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Partie I – L'ÉVOLUTION DU CONTRÔLE DE GESTION : HISTOIRE D'UNE

6. LE DEUXIÈME DÉPOUILLEMENT

Après avoir fait le point au bout de douze entretiens, nous étions donc en face d'éléments à même d'affiner nos questions de recherche. Deux points nous paraissaient à la fois essentiels et problématiques :

• Le CG appert comme étant un corpus significatif dans les représentations que se font les dirigeants de leur processus de décision stratégique. Les outils et concepts traditionnels de la discipline (reporting, analyse des coûts, prix de revient, rentabilité et productivité, budgets, tableaux de bord…) apparaissent régulièrement dans les récits. En revanche, il y a très peu, voire pas du tout, de référence à l'outillage spécifique à ce que nous avons décrit plus haut en tant que CG stratégique : gestion à base d'activités, coûts cibles, balanced scorecards, feature

costing. De plus, il semblerait que le CG soit peu évoqué lorsque le contexte est

partenarial, en d'autres termes lorsque le récit s'insère dans l'axe horizontal de notre modèle en figure 9. Dans ce dernier cas, les récits font état de pratiques davantage orientées vers le marketing : benchmarking, veille, études de marché…

• La pratique décisionnelle des dirigeants, telle qu'elle est racontée, fait état de processus longs et impliquant plusieurs acteurs. Le cas du décideur plénipotentiaire qui consulterait sa base de données pour arrêter des choix stratégiques en solo paraît donc être un cas d'école bien rare dans la pratique. Le recours aux SI – et la notion même de SI – prend donc diverses formes, plus complexes et plus subtiles que la manière dont elle est représentée dans le cadre d'une rationalité substantive. On y trouve la presse, des forums en ligne, des remontées d'information informelles… et finalement bien peu de solutions d'ID proprement dite.

Ces deux constats, dont on verra plus loin dans quelle mesure ils rejoignent des observations dans la littérature existante, nous ont conduit à reformuler notre stratégie d'échantillonnage. La dernière série d'entretiens a été orientée vers des contextes dans lesquels les problématiques commerciales – au sens large du terme – risquent de se poser de façon cruciale. Il faut préciser ici que ces entretiens ont été menés de la même manière que les précédents. Le choix de la décision à raconter a bien été laissé au répondant. En raison de la taille de l'entreprise, du secteur d'activité concerné et de la fonction exercée par le répondant, nous avions tout lieu de penser que des logiques inter organisationnelles pouvaient se présenter. Cela nous intéressait à deux titres :

• Ayant constaté jusqu'ici le faible poids du CG dans ces contextes, il nous importait de vérifier s'il ne s'agissait pas d'oublis. Nous étions prêts à poser les questions relatives aux sources d'information avec davantage d'insistance, afin de voir si, dans des entreprises de taille humaine qui ne disposent pas de services pléthoriques de CG, des outils entrant dans ce cadre pouvaient malgré tout être liés à des processus réellement stratégiques.

• Comme nous n'avons pas rencontré, même dans les grandes entreprises, de récit faisant état du recours à des solutions d'ID typiques112, nous voulions cibler des

dirigeants qui connaissent effectivement l'ensemble des ressources informatiques disponibles dans l'entreprise… et qui seraient donc en mesure d'en donner un inventaire exhaustif.

Les derniers entretiens ont été réalisés au cours de l'automne 2004 auprès de dirigeants d'entreprises de la région Rhône-Alpes. Le tableau synoptique en figure 12 restitue une synthèse de ces entretiens, sur le même modèle que la figure 11.

112 On s'aperçoit que les outils classiques de ce registre (Cognos, SAS, Hyperion, Business Objects) semblent bien moins utilisés que les traditionnels développements Excel. Le fait que ces outils ne soient pas cités ne signifie pas pour autant qu'ils ne sont pas présents dans l'entreprise. Ils peuvent même l'être à l'insu du répondant.

Fig. 12 - Tableau synoptique des derniers entretiens (par thèmes)

Entretien Décision O/D/

N Concepts (I-D-C) Outils de gestion (I-D-C) Disciplines (I-D-C) Outils I. (I-D-C) Opinions 13. Moyenne industrie Suppression de références

D Pertes, supply chain, cash, réduction des

stocks, besoin (I), rentabilité du produit, supply chain (D), benchmark, rotation (C), rotation, volumes, coûts, tarifs. Rationalisation (I), décomposition du prix de revient des concurrents, études d'image, de notoriété et de satisfaction, analyse de complaintes clients, terrain, rencontre de clients, contrôler l'application de la décision, simulations. Amélioration continue (D), marketing, industriels, reporting. Informations commerciales, sorties de caisse clients (C), système

de reporting, achat d'études, SAP, base de

benchmarking concurrentiel, SAP, bons

de sortie de caisse, extractions XL.

