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Chapitre 1 : Systèmes multiutilisateurs et multimodaux

1 Systèmes multiutilisateurs

1.5 Espace de conception

Lors de la conception de l’interface d’un collecticiel, il convient de prendre en compte les contraintes fonctionnelles mais également veiller à son utilisabilité. Dans ce but, de nombreuses recommandations ergonomiques ou propriétés ergonomiques ont été introduites, telles les propriétés d’observabilité et d’honnêteté de [Bastien 1992]. La prise en compte de ces recommandations ou propriétés ergonomiques en amont de la réalisation d’un système interactif et leur contrôle en aval visent à augmenter son utilisabilité. Par exemple la propriété ergonomique d’observabilité de [Bastien 1992] indique que le système doit rendre perceptible à l’utilisateur son état interne pertinent pour la réalisation de la tâche : ainsi dans le cas où un système est occupé à réaliser un calcul, il convient d’indiquer à l’utilisateur que le système est occupé et le temps restant pour finir le calcul (barre de progression).

Des propriétés ergonomiques dédiées aux collecticiels ont été proposées pour prendre en compte les problèmes spécifiques que posent les systèmes multiutilisateurs. Ces propriétés sont décrites en détail dans [Salber 1995], [Laurillau 2002] et [UsabilityFirst]. Parmi ces propriétés, nous présentons la conscience de groupe, l’observabilité et la protection de la vie privée, la réciprocité, le WYSIWIS, le couplage de l’interaction, et la viscosité, afin d’illustrer les problèmes spécifiques que pose la conception de l’interface de collecticiels.

1.5.1 Conscience de groupe

Au cours d’une activité de groupe, les participants conservent une attention particulière à ce que font les autres membres du groupe afin d’anticiper, d’agir ou de réagir à leurs actions. Ainsi par exemple, un participant d’une réunion entend celui qui parle, et voient les autres participants. Cela lui permet de prendre la parole lorsqu’il anticipe un blanc dans le discours, ou de solliciter un participant quand celui-ci est dans un état d’attention correspondant à son attente, par exemple lorsqu’il a terminé de noter quelque chose.

Lorsque plusieurs utilisateurs utilisent un même système, la conscience de groupe peut être rompue. Cela peut être le cas lors de l’édition d’un document avec un système d’édition partagée où les utilisateurs sont distants. Le but d’un collecticiel est de permettre l’activité de groupe, et doit ainsi veiller à maintenir chez les utilisateurs cette conscience des autres et de leurs actions. La conscience de groupe implique de rendre observable l’état de l’interaction pour chacun des autres utilisateurs : ce qu’ils ont fait, et ce qu’ils sont en train de faire. Les moyens mis en œuvre pour rendre observable cet état à un utilisateur ne doivent pas le gêner dans ses propres tâches, mais plutôt être réalisés de manière périphérique, d’où le terme conscience des autres. Par exemple, c’est dans ce but que des widgets tels qu’une barre de défilement multiutilisateur [Hill 2004] ont été développés. Outre le fait qu’elle permet de faire défiler un document, elle renseigne sur la position de lecture ou d’édition de chacun des utilisateurs.

Cette propriété de conscience de groupe est liée à plusieurs autres propriétés ergonomiques, notamment l’observabilité et protection de la vie privée que nous abordons dans la section suivante.

1.5.2 Observabilité, protection de la vie privée

L’observabilité est une propriété ergonomique définie pour les systèmes mono-utilisateur [IFIP 1996]. Elle traduit la capacité d’un système à rendre perceptible à l’utilisateur son état interne afin

que celui-ci puisse interagir au mieux avec le système. Pour les systèmes multiutilisateurs, l’observabilité est étendue aux informations concernant les autres utilisateurs et leurs activités. L’observabilité des actions des autres utilisateurs doit toutefois respecter la vie privée des utilisateurs. Un système de vidéoconférence tel que Skype ou Live Messenger transmet la vidéo des utilisateurs, cependant, cette vidéo peut contenir des informations sur l’environnement qui entoure les utilisateurs. Par exemple un utilisateur peut ne pas souhaiter montrer aux autres qu’il se trouve à la terrasse d’un café, plutôt que dans son bureau, ce qu’il ne pourra pas faire avec ces systèmes. Ces systèmes ne protègent donc pas particulièrement la vie privée des utilisateurs. C’est dans ce cadre qu’a été définie la propriété de protection de la vie privée qui définit la capacité d’un système à protéger la vie privée de ses utilisateurs.

Dans le but de protéger sa vie privée, un utilisateur peut vouloir décider quelles sont les informations qui seront présentées aux autres utilisateurs. Cela peut se faire par la publication d’un statut comme dans le cas de la messagerie instantanée (en ligne, occupé, absent) ou encore par des restrictions sur l’accès à des données (personnelles ou professionnelles). Dans [Laurillau 1999a], l’auteur définit trois formes d’observabilité :

• Une information peut être observable et donc perçue par les autres utilisateurs.

• Une information peut être publiable c’est-à-dire rendue observable par un choix de

l’utilisateur.

