Les notions d’entropie que nous allons introduire dans ce paragraphe sont des invariants importants en dynamique. Ils permettent de mesurer dans un certain
3.6. ENTROPIE TOPOLOGIQUE ET ENTROPIE M ´ETRIQUE 103 sens la complexit´e du syst`eme dynamique. Consid´erons d’abord un contexte assez g´en´eral.
Soit X un espace compact m´etrique. On appelle recouvrement ouvert de X toute famille U = (Ui)i∈I d’ouverts Ui de X dont la r´eunion est ´egale `a X, i.e.
∪i∈IUi = X. Notons N(U) le nombre minimal d’´el´ements de U qu’on a besoin pour recouvre X.
Un recouvrement V = (Vj)j∈J est plus fin que U (ou est un rafinement de U) si tout ´elementVj deV est contenu dans un ´el´ement Ui deU. Nous ´ecrivons dans ce cas U V et V U. On ´ecrit aussi U ∼V quand les deux relations U V etV U sont satisfaites. Il est clair que siU V on aN(U)≤N(V).
Pour tous recouvrements U et V, les ouverts Ui ∩Vj forment un nouveau recouvrement not´e par U ∨V. On a U U ∨V etV U ∨V. En fait, tout recouvrement W tel que U W et V W est plus fin que U ∨V. On v´erifie sans peine que N(U ∨V)≤N(U)N(V).
Soit T :X →X un syst`eme dynamique continu. On a le r´esultat suivant.
Proposition 3.6.1. Soit U un recouvrement ouvert de X. Alors la suite un=Nn−1_
i=0
T−i(U)
est sous-multiplicative, i.e. un+m ≤unum pour n, m≥1. En particulier, 1nlogun
converge vers infn≥1 1
nlogun. D´emonstration. On a
un+m = Nn+m−1_
i=0
T−i(U)
= Nn−1_
i=0
T−i(U)
∨T−nm−1_
i=0
T−i(U)
≤ Nn−1_
i=0
T−i(U) N
T−nm−1_
i=0
T−i(U)
≤ unum. La proposition s’en d´ecoule.
D´efinition 3.6.2. La limite de 1nlogunest not´ee parh(T,U) et appel´eeentropie deT par raport au recouvrement U.
Voici quelques propri´et´es ´el´ementaires de l’entropie.
Proposition 3.6.3. On a 1. h(T,U) =h(T,Wm
i=0T−i(U)) pour tout m≥0;
2. h(Tm,Wm−1
i=0 T−i(U)) = mh(T,U) pour tout m≥1; D´emonstration. 1) Posons V =Wm
i=0T−i(U). On a h(T,U)≤h(T,V).
Il faut montrer l’in´egalit´e inverse. On a pour tout n ≥0
n
_
i=0
T−i(V)
n+m
_
i=0
T−i(U).
Donc par d´efinition de l’entropie
h(T,V)≤h(T,U).
2) C’est une cons´equence de la d´efinition de l’entropie.
D´efinition 3.6.4. On appelle entropie topologique de T le nombre non-n´egatif suivant
h(T) = sup
h(T,U), U recouvrement ouvert de X .
Remarque 3.6.5. Notons que h(T) peut ˆetre infinie. Soit (Uα) une famille de recouvrements ouverts de X. Supposons qu’elle est g´en´eratrice, i.e. pour tout recouvrement ouvert U il existe α tel que U Uα. Alors on a
h(T) = sup
α∈A
h(T,Uα).
Proposition 3.6.6. On a
1. h(Tn) = nh(T) pour n ≥0. En particulier, h(id) = 0;
2. Si Y ⊂X est un sous-ensemble invariant, alors h(T|Y)≤h(T).
D´emonstration. 1) C’est une cons´equence de la deuxi`eme assertion de la propo-sition 3.6.3.
2) Si U = (Ui)i∈I est un recouvrement de Y, il existe des ouverts Ubi de X tels queUbi∩Y =Ui. Consid´erons le recouvrement ouvert UcdeX form´e par ces ouverts et l’ouvert Ub =X \Y. Comme Y est invariant, on a T−n(Ub) ⊂Ub pour n ≥0. Donc
N_n
i=0
T|Y−i(U)
≤N_n
i=0
T−i(Uc) . Le r´esultat s’en d´eduit.
3.6. ENTROPIE TOPOLOGIQUE ET ENTROPIE M ´ETRIQUE 105 Nous allons maintenant donner une d´efinition ´equivalente de l’entropie topolo-gique due `a Bowen et Dinaburg. Soitd une distance surX qui induit la topologie consid´er´ee. D´efinissons la suite de distances dn par
dn(x, y) = max
0≤i≤n−1d(Ti(x), Ti(y)) pour n≥1.
