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Les irrigants, en particulier les maraîchers, ont toujours un accès à la nappe souterraine ; c’est même une condition implicite pour faire du maraîchage. Il est à noter, en effet, que le recours au réseau collectif dans le cas du maraîchage est quasi impossible, compte tenu des faibles volumes d’eau distribués par l’ONID et de la priorité donnée à l’arboriculture fruitière. Seul le maraîchage intercalaire (avec l’arboriculture fruitière), peut bénéficier de l’eau du réseau collectif. La nappe de la Mitidja constitue donc une ressource garantie.

Afin de vérifier les volumes d’eau prélevés par les irrigants, nous avons effectué des mesures de débits sur 15 autres forages choisis sur la base de leur répartition géographique (trois secteurs) dans la commune de Mouzaïa ainsi que de leur double usage irrigation-AEP. En ce qui concerne la répartition géographique des prélèvements de l’eau à partir des forages, nous avons voulu faire une analyse statistique de distribution. Du fait de la taille cet échantillon inférieur à trente observations, donc insuffisant pour tester des lois statistiques, nous avons réalisé des tests empiriques au travers de trois types d’analyses : en composantes principales (ACP), BOX-PLOT et classification ascendante hiérarchique (CAH). Cette dernière basée sur le calcul d’un coefficient de ressemblance, permet de classer chacun des 15 forages dans le groupe où le coefficient de ressemblance est le plus proche de celui de sa valeur. Les variables qui expliquent la plupart des prélèvements sont la profondeur initiale des forages ainsi que le niveau d’eau actuel, avec une corrélation négative : plus la profondeur initiale est importante et/ou le niveau d’eau actuel est bas, moins on prélève d’eau. Il ressort également une forte corrélation positive entre le débit des pompes et la proportion d’agrumes irrigués. La distribution des prélèvements s’avère indépendante du nombre de bénéficiaires d’un même forage ainsi que de la superficie totale irriguée à partir d’un même forage. En effet, les prélèvements les plus importants ne sont pas directement liés au nombre d’usagers, car ceux- ci peuvent être des habitants et/ou plusieurs locataires qui irriguent en goutte-à-goutte. Les autres variables caractérisant les forages n’ont pas d’impact sur la variance de la distribution des prélèvements.

Figure 49. Répartition des forages selon leurs caractéristiques.

Les prélèvements sont répartis sur deux axes perpendiculaires. L’axe vertical représente les débits pompés, et l’axe horizontal représente les différentes cultures irriguées. Une première classe, que nous allons appeler « Prélèvement type 1 », correspondant à 1/3 de l’échantillon, compte uniquement de l’arboriculture fruitière avec une forte dominance des rosacées. Les agrumes présents sont pour la plupart des jeunes plantations. Cette classe renferme les forages les plus profonds (> 90 m avec des débits < 8 l/s). Il est à noter également que cette classe est celle qui contient le plus d’usages combinés irrigation/AEP. Ceci peut paraître paradoxal : c’est là où il y a deux types d’usages qu’il y a le moins de prélèvements. La majorité des pompes sont immergées et fonctionnent à l’énergie électrique. La moyenne des prélèvements estimée par forage pour cette classe est de 62 m3/jour pour un niveau d’eau moyen au moment

de l’enquête de 45 m.

La deuxième classe, que nous appellerons « Prélèvement type 2 » correspond également à 1/3 de l’échantillon. On y observe une répartition égale entre les agrumes d’une part et les rosacées et/ou les cultures maraîchères sous serres d’autre part. Tout le maraîchage est contenu dans cette classe. Les pompes utilisées sont à 60 % immergées électriques et à 40 % verticales, et fonctionnent au gasoil. Les forages ne sont sollicités que pour l’irrigation, avec une moyenne de prélèvement par forage de 120 m3/jour. La profondeur moyenne des forages est de 80 m et le débit moyen des pompes est de 10 l/s pour un niveau d’eau au moment de l’enquête de 38 m.

