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Marseille, l’écume du renouveau. Comme une étoile fait sa mue, Marseille a abandonné sur le sable sa mauvaise réputation. Portée par le succès, elle se pique au jeu, redécouvre son port, aménage son littoral, multiplie les chantiers. Sans jamais perdre une once de son charme rebelle, ni renier son âme authentique et fière128.

L’image que Marseille est en train de se construire est celle d’une ville en effervescence, une ville qui bouge, proche de Paris, reliée au monde. Paradoxalement, si l’on en reste à l’intercommunalité, celle-ci est bien appliquée selon la loi, mais n’est de loin pas acquise dans les esprits marseillais, de sorte qu’il existe un fossé entre discours politique d’ouverture et représentations collectives plus portées sur un ‘entre-soi’ isolationniste, malgré le brassage des cultures. Les médias parisiens vantent la movida marseillaise (Péraldi et Samson, Rodrigues-Malta), oublient soudainement les images des films de truands et les épisodes sombres du clientèlisme et de la mafia. Finalement qu’est-ce qui fonde l’identité marseillaise ? Le cosmopolitisme n’est-il pas aussi un stéréotype venant de l’extérieur129 ? Ici encore, nous interrogeons l’image extérieure et non l’identité locale.

Alors que l’identité est dynamique, se compose et se recompose au fil du temps au regard de l’image extérieure, cette dernière reste figée, telle une photographie, un cliché au sens propre.

S’il n’est pas possible de se pencher précisément ici sur les attributs de l’identité marseillaise, l’on peut néanmoins s’interroger sur le traitement qui en est fait dans le cadre de la régénération

128 Revue Côté Sud no 90, octobre-novembre 2004, cité par Samson et Péraldi, 205, p. 119

129 à en croire une étude, 70% des Marseillais jugent la ville cosmopolite et le vivraient de manière positive (cf. P. Vergès et V. Jacquemod, Marseille, écrin d’azur ou métropole ? La Pensée de Midi no 108)

urbaine. Ainsi, on peut se demander si l’identité des villes-ports doit absolument être mise en avant au niveau de la maritimité. En effet, parler de Marseille comme d’une ville maritime n’est pas sans vérité mais ne dégage qu’une partie de ses spécificités. A ce titre, Martine Derain abonde dans ce même sens. Pour elle, « Marseille, n’est pas une ville de marins – elle est une ville de quais » (entretien). Les Marseillais n’ont pas une tradition de grands navigateurs. Ils sont négociants, commerçants ; une fois arrivés, ils restent à quai. Bien sûr, le phénomène de la plaisance a pris une ampleur considérable autour de la Méditerranée et Marseille n’y fait pas défaut. Pourtant, cela ne suffit pas à qualifier l’identité marseillaise de maritime. La dénotation contemporaine de la maritimité a le principal désavantage de ne considérer le fait maritime que sous l’angle des loisirs.

Or, la maritimité marseillaise du centre-ville, là où la régénération urbaine prend place, s’affiche avant tout par l’économie portuaire.

Les villes-ports à la recherche d’une image globale ne devraient-elles alors pas également chercher ce qui fonde leur identité ailleurs que sur les quais ? Si toutes ont construit leur histoire en rapport avec le port, toutes ont également subi la démaritimisation, de sorte que l’identité locale s’est reconstruite ailleurs dans la ville. Les Marseillais, dispersés sur les 24'000 hectares que compte la ville, ne construisent ainsi pas seulement leur identité de représentations du port, même si ce dernier a édifié le socle social cosmopolite de la ville. L’identité se compose également grâce à une culture très urbaine, très populaire d’ailleurs, qu’il conviendrait de prendre en compte lors d’une régénération urbano-portuaire. A ce stade, je partage l’avis de V. Pruneau (2004), qui pose des questions pertinentes : « Comment les responsables politiques vont-ils faire pour changer l’image de Marseille sans s’intéresser, à un moment donné, aux représentations des Marseillais ? D’un autre côté, comment les populations locales vont-elles composer avec les images fabriquées qui leur sont aujourd’hui proposées ou imposées ? Y a-t-il des points de rencontre possible entre l’identité portée par les Marseillais et celle que les responsables politiques souhaitent leur donner ? ». A ces questions, pas de réponses toutes faites, simplement un constat : « une chose est sûre : cette ville souffre moins d’une mauvaise image que l’extérieur lui attribuerait que d’une

Si l’on ne peut pas prévoir la façon dont les Marseillais vont se représenter la nouvelle interface ville/port et le centre-ville gentrifié, il semble malgré tout que la mise en conformité de la ville-port, résultat du phénomène de mondialisation, n’est pas forcément un risque pour l’identité locale.

