• Aucun résultat trouvé

Les méthodes de chimie quantique permettent de représenter la nature et la réactivité des systèmes en phase gazeuse mais aussi en milieu solvaté. En chimie organique et dans les milieux biologiques, la quasi-totalité des réactions ont lieu en solution. Même si à l’heure actuelle, dans une démarche de chimie verte, les expérimentateurs cherchent à développer des réactions sans solvants, il faut admettre que celui-ci est souvent indispensable à la réaction. En effet, en plus de son rôle de support, selon sa nature il peut avoir un impact sur le contrôle cinétique et/ou thermodynamique de la réaction, voire même dans certains cas influer sur la nature du mécanisme réactionnel mis en jeu. D’où la nécessité de ne pas négliger les interactions molécule-solvant lors de la modélisation de ces systèmes. Dès lors, ces interactions ont une incidence sur les propriétés chimiques du composé étudié : l’énergie, la distribution de la charge électronique et les propriétés structurales de la molécule sont modifiées, parfois remettant en cause sa stabilité. Par conséquent, toutes les propriétés relatives à l’énergie, telles que les fréquences vibrationnelles ou les propriétés thermodynamiques, peuvent aussi être affectées.

Ces effets de solvant se distinguent de deux manières :113

✓ effets à courte portée : Ils sont essentiellement concentrés dans la « première sphère » de solvatation. Ils sont typiquement reliés aux interactions soluté-solvant telles que les liaisons hydrogènes, l’orientation préférentielle des molécules de solvant près d’un ion ou près d’un dipôle électrique.

✓ effets à longue portée : Ils sont reliés à l’écrantage des charges dû à la polarisation du solvant.

Pour évaluer ces effets, il existe deux grands types de modèles, qui varient selon le mode de considération du solvant :

✓ les modèles de solvatation explicite (pour les effets à courte et longue portée)

✓ les modèles de solvatation implicite (pour les effets à longue portée)

La première méthode va traiter directement le solvant, en appliquant par exemple à ses molécules le même niveau de théorie utilisé pour le soluté. Toutes les molécules de solvant capables d’interagir avec le soluté sont représentées explicitement, pour être assez proche de la réalité à condition que la méthode utilisée soit suffisamment avancée pour bien représenter les interactions molécule-molécule. Cependant on comprend que cette approche sera très coûteuse en temps de calcul car le nombre de molécules de solvant à considérer est grand (plusieurs centaines).

La seconde méthode, pour laquelle nous avons opté dans notre travail, traite le solvant comme un milieu continu polarisable (continuum) qui agit sur le soluté. Dans ce cas-ci les molécules de solvant ne seront pas représentées une à une. Même si cette méthode paraît moins précise et ne peut pas considérer les effets à courte-distance, elle reste relativement simple à mettre en place, relativement peu coûteuse en temps calcul et capable d’évaluer de façon satisfaisante les principaux effets de solvatation.

Une combinaison de ces deux méthodes est possible, où l’on traite la première sphère de solvatation de façon explicite et le reste par un modèle continuum. Dans les approches explicites dites hybrides, deux niveaux de théorie différents sont mélangés : la mécanique quantique (QM) pour les interactions soluté-solvant et la mécanique moléculaire (MM) pour les interactions solvant-solvant.

Généralités sur les modèles de solvatation par un continuum diélectrique Ces approches vont considérer le solvant comme un milieu polarisable uniforme, avec une constante diélectrique ε, dans lequel la molécule

est placée dans une cavité de forme adaptée (cf.

Figure 11).

De là, l’expression de l’énergie libre dite de solvatation ∆G𝐬𝐨𝐥, prenant en compte la variation de l’énergie libre pour modéliser une molécule passant du vide au solvant, s’écrit de la façon suivante :

Figure 11 : Modèle simplifié de solvatation par un continuum fixé par

∆𝐺𝒔𝒐𝒍= ∆𝐺𝒆𝒍𝒆𝒄+ ∆𝐺𝒄𝒂𝒗+ ∆𝐺𝒅𝒊𝒔𝒑 Éq. 89

avec :

✓ ∆G𝒆𝒍𝒆𝒄 , le terme associé à la polarisation entre le soluté et le solvant induisant la redistribution des charges (effet stabilisant)

✓ ∆G𝒄𝒂𝒗 , le terme associé au coût énergétique de la formation de la cavité dans le milieu (effet déstabilisant)

✓ ∆G𝒅𝒊𝒔𝒑 , le terme associé à la dispersion (principalement de van der Waals) entre le soluté et le solvant (effet stabilisant)

Ces approches utilisent notamment le concept de « champ de réaction » (reaction field). On parle de modèle « Self-Consistent Reaction Field » (SCRF) qui se traduit par « champ de réaction auto-cohérent ». En effet, pour décrire de façon correcte la redistribution de charge dans le milieu solvaté, il est nécessaire d’utiliser une méthode itérative à partir de la distribution de charge dans le vide.

Les diverses approches SCRF diffèrent dans la façon de décrire la cavité (forme, dimension), les contributions de dispersion, le solvant en tant que diélectrique, etc.

