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Essai de catégorisation socio-spatiale de la fermeture résidentielle

Conclusion générale

III- Essai de catégorisation socio-spatiale de la fermeture résidentielle

Néanmoins on peut tenter ici une catégorisation socio-spatiale de la fermeture résidentielle, l’établissement de profils territoriaux qui croisent les mécanismes sociaux, politiques et économiques, et tiennent compte de la diachronie dans une analyse systémique. Cette catégorisation souligne par ailleurs que les politiques publiques et les pratiques des acteurs économiques accompagnent les dynamiques sociales, et bien souvent les renforcent, voire les induisent. Nous déclinerons ces types selon le profil social des territoires, aisés ou à dominante populaire, selon le niveau de standing des résidences, le contexte ou non de contraste social, selon qu’il s’agit de fermetures ex post ou de nouveaux ensembles résidentiels fermés, dans un périmètre ou non d’action publique et selon les motivations sociales de la fermeture. (Cf. partie 3)

192 Formes, dynamiques et enjeux territoriaux de la fermeture résidentielle dans les quartiers aisés

Dans les « beaux quartiers », les processus de fermeture résidentielle, inscrits dans des temporalités diversifiées, se déclinent selon des modalités variées tout en prenant une signification assez générale d’entre-soi.

1 - Les fermetures ex post se déclinent ici autour de trois enjeux principaux :

- Dans les secteurs les plus aisés et socialement homogènes de la ville, les fermetures de lotissements résultent généralement de décisions ex post favorisées, comme on l’a vu dans la partie 2, par les héritages fonciers de la trame bastidaire et de la domanialité. Avec des profils sociaux homogènes et uniformément privilégiés, on rencontre les résidences fermées dans des espaces qui ont été lotis ex- nihilo à partir des années 40. De manière assez classique par rapport à ce qui a pu être étudié dans d’autres contextes urbains, ces enclosures du secteur de la Corniche et de la colline Périer participent à une stratégie globale de distinction et d’entre-soi et s’ajoutent à des pratiques sociales, de loisirs, de fréquentation scolaire électives, sélectives et protégées.

- Dans cette partie de la ville, les fermetures ex post s’intensifient partout dans les secteurs soumis à la pression croissante d’usages populaires et à la fréquentation de grands équipements et des plages. Ces usages vécus comme des « intrusions » précipitent l’enclosure motivée par le souci de préserver tranquillité et entre-soi. Ils entraînent aussi des concurrences pour le stationnement des voitures, cause directe de fermeture (et motif fonctionnel plus « banal » et facile à légitimer lors des enquêtes…). - En périphérie de ces « beaux quartiers », certaines dynamiques actuelles de fermetures ex post de lotissements (toujours associées à la persistance de voiries privées) sont liées à des contrastes sociaux localisés avec la présence d’« enclaves » modestes, héritées de politiques du logement des années 60 et 70. La fermeture de lotissements tend à se systématiser au contact des quelques copropriétés dégradées et résidences HLM sans qu’il soit facile de démêler la part du réactif ou celle du préventif dans les motivations, dans des contextes où les tensions résidentielles n’ont pas toujours une extrême acuité.

2 - Des créations ex nihilo d’ERF autour de deux enjeux principaux :

- De nouvelles offres immobilières fermées et prestigieuses visent une clientèle aisée dans des quartiers déjà bien « cotés » dont les aménagements récents augmentent la valeur foncière (par exemple, autour du parc Borély, secteur en pleine évolution). Ces offres fermées s’inscrivent en synergie avec les politiques municipales de revalorisation du front de mer, avec une dynamique souhaitée d’extension vers le sud du « triangle d’or » des beaux quartiers. Peu à peu, l’hétérogénéité sociale et urbanistique relative de cette partie de la ville s’atténue. Ces résidences nouvelles sont parfois de très petite taille, la largeur des terrasses avec vue compensant la petitesse des jardins ou parcs privatifs. On peut souligner le paradoxe selon lequel la logique d’implantation de ces ensembles est liée aux grands aménagements du secteur, alors que leurs dispositifs de clôture comme leurs aménagements paysagers visent à les préserver de la fréquentation de masse induite par ces mêmes aménagements…

- Des implantations à la périphérie immédiate des « bons » arrondissements (8ème, 9eme, 12eme) ou dans leurs espaces interstitiels, encore relativement nombreux, misent sur leur réputation pour attirer une clientèle aisée. Ces résidences doivent offrir le supplément qui compense l’éloignement ou des proximités sociales non souhaitées par un aménagement interne très soigné, complémentaire d’une fermeture très étanche, et justifie des prix très élevés (par exemple, autour de Mazargues, de la Panouse, dans la vallée de l’Huveaune).

