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MATIERES ORGANIQUES

Encadré 3.5-3. Contribution des effets biogéophysiques à l’évolution du climat

3.7. Etat des connaissances sur les pratiques réputées « stockantes » en prairies permanentes

3.7.2. Effet des pratiques courantes

3.7.2.3. Effets du mode et de l’intensité d’exploitation de l’herbe

Les effets du pâturage (et partiellement de la fauche) sur le stock de C sous prairie passent par ses conséquences sur i) l’état du couvert (intensité de prélèvements, sélection, piétinement), ii) le retour de matière organique au sol via les restitutions animales et la litière végétale, et iii) la modification de la structure et la chimie du sol ainsi que de l’activité des enzymes et des communautés de micro-organismes du sol. La végétation des prairies pâturées présente une hauteur de végétation et une qualité nutritive plus variables (zones de refus) qu’en fauche. Cette variabilité dépend également de la sévérité du pâturage, de la fertilisation (minérale et organique) et des espèces végétales elles-mêmes (présence de légumineuses notamment) qui jouent sur l’alimentation du sol en biomasse végétale aérienne et racinaire et ne répondent pas de la même façon aux pratiques de gestion (Cruz et al., 2010 ; Zhou et al., 2017 ; Li et al., 2017).

Les animaux au pâturage ingèrent jusqu’à 60% de la production primaire aérienne des prairies. La part du carbone non-digestible (25-40% de la matière sèche ingérée) se retrouve dans les déjections animales, principalement les fèces (Soussana et Lemaire, 2014). Elle est retournée dans les bâtiments d’élevage ou au sol durant le pâturage et contribue à fertiliser ce dernier et à stimuler la production de biomasse végétale. Les systèmes d'élevage les plus productifs s'appuient sur un pâturage fréquent qui favorise la production d'organes végétaux jeunes, riches en protéines et pauvres en fibres, et sur le semis d'espèces fourragères hautement digestibles. L'ensemble aboutit à maximiser la digestibilité de l'herbe et à diminuer les retours de C au sol.

Dans le cas de prairies fauchées, environ 80% de la production primaire aérienne produite est récoltée et exportée pour la production de foin ou d'ensilage d'herbe. Une partie du C exporté peut retourner sur la prairie via un épandage de fumier ou de lisier (cf. section 3.8.5).

Les effets du pâturage et de la fauche sur le cycle du C en prairie incluent donc (cf. Soussana et Lemaire, 2014) : (i) le rôle de l'intensité et de la fréquence de défoliation qui joue sur la productivité et la digestibilité du couvert, affectant eux-mêmes les retours de C au sol via la litière végétale et les restitutions animales;

(ii) le rôle des restitutions animales qui, à un chargement modéré, peuvent favoriser le cycle des nutriments et augmenter la productivité primaire du couvert végétal, en particulier dans le cas de prairies implantées sur des sols pauvres en nutriments;

(iii) le rôle du piétinement des animaux qui réduit la surface foliaire du couvert et sa capacité à capturer du CO2

atmosphérique, et peut altérer à de forts chargements les propriétés physiques et hydrologiques des sols, mais également la faune du sol et de fait le stockage de C (Billota et al., 2007).

Plusieurs synthèses récentes se sont intéressées en particulier aux effets du pâturage sur le stockage de carbone en prairie (Pineiro et al., 2010 ; McSherry et Ritchie, 2013 ; Soussana et Lemaire, 2014 ; Lu et al., 2017 ; Zhou et al., 2017 ; Abdalla et al., 2018 ; Eze et al., 2018 ; Byrnes et al., 2018). L’intensité d’utilisation de l’herbe peut être approchée au travers du chargement animal à l’hectare ou du nombre annuel de journées de pâturage (exprimées en UGB.jours pâturées par hectare et par an), ainsi qu’au travers du nombre annuel de fauches et plus généralement du degré d’utilisation ou d’exploitation de l’herbe. C'est essentiellement l'effet de l'intensité du pâturage sur le stockage de C en prairie, au travers d'un gradient de chargement animal, qui est abordé dans la littérature analysée. En revanche, peu d’informations sont disponibles sur les effets comparatifs du type (continu, tournant etc., cf. Byrnes et al., 2018) et de la saison de pâturage, ainsi que sur les effets liés à l’espèce et à la race, ou encore à l’alimentation (concentrés et fourrages distribués en complément de l’herbe).

Ainsi, à de faibles intensités de pâturage, il semble que les animaux favorisent le cycle de l'azote dans le sol et la productivité primaire nette du couvert, conduisant à une augmentation du stockage de C (Zhou et al., 2017). En revanche, des intensités de pâturage plus élevées peuvent conduire à une diminution du stockage de C dans le sol. Plusieurs synthèses émettent l’hypothèse d’une relation non linéaire entre l’intensité de pâturage et le stockage

de C sous prairie, avec l’existence d’un optimum correspondant à une intensité faible à modérée du pâturage (Lemaire, 2012 ; Soussana et Lemaire, 2014 ; Chen et al., 2015 ; Soussana et al., 2014 ; Zou et al., 2015). Toutefois la nature de cette relation apparait notamment conditionnée par le type de climat et de sol (Abdalla et al., 2018 ; Eze et al., 2018) et demande à être confirmée.

