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Entrée d'Andromaque et d'Astyanax (v. 568-576)

Une entrée spectaculaire

Après la conclusion de son chant, le chœur passe à une série d'anapestes en récitatif qui ménage la transition avec la scène suivante. S'adressant à Hécube, il attire son attention sur l'arrivée d'Andromaque, qui s'avance sur un char, serrant contre elle son fils Astyanax. Elle est assise à côté des armes d'Hector et des dépouilles des Phrygiens – une pièce de butin comme une autre (v. 614) –, certainement conduite par un ou plusieurs personnage(s) masculin(s) muet(s). Sans doute le chœur, depuis l'orchestra, voit-il le char approcher le long de l'une des eisodoi, tandis qu'Hécube, couchée devant la porte de la skènè et enfermée dans sa douleur, ne peut l'apercevoir. Les Troyennes l'invitent à regarder elle ausi (v. 568) ; elles cherchent, en s'adressant à elle, à la faire sortir de sa torpeur et l'incitent implicitement à se relever pour accueillir sa bru.

Rien n'a préparé les spectateurs à l'entrée spectaculaire de la femme d'Hector : Poséidon ne l'a pas mentionnée, et dans l'échange entre Talthybios et Hécube qui a précédé (v. 272-274), si la reine s'est enquise de son sort, rien n'a été dit du lieu où elle se trouvait. On aurait pu penser qu'elle se tenait à l'intérieur de la skènè comme Cassandre. Le fait qu'elle n'ait pas été gardée avec les autres Troyennes n'est guère plus motivé par la suite,

sauf si l'on considère le v. 658 du même œil que L. Parmentier (« dès que je fus captive, le fils d'Achille voulut me prendre pour compagne »), mais le texte dit seulement ἐπεὶ γὰρ ᾐρέθην sans insister sur l'immédiateté de l'action du fils d'Achille. En revanche, l'apparition du couple mère-enfant a été discrètement préparée par l'allusion aux bébés terrifiés et agrippés à leur mère dans l'épode du stasimon (v. 557-559). Astyanax, probablement assis sur les genoux de sa mère, donne corps à cette image et devient ainsi l'enfant troyen par excellence.

De façon un peu inhabituelle 244

, qui met en valeur le mutisme dans lequel Hécube s'est retranchée, c'est le chœur qui interpelle la nouvelle arrivante. Il demande à Andromaque : « Où donc t'emporte-t-on ? » (v. 572), ce qui laisse à penser que le conducteur du char ou les soldats qui l'escortent ne font pas mine, dans un premier temps, de s'arrêter devant les tentes d'Agamemnon. C'est la question du chœur qui justifie la pause du véhicule. Peut-être même les femmes se pressent-elles autour de lui, l'empêchant un instant d'avancer. Andromaque n'est donc que de passage. On l'emmène au bateau avec tout le butin de Néoptolème et la scène, si elle suspend un instant son mouvement, est tendue vers son départ. Son exemple illustre ce que Poséidon disait de l'activité générale du camp grec dans le prologue : « De l'or et des dépouilles phrygiennes en abondance sont transportés vers les vaisseaux achéens. » (v. 18-19). Elle arrive d'un autre endroit du camp grec, sans doute des tentes de Néoptolème, où le butin était gardé, et son char est passé, comme on l'apprendra bientôt (v. 626-627), devant la tombe d'Achille. La cohérence d'ensemble de la scène nécessite qu'Andromaque entre par l'eisodos opposée à celle que Talthybios a empruntée puisqu'elle sortira, comme il vient de le faire, en direction des vaisseaux 245

.

Le hors-scène

La définition précise de ce hors-scène est cependant délicate 246

. Si l'on se pose la question de l'organisation de l'espace en termes de vraisemblance, on se heurte à des difficultés. Chez Homère, en effet, le camp des Achéens a une certaine extension. Il est constitué de sous-ensembles différents et le campement d'Achille et des Myrmidons se

244 Voir Mastronarde 1979, p. 22-26.

245 Voir ci-dessus, p. 95-96.

trouve un peu à l'écart, à l'extrémité Sud-Ouest de l'ensemble 247. Mais dans cette représentation homérique, les tentes des différents contingents jouxtent leurs vaisseaux. Si Euripide respectait la topographie de l'Iliade, dont J.S. Clay a montré la cohérence, il n'y aurait donc aucune raison pour qu'Andromaque ait à passer devant les tentes d'Agamemnon pour aller du camp de son nouveau maître à son navire. Par ailleurs, même si l'on considère qu'Andromaque a fait un détour par le tombeau d'Achille, on a le même problème, car la tradition le situe près de l'endroit où mouillaient ses vaisseaux, sur un promontoire, où on le voit de la mer 248

.