• Une information peut également être filtrable et donc modifiée par l’utilisateur (forme et

contenu de l’information) avant publication. Par exemple, dans un système messagerie, le fait de publier un état « occupé » indique que l’utilisateur ne souhaite pas être dérangé. Il s’agit d’un filtre sur l’activité en cours. En effet, les autres utilisateurs peuvent savoir que l’utilisateur est occupé, mais ne peuvent pas savoir à quoi l’utilisateur est occupé.

Naturellement, si un système propose un moyen de filtrer une information, il s’agit également que ce système rende observable l’information qui peut être filtrée à l’utilisateur. Par exemple dans les systèmes de vidéoconférence, la propre image filmée de l’utilisateur est visible. Ce dernier peut alors décider d’autoriser ou non l’envoi de sa vidéo aux autres utilisateurs.

Ce filtrage peut également être réalisé par le système, comme dans le système de media space

[Coutaz 1999] où certains gestes d’un utilisateur sont éliminés de la vidéo envoyée aux autres utilisateurs, afin de respecter sa vie privée. La Figure 5 illustre ceci avec le cas d’un geste intempestif : l’utilisateur se gratte le nez (image de gauche), geste qui est éliminé de la vidéo observable par les autres utilisateurs (image de droite).

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Chapitre 1 : Systèmes multiutilisateurs et multimodaux

1.5.3 Réciprocité

La réciprocité est également liée à l’observabilité. Elle exprime la capacité d’un système à fournir aux utilisateurs des moyens d’observation mutuelle. Une observabilité réciproque permettra à un utilisateur dont l’image filmée est diffusée à un autre de voir lui-même l’image de l’autre utilisateur. A l’inverse un système de vidéosurveillance ne respecte pas la réciprocité, puisque la personne filmée ne voit pas la personne qui la surveille.

1.5.4 WYSIWYS

La propriété de WYSIWIS (What You See Is What I See) [Stefik 1987] traduit le principe d’une vue

identique pour plusieurs utilisateurs et où toutes modifications effectuées par un utilisateur sont répercutées aux autres utilisateurs.

Le WYSIWIS est caractérisé de strict quand les utilisateurs partagent une IHM identique : toute action d’un utilisateur sur son IHM locale produit des effets identiques sur les IHMs des autres utilisateurs. Ainsi, dans un système de cartographie par exemple, si un utilisateur déplace la vue, celle-ci est déplacée également pour les autres utilisateurs.

A l’inverse, le WYSIWIS est défini comme relâché lorsque les utilisateurs ont une vue sur des données similaires mais chaque vue n’est pas forcément identique. Dans ce cas, les actions des utilisateurs n’induisent pas systématiquement un effet sur les IHMs des autres utilisateurs. Ainsi, pour l’exemple d’un système de cartographie, une tâche articulatoire de déplacement effectuée par un utilisateur n’implique pas que les vues de la carte des autres utilisateurs soient modifiées.

1.5.5 Couplage de l’interaction

Le couplage de l’interaction [Dewan 1995] caractérise le délai plus ou moins long qui peut intervenir entre une action sur une donnée par un utilisateur et la répercussion de cette action pour les autres utilisateurs.

Le couplage peut être fort auquel cas, on considère que le délai est court entre l’action et la répercussion, ou faible et dans ce cas, le délai est plus important.

La question du couplage est fortement liée à celle du WISIWIS. En effet, le cas du WYSIWIS strict implique un couplage fort, tandis que le cas du WISIWIS relâché indique un couplage faible, dans le sens où les modifications de la vue d’un utilisateur suite à une action d’un autre utilisateur est moins prioritaire que la tâche en cours de cet utilisateur.

1.5.6 Viscosité

La viscosité définie dans [Green 1990] indique l’incidence que peut avoir une action d’un utilisateur sur les activités des autres utilisateurs. La viscosité est étroitement liée au niveau de couplage adopté pour l’interaction. Pour l’exemple d’un système de cartographie, en considérant un couplage fort dans un cas de WISIWIS strict, lorsqu’un utilisateur déplace la vue, cette dernière est modifiée pour tous les autres utilisateurs : le système peut être alors considéré de visqueux, si cette modification répercutée de la vue empêche un utilisateur de poursuivre sa tâche et implique qu’il déplace à nouveau la vue.

1.5.7 Synthèse

Nous avons présenté un ensemble de propriétés ergonomiques dédiées aux systèmes multiutilisateurs. Toutes ces propriétés mettent l’accent sur la difficulté de concevoir une interface partagée entre les utilisateurs, qui reste utilisable pour chacun, et permette d’enrichir la collaboration entre les utilisateurs. Plus précisément ces propriétés traitent :

• des relations d’observation mutuelle qu’entretiennent les utilisateurs dans le cadre de

l’utilisation d’un collecticiel (conscience de groupe, observabilité, publication, filtrage, réciprocité), et,

• de l’impact sur chaque utilisateur de l’usage collectif d’un même système (WISIWIS,

couplage, viscosité).

Dans le but d’illustrer la difficulté de concevoir des interfaces multiutilisateurs, et notamment le point central du couplage de l’interaction à considérer lors la conception, nous présentons une étude expérimentale que nous avons menée sur la définition de niveaux de couplage intermédiaires aux couplages forts et faibles.