La dernière classe, « Prélèvement type 3 », représente le tiers restant de l’échantillon et affiche un prélèvement moyen par forage de 285 m3/j, ce qui correspond à près de 5 fois le prélèvement de la première classe et à plus du double de celui de la deuxième classe. La

culture dominante est l’arboriculture avec une forte présence d’agrumes. Il n’y a pas de maraîchage dans cette classe. L’ensemble des pompes utilisées par les irrigants sont immergées électriques et débitent en moyenne 19 l/s. Les forages de cette classe ont tous été creusés à des profondeurs inférieures à 80 m pour un niveau d’eau au moment de l’enquête de 33 m. Les irrigants de cette classe ne fournissent pas d’eau potable aux habitants. Un facteur historique peut expliquer cette répartition. À l’origine, avant la création des domaines, le choix du lieu de plantation des agrumes a été dicté par la présence de forages à des endroits où la nappe est la plus proche de la surface. Ainsi, la quasi totalité des vieux vergers d’agrumes est située dans la partie ouest du périmètre irriguée qui est la plus basse topographiquement. Les relevés GPS que nous avons effectués indiquent 40 m d’altitude pour ce secteur ouest contre 58 m d’altitude pour le secteur est et 94 m pour le secteur sud.

Concernant la dimension temporelle des prélèvements, un travail de suivi hebdomadaire sur ces 15 forages, étalonnés à l’aide du débitmètre à ultrasons, a été entrepris au mois de janvier 2008 par l’Institut National Agronomique d’Alger dans le cadre du projet Sirma. Ce travail de suivi a été réalisé durant six mois par un enquêteur recruté à cet effet, accompagné d’un élève ingénieur en fin de cycle. Les usages pour l’irrigation et l’AEP ont été pris en compte à chaque passage. Les premiers résultats de ce travail de suivi ont confirmé les résultats de nos enquêtes individuelles : les prélèvement d’eau souterraine pour l’irrigation débutent à la fin du mois d’avril et augmentent progressivement jusqu’au mois de juin qui constitue un pic en terme de demande en eau d’irrigation. C’est en effet le mois où tous les forages sont sollicités de façon importante par rapport aux mois précédents, donnant ainsi un volume total prélevé correspondant au double de celui du mois de mai. Le suivi ayant été arrêté à la fin du mois de juin, nous n’avons pas pu comparer les prélèvements des autres mois. Nos enquêtes révèlent cependant que les mois de juillet et août correspondent eux aussi à un niveau de demande élevé mais qui décline progressivement avec les récoltes de maraîchages.

Cette analyse nous montre que la distribution des forages est relativement équilibrée et correspond bien aux trois classes précédemment décrites. L’extrapolation de ces classes à l’ensemble de la Mitidja-ouest peut nous renseigner notamment sur les volumes totaux prélevés et sur le taux d’utilisation des forages. Si l’on considère que les 900 forages de la Mitidja-ouest se répartissent selon cette classification, on arrive à un prélèvement total journalier de près de 190 000 m3 par jour, soit 26 millions de m3 pour 135 jours de prélèvements (de mai à la mi septembre), soit près de 10 millions de m3 en moins par rapport à l’analyse technico-économique et 3 millions de moins par rapport aux besoins de référence. Cependant, les forages utilisés par les irrigants que nous avons enquêtés pour notre analyse

technico-économique, ne suivent pas la répartition des trois types de prélèvement. En effet le choix des EAC divisées à enquêter s’est fait selon une typologie (Figure 35) basée sur plusieurs facteurs (cultures, accès à l’eau, travaux communs dans l’EAC) et non sur le type de forage. De ce fait, chez les 15 irrigants enquêtés, on retrouve un seul forage de type 1, sept forages de type 2 et sept forages de type 3. C’est ce qui explique la différence de près de 10 millions de m3 citée ci-dessus. Ceci renvoie à la limite de la taille de l’échantillon utilisé dans les deux analyses, échantillon qu’il conviendrait d’élargir afin d’arriver à des estimations plus précises.

Les consommations d’eau d’irrigation dans la Mitidja-ouest dépasseraient cependant les 25 millions de m3 annuellement. Ce volume prélevé, ramené aux superficies agricoles de toute la région de la Mitidja-ouest (9500 ha), donnerait une dose moyenne à l’hectare de l’ordre de 2 600 à 3000 m3/an, sachant que près d’un tiers de cette superficie n’est pas irrigué (céréales). Si l’on considère d’une part la mauvaise répartition des prélèvements par rapport à la surface irriguée, d’autre part des pertes importantes −estimées à 50 % par l’ONID− du fait de l’utilisation courante de matériels et de conduites d’amenées vétustes (ces pertes sont bien entendu relatives car elles réalimentent partiellement la nappe de la Mitidja), cette dose moyenne donne une indication sur la capacité des forages existants à irriguer toute la superficie agricole de la Mitidja-ouest sans recourir au réseau collectif ni à de nouveaux forages. En effet, dans un contexte d’irrigation de complément, une dose d’irrigation de 2600 m3/ha pourrait suffire à irriguer la totalité de la Mitidja-ouest à condition d’optimiser les apports en eau d’irrigation (améliorer les efficiences) et recourir à des variétés précoces ou tardives afin de mieux bénéficier de la pluviométrie.