Je suggère plutôt que la vraisemblance topographique est liée à celle d'Athènes et non à celle de l'Iliade et de la Troade. En effet, si j'ai raison de penser que l'eisodos qui conduit aux nefs achéennes est celle de droite, qui dans la réalité mène au Pirée, celle de gauche mène vers les tombes qui jalonnent la route menant à l'Ilissos 249 et, au-delà, vers le cap Sounion. Il est donc aisé pour un spectateur familier du plan d'Athènes, ou peut-être tout simplement pour quiconque aperçoit la péninsule qui s'avance dans la mer, de situer mentalement dans cette direction la tombe d'Achille et le promontoire homérique. Inversement, c'est sur l'Acropole, à laquelle on accède par la droite du théâtre, que sont conservés les trophées, soit au temple d'Athéna Nikè, soit au Parthénon comme les dépouilles des Perses prises à Marathon. Il est donc parfaitement cohérent que l'eisodos de droite mène non seulement aux vaisseaux de Néoptolème, mais aussi aux temples qu'il ornera d'objets choisis dans le butin phrygien (v. 576).

Ces repères athéniens sur lesquels se greffe l'organisation symbolique de l'espace sont, si je puis dire, activés par le mouvement du char. Par rapport à ce que l'on a vu jusque-là, il ouvre en effet le hors-scène en exploitant la seconde eisodos. Or celle-ci est associée à ce que les personnages quittent, au passé révolu de la guerre de Troie : elle correspond, pour les Grecs comme Néoptolème, aux demeures provisoires du camp, mais aussi, du point de vue des Phrygiens, au lieu où ils ont été dépouillés, où Andromaque a perdu sa liberté. La traversée du char d'une eisodos à l'autre scelle le passage de la jeune femme du statut d'épouse d'Hector à celui de captive de Néoptolème, de même que les armes des héros troyens, déplacées en Grèce, seront désormais les trophées du fils

247 Voir le schéma du camp achéen dans Clay 2011, p. 50. En Il., IX, 178-185, on voit les ambassadeurs envoyés par Agamemnon pour fléchir Achille marcher le long de la mer depuis la tente du roi des rois jusqu'au camp des Myrmidons.

248 Voir par exemple Il. XXIII, 125-126 Od. XXIV, 80-84. Le promontoire a été plus tardivement identifié avec le cap Sigée.

d'Achille. Le lieu d'où vient Andromaque est aussi le lieu des morts que Grecs et Troyennes vont laisser derrière eux : là se trouvent le tombeau d'Achille et le corps de Polyxène. L'autre eisodos, au contraire, mène vers l'avenir, c'est-à-dire vers le retour pour les vainqueurs, et pour les vaincues, vers la servitude. Seuls les spectateurs savent, depuis le prologue, que cette destination pourra se révéler tout aussi funeste que le point d'origine. Une polarité s'installe donc entre un hors-scène sinistre, fermé, symbolisant le passé, et un autre, ouvert et illusoirement sûr, qui représente la continuation de la vie – vie de triomphe pour les uns, de déchéance et de dispersion pour les autres, peut-être aussi d'espoir incertain d'une renaissance troyenne comme l'a suggéré la parodos. Entre les deux, dans la dynamique qui conduit de l'un à l'autre pôle, le campement d'Agamemnon n'est pour les Troyennes déjà plus tout à fait la Troade, puisqu'elles n'y sont plus chez elles, mais pas encore la Grèce 250 ; c'est un lieu intermédiaire et provisoire, propice aux lamentations et aux adieux.

