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Partie 5 : Problématique

5.1. Elaboration de la problématique

L’inclusion scolaire est un dispositif légal permettant à des élèves et des étudiants, de poursuivre leur scolarité dans un milieu éducatif dit « ordinaire ». Cette loi vise la mise en œuvre de moyens pour que des personnes dont le handicap, la maladie ou la situation personnelle, puissent suivre des enseignements en classes dites ordinaires.

Le processus d’inclusion scolaire sous-entend alors le déploiement de solutions pour permettre la présence d’élèves ou d’étudiants dont les besoins sont particuliers, dans des environnements scolaires ou universitaires traditionnels. Parmi ces moyens, les robots de téléprésence sont proposés pour permettre aux élèves et étudiants, dont la situation de handicap, la pathologie ou l’hospitalisation, empêche la présence physique en cours.

Ces robots constituent alors une opportunité pour les personnes concernées, d’être à la fois présentes dans l’établissement scolaire ou universitaire et à la fois, dans un espace physique différent. Cette forme de présence à distance, passe par l’incarnation de l’étudiant par le système de téléprésence, qui lui permet de produire des actions dans l’environnement physique distant, qu’est l’établissement scolaire ou universitaire.

Dans cette situation singulière d’utilisation d’un robot de téléprésence pour l’inclusion d’un étudiant, la coprésence de l’étudiant et de l’environnement universitaire ou scolaire, ne se

183 situe pas dans un espace physique commun. L’enseignement dit « ordinaire » se déroule traditionnellement dans un espace-temps commun à l’enseignant et aux étudiants. Cet espace est physique dans l’enseignement en présentiel et numérique dans l’enseignement en distanciel.

La présence d’un étudiant n’est pas à entendre à travers sa dimension physique. Pour comprendre la signification de l’inclusion scolaire d’un étudiant, il convient alors d’apporter une signification à la notion de présence d’un étudiant.

La prescription de l’utilisation (Leplat, 1997) du robot de téléprésence dans une visée d’inclusion scolaire, nous a conduites à observer les effets de cette modalité de la présence d’un étudiant, sur le réel de son activité (Clot, 2006, 2008). Cette configuration singulière de présence à distance dans un format pédagogique en présentiel, nous a également amené à appréhender les pratiques enseignantes, déployées lors de l’absence d’un étudiant. Cette exploration empirique nous a ouvertes à envisager non seulement le concept de présence, mais aussi celui de l’absence, dans le processus d’inclusion scolaire (illustration 22).

Nous envisageons les concepts de présence et d’absence, ainsi que de présence et de distance, non pas à travers un clivage qui donnerait lieu à des dichotomies, mais comme un continuum. L’absence et la présence ne s’entendent pas par un fonctionnement de pensée en « tout ou rien ». Les recherches théoriques démontrent des notions complexes, nuancées par des propriétés telles que : les signes (Jézégou, 2010), l’engagement, l’attention (Licoppe, 2010), les compétences interactionnelles, les échanges et sollicitations (Blandin, 2004 ; Jézégou, 2007, 2010 ; Goffman, 1974), l’ajustement corporel (Cosnier, 1996 ; Cosnier et Vaysse, 1997 ; Goodwin, 2007), l’action et la perception (Berthoz, 1997, Heidegger, 1953 ; Merleau- Ponty, 1945).

La présence est un concept polysémique et pluridimensionnel, dont la signification est nécessairement contextualisée. L’inclusion scolaire renvoie alors à une signification de la présence, qui est comprise dans ce contexte singulier qu’est l’éducation scolaire et universitaire. Nous entendons la présence d’un étudiant en classe, dans sa dimension intersubjective, c’est-à-dire à travers un système d’interactions entre l’étudiant et son environnement (Bobillier-Chaumon et Dubois, 2009 ; Engeström, 1995). L’environnement est à la fois social et comprend l’ensemble des personnes qui interagissent avec ce système. Il est matériel et composé d’artefacts. Il est également symbolique et comprend des règles, des

184 normes, un système de langage. Enfin, il est technologique et intègre l’environnement technique et technologique du dispositif de téléprésence. Ce système est orienté vers la co- construction du savoir (Houssaye, 1988).

