• Aucun résultat trouvé

MATIERES ORGANIQUES

Encadré 3.5-3. Contribution des effets biogéophysiques à l’évolution du climat

3.7. Etat des connaissances sur les pratiques réputées « stockantes » en prairies permanentes

3.8.1. Travail (ou non-travail) du sol et stockage du carbone Auteurs : Jean Roger-Estrade, Denis Angers, Claire Chenu, Bruno Mary

3.8.1.4. Effets de l’abandon du labour sur le stockage du carbone

Analyse critique de la littérature scientifique

Bien qu’il existe de très nombreuses publications qui ont comparé les stocks de carbone du sol en fonction des modalités de travail du sol, il reste des divergences importantes dans les résultats. Ces divergences résultent de la diversité des conditions dans lesquelles sont faits les essais (conditions climatiques, types de sol, modalités de travail du sol comparées) mais également des difficultés méthodologiques de mesure des stocks de carbone. Sur le plan méthodologique, on peut relever les problèmes suivants :

1. l’absence de mesure de la masse volumique ; 2. l’insuffisante profondeur de sol considérée ;

3. l’existence de variations dans la rotation des cultures entre traitements de travail du sol ; 4. le calcul du stock à profondeur constante et non à masse de sol équivalente ;

5. l’insuffisante durée de différentiation ;

6. l’absence de suivi dans le temps (incluant le temps 0).

Les méta-analyses récentes (Angers et Eriksen-Hamel, 2008 ; Luo et al., 2010 ; Virto et al., 2012 ; Meurer et al., 2018) ont tenté de surmonter les problèmes 1 à 5 en appliquant des critères de tri aux études publiées. Malgré cela, il subsiste une grande variabilité dans les résultats qui résulte sans doute de la variabilité spatiale des mesures. Il est remarquable de constater qu’aucune relation significative n’a été trouvée entre le stockage dans la couche 0-30 cm après l’abandon du labour et la durée de l’expérimentation, à l’exception de l’étude d’Angers et Eriksen-Hamel (2008) qui trouvent une relation faible, alors que c’est précisément une relation linéaire qui est attendue. Seules quelques études ont tenté une approche diachronique (suivi dans le temps) : leurs résultats montrent la difficulté d’isoler la variabilité temporelle de la variabilité spatiale et concluent à l’absence de stockage (Dimassi et al., 2014).

Effets du travail du sol sur les stocks et la répartition du carbone dans le profil

L’effet principal porte sur la partie supérieure du sol, entre 0 et 10 cm. Lorsque l’on compare le semis direct (NT) avec les itinéraires comprenant un travail intense (appelé HT dans l’étude d’Haddaway et al. 2017) ou un labour, la concentration en SOC dans l’horizon 0-10 cm est plus importante en NT. Cet effet se retrouve dans la quasi-totalité des études.

En dessous de 10-15 cm, la concentration en carbone organique du sol est équivalente ou plus faible en semis direct. L’étude d’Haddaway et al. (2017) ne montre pas d’effet significatif de l’arrêt du labour sur la teneur en C de la couche 15-30 cm, en raison d’une forte hétérogénéité des résultats. Par contre les études d’Angers et Eriksen-Hamel (2008, Figure 3.8.1-2) ou deLuo et al. (2010) montrent que la concentration entre 15 et 40 cm est plus faible en semis direct que lorsqu’on retourne le sol.

Lorsque l’on compare les systèmes avec travail du sol superficiel (différents du semis direct car comprenant une fragmentation sans retournement en surface sur une profondeur variable) aux systèmes avec labour, on retrouve après une durée suffisamment longue, une concentration plus élevée en surface (0-10 cm), comme précédemment (Luo et al., 2010). L’étude d’Haddaway et al. fait ressortir une concentration plus faible en carbone organique dans l’horizon 15-30 cm, la différence étant d’autant plus importante que la teneur d’origine en carbone est élevée.

Figure 3.8.1-2. Effet de la transition d’un système avec labour (FIT pour Full inversion Tillage) vers un système en non-labour

(NT pour No Tillage) sur la concentration en Carbone du sol à différentes profondeurs. (Angers et Eriksen-Hamel, 2008)

Enfin la comparaison entre systèmes avec travail superficiel et systèmes en semis direct montre une concentration plus élevée en carbone dans l’horizon 0-30 cm (l’écart étant toutefois en général plus faible qu’entre travail superficiel et labour) et pas de différence dans l’horizon 15-30 cm.

Dans la majorité des études, il n’y a plus de de différence de concentration entre types de travail du sol au-delà de 40 cm de profondeur.