Le char

L'entrée d'Andromaque sur un char appelle la comparaison avec d'autres scènes, notamment, comme l'ont souligné tous les commentateurs, avec celle de l'arrivée d'Agamemnon chez Eschyle 251, car elle forme avec elle un contraste pathétique. Au lieu de l'accueil triomphal réservé au roi d'Argos, de retour chez lui après une campagne victorieuse, Euripide nous offre le spectacle d'une femme arrachée à sa patrie et transportée, impuissante, au milieu d'objets précieux, comme un agalma de plus. Ces richesses, qui appartenaient à son peuple, ont changé de mains, tout comme elle. La façon dont elle serre son fils contre son sein trahit son angoisse – le chœur perçoit même les palpitations de sa poitrine (v. 570). Loin d'être une scène de reconnaissance et de retrouvailles entre le personnage et sa communauté coemme dans Agamemnon, il s'agit de l'amorce d'une scène de séparation entre Andromaque et les Troyennes, qui décrivent le char comme « étranger » (ξενικοῖς ἐπ' ὄχοις, v. 569) et suggèrent ainsi à la fois la puissance ennemie qui contrôle le destin d'Andromaque et l'ailleurs vers lequel on l'emporte. Le véhicule, qui dans d'autres pièces symbolise le statut royal du personnage 252

, montre ici surtout qu'Andromaque n'a plus le droit au char d'apparat. Aux yeux des Troyennes, la jeune femme est certes toujours l'épouse d'Hector, dont le nom revient deux

250 Voir Noël 2012, p. 507-510 ; Medda 2013, p. 226-227.

251 Ag. 783. Voir Lee 1976, p. 174 ; Barlow 1986, p. 187 ; Biehl 1989, p. 250.

fois dans ce court passage (v. 571 et 574), mais la disparition du héros (et donc la vanité de ce titre de gloire d'Andromaque) est rendue criante par la présence de son armure vide, peut-être présentée, comme c'était l'usage pour les trophées, de manière anthropomorphe 253

à côté de la veuve. Le chœur emploie en effet le terme de πάρεδρος, qui signifie « assis à côté de quelqu'un », pour décrire la position d'Andromaque par rapport aux armes 254

. Cette parodie cruelle de couple, et même de famille, puisque le fils d'Hector figure dans le tableau, ne fait que souligner la solitude d'Andromaque : personne n'empêchera désormais Néoptolème de la prendre pour concubine. Des hommes de Troie qui constituaient l'essentiel des personnages de l'Alexandros (Hector, Déiphobe, Pâris), il ne demeure que les veuves (Andromaque ici, Hélène un peu plus tard) 255

; de leur corps, il ne reste que l'enveloppe : transformés en proies par la guerre, ils ont été pour ainsi dire dépouillés de leur peau (σκύλοις… δοριθηράτοις, v. 573-574). On imagine l'effet pathétique s'il se peut reconnaître, parmi les objets qui jonchent le char, une pièce de costume ou un accessoire qui figurait dans la première pièce de la trilogie 256

.

L'entrée d'Andromaque, si on la rapproche de celle d'Agamemnon chez Eschyle, symbolise donc la défaite troyenne et la mort des défenseurs d'Ilion sur lesquelles repose le triomphe du héros grec. Elle en est à la fois l'envers et la préfiguration. En l'absence physique des vainqueurs achéens sur la scène, cet intertexte qui dessine la figure d'Agamemnon, ainsi que la simple mention du fils d'Achille (v. 575), rendent leur pouvoir palpable et d'autant plus inquiétant qu'on n'en voit que les effets.

Une allusion visuelle au tribut des alliés ?

Je voudrais enfin m'arrêter sur un dernier aspect de l'entrée d'Andromaque. En effet, j'ai proposé plus haut de voir dans la scène de Cassandre une allusion visuelle à l'eisagogè, le rituel précédant les Grandes Dionysies qui consiste à mener au théâtre l'icône de Dionysos Eleuthereus. Ayant constaté par ailleurs que le sort réservé à Astyanax dans l'épisode qui commence était un renversement de la cérémonie honorant les orphelins

253 Lonis 1979, p. 129.

254 Pour la discussion de πάρεδρος, voir Brillet-Dubois 2010, p. 35.

255 Voir Scodel 1980, p. 68-72.

256 Scodel 1980 écarte l'idée de liens directs, d'allusions d'une pièce à l'autre de la trilogie, même si elle défend l'idée d'un ensemble pensé comme un tout. Les allusions visuelles n'ont guère de place dans sa démonstration, consacrée aux liens structurels, thématiques et dramatiques entre les pièces. Il me semble pourtant qu'elles peuvent rendre plus explicite le « dialogue souterrain » qui court dans la trilogie.

athéniens, je m'étais déjà demandé si le tableau formé par le char plein de dépouilles ne pouvait évoquer, sur le plan visuel, une autre cérémonie des Dionysies : la présentation du tribut des alliés 257

. Je voudrais approfondir l'examen de cette conjecture.