La littérature rassemblée dans le cadre de l’étude a été analysée en faisant la distinction entre la méthode de mesure (« Flux C » vs « delta Stock C ») et les prairies uniquement pâturées et uniquement fauchées. Les résultats ont été regardés en séparant les données suivant le rendement (cf. la quantité d’herbe récoltée et/ou ingérée par les animaux) de la prairie (avec des classes < 2 t MS/ha/an ; de 2 à 5 t MS/ha/an, de 5 à 10 t MS/ha/an, et > 10 t MS/ha/an) (Figure 3.7-3).

Figure 3.7-3. Taux de stockage de C moyen des prairies permanentes estimé par la mesure de la variation du stock de C

du sol en surface (0-30 cm) (n=47) en fonction de la quantité d’herbe récoltée ou ingérée (t MS/ha/an) et du mode d'utilisation de l'herbe (fauche, pâturage) dans le cas d'un rendement faible (< 2 t MS ha-1 an-1, en bleu), modéré (2 à 5 t MS ha-1 an-1, en rouge), intense (5 à 10 t MS ha-1 an-1, en vert) ou élevé (> 10 t MS ha-1 an-1, en violet).

Le rendement pour le pâturage correspond aux quantités estimées d’herbe ingérées par le bétail, estimées en fonction du chargement animal (une unité gros bétail de 600kg) et de la durée de pâturage communiquée dans les références bibliographiques. En prenant un compte une profondeur du sol plus importante que celle utilisée pour la figure (0-60 cm au lieu de 0-30 cm), le taux de stockage de C moyen est respectivement de 0,11 ± 0,1, 0,38 ± 0,2, 0,30 ± 0,1 t C ha-1 an-1 et 0,36 ± 0,1 t C ha-1 an-1 pour les 4 niveaux de rendement : <2, de 2 à 5, 5 à 10 et >10 t MS ha-1 an-1.

Figure 3.7.4: Stockage annuel de carbone par ha et par an de prairies en fonction du degré et du mode d'utilisation

de l'herbe faible (0-0.5), modéré (0.5-0.8) et intense (0.8-1) pour la fauche (n=19) et le pâturage (n=46), toutes fertilisations confondues et pour l’horizon 0-30 cm.

L’analyse de la littérature mobilisée dans le cadre de l’étude semble ainsi confirmer que pour des niveaux d’utilisation de l’herbe équivalents, les prairies uniquement pâturées stockent a priori davantage de C que les prairies uniquement fauchées (Figures 3.7-3 et 3.7-4). Cela est vraisemblablement dû au fait que le pâturage exporte moins de C que la fauche et restitue en partie le C exporté via les déjections animales. Les résultats de notre analyse sont concordants avec les essais long-terme disponibles dans la littérature qui montrent que la prairie

pâturée stocke potentiellement plus de C que la prairie fauchée (Senapati et al., 2014 ; Koncz et al., 2017 ; Mestdagh et al., 2006). Néanmoins, les valeurs de stockage moyen de chacune des deux pratiques sont très proches (prairie uniquement pâturées 0,26 ± 0,08 t C ha-1 an-1 (n=53), prairies uniquement fauchées 0,23 ± 0,07 t C ha-1 an-1, (n=18)), ce qui explique les concordances dans la littérature. De même, pour les effets d’une gestion mixte (fauche + pâturage), qui sont moins clairs, certains travaux indiquant un niveau stockage de C intermédiaire (Mestdagh et al., 2006) ou inférieur (Soussana et al., 2010) à celui des prairies uniquement pâturées ou uniquement fauchées.

En complément, de quantité d’herbe récoltée et/ou ingérée par les animaux (rendement), le taux d’utilisation de l’herbe produite a été calculé comme le rapport entre le rendement et le potentiel de production de biomasse (Figure 3.7-4), lui–même estimé à partir des précipitations et de la température moyenne annuelles en utilisant le modèle Miami (d’après Grieser et al., 2006). Notons que le modèle utilisé (Miami), très simple, a tendance à sous-estimer la production potentielle des prairies dans certains cas.

D’après les données analysées, le stockage de C augmente avec le taux d’utilisation de l’herbe jusqu’à un seuil optimum au-delà duquel le stockage de C diminue (Figure 3.7-4). En prairies permanentes pâturées on observe cette augmentation jusqu’à un taux d’utilisation de 50 à 80% (ici modéré). Les prairies permanentes pâturées présentent en général un taux d’utilisation inférieur à celui des prairies fauchées (d’où l’absence d’un taux d’utilisation < 50% pour les prairies fauchées, Figure 3.7-4).

