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3. Etat des connaissances sur les Gilbert-deltas

3.3. Eléments caractéristiques des Gilbert-deltas

Gilbert (1885, 1890) décrit clairement la constitution tripartite des deltas (Figs 3.8, 3.9), en les identifiant par leurs caractéristiques (stratification, granulométrie, inclinaison des couches). Il est important de rappeler qu’il ne leur attribue pas les noms de topset, foreset et bottomset. Pour cette raison, ce sont les termes employés par Gilbert (1885) qui sont mentionnés sur la figure 3.8. Les termes entre parenthèse sont les dénominations équivalentes utilisées dans cette étude.

Il est proposé pour le delta de Kerinitis une constitution «quadripartite» intégrant les termes topset, foreset, bottomset et prodelta.

Figure 3.8 : Section idéale tripartite d’un delta selon Gilbert (1885). Les termes entre parenthèses sont ceux utilisés dans ce travail.

Figure 3.9 : Section verticale idéale proposée par Gilbert (1885). Les termes entre parenthèses sont ceux utilisés dans cette étude. La précision du dessin permet de distinguer les grano-décroissances au niveau des bases de foreset, ainsi que le contact entre les topsets et les foresets. Ce dernier peut être soit un passage latéral, soit un contact angulaire de type toplap. Les foresets passent latéralement à des couches de prodelta par horizontalisation des bancs, couplée à une réduction de la granulométrie.

3.3.1. Topsets

Les topsets («Upper division» de Gilbert, 1885 ; Fig. 3.8) sont définis comme des dépôts principalement fluviatiles. Ils constituent le sommet du delta et, bien que sub-horizontaux, ils peuvent présenter des valeurs de pendage pouvant atteindre les 6° (Figs 3.8 et 3.9). Très souvent, ils sont séparés des foresets par une surface qui correspond à la transition entre le milieu continental et le milieu lacustre/marin. Gilbert (1885) avait déjà mentionné que les topsets fluviatiles peuvent reposer de façon conforme sur les bancs de foresets. Lorsque les chenaux fluviatiles en zone de topset sont très mobiles, le contact entre les topsets et les foresets peut se faire par une surface érosive (Clauzon et al., 1995) comme dans le cas illustré par Colella (1988b) dans le bassin de Crati (Italie). Les topsets sont une zone des Gilbert-deltas sensible aux influences marines (cf. § 3.4) ainsi qu’aux variations du niveau d’eau (douce ou marine) vu leur très faible pendage.

Dans cette étude, la zone de transition entre topset et foreset est appelée «topset breakpoint» correspondant à un point de rupture de pente (Fig. 3.10 et Backert et al., 2009, Annexe 1). Dans les deltas modernes, cette transition est caractérisée par une pente faible entre la partie des topsets sous une faible épaisseur d’eau (< 50 m, McNeill et al., 2005) et le début des foresets à forte pente. Quand les modes d’empilement seront décrits (Chapitre 5), les positions successives du «topset breakpoint» seront utilisées. Elles décrivent une ligne nommée le «topset breakpoint path» (TBP). Le TBP ne correspond pas à la trajectoire de la ligne de côte (sensu Helland-Hansen & Martinsen, 1996) mais la ligne de côte va présenter des trajectoires de migration identiques au TBP. Beaucoup de termes différents sont utilisés dans la littérature pour décrire cette zone clé. Ainsi, Dart et al. (1994) l’appellent l’«offlap break», Uličný et al. (2002) nomment ce point «topset edge» et Mortimer et al. (2005) le dénomment «clinoform breakpoint».

Ici, la définition des topsets est conforme à ce qui est connu dans la littérature (cf. ci-dessus et Fig. 3.10). La sédimentologie des topsets sera présentée en détail dans le Chapitre 4.

Figure 3.10 : Localisation des topsets, foresets, bottomsets et prodelta sur un profil idéal de Gilbert-delta correspondant à cette étude.

3.3.2. Foresets

Les bancs de foresets représentent la caractéristique principale des Gilbert-deltas. Gilbert (1885) dénomme cette partie «Middle division» (Fig. 3.8). Les foresets présentent un pendage compris entre 10° et 35° (Flores, 1990) et se déposent de façon radiale dans l’espace, si la source est ponctuelle (cf. § 3.1.2).

Les foresets sont composés de dépôts gravitaires (Nemec, 1990a) de diverses natures comme les «slumps», tous les types de courants de turbidité, les flots de débris, ainsi que les «debris fall», qui peuvent atteindre la portion incurvée du front du delta (c'est-à-dire la zone de passage foreset-bottomset).

La géométrie des foresets peut être variable car elle dépend de la composition granulométrique des sédiments apportés par la rivière. La composition granulométrique est elle-même dépendante du relief et des caractéristiques de la rivière (cf. § 3.4). Les processus physiques qui affectent la partie sous-aquatique des topsets peut effectuer un tri granulométrique sur les sédiments avant qu’ils ne viennent alimenter les bancs de foresets ; le matériel remobilisé aura tendance à être mieux trié (Clauzon et al., 1995).