Isocrate associe en effet l'exhibition de l'argent à celle des orphelins, dans le même ordre que le ferait la scène d'Andromaque :

ἐψηφίσαντο τὸ περιγιγνόμενον τῶν πόρων ἀργύριον διελόντες κατὰ τάλαντον εἰς τὴν ὀρχήστραν τοῖς Διονυσίοις εἰσφέρειν ἐπειδὰν πλῆρες ᾖ τὸ θέατρον· καὶ ταῦτ’ ἐποίουν καὶ παρεισῆγον τοὺς παῖδας τῶν ἐν τῷ πολέμῳ τετελευτηκότων (…).

« [Les Athéniens de la fin du Ve

siècle] décrétèrent que le surplus de contributions, divisé en talents, serait apporté dans l'orchestra lors des Dionysies, au moment où le théâtre serait plein. Ils faisaient cela et ils produisaient aussi les enfants des hommes tombés au combat » 258

.

Les historiens débattent sur le calcul de ce surplus, de cet « argent restant » (τὸ περιγιγνόμενον… ἀργύριον), mais s'accordent à considérer qu'il s'agit de l'argent du tribut de la ligue de Délos, que les envoyés des alliés apportaient à Athènes au moment des Dionysies 259

. Nos sources sont cependant insuffisantes pour nous permettre de décrire plus précisément l'événement qui se déroule au théâtre. La stèle où est inscrit le décret de Cléonymos sur la perception du tribut est certes ornée d'un bas-relief représentant des urnes et des sacs fermés 260

; il est donc vraisemblable que l'exposition du tribut talent par talent se faisait dans ce type de contenants. En revanche, nous ne connaissons pas le trajet suivi par l'argent, le lieu de sa conservation étant incertain (l'Opisthodome sur l'Acropole ou un trésor au pied de cette colline ?) ; il n'est donc pas possible de décider par quelle eisodos on l'apportait dans l'orchestra. Nous ne savons pas non plus s'il était apporté à dos d'homme ou sur un véhicule, mais seulement que les hommes chargés de le faire étaient

257 Brillet-Dubois 2010, p. 36-37. Je ne pense pas que le trajet d'Andromaque corresponde à la procession des Dionysies qui suit l'eisagogè et précède le concours tragique. Plutarque mentionne certes la présence de chars et d'objets en or que l'on porte durant cette cérémonie, mais c'est pour déplorer que ce faste ait remplacé la simplicité du rite ancien (De l'amour des richesses, 527d). Il est difficile toutefois de savoir quand la pompè a évolué et même s'il faut faire confiance à Plutarque, qui tend à idéaliser le passé, sur la réalité de cette évolution. Aristophane, pour sa part, ne mentionne pas de chars, mais des porteurs de phalloi, des porteuses de paniers et des chants bachiques (Ach. 240-265) dont je ne vois pas la trace dans la scène. Voir Csapo, Slater, 1994, p. 113-115 ; Sourvinou-Inwood 2003, p. 70-71.

258 Sur la paix, 82.

259 Aristophane, Ach. 504-506 et Schol. Ar. Ach. 504. Pour une discussion sur le texte d'Isocrate, voir Meritt, Wade-Gery, Mc Gregor 1950, p. 16-18 ; Samons 2000, p. 197-200.

des μισθωτοί (« salariés » ou « mercenaires ») 261. Le montant annuel du tribut allant de plusieurs centaines à plus d'un millier de talents, il faudrait un nombre de porteurs considérable pour transférer les urnes jusqu'au théâtre depuis le trésor où on les conserve. Une telle parade n'est pas inconcevable, mais l'hypothèse que l'on ait utilisé des chars est tout aussi plausible. Il serait alors possible qu'Euripide ait cherché à évoquer le spectacle que formait cette présentation du tribut en faisant entrer en scène les dépouilles des Troyens.

