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Camion de pompier : une activité coopérative et plusieurs IHMs

Chapitre 1 : Systèmes multiutilisateurs et multimodaux

1 Systèmes multiutilisateurs

1.6 Etude sur le couplage de l’interaction

1.6.1 Camion de pompier : une activité coopérative et plusieurs IHMs

Le premier collecticiel que nous avons développé est inspiré du camion de pompier [Stuckel 2008]. Comme pour la version originale, notre version met en jeu deux joueurs incarnant respectivement le conducteur d’un camion de pompier et le pilote de la lance à incendie situé sur le toit du camion. L’objectif des joueurs est d’éteindre des feux à l’aide de l’eau projetée par la lance à incendie.

Dans notre version, nous proposons un parcours (circuit) sur lequel sont repartis des feux. Le circuit doit être parcouru trois fois par le camion pour le terminer. Dans ce jeu, l’objectif du conducteur est de terminer le circuit le plus rapidement possible tandis que l’objectif du pilote de la lance est d’éteindre les feux grâce à l’eau projetée par la lance. Pour cela, il doit maintenir le jet d’eau sur le feu pendant un court laps de temps (environ 1 seconde et demie).

L’activité proposée aux utilisateurs est coopérative selon la définition que nous avons adoptée. En effet, les tâches sont réparties a priori entre les utilisateurs : l’un des utilisateurs conduit le camion, tandis que l’autre pilote la lance à incendie. Avec ce démonstrateur, nous avons cherché à montrer l’impact de l’IHM sur la perception du couplage par les utilisateurs. C'est-à-dire que pour une activité donné, les utilisateurs perçoivent différemment le couplage entre eux, selon l’IHM qui leur est proposée. Pour cela, nous avons développé trois versions de l’interface en sortie correspondant à trois vues différentes sur le circuit. Les trois vues sont illustrées à la Figure 6 :

• Une vue de dessus (Figure 6 A) qui est centrée sur la position du camion.

• Une vue liée au camion (Figure 6 B) qui s’oriente selon l’orientation du camion.

• Une vue liée à la lance (Figure 6 C) qui s’oriente selon l’orientation de la lance.

La lance à incendie est orientable selon un angle maximal de 30° sur la droite ou la gauche de l’axe du camion. Puisque la lance est fixée sur le toit du camion, toutes modifications de l’orientation du camion a un impact fort sur l’orientation du jet d’eau, et ce, notamment lorsqu’il s’agit de viser les feux répartis sur le circuit. La conduite du conducteur a donc un impact important sur la capacité du pilote de la lance à incendie à éteindre des feux. Nous avons représenté cela sur les trois vues de la

Figure 6. Sur la vue de dessus, la vue camion est orientée selon un angle par rapport au

référentiel de l’écran (0, x, y). La lance s’oriente elle-même selon un angle autour de l’axe du

camion. Ainsi l’orientation du jet d’eau est la combinaison des angles et . Dans le cadre

de la vue liée au camion (B), le camion est fixe par rapport à l’écran. En effet, seule la lance est

orientable. Aussi, l’angle est égal à zéro. L’orientation du jet d’eau est ainsi égale à .

Figure 6 : Vues (A) de dessus, (B) liée au camion et (C) liée à la lance.

Avec ces trois vues de l’interface concrète, nous pouvons proposer trois scénarios correspondant aux trois niveaux de couplage de l’interaction :

• Couplage fort : les deux joueurs jouent chacun avec la vue de dessus. Il s’agit d’un cas de

WYSIWIS strict.

• Couplage faible : le conducteur utilise la vue de dessus, et le pilote de la lance la vue liée au

camion. Les vues étant différentes, il s’agit d’un WYSIWIS relâché. De plus, pour le pilote, l’orientation de la lance ne dépend plus de l’orientation du camion, puisque celui-ci est fixe à

l’écran ( = 0).

• Couplage intermédiaire : le conducteur utilise la vue de dessus et le pilote la vue liée à la

lance. La vues étant différentes, il s’agit d’un WYSIWIS relâché, cependant, nous considérons qu’il s’agit d’un niveau intermédiaire, car toutes les actions du conducteur ont un impact

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direct sur la vue du pilote. L’orientation de la vue est définie par l’orientation de la lance qui est elle-même liée à l’orientation du camion.

Nous avons mené l’expérimentation selon la méthode du magicien d’Oz pour deux raisons principales :

• D’une part, seul le rôle de pilote de la lance subit les effets du couplage, aussi, interroger le

conducteur sur le couplage a peu de sens.

• D’autre part, un des critères d’évaluation est la performance du pilote de la lance mesurée

en fonction du nombre de feux éteints. Ce critère peut être faussé selon la conduite du conducteur.