L’analyse de la réponse combinée (stockage de C, fertilisation N et taux d’utilisation de l’herbe, Figure 3.7-5) montre que l’utilisation de l’herbe est liée à l’apport d’azote : pour une même quantité de fertilisation apportée, le stockage de C semble augmenter avec le taux d’utilisation de l’herbe jusqu’à un seuil optimum au-delà duquel le stockage de C diminue. De la même façon, pour un taux d’utilisation de l’herbe donné, le stockage de C semble décroitre avec la fertilisation jusqu’à un seuil au-delà duquel il augmente. En outre, le taux de stockage de C moyen à l’optimum d’utilisation de l’herbe augmente avec la fertilisation N (Figure 3.7-5).

Figure. 3.7-5. Taux de stockage de C moyen en

fonction du taux d’utilisation de l’herbe (rapport entre la biomasse prélevée par la fauche et le pâturage sur

la biomasse produite, sans dimension) et de la fertilisation azotée minérale et organique apportée annuellement (kg N/ha/an) excluant les données avec

un taux d’utilisation de l’herbe < 0.1 (« rangeland »).

Le stockage de C est estimé par la méthode de la variation du stock de C du sol (« delta stock C »). La figure permet de visualiser les points disponibles et ceux qui correspondent aux prairies uniquement fauchées (points rouges) et uniquement pâturées (points bleus) ainsi que leur représentation en 3 dimensions (modèle de Lorentzian) tous modes de gestion confondus : n=57, R2=0,52, p<0,001.

Le choix du mode de pâturage (continu, tournant) est souvent lié aux conditions pédoclimatiques locales ainsi qu’au système de production (laitier, viande, bovin/ovin). L’analyse des données de l’étude montre que, à taux d’utilisation comparable, le mode de pâturage (continu, tournant) semble influencer le stockage de C dans le cas de prairies ayant reçu un engrais azoté, avec un stockage de l’ordre du double dans le cas d’un pâturage continu (données non montré). En revanche, dans le cas de prairies non-fertilisées, les niveaux de stockage semblent être équivalents entre les deux modes de pâturage. Une méta-analyse récente a au contraire mis en évidence les effets bénéfiques pour le stockage de C d’un pâturage tournant par rapport à un pâturage continu (Byrnes et al., 2018), avec toutefois un nombre d'études et d'observations limité pour sans doute bien distinguer les effets du climat et du mode de pâturage.

D’après les données recensées dans l’étude, les niveaux de stockage moyens semblent confirmer les conclusions de Byrnes et al., (2018) montrant un stockage plus faible dans le cas d’un pâturage continu (0,19 ± 0,08 t C ha-1 an-1, n=18) que dans le cas d’un pâturage tournant (0,47 ± 0,09 t C ha-1 an-1, n=30). Toutefois, l’utilisation

-0.6 -0.4 -0.2 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 0 100 200 300 0.0 0.2 0.4 0.6 0.8 1.0 S to c k a g e C (M g C /h a /a n ) Fertilisation (kg N /ha/an) Taux d'u tilis atio n

de l’herbe (rapport entre la biomasse prélevée au pâturage et la biomasse produite) semble avoir un effet, montrant un stockage plus favorable dans le cas d’un pâturage tournant avec un taux d’utilisation moyen entre 0,5 à 0,8 qu’avec un taux plus élevé (Figure 3.7-6).

Figure 3.7-6. Taux de stockage de C moyen en pâturage continu (n= 18) et tournant (n=25)

en fonction du taux d’utilisation de l’herbe pour tous les niveaux de fertilisation confondus.

Toutefois il y a peu d’observations disponibles pour analyser avec certitudes tous les facteurs en interaction (cf. aussi Byrnes et al., 2018). Il est important de noter qu’il existe une grande diversité de conduites de pâturage tournant et continu et qu’il est sans doute dangereux de les regrouper et de vouloir les opposer. En outre, ces deux modes de conduite sont souvent associés à des conditions pédoclimatiques et de végétation particulières qui interfèrent avec les effets du mode de pâturage sur le stockage de C.

Au-delà, l’intensification de l’utilisation des prairies, à travers une manipulation conjointe de la productivité et du chargement animal, conduit à des réponses complexes en termes d’impacts environnementaux : lorsque le degré d’intensification augmente, les impacts positifs comme un plus fort stockage de C sont progressivement contrebalancés par des impacts négatifs liés à une production excessive de différentes émissions azotées (NH3, N2O) (cf. Soussana et Lemaire, 2014). Il semble qu’un seuil d’intensification de la prairie puisse être déterminé au-dessus duquel une intensification supplémentaire se traduit par des risques environnementaux inacceptables et une diminution/aliénation des services écosystémiques rendus par la prairie (Lemaire, 2012 ; Soussana et Lemaire, 2014).

3.7.3. Conclusions

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