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Chapitre 2/ Une internationalisation multi-niveaux

2.3. Engagement social dans l’action humanitaire

« Jean Prouvé a élevé sur le quai Alexandre III la plus belle maison que je connaisse, le plus parfait moyen d’habitation, la plus étincelante chose construite. Et tout cela est en vrai, bâti, réalisé, conclusion d’une vie de recherches. Et c’est l’abbé Pierre qui la lui a commandée ! » Le Corbusier

Les voies de l’international comportent des non-dits. Les activités humanitaires constituent un monde à part, composé d’acteurs se revendiquant en dehors du système corporatiste libéral, et décrivant une démarche d’action opposée aux activités d’exportation. Les actions humanitaires possèdent toutefois une part industrielle qui les rapproche du monde des affaires : les camps de réfugiés établis partout dans le monde sont construits de modules bon marché en plastique, taule, toiles de tentes selon les cas. Ils forment des morceaux de villes habités par près de 17 millions de personnes283. L’exportation des matériaux nécessaires à l’établissement de camps ou d’autres types de programmes dits « humanitaires » relève d’une logique d’entreprise, atténuée par une image philanthrope.

Guerres, crises migratoires, conflits, catastrophes naturelles ou chimiques mobilisent de nombreux professionnels tels que des architectes, ingénieurs, constructeurs, des médecins, chirurgiens, infirmiers, qui mettent leurs compétences au service de la reconstruction, du relogement, de la planification ou du soin des populations dans le besoin. L’action humanitaire internationale s’est progressivement professionnalisée au sein d’organisations de plus en plus structurées : « Lors des

dernières décennies, (…) les actions de secours et d’assistance aux populations vulnérables, en danger, sinistrées, victimes de catastrophes ou de conflits armés ont connu une croissance exponentielle. Au XXIème siècle, elles sont même devenues un élément structurant des relations internationales, ce qui conduit des critiques à soutenir que, là où auparavant des États ouvraient des centres culturels, ils financeraient à présent, en remplacement, de l’humanitaire284». Sans remonter

dans l’histoire plus ancienne que celle du XXe siècle285, le secteur de l’humanitaire contemporain a commencé à faire parler de lui en France par la décision de jeunes médecins de rompre avec la neutralité imposée par l’organisation suisse Croix-Rouge pour dénoncer les massacres de la guerre civile au Biafra à la fin de l’année 1968. De retour en France, ces médecins cherchent un moyen léger d’intervenir rapidement pour venir en aide aux victimes de conflits, et de témoigner des horreurs de guerres. Médecins Sans Frontières apparaît en 1971. Johanna Siméant résume la montée en puissance de la réputation de l’humanitaire entre les années 1970 et 1990 en France :

« beaucoup des prises de position faites au nom de l’humanitaire peuvent rendre compte de l’intérêt accru à son égard, dans un contexte de remise en cause croissante du «totalitarisme » au

283

Anne Poiret « Bienvenue au Réfugistan », 2016, documentaire, durée 71' & 52' 284

Ryfman Philippe, Une histoire de l’humanitaire, Paris, La Découverte, 2008, p.3 285

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fil des années 1970, de perte d’emprise des idéologies partisanes, notamment de gauche, dans les années 1980, de fin de la guerre froide et de complexité accrue des conflits dans les années 1990. Par son refus affiché des clivages partisans, sa défense de l’humain en dehors des idéologies, sa valorisation de la relation de face-à-face avec les personnes souffrantes, sa référence à des droits de l’homme devenus un des mots clefs des années 1980 comme le sera la référence à la société civile dans les années 1990, l’humanitaire présente l’aspect d’une idéologie « morale », neutre voire activement « neutralisée » condition de son succès dans la France des années 1980, dans un double contexte de dépolitisation et d’irreligion croissantes. Le succès de l’humanitaire s’inscrit également dans un mouvement plus général de valorisation d’une découverte des autres civilisations qui ne se limiterait pas au tourisme de « masse », et qui accompagne le mouvement de départ en communauté des années 1970 : autant de symptômes d’une volonté revendiquée de rencontre « vraie » des autres peuples286 ».

