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De manière générale, la diminution de l’évaluation subjective de l’intensité des expressions faciales émotionnelles est en accord avec les travaux précédents décrivant une diminution de la sensibilité aux stimulations émotionnelles suite à une période de sommeil

étude est la première à notre connaissance à mettre en évidence un impact de l’état émotionnel préhypnique sur ce phénomène d’« habituation émotionnelle », constaté au réveil. Le rôle du sommeil, et notamment celui du stade REM, dans la rééquilibration de la sensibilité à l’intensité des expressions faciales émotionnelles a été principalement mis en avant par Gujar et al. (2011). Suite à une courte période de sommeil, une baisse de la sensibilité face aux expressions faciales négatives (de peur et de colère) était observée, ainsi qu’une hausse face aux expressions positives (de joie). Cette observation était inexistante chez les participants ne présentant pas de de stade REM durant la période de sommeil, plaidant ainsi pour un rôle majeur du stade REM dans cette observation. Nos résultats sont partiellement en accord avec ces données, notamment avec la condition négative pour laquelle, après une période de sommeil, une baisse de la sensibilité aux expressions faciales de colère est observée.

L’une des explications plausibles de ce résultat impliquerait un meilleur codage mnésique des expressions faciales émotionnelles congruentes à la condition d’induction préhypnique. En effet, le sommeil, et particulièrement le stade REM, aurait un rôle dans deux processus mnésique : la consolidation (la facilitation de l’accès) et la dépotentialisation (la perte de l’aspect émotionnelle) du souvenir (Walker et Stickgold, 2006). Ces deux mécanismes ne sont pas nécessairement indépendants dans la mesure où une meilleure consolidation des informations entrainerait une diminution de l’aspect « nouveau » d’une stimulation lors de la réexposition à celle-ci, ce qui entrainerait une réduction de son évaluation, en d’autres termes, cela correspondrait à une véritable habituation émotionnelle.

Il n’est pas incohérent de proposer que l’habituation émotionnelle soit dépendante de l’état émotionnel de l’individu au coucher. Par exemple, dans un contexte émotionnel aversif, une habituation plus importante concernant les informations négatives pourrait constituer un facteur adaptatif certain, dans la mesure où elle permettrait de limiter les ressources nécessaires aux traitements de ces informations, lors d’une réexposition à celles-ci. Dans ce sens, l’augmentation du taux de stade REM suite à l’induction d’un état préhypnique négatif indicerait alors une habituation émotionnelle plus importante, mais également adaptée au contexte émotionnel. Cette proposition peut également être transposée à la condition positive, se traduisant également par une augmentation du taux de REM et une diminution de la sensibilité aux expressions de joie. Cette adaptation pourrait alors être impliquée dans la recalibration de la réactivité émotionnelle posthypnique constatée. Aussi, de manière à préserver une certaine homéostasie, il peut apparaitre avantageux de diminuer spécifiquement la sensibilité face à une valence, sans modifier les capacités de discrimination. En d’autres termes, l’un des rôles du sommeil pourrait être d’atténuer l’impact de certaines informations de l’environnement, notamment lorsqu’elles ont un haut niveau de saillance, telles les informations émotionnelles, tout en préservant ses capacités de discrimination.

Nos résultats contrastent avec ceux de Lara-Carrasco et al. (2009) décrivant une réduction de la sensibilité face à des images négatives, suite à une privation de stade REM. La cohérence entre ces travaux et nos résultats aurait exigé une augmentation, ou au moins une absence de variation de la sensibilité suite à cette privation. Toutefois, d’un point de vue méthodologique, deux facteurs sont à prendre en compte. Premièrement, nous avons utilisé des expressions faciales, là où Lara-Carrasco et al. (2009) ont utilisé des photographies de scènes négatives, ce qui pourrait entrainer un traitement différent de l’information émotionnelle. Deuxièmement, nos travaux sont effectués suivant une nuit de sommeil non perturbé, les différences de résultats sont donc à considérer également en fonction de la possible fatigue des participants.

L’un des atouts de notre étude est, pour la première fois à notre connaissance, l’évaluation les corrélats centraux des modifications de la sensibilité émotionnelle posthypnique. Ainsi, la baisse de sensibilité pour les expressions faciales congruentes à la condition d’induction émotionnelle préhypnique semble mettre en jeu les processus précoces du traitement de l’information visuelle, indicé par la modulation de l’amplitude de la P100.

Il est connu que l’activité amygdalienne est positivement corrélée à l’amplitude de la P100 (Rotshtein et al., 2010). De plus, il est également reconnu que l’amygdale joue un rôle dans le traitement des émotions de base, qu’elles soient positives ou négatives (Sander et al., 2003; Sergerie et al., 2008). Aussi, les travaux de van der Helm et al. (2011) ont montré que la quantité de stade REM était corrélée à une diminution de l’activité amygdalienne lors de la réexposition à des stimulations émotionnelles, et aurait donc un rôle dans la dépotentialisation des informations émotionnelles. Cette réduction de l’activité amygdalienne pourrait alors se répercuter, d’une part sur la sensibilité émotionnelle et, d’autre part, sur l’amplitude de la P100 liée au traitement de l’information.

Par ailleurs, l’absence de variation au niveau de la VPP pourrait indiquer que le traitement des visages n’est pas spécifiquement impacté par notre procédure. Toutefois, dans la mesure où le traitement visuel précoce l’est, nous pouvons supposer que ce phénomène ne serait pas dépendant du type de stimulations visuelles émotionnelles.

4.2.3. Conclusion

Cette étude met en évidence, pour la première fois à notre connaissance, une congruence entre l’état émotionnel préhypnique et la sensibilité émotionnelle posthypnique, au niveau comportementale et neurocognitif. Les présentes données plaident en faveur d’un rôle du sommeil dans l’intégration et l’adaptation, en fonction de l’état émotionnel préhypnique, de la réactivité émotionnelle posthypnique. Dès lors, sur la base de la littérature, il n’est pas incohérent de plaider un rôle du sommeil dans l’expression de cette congruence. Dans cette

perspective, nous avons proposé que le stade REM puisse participer à la mise en œuvre d’une véritable homéostasie émotionnelle, assurant des liens adaptatifs entre les phases diurnes et nocturnes. Une telle homéostasie serait mesurée par le biais de l’intégration mnésique des expériences émotionnelles en lien avec les nécessités environnementales. Ce mécanisme impliquerait une modulation de la réactivité amygdalienne, indicé par les modifications précoces des potentiels évoqués perceptifs.

Partie IV - Discussion générale,