La présence apparait à travers une action produite dans la relation à un environnement : elle est contextualisée et située. L’action n’est pas réduite à sa mise en acte : elle constitue une expérience sensorielle et multimodale. Les travaux de Berthoz (1997) nous apprennent que l’action et la perception sont indissociables. La perception est une action simulée d’expériences antérieures, ajustée et adaptée en situation. C’est par la perception que l’individu construit un sens au monde. A travers la perception, l’individu co-construit des significations dans un espace situé entre son corps et le monde.

Cette compréhension du système perceptif dans le processus de signification, fait entrer le concept de corporéité (Berthoz, 1997 ; Merleau-Ponty, 1945). Ce concept décrit ce corps perceptif, comme un médiateur entre le monde et l’individu. C’est à travers cet entre-deux que se construit l’interprétation du monde, les significations des objets et que se développe la connaissance. Ainsi, la connaissance ne se situe pas dans l’individu, ni dans l’environnement, mais dans cet entre-deux, dans cet espace de médiation sociale et culturelle (Vygotski, 1997 ; Clot, 2008).

Le corps, pris dans sa fonction de médiation, est un corps perceptif, phénoménologique (Merleau-Ponty, 1945), qui n’est pas limité au corps biologique. Il est un espace sensible qui peut se situer au-delà du corps biologique, pour s’étendre à des espaces sensibles devenus des annexes corporelles (Berthoz, 1997 ; Cathiard, 2012, 2018 ; Dufour, 2009 ; Merleau-Ponty, 1945). La présence est alors une expérience perceptive, corporelle, qui se réalise dans un environnement interprété par l’individu.

L’étude épistémologique du concept de présence, nous amène à la conclusion que la présence est une action. L’action étant fondamentalement liée à la perception, nous pouvons alors envisagée la présence comme étant elle-même, indissociable de la perception. Nous entendons alors la présence comme une expérience perceptive, située dans un espace de médiation entre l’individu et l’environnement.

Nous interrogeons la nature de cette expérience, dans une relation médiatisée à l’environnement de la classe, physiquement distant de l’étudiant qui utilise le robot de

185 téléprésence. La présence médiatisée par le robot de téléprésence, démultiplie les espaces d’interactions. En effet, nous situons le robot de téléprésence comme un système de réalité mixte (Chalon et David, 2004) et mobile, que nous interprétons comme un système d’interactions en trois dimensions : l’interaction humain-machine (IHM), l’interaction humain-robot (IHR) et l’interaction humain-humain médiatisée par une machine (IHHM). La médiatisation par le robot de téléprésence, fait apparaitre des espaces potentiels d’interactions, entre l’utilisateur du robot, l’environnement physique distant et l’environnement numérique.

Ces espaces constituent des espaces potentiels d’expériences perceptives, entendus comme des lieux de significations, de construction de sens et de connaissances. Ces expériences de perception et donc d’action (Berthoz, 1997), prennent forme au sein de ce système complexe composé des individus, des artefacts (symboliques, matériels, immatériels), des environnements physiques, numériques et technologiques. Ces expériences sont transformées et développées dans ce système, tout en transformant les éléments de ce système (Engeström, 1995).

En effet, la médiatisation des interactions par le robot de téléprésence, reconfigure les espaces traditionnels de l’enseignement dit « ordinaire ». La présence de l’utilisateur, de l’enseignant et des étudiants dans la classe, s’accomplit par des actions menées dans un réseau multimodale et plurisémiotique, à la fois technologique, corporel-sensible et artefactuel. La présence des utilisateurs, des personnes impliquées dans l’interaction et celle des artefacts, traverse ces dimensions à la fois techniques, sensorielles et sociales.