L’auteure décrit le passage entre l’attention publique portée à l’humanitaire, et l’entrée en action humanitaire des professionnels. Entre les deux, l’apparition de l’Office humanitaire de la Communauté européenne (ECHO287) lors de la guerre du Rwanda entre 1992 et 1994 agit comme un levier d’action entre une conscience publique pour l’humanitaire, et des pratiques professionnelles dédiées au champ. L’Union européenne est un acteur majeur dans l’aide humanitaire mondiale :

« L'Union européenne est le principal fournisseur d'aide humanitaire dans le monde. Cette aide, qui prend la forme de financements, de fourniture de biens ou de services ou d'assistance technique, vise à aider à la préparation et à faire face d'urgence aux crises qui affectent gravement les populations hors de l'Union, qu'il s'agisse de catastrophes naturelles ou d'origine humaine ou de crises structurelles. L'action de l'Union se fonde sur les principes humanitaires fondamentaux d'humanité, de neutralité, d'impartialité et d'indépendance, et comprend trois instruments: l'aide d'urgence, l'aide alimentaire et l'aide aux réfugiés et aux personnes déplacées. Le service ECHO coordonne cette action et coopère étroitement avec les partenaires qui mettent en œuvre l'aide sur le terrain, en particulier les Nations unies et les organisations non gouvernementales288». Depuis la création d’ECHO, des

« baby ECHO289 » ont vu le jour, sous forme de centaines d’ONG, d’associations, de fondations, dédiées à diverses causes. Le secteur représente des marchés dans les pays émergents et en voie de développement. Des fonds de solidarité Européens, nationaux, et internationaux, abondés par des dons des États, des particuliers et des entreprises financent finalement une branche, qui se professionnalise au cours du XXème siècle : formations spécialisées, statuts juridiques, salaires, plans de développement organisent le secteur.

Au moment où l’aide humanitaire se structure et où se multiplient les ONG, le plus ancien organisme d’aide au monde, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR290), pour contrer la concurrence, se

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Siméant Johanna, « Entrer, rester en humanitaire : des fondateurs de MSF aux membres actuels des ONG médicales françaises », Presses de Sciences Po / Revue française de science politique, vol. 51, 2001, p. 49

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European Community Humanitarian Office est le principal bailleur de fonds des ONG humanitaires d’urgence Européen. 288

Section aide humanitaire du site de l’Union Européenne : www.europa.eu. 289

Expression communément employée par les acteurs humanitaires. 290

Dans l’aide humanitaire, le Comité International de la Croix Rouge (CICR) est un acteur majeur et incontournable. Il emploie 14 000 personnes dans le monde, dont une unité d’une quinzaine de personnes (architectes, ingénieurs) dédiée à

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voit dans l’obligation de réorganiser ses secteurs de compétences, et c’est ainsi que la construction devient une de ses prérogatives. L’architecte-ingénieur à la tête du pôle construction au Département Eau & Habitat du CICR explique cette période charnière :

« La Croix-Rouge s’est faite concurrencer, et de plus en plus, par un très grand nombre d’ONG, jusqu’au point de se dire : « il faut qu’on se recentre sur ce qu’on sait faire ». Il y avait de plus en plus de gens qui offraient quelque chose dans l’aide humanitaire. Qu’est-ce qu’on sait faire ? On est mandaté par les États pour faire respecter la convention de Genève, donc on se concentre sur la protection des civils, et deuxième chose, sur l’urgence de santé. Dans l’ingénierie ça veut dire l’ingénierie publique, donc l’eau et l’assainissement, pour éviter les épidémies de choléra, ce genre de choses. À partir des années 90 jusqu’au début des années 2000, avec l’intervention en Irak en 2003, il y a eu un mouvement général, et pas qu’à la CR, de recentrage vers l’urgence. Alors, à la CR, il y avait des constructeurs, qui avaient construit depuis 1947, il y avait même une unité, mais qui ne dépendait pas de l’unité d’ingénieurs qui avait des constructeurs en son sein, et qui avait été arrêtée au milieu des années 90 en disant : «On n’a plus besoin de ça, maintenant on fait des tentes et des installations provisoires ! »… Et puis ce n’était pas si simple que ça, parce qu’il y avait toujours des choses à construire, notamment nos propres centres orthopédiques, pour notre programme de gens qui font des prothèses etc. Et ils ont mis des gens à suivre les constructions sans unité, ça se basait beaucoup sur des réflexes individuels, il n’y avait pas de politique centrale. Donc il pouvait y avoir un architecte A qui travaillait au Soudan, un architecte B qui travaillait en Birmanie, ils ne se parlaient pas, ils ne faisaient pas la même chose, ils ne partageaient pas les mêmes logiciels, il n’y avait absolument pas de recentrage de l’information, tout se perdait, on ne gardait pas les plans… ça a entrainé des échecs majeurs à partir de 2009, c’était là que j’y étais, j’ai dû récupérer des projets qui partaient mal, et là, la direction au niveau du siège a dit : « il faut qu’on réagisse, on doit recréer cette capacité, on doit construire »».