Il n’est pas difficile de voir que ce sont des distances sur X. Notons Bn(x, ) la boule de centrexet de rayon pour la distancedn. On l’appeleboule de Bowen.
Mˆeme siX est une vari´et´e lisse, cette boule n’est pas toujours connexe.
D´efinition 3.6.7. Un sous-ensemble S de X est (n, )-s´epar´e si dn(x, y) ≥ pour tous couple de points distincts x, y dans S. Un sous-ensemble R de X est (n, )-dense si dn(x, R)< pour toutx∈X.
Notons s(n, ) le cardinal maximal d’un ensemble (n, )-s´epar´e et r(n, ) le cardinal minimal d’un ensemble (n, )-dense. Notons U la famille de toutes les boules B(x, ) de rayon dans X pour la distance d. Notons aussi pour la sim-plicit´e
N(n, ) = Nn−1_
i=0
T−i(U) .
La proposition suivante donne des relations entre ces trois quantit´es.
Proposition 3.6.8. Nous avons
N(n, )≤r(n, )≤s(n, )≤N(n, 2).
D´emonstration. Consid´erons un ensemble (n, )-dense R dont le cardinal est maximal, i.e. ´egal `a r(n, ). Les (n, )-boules avec centres dans R forment un recouvrement ouvert. Comme toute (n, )-boule est un ´el´ement de
n−1
_
i=0
T−i(U) on a
N(n, )≤r(n, ).
Consid´erons maintenant un ensemble (n, )-s´epar´e S de cardinal maximal s(n, ). On d´eduit de la maximalit´e de ce cardinal que la famille des (n, )-boules avec centres dansS est un recouvrement. En effet, sinon, on peut ajouter `aS un point en d´ehors de ces boules afin d’avoir un ensemble (n, )-s´epar´e plus grand.
Par cons´equent, on ar(n, )≤s(n, ).
Finalement, comme S est (n, )-s´epar´e, chaque ´el´ement de
n−1
_
i=0
T−i(U/2)
contient au plus un point deS. La derni`ere in´egalit´e de la proposition s’en d´eduit.
L’entropie topologique peut donc calcul´ee avec les formules suivantes.
Corollaire 3.6.9. On a
D´emonstration. Toutes les quantit´es consid´er´ee croissent quand d´ecroit vers 0.
Donc on peut remplacer lim→0 par sup>0.
Observons que la famille de recouvrements (U)>0est g´en´eratrice. La premi`ere
´
egalit´e est donc une cons´equence de la remarque 3.6.5. Les autres sont cons´equences de la proposition 3.6.8.
Le dernier corollaire montre queh(T) ne d´epend pas du choix de la distance d quand la topologie de X est fix´ee. Ceci justifie la terminologie ”entropie topo-logique”.
Rappelons que l’ensemble MT des mesures de probabilit´e invariantes est un convex non-vide qui est compact pour la topologie faible sur les mesures. Nous introduisons la notion d’entropie pour ces mesures. Soit µun ´el´ement de MT.
On appellepartition (mesurable)deX toute famille P = (Pi)i∈I de bor´eliens telle que X =∪i∈IPi et µ(Pi∩Pj) = 0 pour tous i 6=j. Consid´erons la fonction concave positive φ(t) := −tlogt sur [0,1] s’annulant en 0 et en 1. On d´efinit l’entropie de la partition P par
Hµ(P) := sup constitu´ee par les bor´eliens Pi∩Qj. On a la proposition suivante.
Proposition 3.6.10. On a
Hµ(P∨Q)≤H(P) +H(Q).
3.6. ENTROPIE TOPOLOGIQUE ET ENTROPIE M ´ETRIQUE 107
Donc la suite (un) est sous-additive. Le lemme s’en d´eduit.
La limite dans la proposition pr´ec´edente est not´ee par hµ(T,P). C’est l’en-tropiedu syst`eme (T, µ) par rapport `a la partition P.
D´efinition 3.6.12. On appelle entropie de µ pour le syst`eme dynamique T : X →X la quantit´e suivante
hµ(T) := sup{hµ(T,P), P une partition deX}.
Le r´esultat suivant s’appelle principe variationnel. Il est dˆu `a Goodwyn et Goodman.
Th´eor`eme 3.6.13. Soit T : X → X une application continue sur un espace m´etrique compact X. Alors
h(T) = sup
µ∈MT
hµ(T).