Figure 3.11 : Coupes du Gilbert-delta actuel du lac Peyto (Canada), dominé par les conglomérats, utilisant la technique d’imagerie GPR (Ground Penetrating Radar ; modifié d’après Smith & Jol, 1997). a) Section parallèle à la direction de pendage des foresets. Les topsets, foresets et bottomsets peuvent être aisément distingués. L’exagération horizontale est de 1,75. b) Section perpendiculaire à la direction de pendage des foresets. Les foresets et les bottomsets du Gilbert-delta sont identifiés. Les bancs de foresets sont ondulés à sub-horizontaux et paraissent beaucoup moins bien stratifiés que dans le plan perpendiculaire. L’exagération verticale est de 1,15.

Gilbert (1885) propose également un processus de dépôt par la seule action de la gravité, c'est-à-dire le phénomène d’avalanche. Le contact avec les topsets est angulaire et celui avec le prodelta est tangentiel (Figs 3.8. et 3.9).

Gilbert (1885) qualifie pourtant «d’obscur» le contact entre les foresets et le prodelta, peut-être parce que ce contact n’est pas une surface horizontale (Fig. 3.9) mais un contact qui présente un pendage très faible vers la terre, en fonction de la progradation du delta.

Les bancs de foresets peuvent être affectés par des processus qui modifient leur pendage ou leur stratification («chute», «slump scar», «backset beds» ; cf. Chapitre 4, § 4.4.2).

La figure 3.11 montre la différence d’aspect des foresets selon qu’ils sont représentés sur une coupe parallèle (Fig. 3.11.a) ou perpendiculaire à la direction de leur pendage (Fig. 3.11.b). Sur la coupe de la figure 3.11.b, les couches de foresets sont discontinues, ondulantes et elles se tronquent localement. Cette disposition montrerait que la dispersion des sédiments par les phénomènes gravitaires est limitée dans l’espace (latéralement) et que le transport se fait selon des «couloirs» d’alimentation.

3.3.3. Bottomsets

Les couches qui forment les «bottomsets» constituent ce que Gilbert (1885) appelle «Lower division» (Figs 3.8 et 3.9). Dans le cadre de cette étude, les dépôts nommés «Lower division» sont des dépôts de prodelta (cf. 3.3.4). Les bottomsets ont été définis par Gilbert (1885) comme des sédiments fins présentant un faible pendage (inférieur à 10°). Gilbert (1890) propose un mode de dépôt par décantation de particules fines en suspension pour les couches de bottomset. Ces dépôts peuvent être l’objet de déformations post-dépôt de type «slump» (Postma & Cruickshank, 1988 ; Postma et al., 1988). Pour Gilbert (1890), le critère principal de la définition des bottomsets est le pendage faible. Deux définitions principales pour les bottomsets peuvent être retenues :

- certains auteurs mettent en avant le faible pendage des bottomsets (Rhine, 1984 ; Colella, 1988b ; Nemec, 1990a ; Rohais et al., 2008).

- d’autres insistent davantage sur la granulométrie fine des sédiments qui composent ces bottomsets (Massari & Parea, 1990 ; Chough & Hwang, 1997 ; Hansen, 2004).

Ici, les bottomsets sont définis comme la terminaison des foresets (dans une zone également appelée «pieds de foreset») clairement différenciés du prodelta (Fig. 3.10). Les bottomsets, tels que définis dans cette étude, ne sont pas représentés sur les figures 5.8 et 5.9. Par conséquent, l’association de faciès de bottomset représente une association de faciès de transition entre foreset et prodelta. En effet, les sédiments s’y déposent sous l’action combinée de courants gravitaires et de processus de transport par suspension (Ford et al., 2007b). Les bottomsets peuvent, en outre, présenter un faible pendage ou être horizontaux. La transition de faciès peut être abrupte et se faire sur une distance inférieure à 5 m ou être beaucoup plus graduelle, sur des distances pouvant dépasser les 300 m. Dans ce dernier cas, les bottomsets se prolongent loin dans le bassin. Ce sont donc à la fois le critère géométrique, ainsi que le caractère transitionnel au point de vue granulométrique, qui sont retenus dans la définition des bottomsets.

Les bottomsets sont parfois nommés “toeset” (Sohn et al., 1997, Hwang & Chough, 1990 et d'autres). La sédimentologie des bottomsets est développée dans le §4.4.3 du Chapitre 4.

3.3.4. Prodelta

Le prodelta représente la partie du delta située en position la plus distale. Les couches qui composent le prodelta sont horizontales et font suite aux bottomsets (Fig. 3.10). Le prodelta est constitué d’une majorité de sédiments fins qui se déposent à la fois par des processus de courants turbiditiques et par décantation. La sédimentologie du prodelta est développée dans le § 4.4.4 du Chapitre 4.

3.4. Conditions nécessaires à la mise en place des Gilbert-deltas et