Ainsi, lors de l’expérimentation, nous simulons la conduite du conducteur par un enregistrement de conduite. Nous utilisons le même enregistrement quel que soit la vue utilisée par le sujet afin d’éviter de fausser les résultats selon la conduite. Aucun sujet ne nous a déclaré s’être rendu compte que la conduite du camion était simulée. Nous avions prévu ceci en choisissant un enregistrement de conduite sans particularité évidente (comme une sortie de route). De plus les sujets doivent réussir leur tâche qui requiert suffisamment d’attention pour ne pas se préoccuper de la conduite. Enfin, le sujet et le magicien sont disposés face à face, afin d’éviter au sujet d’identifier les incohérences possibles entre les actions du magicien et l’enregistrement de conduite, comme cela est illustré à la Figure 7.

Figure 7 : Disposition du pilote de la lance (sujet) et du conducteur du camion (Magicien d’oz) pour l’expérimentation.

Nous avons mené l’expérimentation avec 16 sujets âgés de 20 à 45 ans dont 12 sujets masculins et 4 sujets féminins, 4 sujets jouant très peu, 5 sujets jouant régulièrement et 13 sujets travaillant dans le domaine de l’informatique.

Chaque sujet a dû utiliser une fois les trois vues. L’ordre de passage des vues a été modifié pour chaque sujet afin d’éviter l’effet d’apprentissage sur les résultats.

Enfin, pour familiariser les sujets aux différentes vues proposées, nous avons réalisé un circuit d’essai contenant seulement trois feux. Nous avons fait jouer ce circuit aux sujets avant chaque utilisation

Magicien d’Oz Sujet

du grand circuit avec une vue donnée. Pour ce circuit d’essai, la conduite du camion est réalisée en direct par le complice qui incarne ensuite le magicien d’Oz.

Nous avons soumis les sujets à un questionnaire à l’issue de l’utilisation de chaque vue (Annexe 1), ainsi qu’à l’issue de l’expérimentation. Après l’utilisation d’une vue, nous avons demandé aux sujets de noter de 1 (faible) à 10 (fort), l’impact de la conduite sur leur tâche, ainsi que la jouabilité de la vue. A l’issue de l’expérience, nous avons demandé aux joueurs d’indiquer avec quelle vue ils avaient ressenti le plus de contraintes, et avec quelle vue ils en avaient ressenti le moins. Enfin, nous avons questionné les sujets sur l’application elle-même en dehors des considérations graphiques en guise de commentaires libres.

Les résultats de l’expérience de la Figure 8 montrent une différence de perception du degré de dépendance du pilote de la lance à incendie par rapport au conducteur du camion selon la vue utilisée. Ainsi, 62,5% des utilisateurs (10 sur 16) déclarent que la vue liée au camion est la moins contraignante, tandis que 50% des utilisateurs (8 sur 16) déclarent la vue liée à la lance comme étant la plus contraignante. Enfin, la vue de dessus est jugée par 50% des utilisateurs (8 sur 16) comme la vue présentant un niveau de contrainte intermédiaire aux deux autres vues.

Figure 8 : Perception de la dépendance du pilote selon la vue utilisée.

Par ailleurs, aucun des sujets n’a mentionné que la tâche de viser les feux avec la lance était liée à la tâche de conduite du conducteur, ce qui souligne le fait qu’il s’agit d’un couplage faible au niveau de l’activité. En effet, 50% des sujets indiquent même qu’ils se sont sentis indépendants du conducteur : « on oublie le conducteur », « on ne sent pas assez la présence de l’autre ». Enfin, une large majorité des sujets a conclu que la contrainte émanait principalement de l’interaction : « difficile de s’adapter au mouvement », « quand le camion bouge on ne peut pas le prévoir […] », « on est déstabilisé par le changement d’orientation ». Ces réponses confirment que les tâches coopératives que nous avons mises en œuvre dans le prototype sont perçus comme faiblement couplées.

Les résultats obtenus semblent confirmer notre hypothèse d’existence de trois niveaux de couplage et de leur hiérarchie. Cependant, notre approche expérimentale et exploratoire ne permet de conclure que pour le cas du couplage faible, et il serait nécessaire d’élargir l’échantillon pour confirmer les tendances qui se dégagent de cette expérimentation.

Vue du dessus Vue liée au camion

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Enfin, cette expérience montre l’influence que peut avoir le choix d’une IHM sur le sentiment de collaboration entre les utilisateurs. La différence de perception du couplage qui a été mise en relief dans cette expérimentation est intéressante dans le cas d’un jeu, mais elle peut aussi se révéler être un problème dans le cadre d’une application de travail. Le choix d’une présentation en sortie et du mode de couplage pour chaque interaction est donc particulièrement crucial et doit être réfléchi en amont de la réalisation.