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Partie I – L'ÉVOLUTION DU CONTRÔLE DE GESTION : HISTOIRE D'UNE

7. INTERPRÉTATION : MYTHES ET PARADOXES

7.2. Confrontation au modèle

Pour cette partie aussi nous avons soumis la lecture des entretiens à deux assistants. Le but est de repérer, dans les récits et les opinions, quel est le type de direction, puis d'observer quels sont les items associés à chaque type. Par type de direction, il ne faut pas entendre, évidemment, le style de direction en œuvre dans l'entreprise – ce sur quoi nous n'avons d'ailleurs pas d'information tangible – mais la posture qui est celle du dirigeant / manager dans la situation racontée. Rappelons que nous reprenons à notre compte le postulat d'Ansoff qui considère qu'une décision stratégique implique nécessairement des interactions avec l'environnement. In fine, cela devrait nous permettre de voir si le CG et l'ID sont évoqués lorsque la teneur de l'entretien est réellement stratégique, à savoir lorsqu'elle est impliquée par la dimension horizontale – inter organisationnelle – de notre modèle.

Dans un premier temps, nous allons rappeler la signification de notre modèle. Puis nous apparierons les différents entretiens selon leur proximité avec tel ou tel axe du modèle. Cela

devrait nous permettre de conclure, a minima en dressant des hypothèses constructives dans l'optique du traitement automatisé.

7.2.1. Retour vers le modèle

Nous avions extrait notre modèle de notre approche historico-conceptuelle. Si l'on reprend la terminologie de Fallery [FAL 2001], la conceptualisation traditionnelle de la décision s'appuie sur la notion de planification. Il y a dans cette conception à la fois le présupposé d'un rôle significatif de la remontée d'information vers le décideur, et l'exercice d'un leadership de ce dernier. En quelque sorte, le décideur planificateur recueille des données via les SI, et en déduit des choix qu'il va imposer – de manière plus ou moins "participative", selon son type de leadership – en aval. Le débat quant à la pertinence des outils oscille souvent entre ces deux versions : l'aide à la décision doit-elle d'abord servir le décideur ou le leader ? On pourrait également croiser cela avec la temporalité du recours à l'information. Celui-ci serait préalable à la décision dans l'optique d'un "dirigeant décideur", et interviendrait a posteriori dès lors que le dirigeant devient leader. On pourrait retrouver cette dichotomie – qui en même temps fait office de complémentarité – dans les SI intégrés tels qu'ils sont conçus, axés à la fois sur des solutions de consolidation des données (reporting) et sur des outils de déclinaison de la stratégie (tableaux de bord).

Plus récemment, un troisième courant est apparu, qui a transformé lui aussi les divers champs théoriques qui nous intéressent : la dimension inter organisationnelle. Au niveau du CG, cela se traduit, comme nous l'avons vu, par un outillage théorique s'articulant autour de la transversalité : les coûts cible, le strategic management accounting, les cycles de vie … Du point de vue des théories de la décision stratégique, les optiques en termes de processus sont venues se substituer à celles qui se fondaient sur les ressources [LOR 1998]. La voie est alors ouverte pour des concepts inter organisationnels qui seront repris par les concepteurs de SI :

le Workflow, le Supply Chain Management, le Costumer Relation Management…Les frontières de l'entreprise étant de plus en plus floues, il est de bon ton de décliner la performance "par-delà les murs de l'organisation" (Computron Software 1998, voir annexe 2).

Si l'on tient compte de ces trois axes et de leur influence sur le décideur, ce dernier sera le plus souvent dans la situation d'une marionnette prise entre trois feux. D'une part la profusion d'information remontante va compliquer sa lecture du terrain ; d'autre part les attentes des équipes en termes de leadership le poussent à l'action ; et enfin l'institutionnalisation des pratiques de partenaires et concurrents va conditionner ses choix. On serait donc loin d'une rationalité substantive. Pourtant, le CG et l'ID proposant des solutions relatives à ces trois axes, il est intéressant de relire les entretiens à l'aune de notre modèle.

7.2.2. Les entretiens relus au travers du modèle

Nous allons ici reprendre un par un chaque entretien afin d'expliciter notre choix de classement. Rappelons que cette phase a notamment pour objectif d'alimenter le dépouillement automatique.

Récit n° 1 : délocalisation / relocalisation.

Bien qu'ayant à l'évidence des impacts sur l'environnement de l'entreprise, la décision racontée semble avoir été prise en interne, sans qu'il soit fait référence à une pression, ni même une influence d'un client ou fournisseur. On retrouve en revanche la dimension "décideur" (qui analyse les coûts), ainsi que la dimension leader (qui "justifie la décision" et "fait travailler ensemble"…). L'axe décideur l'emporte ici.

Récit n° 2 : modification des conditions de règlement

Il n'y a pas de leadership, pas de décision planifiée. Le choix est imposé par un client. La dimension inter organisationnelle est ici dominante, ce qui ne surprend guère eu égard à l'activité de sous-traitance de l'entreprise.

Récit n° 3 : rejet de cession

Le processus décisionnel raconté est assez riche. Le répondant y a joué un rôle actif. Les convictions des acteurs étant ici clairement préalables, il a assuré un rôle explicite de leader en argumentant dans le sens de l'abandon du projet. La fonction de décideur est également présente, marquée par le recours à des simulations ERP / Excel. Enfin, le rôle joué par les "partenaires" implique l'axe inter organisationnel. Après discussion, le récit n° 3 a été considéré comme incarnant le dirigeant marionnette.

