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Partie I – L'ÉVOLUTION DU CONTRÔLE DE GESTION : HISTOIRE D'UNE

4. LES ENTRETIENS

Chaque entretien a été enregistré sur cassette. La restitution a été faite sous forme de synthèse, et ce pour plusieurs raisons :

• La promesse de confidentialité s'est avérée être une contrepartie indispensable à la collaboration des répondants. Une exploitation in extenso des propos tenus risquait fort de renier cet engagement.

• Compte tenu des conditions de recueil des entretiens – qui ne laissaient guère le loisir aux interrogés de se préparer –, ceux-ci comportaient des hésitations, des redites, des digressions… Comme notre objectif n'est pas d'analyser les non-dits ou les lapsus, ces éléments résiduels ont été expurgés.

• Les diverses phases de l'interview ne se sont pas toujours présentées dans le même ordre, certains répondants volubiles ayant anticipé des thèmes que d'autres, moins loquaces, n'aborderont que suite aux relances de fin d'entretien. Notre travail de synthèse a permis de restructurer les récits sous une forme homogène, plus lisible et comparable.

La restitution écrite des entretiens figure en Annexe 4, le guide en Annexe 3. Elle est présentée par ordre chronologique. Les premiers entretiens ont eu lieu en septembre 2002, les derniers en octobre 2004. La figure 9 indique la répartition des répondants par secteur d'activité de leur entreprise, par la taille de cette dernière mesurée en nombre de salariés, par leur positon dans l'organisation.

Ce tableau rend compte de la diversité (volontaire) de nos répondants. L'objectif n'étant pas de mener une étude de contingence sur ces variables, nous ne les avons pas croisé avec la nature des réponses. Pour assurer la diversité de l'échantillon, nous avons veillé à contacter, au fur et à mesure des entretiens, des dirigeants et/ou managers idoines.

Fig. 9 – Répartition des répondants en fonction de trois facteurs SECTEUR n % TAILLE n % FONCTION n %

Industrie 10 62,5 ≤ 100 sal. 6 37,5 Dir. général* 12 75 Services 6 37,5 [100 ; 1000] 6 37,5 Dir. filiale** 2 12,5

Commerce 0 0 > 1 000 sal. 4 25 Manager 2 12,5

* Nous appelons ici directeur général un répondant qui dirige une entreprise ou un groupe indépendant. ** A contrario, un directeur de filiale rend compte de ses décisions à un actionnaire de référence.

Eu égard à nos questions de recherche, nous nous sommes intéressés à la nature des décisions racontées. Nous avons laissé un choix ouvert aux répondants, mais ceux-ci ont orienté leurs récits autour de catégories significatives :

• Une première catégorie peut être définie par le terme de décisions offensives : fusion acquisition, extension à l'international, investissement…

• À l'opposé, il est possible de repérer plusieurs thématiques décisionnelles plus défensives : recentrage, désinvestissement, réduction des coûts…

• Une troisième catégorie peut être définie comme intermédiaire, autour de décisions qui, sans pour autant entrer dans un plan à long terme, n'en sont pas moins de nature stratégique à un moment donné : abandon d'un projet d'investissement, réorientation commerciale, révision de la politique produits…

Le processus de prospection des dirigeants et managers a relevé davantage de l'opportunité que de la sélection. Cela s'est avéré nécessaire, en raison surtout de la réticence de cette population vis-à-vis de sollicitations extérieures pouvant paraître incongrues et confidentielles. La logique de constitution de l'échantillon se devait donc de contourner cette difficulté. Par ailleurs, notre analyse n'ayant vocation à s'intéresser, ni à une population représentative, ni à des contingences, il nous importait de garantir une diversité des répondants. Pour ce faire, nous avons profité d'occasions liées à nos activités professionnelles : tutorat d'étudiants stagiaires, membres de jurys en école de commerce, base de données de l'école. À l'inverse, nous avons évité de profiter d'occasions qui auraient favorisé la "consanguinité" : salons professionnels, annuaires des anciens, clients d'un cabinet etc.