Ces présences en réseau soulèvent la question de l’agentivité (Bandura, 1997), soit des possibilités d’agir à travers cet environnement médiatisé. Elles interpellent également la notion d’agentivité distribuée (Licoppe, 2007), si bien que les actions sont dispersées et partagées entre les acteurs et les artefacts dans et autour du dispositif de téléprésence. Cette distribution de l’agentivité lève la question de la reconfiguration de ce réseau d’actions, dans les pratiques éducatives et d’apprentissages.

Le robot de téléprésence est un objet innovant, développé dans le prolongement de la visioconférence. Il individualise l’interaction humaine avec son utilisateur et apporte une expérience de mobilité, dans un environnement physique distant. La mobilité est une

186 expérience perceptive inédite, mais qui vient faire référence à une culture perceptive antérieure (la téléphonie, la visiophonie et les jeux vidéo). L’évolution ontophanique (Vial, 2013), se situe dans le déplacement autonome de l’utilisateur et dans le rapport à la façon dont il se présente à autrui et dont l’environnement distant, se présente à lui.

Les premières analyses empiriques montrent que l’utilisation du robot transforme les expériences sensorielles des étudiants utilisateurs, en transformant la coprésence de ces étudiants et de l’environnement. Nous interrogeons les possibilités pour les utilisateurs, de produire des actions, à travers ce système de réalité mixte impliquant un réseau d’interactions multimodales.

Ces apports théoriques et les questionnements qui émergent de leurs explorations, nous conduisent à nous intéresser aux actions réalisées par les acteurs, c’est-à-dire les étudiants utilisateurs, leurs enseignants et les étudiants du groupe classe, dans des interactions médiatisées par ce système de réalité mixte. La médiatisation transforme le rapport au monde (Engeström, 1995) et modifie nos actions perceptives (Vial, 2013). Cette modalité innovante et singulière de présence au monde et de présence du monde (Husserl, 1992 ; Merleau-Ponty, 1945), nécessite une renégociation perceptive, soit une renégociation de la mise en acte de cette présence mutuelle de l’utilisateur et de son environnement pédagogique. L’inclusion scolaire, par l’utilisation d’un robot de téléprésence dans un milieu éducatif dit ordinaire, implique une mise en acte de la présence des objets de l’environnement éducatif (acteurs et artefacts), nécessairement renégociée, si bien qu’elle n’est pas ordinaire.

5.1.1. Questions centrales :

Ces apports théoriques et empiriques font émerger une série de questionnements :

 Quelles expériences perceptives les utilisateurs réaliseront au cours de leurs utilisations du robot, pour participer à des enseignements configurés en présentiel ?  Dans quelle mesure les actions réalisées par les utilisateurs, pourront s’inscrire dans le

cadre de la forme scolaire ?

 Quels seront les effets de cette présence médiatisée, sur les normes et règles sociales appliquées dans le contexte d’enseignement ?

187  Quelle forme de renégociation perceptive sera nécessaire de la part de l’environnement social, pour apprendre à percevoir ce nouveau dispositif et interagir avec l’utilisateur ?

 Comment les relations humaines parviendront-elles à s’inscrire dans ce réseau numérique, physique, artefactuel et sensible ?

 Quelles seront les effets sur la mise en présence de l’étudiant qui utilise le robot de téléprésence ?

 Du point de vue des utilisateurs, de quelle façon renégocieront- ils leurs habitudes de sentir l’environnement physique distant, pour construire des connaissances ?

Il s’agit alors d’apporter une compréhension aux expériences vécues par les utilisateurs, dans une visée d’inclusion scolaire. Nous cherchons à comprendre ce qui fonde la présence d’un étudiant qui utilise le robot pour participer à ses enseignements. Les expériences singulières, vécues par les utilisateurs et par les acteurs impliqués, nous permettront d’appréhender les enjeux de l’utilisation d’un robot, dans une visée d’inclusion scolaire.

5.1.2. Problématique :

Ces questionnements constituent le fil conducteur de notre recherche, à travers une problématique générale, qui est la suivante :

Quels sont les enjeux de la rencontre du monde numérique et du monde physique à travers un robot de téléprésence, pour l’inclusion d’un étudiant dans un contexte d’enseignement dit ordinaire ?

5.2. Elaboration des hypothèses de moyenne