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ESCHATOLOGIE ET SPIRITUALITÉ

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 34-39)

La troisième partie de ce dossier est entièrement consacrée à un seul théologien, Hans Urs von Balthasar dont l’œuvre a informé aussi d’autres textes de ce recueil. À première vue, son titre peut surprendre. Aucun des chapitres ne s’intéresse à la théologie de la passion et de la résur-rection du Christ à laquelle Balthasar a donné une orientation particulière2. Le lecteur pourrait s’attendre à une référence à l’esthétique, à la beauté, ou mieux à la gloire de Dieu, voire à

« l’amour [qui] seul est digne de foi3 ». Or il m’a semblé que l’eschatologie est bien le fil rouge unissant tous les écrits, toute la recherche, enfin la vie de Balthasar. De fait on la trouve

1 Dans le contexte de ces réflexions, on peut encore souligner que l’eucharistie est précisément le lieu où se re-joignent la mémoire et l’espérance, l’origine et la fin, où se réconcilient donc deux conceptions du temps, et que le passage du temps à l’éternité exprime et reçoit sa forme christique. Voir Marie-Anne VANNIER, « Marrou, Balthasar, Guitton. Tra Filosofia e Teologia della Storia », in : Luigi ALICI, Remo PICCOLOMINI et Antonio P ER-RETTI, Storia e politica. Agostino nella filosofia del novecento, vol. 4, Rome, Città Nuova Editrice, coll. « Nuova Biblioteca Agostiniana », 2004, p. 196 ; l’auteur montre aussi le rapport avec l’expérience d’Augustin.

2 H. U. von BALTHASAR, Pâques, le mystère, trad. par R. Givord, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Foi Vivante – Pensée chrétienne », 1996.

3 H. U. von BALTHASAR, L’Amour seul est digne de foi, trad. par Robert Givord, Paris, Aubier, Éd. Montaigne, 1966.

tant au début qu’à la fin de son parcours. Sa thèse portait le titre Geschichte des eschatologi-schen Problems in der modernen deuteschatologi-schen Literatur1 et les derniers textes de Balthasar trai-tent de l’apocatastase, de l’espoir pour tous, de la possibilité que l’enfer soit vide. Au fond, il s’agit de la possibilité du salut et des choix ultimes, c’est-à-dire fondamentaux, originels ou ultimes, que l’homme fait. Les novissima ne sont point des réflexions abstraites, mais le fon-dement de la spiritualité si l’on se réfère à la définition que Balthasar donne de l’eschatologie dans sa thèse : « L’eschatologie est la doctrine du rapport entre l’esprit, considéré dans son unité, et son destin définitif ou éternel2 ». Ainsi, pour Balthasar, la spiritualité est une attitude par laquelle l’être humain mise tout sur Dieu et, obéissant, entre dans la volonté du Père par le Fils dans l’Esprit.

0.3.1 PORTRAIT TROP RAPIDE DUN HOMME DE DIEU TRÈS CULTIVÉ

Le premier chapitre consiste dans une brève présentation biobibliographique des étapes im-portantes de la vie et pensée de Balthasar. Elle souligne en particulier combien la littérature, la musique et la foi catholique avaient contribué ensemble à former Balthasar. On ne peut guère donner trop d’importance à l’influence de la musique sur Balthasar3, en particulier aussi en ce qui concerne son style4 ; on remarquera que l’évidence de sa vocation5 a certainement aussi marqué sa théologie. Dieu et sa volonté se sont imposés à lui ; il n’avait qu’à suivre. N’avait-il pas besoin d’une telle rencontre qui imprègne sa forme à toute une existence ?

1 H. U. von BALTHASAR, Geschichte des eschatologischen Problems in der modernen deutschen Literatur, Frei-burg i. B., Johannes Verlag Einsiedeln, 1998 (1re éd. 1930).

2 Ibid., p. 13: « Eschatologie ist die Lehre vom Verhältnis des Geistes, sofern er als Einheit betrachtet wird, zu seinem endgültigen oder ewigen Schicksal. ».

3 Au sujet de la musique dans la vie et l’œuvre de Balthasar, voir Thomas KRENSKI, Hans Urs von Balthasar.

Das Gottesdrama, Mainz, Matthias Grünewald Verlag, coll. « Theologische Profile », 1995, p. 14-33.

4 Albert BÉGUIN, « Préface », in : Hans Urs von Balthasar, La Théologie de l’histoire, Paris, Fayard, 1970 (2e éd.

entièrement revue), p. 6, écrit qu’« il convient de noter la qualité musicale ou musicienne de toutes les démar-ches qui ont produit cette œuvre ». Voir aussi Camille DUMONT, « Un génie musicien », in : Revue Catholique Internationale Communio, 14e année, N° 2, 1989, p. 41, parlant « […] des harmoniques du sens […] » ce qui n’est pas sans évoquer l’expérience de l’effet de vie.