Dans ce travail nous n’avons pas tenu compte de l’offre en eau, en posant l’hypothèse implicite d’une offre illimitée. Néanmoins, il convient de préciser que l’offre en eau constitue un élément important pour la pertinence des résultats de ce type d’analyse et qu’il serait intéressant d’avoir un travail de recherche complémentaire dans ce sens.

6. Conclusion

Le recours à l’analyse technico-économique des systèmes de culture offre un cadre d’analyse intéressant pour déterminer la demande en eau pour une campagne d’irrigation donnée, conditionnée par un contexte social, économique, institutionnel, climatique,.... Cependant, la réaction des acteurs face à ces changements ne peut être simplement appréhendée par l’agrégation des résultats individuels. Une typologie d’exploitations, à l’aide d’enquêtes de structures, permet de constituer des groupes relativement homogènes qui facilitent l’agrégation des résultats à l’échelle d’un territoire ou d’une région. Néanmoins, les

informations sur le fonctionnement des EAC divisées n’étant pas disponibles, nous avons dû réaliser des enquêtes approfondies sur un échantillon restreint. Afin de valider et discuter nos résultats, une analyse en présence de plusieurs agriculteurs et autres acteurs contribuant au fonctionnement de l’agriculture irriguée dans la Mitidja-ouest, a été réalisée sous forme de sessions participatives. En effet, les comportements individuels étant souvent la résultante de plusieurs facteurs économiques, mais aussi socio-institutionnels, coexistants dans l’environnement de l’agriculteur, il nous paraissait nécessaire de les intégrer dans l’étude et l’analyse de la demande en eau à l’échelle régionale.

La modélisation technico-économique à l’aide du simulateur Olympe nous a permis de mettre en perspective la complexité des interactions qui conditionnent la demande en eau et son évolution à l’échelle d’un territoire. Nous avons maintenant une représentation plus précise du fonctionnement technico-économique des EAC divisées (majoritaires dans la Mitidja-ouest) au travers de la typologie issue d’enquêtes individuelles.

La validation des différentes stratégies à l’échelle régionale, réalisée de manière collective, visait la consolidation des résultats de ce travail. Ainsi, afin d’affiner et aussi de valider les résultats obtenus jusqu’ici, un travail collectif avec les acteurs de l’agriculture irriguée de la Mitidja-ouest (attributaires, locataires et représentants d’institutions agricoles), a été mené à la fin de l’année 2007 et au début de l’année 2008. Dans la partie qui suit, nous faisons une analyse prospective de l’évolution des systèmes de production et de l’impact de cette évolution sur les besoins en eau des irrigants. La démarche méthodologique et les résultats obtenus sont présentés dans le chapitre 4 ci-après.

Chapitre 4

Une approche participative pour l’exploration de la demande en eau

régionale

1. Introduction

Nous allons, dans ce chapitre, nous intéresser aux arrangements (définis plus loin) entre acteurs du secteur de l’agriculture irriguée, et particulièrement aux modalités d’organisation dans les EAC divisées ainsi qu’à leurs évolutions possibles, au travers d’une approche participative.

Dans le cas des EAC, les règles mises en place par les agriculteurs seront analysées sous cette définition des arrangements, afin d’appréhender les logiques de fonctionnement formel et informel au sein des EAC divisées et de faire une analyse prospective de leur devenir à l’aide de scénarios. Ces scénarios seront discutés et validés de façon collective en présence d’agriculteurs et de représentants d’institutions agricoles locales. Avant de présenter les différentes phases de construction de la méthode que nous avons utilisée, puis des résultats obtenus, nous allons d’abord présenter et synthétiser les différentes approches participatives qui existent, afin de nous positionner par rapport à ces approches dans le cadre de cette recherche. Nous nous pencherons essentiellement sur les démarches participatives qui visent le développement agricole et la gestion des ressources naturelles renouvelables. Nous présenterons ensuite les différentes étapes de la mise en œuvre de la méthode que nous avons utilisée, les résultats obtenus et leurs limites ainsi que les différents scénarios d’évolutions que nous avons discutés lors de sessions participatives. Enfin, nous allons tester un scénario, le plus plausible, et confronter les résultats obtenus en termes de besoins en eau avec ceux issus de l’approche agropédoclimatique de référence (chapitre 2), pour voir l’évolution potentielle de la demande eau dans la Mitidja-ouest.