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Efficacité productive : concept et mesure

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 164-168)

Efficacité macroéconomique de la substitution d’une taxe carbone à des prélèvements obligatoires sur le travail

1 Efficacité productive : concept et mesure

Chapitre 5

Efficacité macroéconomique de la substitution d’une taxe carbone à des prélèvements obligatoires sur le travail

Dans  ce chapitre et les suivants,  nous  reprenons l’analyse des  débats  et  controverses  scientifiques entamée au premier chapitre, en l’appuyant désormais sur des exercices numériques. 

Un premier jeu de résultats nourrit l’analyse des mécanismes macroéconomiques ; il sert à cerner  dans quelles conditions de fonctionnement de l’économie l’effet d’une fiscalité carbone sur le niveau  d’activité en France sera positif ou négatif, ceci sans considération des questions de distribution des  revenus. Pour éviter de compliquer cette étude avec les débats sur l’état du monde en 2020 ou 2030,  nous  procédons  dans un premier temps, par « rétrospective  contrefactuelle », c’est‐à‐dire  en  envisageant quelle aurait été l’économie française en 2004 si, une vingtaine d’années auparavant,  une taxe carbone avait été adoptée de façon unilatérale et sans aucun ajustement aux frontières,  comme cela avait été envisagé lors des premiers travaux de la Mission Interministérielle de l’Effet de  Serre1. Dans les chapitres suivant, nous comparerons les effets macroéconomiques de modalités  différentes de mise en œuvre (chapitre 6), puis nous analyserons les conséquences de la réforme sur  la pauvreté et les inégalités (chapitre 7). Nous achèverons cet examen par un éclairage prospectif,  conduit à l’horizon 2020, en tenant compte d’une conjoncture différente, marquée par les effets  d’un vieillissement démographique avancé et de tensions énergétiques accrues (chapitre 8). 

Ce chapitre positionne notre analyse par rapport à la controverse du « double dividende au  sens fort »2. Nous considérons une taxe carbone appliquée à tous et recyclée selon les modalités qui  sont privilégiées dans la littérature : la baisse des cotisations sociales. Après avoir précisé la notion de  coût économique retenue et rappelé les principaux déterminants des effets induits dans le modèle  (section 1), nous proposons une première analyse formelle, à partir d’un modèle simplifié, des liens  de dépendance entre les hypothèses de second rang faites sur le fonctionnement de l’économie et le  jugement normatif sur la possibilité (ou l’impossibilité) d’un double dividende (section 2). Nous  donnons ensuite une illustration numérique d’une situation vertueuse, simulée à l’aide du modèle  IMACLIM‐S.2.4 avant d’étudier la sensibilité des résultats aux principaux points d'incertitude sur les  conséquences induites dans l’économie (section 3). Nous concluons en discutant les conditions  d’enclenchement d’un cercle vertueux et les raisons du scepticisme, des résistances et crispations  autour de l’idée d’une fiscalité carbone comme possible constituante d’une politique « sans regret ». 

1 Efficacité productive : concept et mesure

Un flou existe sur ce que l’on entend par « un gain net ». La littérature théorique se réfère à un  indicateur global de bien‐être social, souvent identifié au « surplus du consommateur », mais qui  correspond à une réalité qui peut être bien différente de celle que mesure les indicateurs mobilisés        

1 Rappelons que les premiers travaux d’évaluation furent conduits à cette époque sous l’impulsion de M. Yves Martin (cf.

Godard et Hourcade, 1990 ; Godard et Beaumais, 1993).

