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Elasticit´e de la plaque oc´eanique ´

une subduction. Nous ´etudierons quelles conditions sont requises pour qu’une subduction se d´eveloppe.

3.2

Elasticit´´

e de la plaque oc´eanique

Une des diff´erences majeures entre notre approche et les pr´ec´edentes ´etudes ayant envisag´e l’initiation de la subduction aux fronti`eres oc´ean-continent (Mart et al., 2005; Goren et al., 2008) est que nous tenons compte du comportement ´elastique de la lithosph`ere oc´eanique.

L’´elasticit´e de la plaque oc´eanique a souvent ´et´e n´eglig´ee, au profit de mod`eles purement visqueux. Pourtant, nombreuses sont les preuves que la lithosph`ere oc´eanique a un compor- tement ´elastique, en tout cas avant d’avoir plong´e dans le manteau. La premi`ere et la plus ´evidente observation de l’´elasticit´e de la lithosph`ere oc´eanique est l’existence de structures topographiques maintenues sur des millions d’ann´ees. Sans r´esistance ´elastique, toute topo- graphie serait relax´ee sur des ´echelles de temps plus courtes. Deux grands types d’approches ont permis de caract´eriser plus pr´ecis´ement la rh´eologie de la lithosph`ere : la mod´elisation d’observations g´eophysiques (bathym´etrie, gravit´e, sismique), et des exp´eriences de m´ecanique des roches.

La premi`ere approche repose essentiellement sur la flexure observ´ee sous les monts oc´eani- ques et chaˆınes volcaniques, et au niveau des fosses de subduction. Un grand nombre d’´etudes ont assez tˆot montr´e que le comportement de la lithosph`ere peut ˆetre expliqu´e par des mod`eles de plaque mince ´elastique, bien que la rh´eologie exacte de la lithosph`ere soit plus complexe (e.g., Caldwell et al., 1976; Watts, 1978). Dans ces mod`eles, l’´epaisseur de la plaque n’a pas de correspondance r´eelle : on consid`ere une plaque th´eorique, purement ´elastique, dont le comportement est ´equivalent `a celui de la lithosph`ere. Cette ´epaisseur permet toutefois de d´ecrire la rigidit´e flexurale de la lithosph`ere (Walcott, 1970a). Elle est fonction de l’ˆage de la lithosph`ere : plus la lithosph`ere est ˆag´ee au moment de son chargement, plus l’´epaisseur de la plaque ´elastique mod´elisant son comportement est grande (e.g., Caldwell et Turcotte, 1979;

Calmant et al., 1990; Watts et Zhong, 2000).

Pour les monts oc´eaniques et chaˆınes volcaniques, l’´edifice est g´en´eralement trait´e comme une charge reposant sur une plaque ´elastique infinie (e.g., Walcott, 1970b; Watts et Cochran, 1974a; Cazenave et al., 1980; Minshull et Charvis, 2001). On cherche alors les param`etres per- mettant de mod´eliser la morphologie de la lithosph`ere oc´eanique montr´ee par la bathym´etrie et les ´etudes sismiques (foss´e bordant l’´edifice et bombement au-del`a), ainsi que les donn´ees gravim´etriques. Les monts oc´eaniques ne sont pas compens´es localement mais `a l’´echelle r´egionale (Vening Meinesz , 1941), du fait de la r´esistance ´elastique de la lithosph`ere : les caract´eristiques du signal gravim´etrique (amplitude et longueur d’onde des anomalies `a l’air libre notamment) d´ependent donc de la rigidit´e flexurale.

Pour les fosses de subduction, les mod`eles classiques consid`erent des plaques ´elastiques semi-infinies dont l’extr´emit´e est soumise `a une charge verticale ponctuelle et `a un moment fl´echissant. Ils expliquent des donn´ees de mˆeme type que pour les monts oc´eaniques (ba-

thym´etrie, sismique, gravim´etrie) (e.g., Hanks, 1971; Watts et Talwani , 1974b; Caldwell et al., 1976; Levitt et Sandwell, 1995). La lithosph`ere oc´eanique fl´echie `a son entr´ee en subduction pr´esente notamment une morphologie caract´eristique (Figure 3.3), avec un bombement dont les propri´et´es (longueur d’onde, amplitude) peuvent ˆetre directement exprim´ees comme une fonction des param`etres ´elastiques.

0 100 200 300

2km

km

Fig. 3.3: Bombement caract´eristique d’une lithosph`ere oc´eanique entrant en subduction. Le

trait plein bruit´e correspond `a un profil r´eel, ´etabli `a partir de donn´ees bathym´etriques et

de sismique-r´eflexion pour la fosse des Bonins. Les pointill´es montrent une mod´elisation des

donn´ees obtenue en assimilant le comportement de la lithosph`ere `a celui d’une plaque ´elastique

semi-infinie. Figure adapt´ee de Caldwell et al. (1976).

Certaines ´etudes ont montr´e qu’une d´eformation purement visqueuse peut produire la mˆeme morphologie de flexure que la rh´eologie ´elastique. Ainsi, De Bremaecker (1977) obtient des profils comparables `a ceux de plaques ´elastiques en mod´elisant les fosses de subduction par une charge ponctuelle fixe dans l’espace sur une lithosph`ere tr`es visqueuse en mouvement. Comme l’admet l’auteur, le probl`eme pos´e par une rh´eologie visqueuse est qu’elle ne permet pas de maintenir des structures sur plusieurs dizaines de millions d’ann´ees. Le temps de relaxation de la flexure pour les param`etres du mod`ele de De Bremaecker (1977) est de l’ordre de 0.1 Ma, ce qui n’est pas compatible avec les observations. Par exemple, les ´edifices les plus anciens de la Chaˆıne des Empereurs ont 80 Ma et sont pourtant toujours soutenus par la lithosph`ere. De plus, le bombement de la lithosph`ere `a l’approche de la fosse r´esulte, dans le mod`ele de De Bremaecker (1977), uniquement de l’avanc´ee de la lithosph`ere vers la fosse : il d´epend donc de la vitesse de convergence entre plaque subductante et plaque sus-jacente, ce qui l`a non plus n’est pas sugg´er´e par les observations.