Malgré une standardisation extrême des villes-port au niveau des formes qu’elles prennent, il n’en reste pas moins que ces formes ne se trouvent que sur une partie de la ville et qu’elles correspondent à des lieux offrant de multiples lectures selon les représentations individuelles. Le Centre de la Mer ou l’aquarium, pour prendre un exemple, sont des lieux vécus différemment selon que l’on s’y rend seul, à deux, en famille, selon qu’on y passe un bon ou un mauvais moment. L’identité est faite de modes de vies, d’histoires et de lieux parcourus, de pratiques sociales privilégiées, d’origines, etc. Les lieux, même standardisés, prennent sens dès lors qu’ils sont investis, puisqu’ils sont eux-mêmes situés, territorialisés, dans des configurations perçues différemment. Le risque de perte, ou plutôt de troubles identitaires apparaît plus nettement lorsque, p. ex., tout un quartier est composé des mêmes logements. Les suburbs américains et les banlieues françaises ont d’ailleurs fait l’objet de nombreuses études à ce propos. Dans le cas des villes-ports, les décors sont plaqués d’une ville à l’autre, mais l’homogénéisation intervient au niveau global et non à l’échelle de la ville ni du quartier, de sorte que plusieurs identités territoriales peuvent coexister. Enfin, si l’on en croit Michel Péraldi à propos de la culture populaire de Marseille, « elle s’est depuis longtemps coulée avec délice dans le moule mondial, elle adopte les modes et en

change aussi vite, surfe sur l’air du temps, prend tout avec appétit, adore les séries, la répétition, les clones et le clonage » (Péraldi, 2002).

A Marseille, aucun projet n’a encore vu le jour sur les quais, de sorte que l’on ne peut ni affirmer que le résultat donnera un sentiment de déjà-vu, ni juger de l’impact sur la fabrication identitaire.

Il est évident cependant que la rade fait partie des représentations collectives, et que les habitants devront se composer une nouvelle identité avec leurs quais modernisés. Ils décideront alors si cette iconographie de la modernité affichée les rendra plus ou moins « fiers d’être Marseillais »130. Anne Castanet ne pense pas que les Marseillais auront des difficultés à s’approprier la vitrine qu’est la Cité de la Méditerranée en train de se construire : ce seront alors les projets qui devront « prendre la patine » de Marseille (entretien). De son côté, J.-M. Guénod signale que « la Cité de la Méditerranée ne cherche pas à signifier mieux que la ville, la ville elle-même, mais à favoriser le maintien et le développement du patrimoine vivant de la ville sur son site », le patrimoine vivant étant l’ensemble constitutif des modes de vie, des pratiques de l’espace urbain, des origines migratoires – donc l’ensemble constitutif d’une identité. (2002, pp. 3-4). Dans tous les cas, Marseille se détache des autres villes-ports en ce que les projets urbains se font en adéquation avec les projets portuaires. Dès lors l’identité maritime marseillaise se détache quelque peu des modèles en proposant sur les quais une maritimité reliée dans le même temps au travail et au port-loisirs. Il serait alors intéressant d’analyser, une fois les projets concrétisés et les regards des visiteurs tournés vers la communauté portuaire, comment cette dernière, de même que les urbains, se représentent leur interface ville/port et se fabriquent leurs identités des lieux.

En occultant le caractère cosmopolite du centre-ville, la municipalité nie également les dynamiques en jeu, où la culture méditerranéenne est véritablement représentée à travers des modes de vie mais aussi à travers tout un commerce, toute une économie. Pour se conformer, Marseille cherche à faire ‘place nette’, en empêchant le développement de dynamiques contraires aux ambitions internationales de la municipalité : p. ex. les dynamiques des petits commerces maghrébins, ce que M. Péraldi nomme l’économie de bazar131 de la ville. Le renouvellement des couches socio-économiques se fait selon une idéologie opposant les ‘vrais Marseillais’ aux

‘étrangers’. L’image moderne façonnée par les discours ne semble alors pas pouvoir coexister avec une identité territoriale liée aux courants de l’immigration. Sans se donner les moyens de créer cette co-existence, n’y a-t-il pas le risque de créer une opposition entre ville homogène et ville hétérogène ? Dans le même ordre de pensée, M. Roncayolo invite à la prudence : « Méfions-nous du risque de la réserve indienne […] » dit-il pour mettre en lumière les conséquences d’un projet urbano-portuaire « fait de recettes internationales ». Il ajoute que « Marseille même, à qui l’on reconnaît des capacités remarquables d’absorption et de frottement, d’intégration et de coexistence, pourrait y perdre ses qualités » (1997, p. 198).

130Le slogan des Marseillais

131 Michel Péraldi définit l’économie de bazar comme « la somme des arrangements relationnels par lesquels les transferts de marchandises et les transits de personnes sont possibles : le « blanchiment » des douaniers à la frontière, la mobilisation de convoyeurs pour le transport des voitures d’occasion, le transfert de dettes et les investissements différés pour le paiement des marchandises, le groupage du fret, l’obtention de visas, etc. Soit un dispositif dont l’énigme ne tient pas tant à la capacité d’extension et à l’extraordinaire fluidité, ou à la remarquable plasticité, qu’à la constance avec laquelle il maintient la tension ouverte entre local et global et une économie aux dimensions d’arrangements relationnels, privilégiant les accords oraux et les rapports de confiance sur les conventions techniques » in M. Péraldi (1999) Marseille : réseaux migrants transfrontaliers, place marchande et économie de bazar, Cultures & Conflits n°33-34, pp. 51-67, en ligne sur http://www.conflits.org/document232.html.

3. Le patrimoine portuaire :