Formes, dynamiques et enjeux territoriaux de la fermeture résidentielle dans les périphéries populaires

Dans les quartiers populaires, les processus et temporalités de la fermeture résidentielle paraissent plus diversifiés. Ils prennent une signification moins univoque que dans les beaux quartiers dans la mesure où ils s’inscrivent dans des contextes qui tendent à une beaucoup plus grande hétérogénéité sociale. Là aussi, la diffusion se produit selon les deux modalités de la fermeture ex post et des créations d’ERF ex nihilo.

193 1 – Les créations ex nihilo d’ERF

Elles sont liées à des greffes de classes moyennes dans les quartiers périphériques à dominante populaire dans le cadre d’opérations immobilières groupées parfois articulées aux politiques de renouvellement urbain et de mixité sociale « par le haut ». On observe deux types de greffes : sous forme d’enclaves, en contact direct avec les cités d’habitat social et les grandes copropriétés dégradées ou encore avec l’habitat pauvre et dégradé de l’hypercentre ; en situation périphérique, formant des polarités nouvelles, à plus grande distance des zones pauvres stigmatisées :

- Des greffes de classes moyennes par la création de zones groupant des copropriétés fermées de standing à la périphérie des quartiers défavorisés, dans des secteurs dotés de forts potentiels d’attraction : équipements nouveaux (tramway dans le secteur populaire en pleine transformation des Caillols/La Pomme), présence de la « campagne à la ville », paysages remarquables, qualités patrimoniales… (les Hauts de Mazargues, Château-Gombert, les Hauts de Sainte Marthe). On observe alors un fonctionnement des résidents d’ERF fondé sur l’automobile, articulé directement avec l’hypercentre ou les lieux d’emplois, et, selon les secteurs, des stratégies de scolarisation désectorisées ou dans le privé qui permettent les évitements d’avec les plus pauvres (observé dans les marges du 14ème arrondissement). La logique de greffe dessine davantage ici des grappes « protégées » et socialement homogènes en périphérie urbaine que de petites enclaves au contact direct des zones en difficultés.

- Très récemment sont apparus de nouveaux projets fermés composés de petits collectifs ou de logements individuels de niveau modeste, implantés dans des ZUS ou à leurs abords, dans certaines ZAC, à proximité des grands ensembles ou de grandes copropriétés dégradées. Parmi ces ensembles, certains sont mixtes socialement : ils peuvent même accueillir des logements sociaux, en accession à la propriété ou locatifs, parfois des logements étudiants, notamment dans les ZAC. Les promoteurs qu,dans le cadre des politiques du logement et de rénovation urbaine conduites aux échelles nationale et locale, bénéficient de conditions favorables (TVA minorée, PLS), ont développés dans ces espaces de contact de nouveaux programmes d’entrée de gamme, pour lesquels ils appliquent une « fermeture préventive » qui devient un argument de marketing.

Ils répondent en premier lieu à la demande de primo-accédants (classes moyennes, voire moyennes inférieures), généralement soumis à de lourds emprunts et qui recherchent les meilleurs ratios qualité/prix dans un contexte de marché foncier et immobilier extrêmement tendu. Certains, extérieurs au quartier, se voient contraints de s’établir au contact direct des grands ensembles ou de grandes copropriétés dégradées et la fermeture présente une condition de l’acceptabilité du quartier, d’un environnement social parfois non souhaité et/ou d’un manque d’équipements notamment scolaires. Les pratiques d’évitement des établissements scolaires du quartier constituent alors un prolongement à la sécurisation apportée par la fermeture résidentielle. Toutefois, les enquêtes montrent que nombre de résidents de ces ERF moyen ou bas de gamme sont issus du quartier auquel ils restent attachés et perçoivent dans la fermeture résidentielle davantage un élément de standing qu’une réponse sécuritaire. Elle permet de valoriser symboliquement l’accession à la propriété ou la sortie du HLM, en la mettant en scène et en la magnifiant.

2 – Les fermetures ex post relèvent dans les quartiers populaires de trois types de logiques - Les processus de « résidentialisation », qui ont été mis en œuvre au début des années 2000 dans le cadre des politiques de la ville et avec des financements publics, concernent tant le parc HLM que certaines copropriétés en difficulté. Ces dispositifs ne vont pas toujours jusqu’à la clôture au sens où nous l’avons définie, puisque seuls 18 sur 150 ensembles HLM de 100 logements et plus peuvent être considérés comme enclos selon les critères de cette étude. Mais ils ont banalisé des dispositifs de grillages, portails, chicanes anti-scooters… destinés tant à rassurer qu’à clairement délimiter les parties communes, dont l’entretien revient aux bailleurs ou aux copropriétés, des espaces publics dont la ville a la charge. Dans le contexte marseillais, où la propreté et l’entretien de la voirie laissent souvent à désirer, cette problématique prend un sens particulièrement aigu.