L’´elasticit´e de la lithosph`ere a par ailleurs ´et´e mise en ´evidence par les exp´eriences de m´ecanique des roches. La premi`ere ‘enveloppe de r´esistance’ de la lithosph`ere oc´eanique est propos´ee par Goetze et Evans (1979). Le contraste rh´eologique entre la croˆute basaltique et le manteau p´eridotitique est faible : la lithosph`ere peut ˆetre vue comme une seule unit´e. Elle se comporte de fa¸con ´elastique jusqu’`a un certain seuil de contrainte, qui d´epend de la profon- deur (Figure 3.4). Pour des contraintes plus fortes, une d´eformation plastique (irr´eversible) se produit. `A de faibles profondeurs, cette d´eformation plastique consiste en une facturation avec glissement sur des failles, suivant des lois de type Coulomb-Byerlee. En dessous, elle s’effectue par un fluage ductile, que Goetze et Evans (1979) d´ecrivent par une loi de fluage

3.2. ´ELASTICIT ´E DE LA PLAQUE OC ´EANIQUE 55

dont les param`etres sont d´etermin´es exp´erimentalement pour l’olivine, principal min´eral du manteau. La d´eformation ductile d´epend fortement de la temp´erature, et est aussi fonction du taux de d´eformation.

Une plaque fl´echie a une partie de son ´epaisseur en tension, l’autre en compression. Les contraintes s’annulent sur une ligne neutre qui se situe `a mi-´epaisseur de la plaque pour de faibles d´eformations (elle en est l´eg`erement d´ecal´ee si la flexure est importante). Par exemple, la lithosph`ere oc´eanique fl´echie au niveau des fosses de subduction est en tension dans sa par- tie sup´erieure et compression dans sa partie inf´erieure. De part et d’autre de la ligne neutre, jusqu’au seuil critique, les contraintes sont support´ees par l’´elasticit´e de la plaque (Figure 3.4). Le comportement de la lithosph`ere oc´eanique fait donc bien intervenir un ‘noyau’ ´elastique. L’´epaisseur de ce noyau d´epend de la courbure de la plaque. Plus la flexure est importante, plus les contraintes augmentent fortement en s’´eloignant de la ligne neutre, et donc plus le seuil de r´esistance ´elastique est atteint `a des profondeurs proches de celles de la ligne neutre. L’´epaisseur du noyau ´elastique diminue donc lorsque la courbure de la plaque augmente.

En r´esum´e, la rh´eologie exacte de la lithosph`ere oc´eanique est bien sˆur plus complexe que celle d’une plaque parfaitement ´elastique. Divers mod`eles int´egrant les r´esultats des exp´eriences de m´ecanique des roches ont ´et´e envisag´es, qui traitent par exemple la lithosph`ere

-1500 -1000 -500 0 500 1000 s sV- H(Mpa) 50 0 10 20 30 40 60 70 Déformation cassante Fluage ductile Compression Tension Profondeur(km) Noyau élastique Te

Fig. 3.4: Enveloppe de r´esistance de la lithosph`ere oc´eanique, ´etablie par Goetze et Evans (1979) d’apr`es des exp´eriences de m´ecanique des roches. Le comportement cassant est d´ecrit par une loi de Byerlee, la d´eformation ductile par une loi de fluage d´etermin´ee exp´erimentalement pour l’olivine. La ligne d´elimitant la zone gris´ee montre la distribution de

contraintes dans une plaque oc´eanique fl´echie `a son entr´ee en subduction. La ligne en tiret´es

illustre un autre exemple, correspondant `a une plus faible courbure. La lithosph`ere oc´eanique

est ´elastique de part et d’autre de la ligne neutre, pour des contraintes inf´erieures au seuil de r´esistance.

comme visco-´elastique (e.g., McAdoo et al., 1978; Bodine et al., 1981; Courtney et Beaumont, 1983; Watts et Zhong, 2000). Toutefois, le maintien de structures topographiques sur des dizaines de millions d’ann´ees sugg`ere que l’´elasticit´e est bien l’aspect dominant du compor- tement de la lithosph`ere oc´eanique. Les mod`eles de plaques ´elastiques expliquent d’ailleurs de fa¸con satisfaisante les donn´ees g´eophysiques. Ainsi, au premier ordre, le comportement de la lithosph`ere oc´eanique peut ˆetre approxim´e par celui d’une plaque ´elastique. Une fois que la lithosph`ere aura subduct´e, immerg´ee dans l’asth´enosph`ere elle va se r´echauffer et perdre progressivement son ´elasticit´e. Un comportement visqueux sera alors `a mˆeme de la caract´eriser (e.g., Ribe, 2001). L’absence de prise en compte de la rh´eologie ´elastique dans certains mod`eles d’initiation de la subduction peut s’expliquer par le fait que l’importance de traiter les diff´erents stades de la subduction avec une rh´eologie variable a sans doute ´et´e sous-estim´ee. Une autre explication possible est qu’il est plus difficile de travailler avec une rh´eologie ´elastique que visqueuse, en particulier pour ce qui est des ´etudes exp´erimentales. L’utilisation de mat´eriaux visqueux est classique dans les exp´eriences en laboratoire, alors que rares sont celles r´ealis´ees avec des mat´eriaux ´elastiques.