D´efinition 3.6.14. Une mesureµdeMT est appel´eemesure d’entropie maximale si elle satisfait hµ(T) = h(T).
On a le r´esultat suivant qui est une cons´equence des th´eor`emes de Gromov, Yomdin et Lyubich.
Th´eor`eme 3.6.15. Soit f un polynˆome de degr´e d ≥ 2. Soient J, K son en-sembles de Julia et de Julia rempli respectivement. Alors l’entropie topologique de f|K (resp. f|J) est ´egale `a logd. De plus, la mesure d’´equilibre µde f est l’unique mesure d’entropie maximale sur J et sur K.
Nous ne donnons pas ici la preuve de l’unicit´e. Le reste du th´eor`eme est une cons´equence de deux propositions suivantes et du principe variationnel.
Proposition 3.6.16. L’entropie de µ est plus grande ou ´egale `a logd.
D´emonstration. La mesure µ´etant `a potentiel continu, elle n’a pas de masse sur les ensembles finis, en particulier, sur les valeurs critiques de f. Choisissons un domaineD⊂Csimplement connexe ne contenant pas de valeurs critiques tel que µ(D) = 1. Pour construire un tel domaine, il suffit de prendre le compl´ementaire d’une famille finie de demi-droites r´eelles disjointes issues en valeurs critiques de f.
Ce domaine admetdbranches inversesgi :D→Di o`u les disques holomorphes Di sont disjoints. PosonsE :=C\D etE0 :=∪n,m∈Nf−m(fn(E)). Consid´erons la partition ξ:={Ai}avecAi :=Di\E0. Il est clair queE0 est totalement invariant et µ(E0) = 0. Observons que ∨n−1i=0f−i(ξ) contient exactement dn ´el´ements et chacun d’eux est deµmesure 1/dn carµest totalement invariante. On d´eduit de la d´efinition de l’entropie m´etrique que hf(µ) ≥hf(µ, ξ) = logd. La proposition s’en d´eduit.
Proposition 3.6.17. L’entropie topologique de f|K est au plus ´egale `a logd.
3.6. ENTROPIE TOPOLOGIQUE ET ENTROPIE M ´ETRIQUE 109 Fixons une constant R >0 assez grande telle que
{|f(x)| ≤R} ⊂ {|x| ≤R−1}.
En particulier, l’ensemble de Julia rempli K est contenu dans le disque {|x| ≤ R−1}. Notons Γn⊂Cn le graphe de l’application (f, f2, . . . , fn−1). On a
Γn={(x, f(x), . . . , fn−1(x))∈Cn, x∈C}.
Notons (z1, . . . , zn) les coordonn´ees standard de Cn. Lemme 3.6.18. On a
h(f|K)≤lim sup
n→∞
1
n log vol(Γn∩ {|zn|< R}).
D´emonstration. Pour tout point x ∈ C; notons x(n) le point (x, . . . , fn−1(x)) de Γn. Observons que deux points x, y sont (n, )-s´epar´es si et seulement si dist(x(n), y(n)) ≥ . Ces propri´et´es sont donc ´equivalentes au fait que les boules de centresx(n) ety(n) et de rayon/2 sont disjointes. Notons que six, y sont dans K et si est assez petit, ces boules sont contenues dans {|zn| ≤R}.
Un r´esultat classique de Lelong dit que toute sous-vari´et´e de dimension 1 d’une boule de rayon r passant par le centre de la boule est d’aire au moinsπr2. On d´eduit que le nombre maximal de points (n, )-s´epar´es dansK est major´e par
4
π2vol(Γn∩ {|zn|< R}).
Le lemme est donc une cons´equence de la d´efinition de Bowen de l’entropie.
Fin de la d´emonstration de la proposition 3.6.17. Il suffit de montrer que vol(Γn∩ {|zn|< R})≤constdn.
L’aire de Γn∩ {|zn|< R}est ´egale `a une constante multiplicative pr`es `a la somme des int´egrales
Z
Γn∩{|zn|<R}
idzj ∧dzj. Il suffit donc de montrer que
Z
Γn∩{|zn|<R}
idzj ∧dzj ≤constdj.
Notonsπj la projection deCnsur lej-`eme facteur. Alorsπjd´efinit un revˆetement ramifi´e de degr´edj de Γn∩ {|zj|< R} sur un disque de rayon R. On a donc
Z
Γn∩{|zj|<R}
idzj ∧dzj =πR2dj.
Il est facile de voir avec le choix deRque Γn∩{|zj|< R}contient Γn∩{|zj|< R}.
La proposition d´ecoule de la derni`ere identit´e.