2 Cf. chapitre 1, paragraphe 2.2, page 24.

par les praticiens ou le grand public. Cette question du choix de l’indicateur n’est pas non plus réglée  dans la littérature empirique du double dividende, ce qui est plus gênant d’un point de vue purement  scientifique : cela explique en partie la difficulté de formuler une synthèse des résultats pertinente  pour la prise de décision (Fullerton et Gravelle, 1998). D’autant que les travaux publiés se distinguent  déjà par leur approche (théorique, appliquée), par les théories qu’ils mobilisent (modèles de second  rang variés, néoclassiques, keynésiens, etc.) et par les contextes d’application (caractéristiques  propres du pays, de la situation initiale). En préalable à l’analyse, il nous faut donc définir les  concepts dont nous partirons pour juger de l’efficacité macroéconomique de la réforme3

1.1 Le coût macroéconomique net

Nous avons vu au premier chapitre que les arguments et les travaux qui étudient l’introduction  d’un prix du carbone mobilisent l’une des notions de coûts suivantes : 

les  coûts  techniques  qui  désignent  les  coûts  directs  industriels  et  financiers  du  remplacement d'une technique fortement émettrice par  une technique produisant un  service équivalent mais qui génère moins d’émissions. Ces coûts sont calculés avec les outils  du  calcul  microéconomique  appliqué  aux  choix  d’investissement  (calcul  de  la  valeur  actualisée nette ou du taux de rendement interne de la technique sur son cycle de vie) ; 

les  coûts  économiques  sectoriels  qui  dépendent,  pour  chaque  secteur  de  l'activité  économique, de caractéristiques comme le taux d'utilisation des capacités de production, la  complémentarité  des  procédés,  la  diversité  des  contraintes  techniques,  des  réseaux  d’approvisionnement,  etc. Les analyses sectorielles mobilisent les outils de l’économie  industrielle ;  elles  sont  conduites  en  équilibre  partiel  et  ne rendent  pas compte  des  interactions entre les innovations sectorielles et le reste de l'économie4

les coûts macroéconomiques qui mesurent l'impact sur des indicateurs agrégés à l’échelle du  territoire national (PIB, emploi, balance commerciale, etc.) d'un ensemble de politiques de  réduction des émissions, qu'elles soient étendues à l'ensemble de l'économie ou restreintes  à certains secteurs ou agents. Les analyses des coûts macroéconomiques sont menées avec  les  modèles  macroéconométriques  ou  les  modèles  d’équilibre  général  calculable  qui  représentent le fonctionnement d’ensemble de l’économie. 

les coûts en bien‐être qui en théorie, offre une synthèse des pertes de consommation privée  et des pertes de consommation de services collectifs (biens publics). Ils ne sont  pas  nécessairement corrélés avec les coûts macroéconomiques : le PIB agrège de nombreux  éléments susceptibles d’influencer le bien‐être dans des sens qui peuvent être différents  (investissement,  consommation,  dépenses  publiques,  etc.) ;  il  ne rend pas  compte du        

3 Mais nous serons amenés à rediscuter et préciser les concepts de « gain » ou « perte » économique au fur et à mesure de l’analyse ; en particulier, au chapitre 6, lorsque nous constaterons que les dispositifs de fiscalité carbone peuvent modifier le partage du surplus économique entre consommation courante et désendettement (paragraphe 3.1, page 213) ; et au chapitre 7, lorsque nous introduirons les effets distributifs de la réforme entre classes de ménages, ainsi que les paramètres éthiques de la collectivité qui interviennent dans la détermination du « coût social » de la réforme (section 1, page 229 et 4, page 244).

4 Le modèle MARKAL est un bon exemple de modèle sectoriel pour l’énergie. Il sert à comparer les coûts d’un ensemble de mesures appliquées aux systèmes énergétiques (production et consommation) suivant divers scénarios d'activité décrits par un nombre limité de paramètres macro-économiques exogènes (taux de croissance total de l'économie, structure de l'industrie, etc.).

  caractère plus ou moins juste de leur répartition, ou encore, ne considère pas les dimensions  non marchandes associées à l’activité économique (l’atteinte à l’environnement, les risques  futurs  des  choix  présents,  la  qualité  des  services  et  la  satisfaction  que  procure  la  consommation, etc.). 