Différents modèles de solvatation Modèles de Born, Onsager et Kirkwood

Ces modèles découlent des équations de Poisson-Boltzmann. Pour pallier la difficulté de leurs résolutions numériques très couteuses et incompatibles pour certains types de calcul, il a fallu opter pour une résolution analytique en introduisant une cavité de forme simple. De ce fait, Born114, Onsager115 et Kirkwood116,117 ont proposé des modèles qui utilisent des cavités sphériques ou ellipsoïdales. Ces trois modèles se distinguent par le mode de représentation de la distribution de la charge au sein de la cavité. Mais ils ne tiennent pas toujours compte des effets de cavité et de dispersion.

Le premier modèle introduit par Born, utilise une cavité sphérique incluant une charge nette pour la molécule. Il a ensuite été généralisé en appliquant des charges atomiques partielles. Puis, les modèles d’Onsager et de Kirkwood se sont développés, l’un basé sur une

114 : M. Born Z. Physik 1945, 1, 45 – 48.

115 : L. Onsager J. Am. Chem. Soc. 1936, 58, 1486 – 1493.

116 : J. G. Kirkwood J. Chem. Phys. 1934, 2, 351 – 361.

cavité sphérique incluant un dipôle électrique et l’autre sur des cavités sphériques ou ellipsoïdales et des expansions multipolaires générales. L’avantage de ces modèles est que l’interaction électrostatique entre le soluté et le continuum peut être calculé analytiquement. Le choix du rayon de la cavité est important pour la précision. Il n’existe malheureusement aucun consensus sur le choix du rayon. Il peut être calculé à partir d’une surface d’isodensité obtenue à partir de la fonction d’onde moléculaire ou obtenue empiriquement à partir de la densité du solvant. Néanmoins, ces modèles simplistes n’offrent pas de bons résultats d’un point de vue qualitatif. Par ailleurs, ils ne sont pas suffisants pour décrire avec précision les interactions soluté-solvant même s’ils constituent un bon point de départ pour les autres méthodes.

Méthodes PCM (Polarizable Continuum Model)

D’autres modèles plus réalistes emploient des cavités de forme moléculaire construites par exemple en unissant des sphères centrées sur chaque atome. Le rayon de ces sphères équivaut à 1,2 fois le rayon de van der Waals, ce qui va définir la surface de van der Waals. On définit alors ce que l’on appelle la « surface accessible au solvant » (Solvent Accessible

Surface), comme la surface décrite par une sphère, dont le rayon est comparable à la

dimension d’une molécule de solvant, qui roule sur la surface de van der Waals. C’est sur ce modèle qu’a été établie l’approche PCM118,119,120,121,122 (Polarizable

Continuum Model), initialement introduite par Tomasi,

Pascual-Ahuir et leurs collaborateurs. Par la suite, ce modèle a été implémenté et développé par les chercheurs du programme de chimie quantique Gaussian, en collaboration avec les groupes de Tomasi, Barone et Mennucci. En plus d’une description réaliste de la cavité, la polarisation du solvant de constante diélectrique  est simplement

modélisée par une distribution de charge fictive à la frontière entre le solvant (continuum) et le soluté. Dans l’implémentation de la méthode, cette distribution de charge est représentée

118 : S. Miertus, E. Scrocco, J. Tomasi Chem. Phys. 1981, 55, 117 – 129.

119 : S. Miertus, J. Tomasi Chem. Phys. 1982, 65, 239 – 245.

120 : J. L. Pascual-Ahuir, E. Silla, I. Tuñón J. Comp. Chem. 1994, 15, 1127 – 1138.

121 : M. Cossi, V. Barone, R. Cammi, J. Tomasi Chem. Phys. Lett. 1996, 255, 327 – 335.

122 : E. Cances, B. Mennucci, J. Tomasi J. Chem. Phys. 1997, 107, 3032 – 3041.

Figure 12 : Représentation de la surface de la cavité dans le modèle

par des charges ponctuelles au centre des polygones (tesserae) qui constituent la cavité (cf.

Figure 12). Les interactions électrostatiques soluté-solvant sont ainsi calculées

numériquement de façon itérative. Ce premier modèle a conduit au développement d’autres modèles, comprenant une cavité incluant l’isosurface de la densité électronique totale calculée au niveau de théorie adopté (e.g. HF-SCF) : IPCM123 (Isodensity Polarized Continuum

Model) ou SCIPCM123 (Self-Consistent Isodensity Polarized Continuum Model). Une autre approche différente est le modèle COSMO124 (Conductor-like Screening Model), qui est aussi fondé sur une cavité de forme moléculaire mais avec un milieu environnant décrit par un conducteur. La distribution de la charge électrique à la surface de la cavité pour le milieu diélectrique, i.e. le solvant, peut être déduite facilement à partir de celle calculée pour le milieu conducteur. Le calcul des interactions électrostatiques pour cette méthode est plus approximatif.

On peut citer quelques limitations pour les méthodes PCM :

✓ la difficulté de modéliser les effets à courte-portée

✓ l’aspect dynamique des interactions soluté-solvant (liaisons H par exemple) sont négligées

Elles donnent cependant une bonne approximation des effets de solvants et permettent d’avoir une meilleure précision sur les grandeurs thermodynamiques et les géométries moléculaires.

Exploitation de la surface d’énergie potentielle (SEP) associée