Il décrit son arrivée dans l’humanitaire, tel un intrus dans un monde où les architectes étaient très peu nombreux : « Quand j’ai commencé y a 20 ans, il n’y avait pas d’architectes. » Et puis de nouvelles formations se sont développées, notamment chez les anglophones en avance dans le domaine. Aujourd’hui il trouve des interlocuteurs architectes intégrés chez les « gros joueurs/big

players » de l’humanitaire : UNOPS, ECHO, MSF, MDM.

L’humanitaire recouvre plusieurs définitions et des types de pratiques distincts : « Des visions

segmentées se donnent pour la réalité de l’humanitaire. Certains y verront l’expression la plus pure de la solidarité entre êtres humains quand d’autres le taxeront d’avatar néocolonial ou de soutien à l’ennemi dans un conflit armé291 ». Les pratiques humanitaires comportent des risques de dérives

industrielles et marchandes, c’est ce que montre le documentaire « Bienvenue au Réfugistan292 ». Un ensemble d’entreprises telles qu’Ikea se dotent de Fondations caritatives et exportent des solutions constructives en série, sortes de containers qui rendent homogènes les territoires et les modes de

la construction médicale. Son ancienneté et son budget annuel de fonctionnement (1,6 milliards en 2015, dont 30 millions pour la construction), légitiment ses actions et son niveau d’expertise.

291

Ryfman Philippe, op. cit. p. 3 292

Le documentaire produit par Anne Poiret « Bienvenue au Réfugistan », 2016 montre l’industrialisation de l’aide humanitaire notamment par la mise en œuvre de camps de réfugiés, déplacés ou migrants.

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vie. Des entreprises telles que Lafarge font des dons de matériaux de construction, dans leur cas des ciments, pour les tester dans des pays en voie de développement. Le Haut Comité des Réfugiés aux Nations-Unies (UNHCR) a récemment ouvert une division « Innovation » pour améliorer les camps et propose des modèles types sans âme et souvent sans architectes dans leurs équipes. Tout cela se négocie dans des salons de l’humanitaire comme le Dubaï International Humanitarian Aid &

Development (DIHAD) à Dubaï. Un véritable marché, ou business de l’humanitaire est à l’œuvre et se

déploie en mobilisant des procédés d’exportation.

La segmentation du traitement des réalités humanitaires se donne particulièrement à voir chez les architectes, qui se distinguent entre ceux de l’urgence et ceux du développement. Selon les modes de fonctionnement des structures associatives, ONG ou fondations, leurs actions se déploient : en amont (sécurité, prévention), dans l’urgence (mise à l’abri), ou dans le développement (formation, recherche). Jusqu’aux années 1990-2000, l’organisation de l’humanitaire en était à ses prémices : des organisations poursuivaient des objectifs individuels sans trop de concurrence. L’apparition des grands bailleurs rebat les cartes en obligeant les organisations à trouver leur place dans un système complexe d’acteurs, et à prouver la qualité apportée par leurs missions. Les financements sont remportés par les plus professionnels, qui doivent élaborer des projets sur la durée jusqu’à des phases d’évaluation. Des formations se développent en France et en Europe, spécialisées sur le management, la prévention, la gestion des risques. Les étudiants d’écoles de commerce s’emparent des opportunités de volontariats internationaux en entreprises (VIE) pour expérimenter dans les activités humanitaires jusqu’à en devenir une grande foire. La récente reconstruction en Haïti est vivement critiquée par de nombreux architectes, décrite comme une foire aux ONG, un cirque, un festival : « c’était tout à fait choquant en Haïti. Pourquoi choquant ? Moi je revenais de Kaboul à