Imaginons que le char où trône pitoyablement Andromaque est non seulement chargé d'armes, mais aussi d'amphores censées contenir l'or pris aux Troyens, et qu'il entre en empruntant la même eisodos que le tribut. Si cette image peut évoquer aux spectateurs, athéniens comme alliés, la production de l'impôt de la ligue de Délos, le sens de la scène qui suit s'en trouve radicalement changé. Le traitement des vaincus troyens se trouve alors visuellement mis en rapport avec la façon dont Athènes impose sa domination non plus à ses ennemis, mais à son empire. Si tribut et butin peuvent être assimilés, dans un effet visuel qui s'impose avec force à l'esprit, la frontière devient mince, en effet, entre l'imposition et le pillage, l'alliance et l'assujettissement. Le rapport vainqueur-vaincu au sein de la fiction troyenne n'est plus seulement un modèle de la relation d'hostilité qu'Athènes a entretenu avec les Perses ou avec Mélos – rappelons qu'elle a contrainte celle-ci à la guerre 262

–, mais un outil pour penser la violence inhérente à la relation d'hégémonie sur les cités qui acceptent son empire.

Non qu'Andromaque incarne les cités alliées dans une simple allégorie : le fait qu'elle soit Troyenne est fondamental pour établir l'équivalence entre ennemi et allié. L'important, c'est que le rapprochement entre le spectacle de la défaite d'Ilion et la production publique du tribut lie la façon dont les Grecs de la fiction traitent leurs ennemis à celle dont Athènes traite ses symmachoi en suggérant qu'il n'y a guère entre les deux qu'une nuance de degré. La situation à laquelle les Grecs ont réduit Andromaque apparaît comme une forme extrême que pourrait prendre la domination athénienne, de même que le sort réservé à Mélos est, si l'on en croit Thucydide, un exemple destiné avant tout aux membres de la ligue tentés par la défection (HGP V, 94-99). Il faut toutefois que ce que voient les spectateurs permette ce rapprochement, et nous touchons là la limite de ce que nous pouvons savoir avec certitude en n'ayant que le texte de la pièce à notre disposition. Il me paraît néanmoins nécessaire et fécond de faire cette hypothèse, car ce sont en retour

261 Isocrate, Sur la paix, 82.

d'autres éléments du texte qui prennent un nouveau relief et s'organisent en un réseau dont le spectacle est la clé.

En effet, parmi les devoirs imposés aux alliés par les Athéniens figure aussi, au moins depuis les décrets de Thoudippos et de Clinias vers 425 263

, l'obligation de fournir une vache et une panoplie pour les grandes Panathénées. Les représentants des alliés doivent participer à la procession comme le font les colons d'Athènes, et la bête qu'ils ont offerte à Athéna est sacrifiée lors de la grande hécatombe qui clôt les festivités 264

. Ils sont ainsi à la fois inclus dans la sphère des Athéniens et la célébration de leur fête nationale, et placés publiquement dans une position de soumission par rapport à la cité hégémonique.

Or, on l'a vu, au milieu du butin troyen qui accompagne Andromaque, l'armure d'Hector est distinguée par le chœur. Les dépouilles elles-mêmes sont désignées comme des peaux de bêtes tuées à la chasse (v. 574), mais l'image des peaux peut tout aussi bien évoquer leur sacrifice. Quant au jeune Astyanax, on ne le sait pas encore, mais il est destiné, tout comme Polyxène dont il sera bientôt question, à devenir une victime sacrificielle des Grecs (σφάγιον, v. 747). Andromaque, dans sa douleur haineuse, souhaitera ironiquement à ses bourreaux de « faire un festin de sa chair » (δαίνυσθε τοῦδε σάρκας, v. 775). L'enfant est donc assimilé, à la fin de la scène, à une offrande, à une bête sacrifiée dont les hommes se partagent la viande, tandis que la panoplie de son père est emportée vers la Grèce.

Le sacrifice même des Panathénées est également présent en filigrane, car avant cela, Athéna a été représentée par le chœur comme la destinataire non seulement de l'offrande du cheval de bois (v. 525-526, 536), ce qui correspond à son rôle épique et à son épiclèse d'Erganè, mais aussi du sang des Troyens égorgés :

εἰς ἕδρανα λάινα δάπεδά τε φόνια πατρί- δι Παλλάδος θέσαν θεᾶς.

« Ils ont déposé [le cheval] dans la demeure rocheuse, sur le sol, sanglant pour notre patrie, de la déesse Pallas. » (v. 539-541)

Un peu plus loin, les Troyennes font d'Athéna l'agent principal du massacre perpétré par les soldats cachés dans le cheval, et le nom Παλλάδος qui termine le vers 561 est suivi du