Même en supposant que l’on s’accorde sur la représentation des systèmes techniques et sur  les potentiels disponibles pour réduire les émissions (hypothèse héroïque)5, ceci n’empêche pas les  désaccords sur le fait qu’une politique apporte soit un bénéfice, soit un coût économique. Ces  désaccords reflètent souvent des divergences sur la notion du coût (ou du bénéfice) net de la  réforme. On peut par exemple défendre qu’un recours à une technique, rentable et peu émettrice,  aura un coût en bien‐être pour une société qui se caractérise par une forte aversion au risque (la  question du nucléaire) ; ou encore, que son usage apporterait un bénéfice macroéconomique  insuffisant pour compenser le coût d’opportunité associée au blocage du développement d’autres  filières (la question de la politique industrielle et des « emplois verts »). 

Puisque la littérature du double dividende s’est concentrée sur les effets indirects du recyclage  des recettes de la taxe carbone en baisse des cotisations sociales6, elle a mesuré le second dividende  économique, soit avec des indicateurs macroéconomiques d’activité (le PIB ou l’emploi)7, soit avec  des indicateurs de bien‐être qui incorporent un jeu d’hypothèses particulier sur la hiérarchie des  objectifs publics concurrents. 

Dans ce chapitre, notre objectif étant de discuter les conditions dans lesquelles une réforme  fiscale  carbone  peut  être  positive  ou  négative  pour  l’économie,  nous  souhaitons  isoler  les  considérations qui portent sur son fonctionnement des jugements de valeur à propos des objectifs. 

Par conséquent, en première analyse, nous identifierons la notion d’efficacité économique au  concept d’efficacité productive. Cette notion est certes moins synthétique qu’un indicateur de bien‐

être, mais elle est plus homogène dans son contenu : elle porte sur une réalité physique (activité de  production, emploi) alors que la notion de bien‐être repose sur une hiérarchie de valeurs. En outre,  cette hiérarchie n’est pas décidée avant le débat public et ne peut être prise comme donnée pour  notre analyse dont la finalité est justement d’accompagner la négociation collective. 

On cherchera donc à savoir si le projet peut apporter un bénéfice macroéconomique net à  moyen terme ; plus précisément, si l’effet conjoint de la taxation du carbone et de l’usage des  recettes est positif sur un indicateur d’activité productive agrégée (le PIB, l’emploi, etc.). Certes,  cette mesure dépend des hypothèses qui définissent notre horizon de moyen terme8, mais nous  associerons  aux  indicateurs d’activité  courante, des indicateurs  renvoyant à des phénomènes  d’accumulation qui auront des conséquences macroéconomiques à plus long (dépenses publiques,  investissement, endettement, etc.)9. D’autres indicateurs seront également introduits par la suite,  pour fournir une évaluation plus complète des performances d’un dispositif de réforme. Nous        

5 Cf. la controverse sur la représentation des systèmes techniques (Chapitre 2, paragraphe 2.1 page 54).

6 Cf. chapitre 1, paragraphe 2.2 page 22.

7 Cf. IPCC, 1995, paragraphe 9.2.2.1.3 pages 335-337.

8 Cf. chapitre 2, paragraphe 2.3 page 73.

9 Rappelons que dans l’ensemble de cette thèse nous négligeons les bénéfices macroéconomiques potentiel de l’atténuation des changements climatiques dans le futur. Nous ne rentrerons pas dans la controverse « Stern-Nordhaus » sur la valorisation économique de l’externalité climatique et la sensibilité de cette dernière au choix du taux de préférence sociale pour le présent.

proposerons certains pour préciser le « contenu » des états macroéconomiques (exportations,  consommation intérieure, niveau des salaires, etc.) ; et bien sûr d’autres, au chapitre 7, pour décrire  les conséquences distributives soumises aux jugements éthiques, incluses dans la notion de « coût  social » et prises en considération lors du choix collectif (inégalités, pauvreté, etc.). 

