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4. Sédimentologie du delta de Kerinitis

4.4. Associations de faciès

4.4.2. Association de faciès de foreset

• Description : Cette association est composée de trois faciès uniquement

conglomératiques : G1a, G1b et G1d (Tab. 4.5). Le faciès G1b, spécifique à cette association, est volumétriquement dominant. C’est l’association la moins diversifiée en terme de nombre de faciès et de diversité de structures sédimentaires.

Le pendage sédimentaire de l’ordre de 25° est l’élément qui caractérise avant tout cette association (Figs 4.21 et 4.22). La hauteur des foresets donne une indication sur la paléobathymétrie moyenne. Cette dernière peut atteindre des valeurs de 350 m.

Figure 4.21 : Association de faciès de foreset et position du log (Fig. 4.22) dans les foresets de SU7-SU8. La figure est localisée au niveau de «Fs» de la figure 4.6.b.

La stratification (Fig. 4.21) bien visible à toutes les échelles est bien mieux marquée que dans l’association de faciès de topset. Elle est soulignée, soit par des horizons de texture «open-framework» (Fig. 4.23), soit par des horizons de clastes d’une classe granulométrique supérieure à la moyenne du faciès, soit par des horizons à clastes mieux triés (Fig. 4.22).

La texture «open-framework», correspondant à une situation où les clastes sont jointifs avec une quasi-absence de matrice, est très commune dans les bancs de foresets (Hwang & Chough, 1990 ; Massari & Parea, 1990 ; Rohais et al., 2008).

Figure 4.22 : Log de référence de l’association de faciès de foreset. Le pendage sédimentaire est de l’ordre de 25°. Ces derniers sont inclinés tels que sur l’affleurement, mais le log a été levé orthogonalement aux limites de bancs, afin d’avoir les épaisseurs réelles.

Dans SU7-8, les bancs de foreset présentent des bases localement chenalisées. Certains bancs peuvent être slumpés (SU6, Fig. 5.14.b). Une structure de type «backset bedding» a été identifiée en falaise dans SU9 (zone 3 de la coupe, Figs 4.2.a et 5.19). La structure a une longueur d’environ 150 m pour une épaisseur vraie (orthogonale aux couches) d’environ 30 m. Elle consiste en des bancs de foreset dont le pendage apparent se fait vers le NE en partie inférieure de structure. Cette valeur diminue vers le haut, pour présenter un pendage vers le SO dans la partie supérieure. Ce pendage apparent vers le SO, augmente vers le sommet de la structure. Les bancs de foresets viennent en onlap sur une surface basale.

Cette surface devient sub-horizontale vers le NE. L’épaisseur des bancs de cette structure augmente en direction de cette surface.

Localement, les foresets de SU7 qui viennent en «downlap» sur KSS5 (début de la zone 3 de la coupe, à l’endroit où KSS5 présente un profil en «marche d’escalier», Fig. 5.8) contiennent un méga-claste constitué de l’association de faciès de prodelta (cf. § 4.4.4).

Figure 4.23 : Texture «open-framework» dans l’association de faciès de foreset de SU8 en zone 2E (Fig. 5.3.b).

Ce méga-claste (2 m de hauteur pour 4 m de longueur environ) est identifiable dans les bancs de foresets par sa lithologie et par le fait que les foresets se trouvant au-dessus, viennent en downlap sur son sommet.

De nombreuses mesures (103) de directions de progradation, majoritairement prises sur la coupe naturelle, orientée SO-NE (Fig. 4.3), indiquent une direction moyenne de N042°E avec un pendage moyen de 25° (Fig. 4.2.b). La direction de progradation moyenne vers le NE représente en réalité une valeur biaisée par les caractéristiques de l’affleurement.

• Interprétation en terme de processus et d’environnement de dépôt (Tab. 4.5) : Les bases chenalisées sont dues à des changements de directions de progradation des bancs de foresets.

La structure en «backset bedding», visible dans SU9, se met en place pendant que les sédiments sont encore non consolidés. Les variations de pendage des strates qui forment le «backset» en témoignent. La mise en place de cette structure pourrait se faire en une seule étape : les foresets déposés glissent le long de la surface basale. Les foresets qui se mettent en place par la suite, présentant localement des géométries en «downlap», scellent la structure. Néanmoins, l’épaississement des strates de foreset vers la surface basale (Fig. 5.19) suggère que le glissement n’a pas été un évènement instantané, mais qu’il ait pu avoir été enregistré par la sédimentation (glissement progressif). Dart et al. (1994) décrivent et qualifient cette structure de «rollover anticline» Cependant, aucune faille ne limite cette structure permettant d’attribuer une origine tectonique à cette déformation syn-sédimentaire. Ori et al. (1991) suggèrent que cette structure représente un remplissage de niche de décollement.