l’époque, j’étais allé directement de Kaboul à Port-au-Prince, et je passais d’un secteur où il y avait assez peu d’humanitaire dans des conditions assez challenging on va dire, à Haïti où c’était le festival de l’humanitaire, tout le monde était là… vu qu’Haïti c’est sympa… tout du moins après la phase d’urgence, pour la reconstruction. Il y avait énormément d’agences qui étaient dans la reconstruction d’écoles, et plein de jeunes architectes qui avaient tous des carnets de dessin sous la main, qui expliquaient qu’ils allaient faire ci et ça, et avec quelles techniques, que ça allait être un bâtiment écologique …293 ».

Les architectes humanitaires se comparent très fréquemment aux médecins. Pionniers, ils ont su structurer des organismes solides, efficaces, solvables, bref qui font référence. Les liens entre les professions libérales existent, notamment l’amitié entre Bernard Kouchner et l’architecte niçois Pierre Allard donne naissance à l’association Architectes Sans Frontières en 1979. Le parallèle avec les médecins humanitaires294 est inévitable tant les constats des premiers résonnent avec les récits des architectes du secteur. L’association Médecins Sans Frontières (MSF), prise en exemple par

293

Architecte-ingénieur, CICR 294

Siméant Johanna, op. cit.. Ricciardelli Marina (dir.), Urban Sabine, Nanopoulos Kostas, « Acteurs d’une société globalisée : “médecins du monde” Jacky Mamou (médecin et Président de Médecins du monde) », in Mondialisation et

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Catherine Wagner pour démontrer la diversité sociale des carrières humanitaires internationales, sert de référence pour comprendre les actions des Architectes Sans Frontières et d’autres ONG du même type, ainsi que la place des activités de construction au sein de MSF : « Au départ, le milieu

recrute plutôt dans les classes supérieures. L’équipe fondatrice de Médecins sans frontières par exemple, à la fin des années 1960, est constituée par de jeunes médecins français qui ont en commun une socialisation religieuse, souvent catholique, dans la grande bourgeoisie, des liens avec l’univers militaire ou colonial, des expériences antérieures de l’international. La première génération forme une « aristocratie du risque », pour reprendre une expression de Bernard Kouchner, constituée par de jeunes médecins d’origine sociale élevée, qui trouvent dans l’humanitaire le moyen de faire des investissements plus gratifiants et mieux ajustés à leurs dispositions que l’exercice, en France, d’une médecine jugée médiocre et marchande295». Aujourd’hui les trajectoires sociales et professionnelles

des personnels engagés à l’association sont diversifiées.

L’auteure recense plusieurs effets des actions humanitaires sur les parcours professionnels : les missions courtes ont peu d’influence sur la carrière des médecins, tandis qu’elles supposent un

« infléchissement professionnel important » chez les administrateurs et les techniciens. Les missions

ponctuelles à l’étranger « offrent également des rétributions symboliques importantes ». Les missions humanitaires peuvent tantôt être un ascenseur social, pour « des personnes d’origine modeste,

souvent issues de l’immigration qu’on trouve plutôt dans les fonctions logistiques », tantôt un moyen

de « reclassement (pour) ceux qui ont connu une réussite scolaire jugée médiocre au regard des

aspirations liées à une origine élevée. » Il est gratifiant au retour au pays de témoigner d’actes de

solidarité en direction des pays du tiers-monde : « Souvent anciens militants syndicaux ou politiques,

ils collectent des dons pour financer la construction d’écoles, d’orphelinats ou de dispensaires.»