Nous nous distinguerons aussi de la notion de « coût brut », parfois utilisée dans les analyses  théoriques de premier rang, et qui désigne le coût d’une taxe redistribuée au moyen des transferts  forfaitaires idéaux, en rétrocédant à chaque agent économique le montant exact de taxe dont il s’est  acquitté (Chiroleu‐Assouline, 2001 ; Goulder, 1995). Ce procédé permet d’analyser les effets propres  de la taxe et de l’usage de ses recettes en respectant la cohérence du raisonnement en équilibre  général (toute valeur sert à un usage et les nouvelles recettes fiscales ne disparaissent pas). Dans un  monde de second rang où la vertu des transferts est perdue, il est impossible d’isoler l’effet de la  taxation du carbone de celui de la modalité d’usage des recettes. Puisque les transferts forfaitaires  ne sont pas neutres sur l’équilibre économique10, nous avons choisi de considérer les effets d’une  taxe dont le revenu n’est pas recyclé pour nourrir l’activité courante. Pour comparer différentes  modalités d’usage des recettes (chapitres 6 et 7), nous prendrons donc comme référence l’évaluation  d’une taxe dont  les recettes  ne  seraient pas réinjectées dans l’économie,  mais affectées au  désendettement, en supposant que ce dernier n’aura d’effet notable qu’à long terme11. Il s’agit d’une  référence naturelle pour les acteurs et qui a aussi le mérite, comme nous le verrons, d’éviter l’oubli  (constaté dans les débats) de l’effet de la propagation de la hausse des coûts de production lorsque  les systèmes productifs ne sont pas compensés. 

1.2 Des déterminants multiples

Rappelons brièvement que dans l’architecture IMACLIM‐S.2.4, l’introduction du dispositif  déclenche plusieurs effets simultanément ; l’évaluation du coût macroéconomique net n’est pas  triviale. La fiscalité carbone perturbe le système qui, en s’ajustant, déforme l’image comptable  (historique) de la France en 2004. L’effet d’ensemble de la réforme sur l’état macroéconomique à  moyen terme est alors déterminé par le jeu d’hypothèses suivant12 : 

La capacité des systèmes productifs à éviter l’impôt – par la baisse des consommations  d’énergie, par la substitution des produits énergétiques utilisés dans les processus de  production et par la transmission des hausses de coûts dans les prix – selon les hypothèses  sur les possibilités de changement technique et sur les contraintes sur les débouchés des  productions nationales ; 

La capacité des consommateurs à éviter l’impôt – par la baisse et la substitution de leurs  consommations  d’énergie étant  donné les  hypothèses qui  définissent leurs  potentiels 

      

10 Autrement dit, le procédé d’un recyclage forfaitaire - dans un monde de premier rang, neutre du point de vue de l’allocation et de l’usage des ressources - fournit un point de référence utile dans l’étude théorique de modalités alternatives ; mais cette utilité analytique ne se généralise pas dans des mondes de second rang où un système redistributif parfait de ce type ne renvoie à aucune politique plausible (cf. chapitre 2, paragraphes 1.1, page 42 et 2.2, page 59). Bien qu’on puisse imaginer tatônner numériquement pour définir ce système, nous n’irons pas contredire nos hypothèses de départ, ni la logique de notre démarche.

11 Cf. chapitre 6, paragraphe 1.1, page 198.

12 Cf. chapitre 3, Encart 3, page 98.

  techniques  et  l’évolution de leur comportement de consommation en réponse à une  variation des prix et des revenus ; 

l’effet de la réforme sur le partage de la valeur ajoutée et l’usage des facteurs de  production qui dépend en particulier des hypothèses sur la réaction des salaires. Nous  verrons que l’évolution du coût relatif du travail par rapport à celui de l’énergie et par suite  l’effet de la réforme sur l’emploi dépendent sensiblement de ces hypothèses ; 

l’effet de la réforme sur  la distribution  des  revenus  qui résulte  non seulement des  hypothèses qui déterminent le partage de la valeur ajoutée, mais également de celles qui  décident des opérations de redistribution opérées au travers du système fiscal et social, et  par le fonctionnement des marchés financiers ; 

l’effet de la réforme sur la compétitivité des productions françaises : le niveau de la  demande privée des ménages, de la demande publique et du solde des échanges extérieurs. 

Chacun de ces termes dépend directement des règles de gestion budgétaire, de l’évolution  du pouvoir d’achat des ménages et des termes de la concurrence avec les productions  étrangères (l’évolution de la compétitivité). 

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