194 - Des tensions locales sont perceptibles dans les zones de contact entre les cités HLM ou les copropriétés dégradées et les lotissements populaires du début du 20ème siècle ou encore les petites résidences de classes moyennes inférieures. Leur fragilisation sociale et spatiale (qui s’est traduit dans les années 80 par un vote Front National important dans ces quartiers) peut déboucher sur un véritable « malaise résidentiel » et sur une fermeture aboutissant parfois à l’enclavement. Les fermetures traduisent ici un sentiment d’insécurité et d’abandon. Elles peuvent être associées à d’autres pratiques de repli, quasi-préventives ou défensives. Face à des initiatives spontanées de clôtures sans permis, ou à des demandes de restrictions d’accès sur les voies publiques, qui pourraient, si elles se multipliaient, aggraver les tensions de proximité, les mairies de secteur, de plus en plus soumises à la pression sécuritaire, sont parfois amenées à laisser-faire ou appuyer au détriment d’une gestion concertée des espaces.

Formes et dynamiques de fermeture résidentielle dans le centre historique

Encore majoritairement populaire, le centre historique est constitué en particulier de quartiers d’extrême pauvreté (dans le 1er, le 2ème et surtout le 3ème arrondissement). Il a été tardivement touché, depuis la fin des années 90 par les classiques processus de rénovation-gentrification (autour du Vieux port et du périmètre Euroméditerranée), des rachats et des reventes spéculatives (rue de la République) et la réhabilitation d’immeubles dotés d’un cachet patrimonial (périmètres PRI) impliquant des déplacements parfois brutaux de populations modestes vers les périphéries. Même si le phénomène de revalorisation sociale reste minoritaire dans cette partie de la ville, plusieurs mécanismes sont porteurs de types bien différents de fermeture résidentielle destinée à rendre possible, acceptable, (voire à mettre en scène) la fameuse contradiction entre « proximité spatiale et distance sociale ». On retrouve là-aussi, de manière certes très minoritaire, à travers quelques cas, les deux processus de création d’ERF ou de fermeture ex post.

1 – Les fermetures ex post concernent deux types de bâti : ilot ancien et grandes copropriétés privées

- Dans le cadre d’un processus « pionnier » de gentrification « artistique et créative », un ilot ancien de bâti non rénové a fait l’objet d’une fermeture spontanée et privée.

- Dans un contexte de dégradation des espaces du centre-ville, on observe également la fermeture lors des 15 dernières années de quelques grandes copropriétés de classes moyennes-supérieures des années 60-70, enclaves architecturales au sein du bâti ancien. Le principal motif est le stationnement, la préservation de la qualité des parties communes et sans doute aussi un souci de distinction et de valorisation immobilière.

2 - Les créations ex-nihilo de nouvelles résidences fermées en centre ville

Elles sont liées aux rares disponibilités foncières (cœurs d’ilots, démolitions) correspondant à des friches urbaines. Au contact des catégories populaires, l’apparition de ces quelques résidences fermées dans l’hypercentre correspond bien à une logique d’installation en habitat ancien et central de citadins appartenant aux classes moyennes, motivés par une urbanité fortement articulée à la centralité et aux dimensions patrimoniales de la ville dans un contexte de renouvellement urbain. Il est apparu cependant que l’acceptabilité de la fermeture paraît plus complexe pour cette catégorie de citadins que l’on peut qualifier de « gentrifieurs ».

- Transformation spéculative de friches industrielles ou artisanales alignées sur rues ou situées en cœurs d’ilot (le « parvis de Longchamp », en arrière d’un immeuble aligné sur rue) démoli et reconstruit en copropriété fermée affichant un niveau de standing supérieur à celui de son environnement.

- Depuis une dizaine d’années, quelques créations de grandes résidences fermées dans des périmètres d’action publique en situation centrale, fondée sur la destruction-rénovation d’îlots insalubres avec création de grands ensembles aux accès clôturés conçus sur le type de l’ « îlot ouvert » autour d’un patio ou jardin central. Elles comportent divers standings de logements, en loyer libre et en loyer social. Dans le cadre du projet Euroméditerranée et de ZAC, les dernières réalisations de ce type, les plus emblématiques du point de vue architectural, sont liées à des restructurations intégrales d’îlots de

195 friches industrielles du secteur de la Joliette (près des docks) avec réhabilitation partielle (ilot M5) ou destruction-reconstruction (ilot M1).

IV- Nouveaux champs d’investigations et de questionnements autour de la

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