Les difficultés de recueil des entretiens ne s'arrêtaient pas à la phase de prospection. L'agenda chargé des interviewés ne leur permettait pas toujours de "se couper du monde" une heure durant. Or, il nous semblait important de mener les entretiens dans des conditions de confort à même de permettre une continuité sans sollicitation extérieure. Il nous est vite apparu que le bureau du dirigeant n'était pas forcément le lieu propice à ce confort. Quand bien même le répondant aura demandé à ne pas être dérangé, le risque d'interruption subsiste. Un

enregistrement en cassette fut ainsi rendu en grande partie inaudible par la proximité d'un téléphone portable en veille que l'on ne cessait d'appeler. Par ailleurs, il nous a semblé aussi que, dans son bureau, le répondant était davantage enclin à la théâtralisation de son récit. Nous avons donc essayé de rencontrer nos interlocuteurs en terrain "neutre", dans une salle de réunion de l'entreprise ou à l'extérieur. La plupart du temps, nous y sommes parvenu.

L'interview proprement dite se déroulait de façon semi directive. Les deux questions liminaires ont pour rôle, entre autres, de poser le débat autour des deux seuls concepts que l'intervieweur s'autorise à évoquer : la décision stratégique, les systèmes d'information. Dès lors que notre recherche porte sur le poids du CG et/ou de l'ID dans le processus de prise de décision stratégique, il n'est évidemment pas question de suggérer ces concepts. Il en est de même au niveau des outils : lorsque des mots comme "tableau de bord", "prix de revient" ou "veille concurrentielle" sont prononcés, ils le sont toujours à l'initiative du répondant. Nous n'avons pas posé, a fortiori, de question portant sur l'usage de solutions managériales (de type ABC/ABM, scorecards, TQM etc.), ce qui pourtant était tentant lorsque le répondant affirmait, par exemple, avoir repéré des produits non rentables. Nous avons évité cela pour deux raisons :

• D'une part cela nous aurait conduit à surpondérer la problématique gestionnaire dans le processus décisionnel.

• D'autre part c'eût été entrer dans un échange quant aux techniques de gestion, au détriment d'autres facteurs intéressants qui ont pu influer.

En revanche, en fin d'entretien (à moins que la réponse n'ait été apportée auparavant), nous avons questionné notre interlocuteur quant aux systèmes informatiques existants dans son entreprise. Nous pouvions alors repérer des applications existantes qui ne seraient pas utilisées, une opinion personnelle, ou prendre une perspective plus large que celle du récit spécifique. Ces remarques ont été fondues dans la synthèse uniquement lorsqu'elles

répondaient à une thématique soulevée par le guide d'entretien : nature des systèmes utilisés, mode de décision (individuel / collégial), opinions sur le CG ou l'ID…103

Enfin, une dernière étape nous a semblé indispensable : la restitution des synthèses aux répondants. Pour chaque entretien, nous avons réalisé un fichier Word représentant entre une demi-page et deux pages en interlignes simples. Ce fichier a été expédié aux répondants, accompagné de la mention suivante : "Voici le fichier qui synthétise notre récent entretien. Merci de le lire et de me communiquer les éventuels contresens ou omissions". Quatre répondants nous ont signalé, par retour de mèl, des contresens quant à leurs propos, qu'ils ont rectifiés d'eux-mêmes dans le texte. Nous avons conservé les quatre corrections effectuées. La méthodologie décrite ci-dessus a été appliquée de manière systématique, toujours par le même intervieweur. Les premiers entretiens ont eu valeur de test. À l'issue du huitième entretien, nous avons effectué une pause de plusieurs mois, pause dont nous avons profité pour effectuer une première interprétation des réponses.104 À cette occasion, nous avons

constaté :

• Que la phase amont du processus de décision est souvent phagocytée dans les entretiens. Bien que nous ayons toujours questionné quant aux informations utilisées lors des différentes phases, les répondants demeuraient évasifs quant au sujet. On pouvait donc légitimement penser à l'existence de paradigmes stratégiques préexistants. Cela demandait à être vérifié, et nous avons donc sciemment renforcé le questionnement relatif à cette phase dans les entretiens suivants.