Avant (connaître) & après (contrôler), réactivité & rapidité,

liberté. Tjrs collectif, pas d'impact. 14. Petite industrie Non répercussion de hausse des prix

N Prix, marge, marché, Savoir, ressenti, carnet de commandes, prévisions, réflexion,

lister, explorer, débroussailler, TDB.

Benchmarking Lettres de fédérations, les Échos, Usine Nouvelle,

presse spécialisée, relations distributeurs,

prévisions des distributeurs, courriers des fournisseurs, signes

d'alerte, conseillers juridiques, experts

comptables.

Succès = manque de maîtrise des outils de gestion, solutions clés en main, pas flexibles, ERP = moins de réflexion, mécanique, peu réactif. Avant (ingurgiter, digérer). Tjrs à plusieurs, mais le

choix est isolé. 15. Petite

services

Refus d'une proposition de cession D Opportunité, recentrage, marché, risque de dégradation de l'image, risque de non satisfaction du client, image, volume d'activité, compatibilité

avec les activités, pilotage, capacité d'adaptation. Gestion du plan de charge, réflexion, positionnement, connaissance du produit, connaissance du marché, captation du

risque, compte résultat, approche technique, participation terrain, budgets, formaliser, classer, injection d'info,

partage d'infos, consultation du PDG,

Enquêtes auprès de clients, informations

commerciales, avis techniques des gens de

terrain, informations externes, Internet, base de

données, information collective partagée, base commerciale Outlook, les Échos, revue de presse en

ligne

Tjrs collégial, réflexion collective,

choix individuel. Avantage SI = rapidité & facilité. Incertitude en hausse

= prévisions & décisions difficiles.

discussion, validation, analyse, commentaires. 16. Petite

services

Création d'une nouvelle activité

O Valeur ajoutée (I), opportunité, chaîne de valeur, valeur (D), coûts, impacts financiers, impacts commerciaux, valeur ajoutée, objectifs, marge, montant moyen des commande, part des

services / CA.

Prise de conscience du besoin, maturation (I), positionnement (C), budget prévisionnel, rendre visible, rentabiliser, mise en œuvre, formalisation, fixation d'objectifs. Prévision de coûts, veille, Budgets XL, observation des concurrents sur le

web, base clients.

Cela sert à se faire peur. SI = modélisation. Stratégie = infos extérieures. Outils info = béquilles = manque d'audace. Plutôt avant.

Ces entretiens ont donné lieu à un dépouillement spécifique, et sont également résumés en annexe 3. La méthode de traitement fut la même que pour les douze premiers cas : une grille fut constituée par les trois préposés au dépouillement, à la suite de quoi un arbitrage fut effectué.113

On peut remarquer d'emblée un certain nombre de traits distinctifs de ces entretiens :

• En premier lieu, notre pari d'orientation vers des contextes décisionnels partenariaux s'est révélé gagnant. Les quatre cas relèvent d'une logique transversale marquée, dans laquelle clients, concurrents et fournisseurs jouent un rôle important. On y retrouve logiquement un vocabulaire et des concepts qui relèvent du marketing : le marché, la valeur, la chaîne de valeur, les prix et les volumes…

• Par ailleurs, la longueur et la richesse de ces récits se distinguent des récits précédents, dans lesquels on pouvait déjà remarquer un allongement tendanciel au fur et à mesure de la date des entretiens (qui sont numérotés, rappelons le, de façon chronologique). Cela est dû, en partie au moins, à notre accumulation d'expérience en tant qu'interviewer. En évitant les digressions et répétitions, en posant les questions de manière plus à propos et avec davantage d'insistance, nous avons réussi à enrichir les contributions des répondants.

• Ainsi, les références aux sources d'information sont ici plus abondantes, peut-être parce que nous avons fait le choix de poser ces questions de façon plus systématique, quitte à les reformuler lorsqu'elles semblaient mal comprises. Dès lors, ce que nous avons perdu en comparabilité par rapport aux premiers entretiens, nous l'avons probablement regagné en profondeur.

113 Il y a cependant une nuance significative par rapport à la première série. Celle-ci ne disposait pas d'une grille de traitement préétablie. La constitution de la grille initiale avait donné lieu à un arbitrage (celui de la figure 11) que nous avons repris pour cette dernière série.

• Si les références au CG proprement dit sont absentes de ces entretiens, on n'y retrouve pas moins des outils et concepts qui lui sont proches : coût, rentabilité des produits, prix de revient, budget prévisionnel, reporting…

• Deux récits parmi ces quatre (14 & 15) sont relatifs à des non décisions. Tel était le cas aussi du récit 3, et dans une moindre mesure du récit 11, où une décision stratégique venait en annuler une précédente.