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Partie 4 : Cadre conceptuel

4.3. Compréhension de l’action : de quelle expérience parlons-nous ?

4.3.1. Dimension environnementale de l’action

Les théories de l’action située envisage l’individu comme étant ancré dans son environnement à la fois social, matériel et culturel (Suchman, 1987 ; Maturana et Varela, 1981). Ces théories invitent à s’intéresser au couplage de l’action et de la situation dans laquelle elle est réalisée. Dans cette perspective, l’analyse de l’action ne peut pas être séparée du contexte dans lequel elle prend forme.

L’action est précédée d’une interprétation subjective de la situation. La théorie de l’action située proposée par Suchman (1987), révèle que l’action ne se situe pas uniquement dans la cognition de l’acteur, mais dans un entre-deux, un espace entre l’acteur et la situation. Ainsi, l’action est indissociable de la situation dans laquelle elle prend forme et il convient de l’étudier in situ pour comprendre ce qui l’organise. L’auteure rappelle que l’acteur n’est jamais seul mais qu’il est pris dans un environnement social et culturel, dont la médiation conditionne l’élaboration de mécanismes cognitifs supérieurs.

L’approche interactionniste de Suchman constitue une critique épistémologique du paradigme cognitiviste, qui tend à séparer la cognition du contexte dans lequel elle émerge. Dans le courant de l’action située, l’action est envisagée à travers un couplage structurel entre l’acteur et le monde (Maturana et Varela, 1981). Dans ces théories, l’action émerge des circonstances, c’est-à-dire des contingences qui nécessitent un réajustement de l’action in situ. Dans la poursuite de la pensée de Suchman, la perspective dite « écologique », envisage qu’une partie de l’action trouve son origine dans l’environnement. Pour être plus précise, cette approche postule que l’environnement prend en charge une partie de l’organisation de l’action, ce qui ouvre à deux visées : soit l’environnement est disponible pour orienter l’action, soit au contraire, c’est la personne qui va exploiter l’environnement (Kirsh, 1995). Nous citons alors le courant de « l’ancrage de l’action » issu de la psychologie écologique de Gibson (1982) et sa notion d’affordance. L’idée principale de l’affordance, est que

166 l’environnement physique rend disponible des représentations pour l’organisation de l’action. Basée sur la perception, cette théorie postule que le sujet perçoit directement des significations fonctionnelles aux objets et constitue ainsi une économie cognitive lors du traitement de l’information. Ainsi, une partie de l’action est ancrée dans l’environnement qui rend disponible des représentations.

A travers ce concept d’affordance, les acteurs sont capables de construire une signification à partir des propriétés de l’objet. L’objet est alors signifiant, c’est-à-dire qu’il est porteur d’une signification qui provient de traces laissées par des expériences antérieures, que le sujet associerait directement à une signification pour l’action. Ainsi, une partie du traitement de l’information est située dans l’environnement (Clot et Béguin, 2004). Cette approche entend alors une forme d’expertise chez l’acteur, c’est-à-dire que ce dernier a déjà développé des connaissances sur l’objet et qu’il est capable de reconnaitre les significations déposées dans les propriétés de l’environnement.

Hutchins et Klausen proposent une autre lecture de la cognition distribuée (Hutchins et Klausen, 1992) et font entrer une vision culturelle : les capacités cognitives de l’acteur sont intrinsèquement liées à son environnement naturel. En revanche, la relation humaine à l’environnement n’est plus naturelle mais culturelle (Breton, 1995). La cognition et la culture sont alors aussi intrinsèquement liées.

Dans la cognition distribuée, l’artefact va influencer la cognition. Selon Hutchins et Klausen, une partie de l’action est soustraite à l’acteur et est prise en charge par l’environnement. Ces éléments constituent un système qui émerge du couplage entre l’acteur et son environnement (Maturana et Varela, 1981). Ce couplage provient à la fois de l’environnement externe, c’est à dire l’environnement trouvé et à la fois interne à l’acteur, c’est-à-dire la signification, le sens construit qu’il construit de l’objet. La dimension externe qui organise l’action, correspond aux invariants que sont les affordances, les structures du groupe et les artefacts. La dimension interne correspond à la perception de l’acteur.

Les travaux de Béguin et Clot (2004), apportent une réflexion intéressante sur l’apport de l’action située et distribuée. Ces théories prétendent se positionner en controverse des théories cognitivistes. Cependant, alors que la psychologie cognitive recherche des invariants chez le sujet, l’action située recherche des invariants dans la situation. Il s’agit donc d’un déplacement de l’intérêt mais non pas d’un changement de paradigme. En effet, l’être humain,

167 comme toute chose vivante, évolue sans cesse et c’est pour cette raison qu’une action n’est jamais le clone d’une autre. Ces théories semblent mettre de côté la complexité de la dimension subjective et de la créativité humaine (Clot, 2008).

Dans le prolongement de la théorie de l’activité de Vygotski (1997), Clot envisage l’appropriation que l’acteur fait de son activité, à travers le concept de « pouvoir d’agir ». Ce pouvoir d’agir renvoie à la dimension de la créativité de l’acteur qui recrée l’objet de son activité. A partir de l’objet prescrit, nous pouvons dire également « trouvé », l’acteur développe de nouvelles techniques, de nouvelles significations de l’objet, qui vont transformer l’objet. En donnant un sens à l’objet, l’acteur transforme l’environnement extérieur tout en se développant lui-même. Ainsi, l’environnement déjà-là, dans une certaine mesure, extérieur à l’acteur, constitue une ressource pour son activité. Cette ressource est ensuite transformée dans un processus de créativité subjective, pour être transformée en instrument pour l’activité.

Ces théories de l’action nous permettent d’appréhender jusqu’à quel point l’environnement peut constituer une ressource pour l’action. Elles plaident que l’action n’est ni extérieure à l’acteur, ni interne, mais elle émerge de l’interaction entre l’acteur et l’objet, dans une relation contextualisée. L’apport de la clinique de l’activité (Clot, 2008) à travers le concept de créativité, propose que la construction du sens soit à l’origine de la transformation de l’environnement. Ainsi, la perception de l’environnement renvoie à une évaluation subjective qui prend forme dans un processus de signification, c’est-à-dire à un processus de perception. Ces compréhensions conduisent naturellement à interroger la distinction entre action et perception. Nous poursuivons la construisons de notre compréhension du fonctionnement de l’action, avec les théories issues de la neurophysiologie et de la phénoménologie.

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