5 Voir Hans Urs von Balthasar, « Pourquoi je me suis fait prêtre », in : E. GUERRIERO, Balthasar, p. 334 et la métaphore lumineuse violente, mortelle : « Mais ce ne furent ni la théologie ni le sacerdoce qui fulgurèrent à mes yeux. C’était seulement : tu es appelé, tu ne serviras pas : quelqu’un se servira de toi […] ».

0.3.2 BALTHASAR, ESTHÈTE CROYANT

Le deuxième chapitre est consacré au rapport entre l’art et la foi : l’analyse de deux articles de jeunesse montre comment l’expérience de Dieu devient le point de référence auquel tout est rapporté. De fait, le premier article montre Balthasar aux prises avec l’art et la religion. Il cherche à les distinguer clairement pour construire un dialogue. Certes, sa foi est forte, mais il voit aussi l’impuissance de l’art à offrir un véritable espoir à un monde déchiré. Dans le deuxième article, Balthasar doit s’opposer à ceux qui dénient à toute œuvre d’inspiration reli-gieuse et plus particulièrement catholique sa valeur esthétique. Il ne réfute pas seulement leur position mais montre comment le catholicisme peut apparaître comme l’accomplissement de l’art. Dans ce contexte, il n’est pas faux de se souvenir du portrait que Balthasar trace de Ge-rald Manley Hopkins dans le tome 3 de La Gloire et la croix1. Le troisième article que ce texte analyse a été publié quelques quarante ans plus tard. Il ne prend plus l’art profane en tant que tel en considération. Certes, Balthasar ne renie pas tout ce que Mozart, Goethe et d’autres lui ont apporté, mais son œuvre théologique met tout au service de la manifestation de la gloire de Dieu dans le monde. Si Balthasar souligne que le christianisme a établi la profanité des choses, il ne les analyse cependant plus en elles-mêmes, mais les situe immédiatement à l’intérieur d’une existence spirituelle marquée par le mot ignacien « omnia ad maiorem Dei gloriam ». Tout est inclus dans le double dynamisme de cette devise : la préposition « ad » donne une orientation, un sens à toute chose et la forme grammaticale du comparatif s’oppose à toute sclérose et satisfaction terrestres. Ses interprétations ne passent pas à côté du phéno-mène de l’art, car Balthasar est un grand esthète. L’expérience de la vie de l’art ou de l’effet-de-vie, pour reprendre l’expression par laquelle Marc-Mathieu Münch désigne l’invariant central définissant la littérature et les arts2, ne lui est pas étrangère. Grâce à la formation

1GC 3, 231-276. Hopkins est poète, devient jésuite, maîtrise un énorme héritage littéraire, culturel et spirituel et réussit à l’intégrer dans une forme qui rapporte tout au Christ.

2 Voir M.-M. MÜNCH, L’Effet de vie ou le singulier de l’art.

raire de Balthasar, sa prose théologique se nourrit tout « naturellement » des dimensions es-thétiques de la langue. De plus, les questions actuelles de la linguistique et la littérature géné-rale et comparée entrent pour Balthasar dans le cadre de la philosophie si bien qu’il livre ses réflexions sur l’expression langagière et artistique toujours dans le cadre d’une métaphysique en échange avec la théologie.

Si déjà le regard de celui qui est amoureux met les choses et les personnes non seulement dans une perspective nouvelle, mais les voit, les laisse apparaître sous une autre lumière révélant parfois une profondeur restée sinon inaperçue, alors la Révélation de Dieu va encore plus loin, plaçant précisément tout ce qui existe dans le contexte de l’éternité, l’arrachant à son isole-ment individualiste, laissant apparaître la vérité des personnes et des choses et leur conférant une mission en fonction de celle que le Fils a reçu du Père dans le Saint Esprit.

Pour le chrétien, la Vérité du monde n’apparaît qu’à la lumière de la Parole de Dieu que le Christ est lui-même. Mais au lieu de rejeter tout ce qui est du monde, il l’accueille et l’oriente vers Dieu. Toutefois Balthasar a compris que tout ce qu’il dirait du monde resterait étranger à ses lecteurs à moins qu’ils aient une précompréhension de Dieu. C’est pourquoi Balthasar rappelle avec urgence aux chrétiens qu’ils sont les témoins du Christ crucifié et vivant.

