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La première étude à avoir étudié l’effet d’un film stressant sur la structure du sommeil a été conduite par Baekeland et al. (1968). Le film stressant était un documentaire anthropologique sur un rite initiatique pratiqué par des aborigènes australiens durant lequel un jeune garçon reçoit une incision. Ce film a été présenté à un groupe de 6 participants. Les données étaient comparées à celles recueillies suite à un film neutre représentant un journal de voyage à Londres, présenté à un autre groupe de 6 participants. Le film stressant entrainait une augmentation du nombre de réveils durant les périodes de sommeil REM, et non pas durant les périodes de sommeil NREM, ainsi qu’une augmentation de la densité de REM. Toutefois, la validité de la séquence utilisée n’était pas évaluée dans cette étude ; de plus, les durées de ces vidéos ne sont pas communiquées. Dans une autre étude, Cluydts et Visser (1980) contrôlent l’efficacité de leurs séquences sur l’induction d’un état émotionnel à l’aide du Profil of Mood States (POMS). Ils utilisent ainsi 2 vidéos de 17 minutes : l’une, pour induire un état émotionnel négatif, représentant une opération chirurgicale de valvulotomie pratiquée chez un jeune garçon ; l’autre, comme condition de contrôle, représentant un documentaire sur le Venezuela. Une étude préliminaire a permis aux auteurs de mettre en évidence que la séquence négative entrainait une augmentation du score de tension-anxiété chez le participant ainsi qu’une baisse de la vigilance, alors que la séquence neutre, une diminution de score de Tension-anxiété et Dépression. Dans ce sens, la condition de contrôle peut être considérée comme partiellement « positive ». L’expérimentation principale, effectuée chez 10 participants, a permis de mettre en évidence une diminution de la vigilance ainsi qu’une augmentation de la fatigue avant le coucher suite au film négatif, comparativement au film contrôle. Une légère augmentation, non significative, du score de Tension-Anxiété est également rapportée. Durant la nuit, une augmentation du taux de stade NREM2 ainsi que du nombre de réveils, et une diminution du taux de NREM3 sont observées sur la totalité de la période de sommeil. Ces observations ne sont toutefois qu’en tendance durant les premières 180 minutes de la nuit. Les auteurs rapportent également des différences entre les sous-échelles du POMS et les paramètres de la nuit, montrant que la hausse du stade NREM2 est proportionnelle au score de Tension-Anxiété, ainsi que du temps passé en éveil durant la première partie de la nuit. Ces deux études, relativement anciennes, présentent des limites concernant le nombre de participants, amenant à une puissance statistique très faible.

La première étude conduite sur une population conséquente a été réalisée par

Talamini et al. (2013). Ils présentent à 32 participants deux extraits vidéo de 10 min avant le coucher : l’un est un extrait du film « la passion du Christ » et vise à induire un état émotionnel

négatif ; l’autre est un extrait de « la marche de l’empereur », en condition de contrôle. La présentation des séquences était espacée d’au minimum une semaine. Bien que l’extrait négatif ait entrainé effectivement un état émotionnel négatif, la condition de contrôle induisait un état plus positif ce qui, de manière similaire aux travaux effectués par Cluydts et Visser (1980), peut poser un problème quant à la validation de la comparaison. Suite au visionnage de l’extrait négatif, les auteurs rapportent une augmentation du taux de stade NREM3, et une altération du profil du stade REM. Ils notent également que la quantité de stades NREM3 est corrélée à l’atténuation de l’état émotionnel négatif induit au réveil. La seconde étude a été conduite par Werner et al. (2015b). Les auteurs ont utilisé deux films complets (environ 100 minutes chacun, l’un négatif l’autre neutre), mais ne rapportent pas de changement majeur de la structure du sommeil.

Enfin, à ce jour, une seule étude s’est intéressée à l’effet d’un film positif sur le sommeil. Menée par Kimata (2007), cette étude visait à évaluer l’impact du visionnage d’un film humoristique positif, comparativement à celui d’un film neutre, sur les réveils fréquents que connaissent les enfants atteints de dermatite atopique. Chez les enfants atteints par cette pathologie, les réveils nocturnes sont notamment dus à des taux élevés de ghréline. Le visionnage du film humoristique a permis de réduire le nombre de réveils de 90 % chez les enfants atteints, associé à une diminution des taux de ghréline salivaire. Toutefois, dans cette étude, la structure du sommeil n’a pas été étudiée dans le détail, c’est-à-dire, seul le nombre de réveils est rapporté.

L’ensemble de ces travaux met en avant l’impact d’un état émotionnel négatif préhypnique sur la structure du sommeil. Bien que les résultats soient divergents, probablement suite à la variété de procédures utilisées, les stades NREM3 et REM semblent particulièrement altérés par cet état. Ainsi, le stade NREM3 est impacté négativement par un état émotionnel préhypnique. Dans la mesure où il s’agit là d’un des stades de sommeil les plus profonds, il est possible de considérer que dans un environnement défavorable, la limitation de la profondeur du sommeil pourrait, d’un point de vue évolutif, refléter un mécanisme adaptatif majeur. Par ailleurs, l’augmentation de la densité de REM parfois rapportée pourrait être liée à l’intégration de l’information émotionnelle dans le contenu onirique. De ce fait, il est possible de considérer ces stades comme étant primordiaux pour l’intégration des informations négatives diurnes, nécessaires à l’adaptation future du comportement. Par ailleurs, les données concernant l’impact d’un état émotionnel positif sur le sommeil sont encore aujourd’hui sporadiques. Cependant, l’unique étude rapportée semble indicer le fait que des troubles du sommeil pourraient être amoindris par l’induction d’un état émotionnel positif.