Pourtant, les auteurs proposent une mise en place de cette structure par une migration vers l’amont de surfaces de glissement. La mise en place de ce type de structure peut être causée par des secousses sismiques (Uličný, 2001, Ori et al., 1991). Uličný (2001) propose que ce genre de structure résulte, soit d’un phénomène de charge dû au poids lié à l’accumulation des foresets («slope failure»), soit induit par des phénomènes de liquéfaction. Nemec (1990a) interprète le «backset bedding» comme un ressaut hydraulique qui se développe quand le flot de sédiments rencontre un obstacle tel qu’un «flow» dans la pente («frozen debris-flow»). Les deux types d’instabilités gravitaires que sont les slumps et les «backset bedding» ont été largement identifiés au niveau du front de divers types de deltas (Dingle, 1977 ; Massari & Parea, 1990 ; Nemec, 1990a ; Ori et al., 1991 ; Dart et al., 1994 ; Massari, 1996 ; Uličný, 2001 ; McConnico & Basset, 2007 ; Longhitano, 2008).

La pente prononcée, qui correspond à un pendage sédimentaire dans le cas du delta de Kerinitis, provient des avalanches sous-marines de sédiments (Colella, 1988b). Une fois que la pente est créée, les phénomènes d’avalanche qui se succèdent ont tendance à entretenir cette pente.

Les bancs de foresets sont de texture clast-support et pauvres en matrice. Cette texture peut être expliquée de deux façons différentes qui ne sont pas indépendantes :

(1) l’apport sédimentaire de la rivière Kerinitis est très riche en fraction grossière par rapport à la fraction fine,

et/ou

(2) il s’opère un tri granulométrique au niveau de l’embouchure de la rivière entre la fraction grossière et la fraction fine (cf. § 3.4). La fraction grossière (essentiellement des sables et graviers) nourrit les foresets, et la fraction fine (silts et argiles) va alimenter les bancs de prodelta. Les bancs de bottomsets, ayant par définition une position intermédiaire entre foreset et prodelta, recueillent un mélange entre

conglomérat et arénite.

Bien que les bancs de foreset soient dominés par les conglomérats, localement peuvent apparaître des horizons formés d’une très faible fraction arénitique montrant des variations dans l’apport sédimentaire et/ou la compétence du courant. La nature de l’apport sédimentaire est un facteur prépondérant, quel que soit le cas de figure distingué ci-dessus.

A partir de l’étude des séries pliocènes (bassin de Crati, mer Ionienne, Italie) dans un contexte semblable au Golfe de Corinthe, Colella et al. (1987) proposent une explication semblable pour la formation de bancs de foresets de Gilbert-deltas dominés par des sédiments grossiers et très pauvres en argile. Ils proposent que la protection du bassin des courants (due à sa morphologie) empêche un mélange trop rapide des eaux afférentes et des eaux du bassin. La protection du bassin, ainsi que la quasi absence de marées, évitent l’arrivée de sédiments fins d’origine marine.

Suivant le niveau d’eau de la rivière Kerinitis, l’alimentation des bancs de foresets peut se faire de deux façons :

(1) Pendant les périodes de crue, l’hydrodynamisme est fort et la charge sédimentaire de la rivière est importante. Dans ce cas, les sédiments grossiers constituant la charge de fond de la rivière passent directement des topsets aux foresets. Les processus de «bed-load gravity sliding» peuvent s’opérer jusqu’à la base des foresets, inhibant la formation des bottomsets tangentiels (Colella et al., 1987). Ceci montre qu’un courant continu depuis les topsets vers les foresets peut exister pendant les périodes de crue (Orton & Reading, 1993).

(2) Pendant les périodes d’étiage, l’hydrodynamisme de la rivière n’étant pas suffisant, le cours d’eau aurait tendance à accumuler des sédiments au niveau de la rupture de pente. L’accumulation, en augmentant, deviendrait instable et provoquerait un glissement gravitaire, alimentant les foresets. Il y aurait donc un découplage entre l’apport fluviatile et le nourrissage des foresets.

Dans leur description des panaches hyperpycnaux, Mulder & Syvitski (1995) proposent deux origines possibles qui correspondent à ce qui est proposé pour le delta de Kerinitis :

- la rivière en crue entrant dans le bassin marin formerait un panache hyperpycnal car sa concentration serait plus élevée que celle de l’eau de mer du bassin de réception,

- les phénomènes d’accumulation sédimentaire, suivie de rupture au niveau du front du delta, généreraient des panaches hyperpycnaux sous des conditions de fort apport sédimentaire. Pour le delta de Kerinitis, la plus grande part de l’alimentation des foresets doit se faire par glissements gravitaires. Le phénomène de crue n’est responsable que d’une faible partie de l’alimentation sédimentaire car c’est un phénomène épisodique.

En résumé, l’association de faciès de foreset est dominée par des processus gravitaires. Plus précisément, ce sont des phénomènes d’avalanches subaquatiques d’origine gravitaire qui entretiennent et qui sont entretenus par la pente du front du delta. Le front du delta est caractérisé par des bancs de foresets qui présentent un pendage sédimentaire important, dont la valeur est proche de la valeur de stabilité des conglomérats.