0.3.3 LA GLOIRE ET LA CROIX–UNE APPROCHE À PART :

LESTHÉTIQUE THÉOLOGIQUE DE HANS URS VON BALTHASAR

Faut-il expliquer pourquoi j’ai cherché le dialogue avec Balthasar, et en particulier avec son esthétique ? Il y a d’un côté son désir de fonder la perception de la Révélation sur les structu-res d’une esthétique vraiment générale et de l’autre côté il insiste sur la nécessité de ne pas réduire les catégories bibliques simplement aux catégories des sciences non théologiques. Il désire articuler le rapport entre l’expérience humaine et l’expérience humaine de Dieu et doit d’abord trouver les catégories, les méthodes et une expression linguistique qui correspondent à cette démarche.

L’œuvre de Balthasar ne correspond pas aux façons habituelles de faire de la théologie. Il fallait donc d’abord en faire le tour et chercher à comprendre sa dynamique. Ensuite on pou-vait approcher la notion de l’expérience de Dieu, sujet central dans ce contexte. De fait, comme à chaque fois qu’il est confronté à un terme, à son explication scientifique et aux in-fluences d’autres religions, en particulier orientales, il cherche à préciser et à justifier le sens, le fondement et le contenu proprement spécifique, faisant constamment référence à l’Écriture sainte qui fournit et le cadre et les catégories dans lesquelles il faut penser le phénomène chré-tien. Cela vaut également pour l’expérience et le concept de la beauté. S’il le considère comme un transcendantal, il ne s’agit cependant point d’un concept vide : Balthasar se réfère constamment aux expériences que l’être humain fait dans différents domaines de la beauté et il montre en quoi cette expérience appartient en propre à l’être.

Pour comprendre sa démarche, j’en ai analysé les catégories principales. Et d’abord la notion balthasarienne de l’expression : que se passe-t-il pour que l’être humain en arrive à faire cette expérience spécifique de plénitude que désignent les notions de splendor et lumen ? Comment penser le réel pour comprendre le ravissement esthétique ? Ayant élucidé la notion d’autorévélation, d’autocommunication de l’être, il fallait passer à la notion de Gestalt que Balthasar emprunte à une tradition philosophico-littéraire allant de l’antiquité jusqu’à l’époque contemporaine et qu’il adapte ; elle devient un des instruments essentiels pour contredire toute réduction qu’entraîne tant le subjectivisme kantien que le positivisme scienti-fique. Mais comment articuler la tension entre le tout qui existe et la partie, entre la chose en soi et l’exemplaire individuel ? Comment faire et justifier par ailleurs la différence de qualité entre différentes apparitions ? Pour élaborer son concept, Balthasar, musicien et donc habitué à l’expérience d’une suite d’impressions très variées formant cependant une œuvre d’une grande unité, emprunte des réflexions tant à Goethe qu’à Ehrenfels pour imprimer ensuite sa propre idée de l’être au terme de la Gestalt. L’exploration des dimensions de la réalité que

Balthasar désigne par ce terme montre combien l’expérience que Münch appelle un effet-de-vie ou un effet de plénitude motivée : chez Balthasar, la puissance concrète, différant du sujet, se réalisant dans une diversification infinie et provoquant cet effet, c’est d’abord l’être que l’être humain doit pleinement accepter, accueillir et auquel il doit donner son consentement.

C’est cette plénitude de l’être et l’expérience de sa beauté qui offrent à Balthasar un point de départ pour ouvrir les êtres humains à l’apparition de la gloire de Dieu.

La pensée de Balthasar rassemble un héritage culturel, philosophique et théologique inouï ; l’ancrage dans la foi que Jésus est le centre de la Révélation, l’origine et la fin de tout ce qui existe, confère non seulement sa forme propre à sa théologie, mais le guide encore dans l’élaboration de catégories capables de rendre compte de cet événement tout à fait singulier et néanmoins universel. Dans le dialogue avec les sciences humaines, il rappelle que rien ne dépasse le Christ, mais en même temps il lui est très difficile d’articuler en soi-même ce qui ne s’identifie pas avec ce centre. On pourrait même en arriver à se demander pourquoi il serait nécessaire de le faire. Toujours est-il que l’œuvre balthasarienne n’ouvre pas seulement les yeux sur des mécanismes de pensée de notre culture ambiante dont souvent on ne prend plus conscience ; il est évident que cette théologie demande aussi une vie chrétienne décidément différente, tout comme elle s’inspire de ce qui a motivé le choix de tout quitter pour se donner au Christ. N’est-ce en définitive pas uniquement une œuvre dont l’intelligence vit de choix existentiels fondamentaux, de la vente de tous les biens pour acheter la perle précieuse, qui aura un rayonnement qui ne se ternit pas après la mort de leur auteur ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 34-39)