Au-delà de questions de valeurs associées à des actes solidaires ou charitables, des interrogations éthiques se posent sur le fait de promouvoir son propre travail. Est-ce déontologique qu’un architecte impliqué dans une association humanitaire démarche pour financer des constructions qu’il conçoit et supervise ? Il entre dans ce que le code déontologique interdit : l’autopromotion, le démarchage, et ces débats sont très vifs entre les ONG. L’architecte fondateur de l’ONG Architecture & Développement (A&D) explique comment son ONG travaille à l’international :

« Je pense que c’est peut-être le critère en tant qu’ONG, on ne peut pas se substituer, on n’est pas un bailleur social, on n’est pas sensé être des opérateurs, ni des maîtres d’ouvrages, c’est un peu le problème, on est sensé être des prescripteurs, c’est un gros débat que j’ai en France, avec… J’imagine que vous avez pris contact avec Architectes de l’urgence (oui), voilà, c’est une grosse différence que l’on pourrait avoir, cette logique de ne pas devenir une agence de… clés en mains de produits et d’opérations. (…) En général, c’est des associations qui viennent nous voir, et on les aide à monter leurs dossiers de subventions, on les aide à monter l’argumentaire, y compris la pré-programmation, donc on fait de la maîtrise d’ouvrage, de l’assistance à la maitrise d’ouvrage pour des gens qui ne savent pas ce que ça veut dire tout ça, et qui doivent trouver de l’argent pour monter un projet ».

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Une partie des architectes agit en France dans un secteur d’activités « social »: traiter des questions de mal-logement, améliorer les conditions d’hébergement des plus démunis, repenser les squats et jusqu’à produire des logements sociaux, des logements, et réhabiliter un parc immobilier ancien. Déterminés à pourvoir les populations de logements confortables, décents et dignes, certains architectes inscrivent leur pratique dans le système de la construction, de la promotion, de la réhabilitation et de la vente de logements. Ces activités peuvent être coordonnées par des organismes du type Fondation Abbé Pierre, Médecins Sans Frontières, Emmaüs, Croix Rouge France, Fondation d’Auteuil, qui trouvent des financements auprès de l’État, des institutions et des dons privés. Des liens sont trouvés entre les architectes du champ social en France et les humanitaires à l’international. Bien souvent ils cumulent ces activités, et ressemblent à ce que Johanna Siméant décrit des médecins disposant d’une forte propension à passer d’un univers social à un autre.

Si l’on n’entend que peu d’actualités sur les activités des architectes humanitaires, c’est qu’ils ne font pas partie de la corporation. S’ils sont engagés à temps plein dans leurs actions à l’étranger, ils ne sont pas inscrits à l’Ordre, et ne pratiquent pas la maîtrise d’œuvre. Leur statut est ambigu, ils ont un diplôme d’architecte et travaillent bien dans le domaine architectural, mais s’éloignent de la construction de bâtiments publics ou de grands équipements. Ils participent à des chantiers en Inde, montent des observatoires de la reconstruction au Népal, coordonnent des équipes d’architectes-ingénieurs en Haïti… Sans que personne ne sache très bien ce qu’ils font, pour qui, et comment. Les humanitaires agissent dans la précarité : ils disposent de petits budgets pour leurs missions, et sont souvent eux-mêmes faiblement rémunérés pour leur travail296. Les professionnels s’engagent physiquement en quittant leur nation pour un temps déterminé ; professionnellement en mettant de côté provisoirement leur activité principale s’ils ne sont pas enrôlés dans l’humanitaire à plein temps ; personnellement, en prenant des risques dans des pays en guerre, détruits. L’engagement humanitaire s’inscrit dans une série de conditions de mise à l’épreuve des individus. L’architecte Françoise-Hélène Jourda saisissait le rôle du professionnel comme un dilemme entre une posture humanitaire et artistique : « L’architecte se débat entre deux attitudes, deux archétypes :

celui de l’humaniste attaché à considérer les besoins d’une société toute entière, celle des nantis et des démunis, déterminé au travers de ses projets à améliorer les conditions de vie de ses contemporains, et celui de l’artiste, isolé par sa création de l’Autre, occupé à développer ses propres