de la croissance de l’oxyde ou lors de la formation de piqûre métastable. En effet, les études de Bockris et al231 et Yu et al22 ont montré que les profils de concentrations de chlorures au sein de l’oxyde changent avant et après la rupture du film. Ces résultats démontrent que les chlorures sont incorporés dans le film entier même si l’épaisseur du film est modifiée et que la concentration en Cl- dépend du potentiel imposé. La seule possibilité restante est la migration ou le transport des ions chlorures au sein du film après adsorption en surface. La majeure partie des chlorures provient donc des chlorures adsorbés en surface comme l’ont démontré Serna et al241 et Wall et al242 et causent la rupture du film passif en modifiant la valeur de Epit.

Après avoir prouvé que les ions chlorures adsorbés en surface s’inséraient dans le film passif, il restait à déterminer leur mobilité au sein du film et si ces derniers étaient capables d’atteindre l’interface métal/oxyde. Les études de traceurs d’halogénures au sein de l’oxyde d’aluminium réalisées par Brown et al243 et Skeldon et al244 ont permis de mettre en évidence la migration des chlorures au sein du film. Pour cela, ils ont analysé des films d’oxyde anodisés avant et après implantations d’halogénures. La spectroscopie de rétrodiffusion de Rutherford a permis de déterminer la position des espèces implantées. La comparaison de leur position dans des films d'oxyde préformés et dans des films d'oxyde formés après implantation ont démontré la migration des halogénures vers l’interface oxyde/métal. De plus les auteurs indiquent que plus la taille de l’ion augmente plus la migration est limitée et toujours inférieure à la vitesse de migration des ions O2-.

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Les conséquences de l’insertion des chlorures sur les propriétés du film passif ont été étudiées dans un premier temps par Wall et al.242 Ils ont en effet observé que la diminution du courant capacitif du film est d’autant plus importante que la quantité de chlorures au sein du film est grande et ceci quelle que soit l’origine des chlorures (qu’ils soient implantés en surface ou présents en solution initialement). De nombreuses études233,237,245,246 ont démontré que l’oxyde d’aluminium possède les propriétés d’un semi-conducteur de type n. Citons notamment les travaux de Di Quarto247–251 qui a étudié le comportement d’alliages d’aluminium par des méthodes d’impédance et de photo-électrochimie. Il a développé une approche permettant d’évaluer le gap électronique au sein de l’oxyde en reliant linéairement la réponse photo-électrochimique au travail de sortie. Il a ainsi montré l’évolution d’un comportement de semi-conducteur vers un comportement isolant de l’oxyde d’aluminium ou d’un oxyde mixte par l’augmentation du nombre de couche au sein du film passif. Le transport des charges au sein de ce type de film peut être attribué aux lacunes d’oxygène. Cependant, l’augmentation de la quantité de chlorures observée au sein du film avec l’augmentation du potentiel conduit à une diminution de la conductivité du film avant Epit. En effet, les chlorures s’insèrent dans les lacunes d’oxygène, diminuant par conséquent le nombre de sites vacants et leur migration au sein du film. La conductivité du film diminue donc et la résistance du film augmente.

Enfin, quand les chlorures atteignent l'interface métal/oxyde en quantité suffisante pour concurrencer l’oxygène, ils inhibent la repassivation du métal.17 De plus, les chlorures aident à l’initiation des piqûres métastables en participant aux réactions de dissolution à l'interface métal/oxyde.21 Cependant, toutes les piqûres métastables ne donnent pas de piqûres stables. Les conditions environnementales locales jouent un grand rôle sur la propagation ou la repassivation des piqûres.252 De plus, certaines études avancent que la concentration locale en Cl- doit être au minimum de 3M pour propager une piqure à travers le film.253 Selon plusieurs hypothèses254– 257 tirées des résultats expérimentaux, la rupture du film passif se produit continuellement même en dessous de Epit. En présence d’ions agressifs et à des potentiels suffisamment élevés, la rupture du film passif peut aboutir à la propagation de la piqûre. En revanche en l’absence de tels ions, la repassivation du film intervient et guérit les défauts. Par conséquent, l’influence des chlorures sur les mécanismes moléculaires de la repassivation, de la décomposition de la passivité et de la propagation de piqûre métastable, restent à élucider.

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Malgré un formalisme théorique établi depuis près d’un siècle, ce n’est que récemment que les progrès sur les capacités de calcul nous permettent d’étudier des phénomènes complexes prenant en compte divers processus physico-chimiques à l'échelle atomique.258 L’une des méthodes les plus répandues aujourd’hui est la DFT (théorie de la fonctionnelle de la densité). Avec les avancées faites sur la description des énergies d’échange et de corrélation, cette méthode a prouvé qu’elle était une approche pertinente dans l’étude de systèmes relativement grands faisant intervenir des phénomènes complexes comme l'adsorption et la diffusion d'atomes, de molécules ou d'ions en surface des métaux259–263ou d’oxydes métalliques,264–266

ainsi que la description de l'interface métal/solution.267–269 Les études de l'interaction des halogénures avec des métaux nobles tels que Au261, Ag262 et Cu263 ou les métaux de transition270

sont également aujourd’hui très répandues. Cependant peu d'études DFT se sont concentrées sur l'interaction de chlorures avec l'aluminium nu271,272 et encore moins avec un oxyde d’aluminium. Cette constatation tient surement du fait que jusqu’à très récemment aucun modèle d’oxyde d’aluminium réaliste n’avait été proposé.121,209,210

Seule une étude DFT récente de Liu et al273 est portée à notre connaissance. Celle-ci se consacre à l'adsorption compétitive entre Cl- et O2 (ou O atomes) se produisant sur une surface d'aluminium nu. Les auteurs ont prouvé qu’une concentration équivalente à β/γ de monocouche de Cl- était nécessaire pour rompre fortement les liaisons Al-Al de la surface et par conséquent propager une piqure métastable. De plus, l’adsorption simultanée de chlorure et d’oxygène à la surface perturbe les liaisons Al-O entrainant l’inhibition de la repassivation de la surface par la formation de cluster AlCl2. Enfin l’adsorption de Cl-sur une monocouche d’oxyde d’aluminium affaiblit les liaisons Al-O mais ne parvient pas à détruire la monocouche. Les auteurs ont en effet tenté de reproduire un oxyde d’aluminium par une monocouche d’oxygène mais ce modèle est bien loin d’une couche passive réaliste.

Cette étude laisse donc des questions fondamentales en suspens : comment les chlorures parviennent-ils à rompre le film passif ? La présence de lacune peut-elle avoir un impact négatif sur l’inhibition de la corrosion ? Ces mêmes lacunes peuvent-elles être responsables de la migration des chlorures au sein du film ? Ce sont les questions qui nous ont animés dans ce chapitre et auxquelles nous allons tenter de répondre à l’aide d’un modèle121 d’oxyde d’aluminium supporté par la surface métallique beaucoup plus élaboré que celui de Liu et al.

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