3.3. Influence du sommeil sur les émotions

Il existe différentes procédures visant à mettre en évidence le rôle du sommeil dans les processus émotionnels. Ainsi, de nombreuses études ont mis en évidence l’impact d’une perte du sommeil sur la réactivité émotionnelle. Ces perturbations peuvent consister, soit en une privation totale de la période de sommeil, et seront alors utiles à l’étude du rôle du sommeil dans sa globalité, soit en une privation partielle, celles-ci visent la réduction de la durée d’un stade particulier, généralement le stade REM, et servent alors à l’étude du rôle spécifique de ce stade sur les processus émotionnels.

3.3.1. Privation totale de sommeil

La perte de sommeil peut influencer l’état émotionnel de l’individu. Cutler et Cohen (1979) étudient l’effet d’une privation de sommeil de 24 h sur des participants sains. Comparativement à des participants non privés de sommeil, la privation entrainait durant la période de veille consécutive une hausse de la tension-anxiété, de la confusion, de la dépression, et de la fatigue. Cet effet s’amplifie si le participant demeure éveillé sur une période de 24 h supplémentaire. Toutefois, au-delà de cette durée, l’effet se stabilise

(Mikulincer et al., 1989). Ainsi, l’état émotionnel au réveil peut être influencé par la nuit de sommeil. Une perte de sommeil expérimentale entraine alors un état plutôt négatif.

La privation totale de sommeil influence également la réactivité émotionnelle de l’individu. Suite à cette privation, les participants présentent une réactivité accrue face aux stimulations négatives, comparativement à des participants ayant eu une nuit de sommeil non perturbé (voir Gruber et Cassoff, 2014).

Franzen et al. (2009) montrent que les participants privés de sommeil présentent une augmentation du diamètre pupillaire face aux photographies de scène négative, alors que la réactivité pupillaire face à des photographies neutres ou positives restait inchangée. Ces augmentations de la

réactivité émotionnelle pourraient impliquer une suractivité de l’amygdale (Figure I.23), liée à une moindre inhibition d’origine préfrontale sur cette structure (Chuah et al., 2010; Yoo et al., 2007), entrainant de ce fait une difficulté à désengager l’attention envers ces stimulus (Chuah Figure I.23 : Activité au niveau de l’amygdale

suite à une stimulation négative.

Les personnes privées de sommeil (à droite) présentent une activation plus importante au niveau de l’amygdale, comparativement à des personnes ayant eu une nuit de sommeil non perturbée (à gauche). Issue de Yoo et al. (2007).

et al., 2010), ainsi qu’une impulsivité accrue envers les stimulations à caractère négatif

(Anderson et Platten, 2011). Par ailleurs, l’évaluation du contenu émotionnel d’une stimulation est également impactée par la privation de sommeil. En effet, Tempesta et al. (2010) proposent à des participants d’évaluer la valence d’images issues de l’IAPS, émotionnelles ou non, avant le coucher. Une partie des participants connaitra une nuit non perturbée alors que l’autre partie sera privée de sommeil. Le lendemain, concernant les stimulations émotionnelles, aucune variation n’a été observée. Toutefois, les participants privés de sommeil évaluaient plus négativement les images neutres que les participants contrôles. Cette surévaluation négative des stimulations neutres peut s’apparenter à une stratégie adaptative visant à caractériser une stimulation ambigüe comme étant négative (Gilbert, 1998) ; ce biais vers la négativité est par ailleurs une caractéristique de l’anxiété. La capacité à discriminer les expressions faciales émotionnelles est également touchée par la perte de sommeil. En effet, van der Helm et al. (2010) montrent que des personnes privées de sommeil évaluent moins fortement durant la période de veille consécutive les expressions de joie et de colère, sans variation pour les expressions de tristesse, comparativement à l’évaluation conduite après une nuit de sommeil non-perturbé chez les mêmes participants.

En résumé, une nuit sans sommeil impacte à la fois l’état émotionnel de l’individu, et sa faculté à interpréter le caractère émotionnel d’une information. Ce déficit d’interprétation pourrait traduire une baisse de la connectivité préfronto-amygdalienne. Toutefois, la privation totale de sommeil ne permet pas d’évaluer le rôle spécifique des différents stades sur les effets rapportés.

3.3.2. Privation partielle de sommeil

De manière à évaluer le rôle spécifique de chacun des stades de sommeil, différents auteurs ont soumis les participants à des privations partielles de la nuit de sommeil. Ces privations peuvent être regroupées en deux grandes catégories. D’une part, en réveillant le participant lors de l’apparition des premiers signes du stade d’intérêt, généralement le stade REM. D’autre part, les privations sur la moitié de la nuit permettent de diminuer la proportion de stades NREM3, en privant le participant de la première moitié de la nuit, ou la proportion de stade REM, en le privant de la seconde moitié.