• Que le CG était évoqué, sauf dans les entretiens n°2, 7 et 8. Il est intéressant de noter que, dans les trois cas où il ne l'est pas, il y a les deux plus petites structures (où

103

Nous avons par contre exclu les considérations – parfois fort intéressantes – quant à des problématiques très spécifiques à l'entreprise ou à ses marchés : évolution technologique des produits, variations boursières, retours sur la carrière personnelle etc.

104

Cette interprétation fut présentée aux 9èmes journées de l'Histoire de la Comptabilité et du Management "Une histoire comparée du contrôle de gestion et de l'informatique décisionnelle, ou l'éternel retour du mythe stratégique", Université Paris Dauphine, France 20-21 mars 2003.

l'organe n'existe probablement pas), ainsi que le récit 8, très orienté vers un contexte partenarial. L'entretien 2 fut également le plus bref, la double question des systèmes d'information et de la décision stratégique s'avérant rapidement épuisée. Nous avons donc décidé de réorienter notre stratégie d'échantillonnage en éliminant les très petites structures, et en portant une attention particulière aux futurs contextes de partenariat, afin d'observer si le CG en est encore absent.

• L'idée de simulation était évoquée huit fois sur huit, le mot même figurant dans cinq récits. Cela confirme certes que la pratique du what if est entrée dans les mœurs, et que c'est probablement là le principal impact des NTIC sur le travail de réflexion stratégique. Il est toutefois possible aussi que le caractère systématique de cette référence soit favorisé par un biais de questionnaire consistant à suggérer cet item. Nous avons donc pris garde à ne jamais évoquer cette idée de simulation dans les entretiens suivants.

• À l'exception de deux entretiens qui citaient Business Objects, il n'y a pas de référence à des outils spécifiques à l'ID. Il se peut que le dirigeant ignore parfois la présence de systèmes décisionnels au sein de son entreprise, ou tout du moins qu'il oublie d'en parler. Nous avons donc renforcé, dans le guide d'entretien, la question relative aux systèmes existants, en précisant chaque fois : "êtes-vous sûr de n'avoir rien oublié dans cet inventaire ?". Cette typologie nous a permis quelques réorientations de l'échantillon105. La surreprésentation du secteur industriel était à la fois voulue (de par

la complexité et donc la richesse des situations) et subie (de par le tissu économique dauphinois). Elle s'accommode bien à notre problématique de systèmes d'information et de CG, car l'industrie reste le terreau de prédilection de ces outils.

105 Le tableau en figure 10 contient, pour des raisons pratiques, la totalité des entretiens menés. Les derniers ont été rajoutés après coup.

Fig. 10 – Tableau synoptique des entretiens (par caractéristiques)

Secteur Taille Fonction Décision

1 Industrie Grande Dir. filiale Neutre

2 Industrie Petite Dirigeant Neutre

3 Industrie Moyenne Dir. filiale Neutre

4 Industrie Grande Manager Défensive

5 Industrie Moyenne Dirigeant Défensive

6. Industrie Moyenne Dirigeant Neutre

7. Services Moyenne Dirigeant Offensive

8. Industrie Grande Dirigeant Offensive

9. Services Petite Dirigeant Offensive

10. Services Petite Dirigeant Neutre

11. Industrie Grande Dirigeant Défensive

12. Services Moyenne Dirigeant Neutre

13. Industrie Moyenne Dirigeant Défensive

14. Industrie Petite Dirigeant Neutre

15. Services Petite Manager Défensive

16. Services Petite Dirigeant Offensive

Toutefois, notre première pause au bout de huit entretiens nous a révélé un biais pouvant s'avérer néfaste : parmi les sept récits effectués dans l'industrie, un seul faisait état d'une décision offensive. Le contexte économique, propice aux restructurations et autres recentrages industriels, explique sûrement cela. Nous avons donc cherché, pour la seconde vague d'entretiens, à diversifier le type de récit. Il n'était pas question, pour autant, de changer les

règles du jeu, en imposant par exemple aux répondants de raconter tel ou tel type de décision.L'option retenue fut donc de retenir davantage de sociétés de services en phase de croissance, ce qui devait favoriser l'émergence de récits de développement106.