Récit n° 4 : réduction des coûts

Il s'agit d'un rôle de planification clairement assumé. On y retrouve les deux versants du plan : le suivi mensuel des informations, l'application du choix qui en découle ("couper des projets"). L'axe transversal demeure sous-jacent, mais trop ténu pour être retenu. Nous retiendrons ici le rôle de décideur du dirigeant, qui est récurrent.

Récit n° 5 : cession

Le système intégré (SAP) a permis de récolter des données et de valider des convictions existantes. Le dirigeant paraît malgré tout assurer un rôle de leader en déclinant la décision. Le choix serait donc combiné : décideur.116

Récit n° 6 : absorption de filiale

Il s'agit ici d'une décision velléitaire davantage fondée sur des observations de tendances que sur des informations remontantes. Il y a un fort accent sur la mise en œuvre, ainsi que – dans

116 Ce récit n'a pas donné lieu à un consensus immédiat des relecteurs des entretiens. À tel point qu'il a été envisagé de créer une modalité supplémentaire que l'on aurait appelée "planificateur" (combinaison de leader et décideur). Cette option n'a pas été retenue compte tenu du "coût" que représentait la création d'une nouvelle modalité ne disposant que d'une référence.

les opinions exprimées – une croyance élevée dans l'utilité de l'information de gestion. Comme le choix est conditionné par le "marché et (…) l'organisation des clients", l'axe transversal est présent. Nous avons opté pour le contexte de la marionnette.

Récit n° 7 : développement à l'international

La perspective du leader domine ici, et conditionne le processus. Le recours à l'information renvoie certes sur les deux autres axes : les clients consultés (transversalité) et les "coûts induits par le projet" (décideur).

Récit n° 8 : fusion acquisition

Ici aussi, le recueil d'informations ne se fait qu'au service d'une décision préalable ressentie comme un besoin : la nécessité de fusionner. Le dirigeant qui impulse la décision est donc dans une position de leader.

Récit n° 9 : création d'une nouvelle fonction

Le processus raconté est assez complet en ce sens qu'il implique les trois axes. Le dirigeant a une posture de leader de par sa capacité à anticiper, qui lui vient précisément de sa connaissance de son métier et de son environnement inter organisationnel (partenaires, concurrents…). Nous retenons donc le contexte de la marionnette.117

Récit n° 10 : changement de marché

Ce récit nous semble proche du précédent, avec un dirigeant de petite structure cherchant à anticiper les évolutions de son environnement telles qu'il les perçoit. La classification sera donc identique : marionnette.

Récit n° 11 : désinvestissement en ERP

La perspective est ici celle d'un leader qui "prend son bâton de pèlerin" pour convaincre. Là aussi les dimensions bottom-up et tranversale ne viennent qu'en appui de la conviction d'un leader.

117 Nous tronquons peut-être ici l'acceptation du terme "marionnette" tel que l'entend Fallery. Notre dirigeant n° 9 nous semble toutefois bel et bien concerné par des "processus qui lui échappent" ; il l'est en connaissance de cause et semble précisément anticiper ces processus, en tant que marionnette active.

Récit n° 12 : recentrage

Il y a ici deux axes significatifs entre lesquels nous nous n'avons pas pu trancher : le leadership et le transversal. Le postulat du recentrage générateur de valeur est préexistant, et fortement sous-tendu par une conviction quant à l'évolution des relations clients/fournisseurs. Comme il y a eu par ailleurs des analyses significatives d'informations, nous avons retenu ici le contexte de marionnette.

Récit n° 13 : rationalisation de la supply chain

Cette décision nous a semblé suffisamment complète en tous points de vue pour être classée en marionnette : elle inclut les trois axes.

Récit n° 14 : non répercussion de hausse des prix

La dimension inter organisationnelle – en tant que maillon intermédiaire d'une chaîne de valeur allant du fournisseur au client – semble ici dominante. La perspective du leader est quasi absente, l'entreprise paraissant subir plutôt que choisir. Même si la consultation de données y est une pratique suivie, nous avons choisi de retenir ici la seule dimension inter organisationnelle.

Récit n° 15 : refus d'une proposition de cession

Pour les mêmes raisons que précédemment, nous avons opté ici pour l'axe inter organisationnel.

Récit n° 16 : création d'un nouveau département

La décision semble avant tout liée à une opportunité qui s'est greffée sur une conviction. Ensuite, le récit insiste beaucoup sur les perspectives de mise en œuvre de la décision. Le rôle essentiel du dirigeant est dès lors celui d'un leader.

Fig. 14 – Les items du modèle et les récits correspondants

Décideur Leader Inter org. Marionnette

1, 4 & 5 7, 8, 11 & 16 2, 14 & 15 3, 6, 9, 10, 12 & 13

Cette segmentation, certes arbitraire, tend à confirmer que le cas du décideur s'est révélé rare sous sa forme pure. Elle a aussi le mérite de conforter notre méthode. Malgré nos précautions, une de nos craintes était en effet de subir une structuration excessive des récits autour d'une rationalité maîtrisée de type planification. Cette segmentation nous servira aussi en tant que variable de notre analyse lexicale automatisée… qui est précisément la phase suivante de notre dépouillement.