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4. Résultas et discussions

4.1 Diagnostic participatif et exploration de scénarios au sein des EAC divisées

4.1.2. Le cas de l’EAC 2

La deuxième session a concerné une EAC divisée constituée de sept membres. Cette EAC de 27 ha est située dans le secteur ouest du périmètre irrigué. Dans le Tableau 15 nous résumons les principales caractéristiques de cette EAC

Tableau 15. Caractéristiques de l’EAC 2.

Superficie

(ha) Membres Locataires

Agrumes (ha) Rosacées (ha) Rotation Maraîchage/céréales (ha) Nombre de serres 27 7 2 20 3 4 15

Cette EAC est composée de sept frères et demi-frères et divisée en sept parts individuelles. Ceci confirme la tendance à l’individualisation des centres de décisions, même au sein d’une même famille. En effet, l’atomisation des centres de décisions n’est pas liée strictement à la décollectivisation ; en effet, même dans des agricultures paysannes familiales tels que les systèmes de production wolof au Sénégal, on observe un éclatement des unités de production et une multiplication des centres de décision avec une tendance vers des unités plus petites et individuelles (Chia et al., 2006).

Cinq attributaires dont le chef de groupe étaient présents. Les locataires, là encore, n’étaient pas venus. Nous pensons que même avec les explications que nous avons données individuellement lors de la préparation de l’atelier notamment sur nos objectifs scientifiques et le caractère anonyme des résultats, le chef de groupe de cette EAC était réticent à la présence des locataires avant de voir précisément en quoi consistait cette rencontre. Cependant un des attributaires, qui a donné en location sa parcelle, est venu nous parler de la location.

Une des difficultés que nous avons rencontrées lors de cet atelier, concernait l’attitude du chef de groupe qui prenait la parole plus souvent que les autres attributaires (ses frères). Lors de cette session, il a fallu rappeler à plusieurs reprises au chef de groupe le caractère collectif de la rencontre et la nécessité de laisser s’exprimer les autres. Cette habitude de prise de parole est sans doute liée à son statut de frère aîné, respecté par les cadets.

La session s’est déroulée sur le même modèle que la précédente : rappel des objectifs, délimitation des parcelles individuelles et positionnement des cultures et des systèmes d’irrigations utilisés, dans un premier temps, puis listing des contraintes à tour de rôle, hiérarchisation de ces dernières et enfin listing et hiérarchisation des scénarios possibles avant une mise en situation.

Figure 68. Représentation de l’EAC 2 par les participants avec les nouvelles limites.

Sur les vingt hectares d’agrumes, 17 sont des jeunes plantations réalisées grâce aux aides du PNDA, et seuls trois hectares, qui datent de l’époque des domaines (avant 1987), sont en production et constituent une source de revenus importante. Même ces trois hectares ont été partagés entres les frères en parts égales, et chacun travaille seul les rangées d’agrumes qui lui reviennent.

Le principal enseignement tiré de cette session concerne la question du foncier. Il existe une différence entre les limites officielles de l’EAC 2 et la réalité. En effet, un échange de trois ha, soit 10 % de la surface totale de l’EAC, a été opéré avec une EAC voisine pour des raisons pratiques d’accès et de localisation. Cet échange n’a pas été décelé durant les trois passages d’enquêtes précédemment réalisées sur cette EAC, même lors des relevés GPS pour la délimitation des EAC et le positionnement des bornes et forages. C’est un type d’arrangement important auquel ont fait appel les attributaires collectivement. Ceci montre bien que la nouvelle configuration des EAC avec plusieurs centres de décisions n’est pas immuable, puisque les attributaires peuvent encore s’unir en cas de besoin et prendre des décisions unanimes.

Les corrections apportées par les participants à notre représentation concernaient quatre points : d’abord les limites de l’EAC du fait des nouvelles frontières différentes des limites officielles ; ensuite, l’emplacement des sources d’eau bornes et forages, que nous avions mal positionnés, ainsi que le sens de l’orientation des parcelles et enfin la proportion de l’EAC par rapport à la ligne du réseau collectif qui la traverse. Ceci montrait bien, là aussi, que les participants s’étaient appropriés le support de discussion sans difficultés.

Après la correction et la validation collective de l’EAC 2 et de son fonctionnement, nous avons abordé les contraintes qui pèsent sur les membres de cette EAC dans leurs activités agricoles (Figure 69).

Figure 69. Listing et hiérarchisation des contraintes de l’EAC 2 par les participants.

Le listing des contraintes par les participants de l’EAC 2 s’est fait de façon rapide et spontanée. Ainsi, le nombre de contraintes évoqué reflète l’état d’esprit des participants et renseigne sur les obstacles potentiels au développement de l’agriculture à l’intérieur et à l’extérieur de l’EAC. La hiérarchisation des contraintes a été validée dans l’ordre suivant selon les votes :

1. ++++ prix élevé des produits phytosanitaires et engrais ;

2. ++++ difficulté d’accès aux crédits de courte et moyenne durées ;

3. +++ prix élevé des locations de machines agricoles (charrues, pulvérisateurs, etc.) ; 4. ++ prix élevé de l’électricité (pompages à partir des forages) et facturation

trimestrielle lourde à supporter ;

5. + barème de facturation forfaitaire excessif de l’ONID.

En comparant cette session avec celle de l’EAC 1, deux contraintes communes ressortent : l’inaccessibilité aux crédits de campagne et le coût de l’énergie électrique suite au système de facturation trimestrielle où les agriculteurs doivent payer des sommes importantes.

Là aussi, l’accès à l’eau dans ce cas ne constituait pas une contrainte du fait de la présence d’un forage et du recours à l’eau du réseau collectif. Ce dernier est aussi utilisé la nuit (en dehors de la période desservie par l’ONID) pour acheminer l’eau du forage jusqu’aux parcelles situées au bout de l’EAC et occupée par les locataires. Ainsi, les locataires récupèrent cette eau, qui coule dans les conduites du réseau collectif, à l’aide d’un pompage

de reprise leur garantissant plusieurs heures d’irrigation. Les frais énergétiques du pompage dans le forage sont payés par l’attributaire de l’EAC qui leur a loué la terre, et les coûts du pompage de reprise sont supportés par les locataires. Ceci montre à nouveau la capacité d’organisation et d’arrangements des irrigants, allant jusqu’à l’utilisation des infrastructures collectives.

Les scénarios d’évolution proposés par les attributaires de l’EAC 2 sont synthétisés dans le Tableau 16. Ils sont construits sur : un maintien de la situation actuelle, une saturation du marché des agrumes, une fermeture officielle de tous les forages de la Mtidja, et enfin une amélioration de la qualité de service de l’ONID.

Tableau 16. Scénarios proposés par les participants l’EAC 2.

Scénario Plausibilité selon les

participants Stratégies à adopter

Maintien de la situation

actuelle Assez plausible Aucun changement

Saturation du marché des

agrumes Plausible

Améliorer la qualité et tourner vers l’exportation

Fermeture des forages Plausible Recours au réseau collectif

Amélioration de la qualité de

service de l’ONID Assez plausible Aucun changement

Le maintien de la situation actuelle était surtout étayé par la lenteur des procédures de façon générale, ce qui conduit les participants à considérer que rien ne changera. Le second scénario, qui est celui de la saturation du marché des agrumes, est conditionné selon les participants par deux facteurs. Le premier serait l’entrée en production des nouvelles plantations réalisées entre 2000 et 2005, suite aux subventions par le PNDA, et le second facteur était l’accès au financement pour la réalisation de nouvelles plantations. En effet, l’octroi de crédits par la banque agricole reste jusqu’ici un privilège des attributaires, du fait des anciens crédits non remboursés. L’ouverture de l’accès aux crédits serait une opportunité de réaliser de nouvelles plantations d’agrumes.

Contrairement à l’EAC 1, les attributaires jugent plausible l’éventualité de fermeture des forages à condition que le réseau collectif garantisse les besoins des irrigants ; les participants ont pu constater des améliorations ces dernières années en matières de gestion de ce réseau. Ceci ouvre la possibilité du dernier scénario qui n’appelle aucun changement en matière d’assolements.

Après la discussion sur les scénarios proposés par les participants, à notre tour nous leur avons proposé d’aborder d’autres scénarios, que nous présentons dans le Tableau 17.

Tableau 17. Réactions des participants de l’EAC 2 face aux scénarios que nous avons

proposés.

Scénario Plausibilité selon les

participants Stratégies à adopter

Partage officiel des terres des

EAC à l’amiable Plausible

Maintien du partage actuel et plantations d’agrumes

Partage officiel imposé des

terres des EAC Peu plausible Plantations d’agrumes

Gestion volumétrique des

forages par l’ONID Pas plausible

Exiger des compteurs individuels

La réaction des participants face au scénario du partage du foncier est identique à celle des participants de l’EAC 1. En effet, si le partage s’est effectué à l’amiable, les attributaires maintiendront la situation actuelle ; ils s’accordent tous sur la stratégie de plantation d’agrumes. Par contre un partage du foncier imposé, est jugé peu plausible et, là aussi, les investissements individuels risqueraient de créer des conflits entre les attributaires. Malgré cela, la part individuelle permettrait un investissement dans la plantation d’agrumes, ce qui confirme l’hypothèse du cadre collectif contraignant l’investissement.

Le scénario selon lequel l’ONID gérerait les forages en même temps que le réseau collectif est apparu irréalisable aux participants du fait de la rigueur de gestion et de moyens −faisant défaut jusqu’ici− que cela nécessite. Néanmoins, les participants seraient prêts à y adhérer à la seule condition de payer les volumes réels consommés et donc d’installer des compteurs individuels.

L’évaluation de cette session a globalement montré beaucoup d’intérêt des participants avec un réel investissement dans la discussion. L’absence des locataires a été ressentie lors de l’atelier. En effet, même avec la présence de l’attributaire qui a donné en location sa parcelle aux locataires, nous n’avons pas pu évoquer les stratégies et la perception du futur par ces derniers. Ceci nous a motivés à tout mettre en œuvre afin de faire venir les locataires pour les sessions suivantes. Les participants ont également apprécié la vision d’ensemble de l’EAC, qui leur était proposée sur un plan pour la première fois depuis sa création et ont trouvé l’intérêt à discuter collectivement du présent et du futur avec un esprit d’ouverture et un nouveau regard sur les évolutions possibles de leurs activités.

Toutefois, les participants ont émis quelques suggestions afin de mieux réussir ce type de rencontre. La première suggestion consistait à inviter les locataires. Or ceci nous paraissait paradoxal dans la mesure où, initialement, nous pensions que l’absence des locataires était due à la réticence du chef de groupe. Là encore, la généralisation des sessions participatives à toutes les EAC de la région a été une recommandation des attributaires de l’EAC 2. Les participants ont également suggéré de faire une classification des différents modes de partage des EAC de façon plus détaillée que ce que nous avions fait jusque là puis, dans une seconde phase, faire remonter les résultats des discussions aux différents institutionnels disposant d’un réel pouvoir de décision, en faisant, si nécessaire, appel à des supports vidéos pour les sensibiliser sur la situation actuelle et les rapprocher du quotidien des attributaires.