En conclusion, la conversion d’un système avec labour (ou un travail profond énergique) vers un système reposant sur le semis direct strict entraîne toujours un enrichissement en carbone de la couche superficielle du sol (0-10 cm) et conduit le plus souvent à une diminution de la teneur en carbone de la couche sous-jacente (15-30 cm). Au total, la conversion d’un système avec labour vers un système reposant sur le semis direct conduit, selon les auteurs, à un maintien ou à une augmentation du stock de carbone dans l’horizon 0-30 cm

Les quatre méta-analyses les plus récentes donnent une valeur moyenne de stockage de +4,9 tC/ha (Angers et Eriksen-Hamel, 2008), -0,2 tC/ha (Luo et al., 2010), +3,4 tC/ha (Virto et al., 2012, ou 1,74 tC/ha si l’on retire une valeur peu fiable de la base de données de cet article) et +4,2 tC/ha (Meurer et al., 2018, mais cette analyse comprend des prélèvements sur 0-15 cm également). Compte tenu de la durée moyenne des études, la vitesse moyenne de stockage est respectivement de 0,30 (± 0.43), -0,02 (± 0.18), +0,11 (± 0.90) et +0,24 (± 0.11) tC/ha/an. Ces valeurs sont très inférieures à l’estimation de West et Post (2002) : 0,57 tC/ha/an, mais proches de la valeur avancée par Arrouays et al., 2002 : 0,20 ± 0,13 tC/ha/an. La méta-analyse deLuo et al (2010) est la seule qui ait considéré une profondeur de calcul égale ou supérieure à 40 cm.

Dès que le sol est travaillé superficiellement, l’écart diminue. La différence calculée par Meurer et al. (2018) entre systèmes de travail du sol d’intensité intermédiaire et système avec labour est de 3,2 ± 1,5 tC/ha dans l’horizon 0-30 cm. En revanche, la conversion du travail superficiel au semis direct n’entraîne pas d’augmentation significative du stock de carbone de l’horizon 0-30 cm et a fortiori de l’ensemble du profil. Enfin, lorsque l’ensemble du profil de sol est considéré (0-150 cm) on n’observe pas d’accroissement du stock de carbone en supprimant le labour. Il faut toutefois noter que le nombre d’études portant sur la totalité du profil est très faible.

Effet du climat sur le stockage de carbone en non-labour

La méta-analyse d’Haddaway et al. (2017), comme les méta-analyses antérieures (Angers et Eriksen-Hamel, 2008; Luo et al., 2010 ; Virto et al., 2012), ne fait pas ressortir d’effet significatif du climat sur la différence de stockage entre semis direct et labour ; tout juste fait-elle apparaître un effet de la latitude, mais qu’il est difficile d’interpréter comme un effet du climat. Pourtant plusieurs études ont constaté une augmentation du stockage additionnel en climat sec en semis direct et, à l’inverse pas de différence voire une concentration plus faible en profondeur sous

NT en climat humide. Ainsi, Janzen et al. (1998) montrent une accumulation plus importante de carbone en semis direct dans le sol en climat semi-aride froid du centre du Canada (Prairies arides). Vandenbygaart et al. (2002) montrent qu’après 15 ans de NT on observe une concentration plus faible en carbone dans la plupart des sites observés (76%) par rapport au traitement labouré dans une région de l’Ontario au climat humide. Ces résultats sont confirmés par des observations en climat sec du Sud de l’Europe (Álvaro-Fuentes et al., 2008) où l’on observe une plus forte accumulation de carbone en NT. Ils sont aussi confirmés par l’analyse diachronique de Boigneville, sur une période de 40 ans, qui montrent que le stockage additionnel en Nt se produit en année sèche et qu’un déstockage se produit en année humide, montrant ainsi la réversibilité du stockage (Dimassi et al., 2014; Figure 3.8.1-3). L’étude de Blanco-Moure et al. (20134) citée par Dimassi et al. (2014) nous permet d’estimer, pour les sites espagnols en climat semi-aride un taux de stockage additionnel de 0,23 t C/ha/an (moyenne de 3 sites sur 19 ans).

L’effet de la conversion au semis direct semble donc plus important en climat sec (semi-aride à aride). En climat tempéré humide de l’Est du Canada et de la Scandinavie, le stockage additionnel est très peu important (Angers et al., 1997 ; Singh et al., 2015). Ces conclusions sont confirmées en conditions du Nord de la France (Dimassi et al., 2013, 2014 ; Vitte et al., 2018), de la Belgique (Van den Putte et al., 2012 ; Hiel et al., 2018) et de la Suisse (Hermle et al, 2008).

Figure 3.8.1-3. Effet du climat sur le stockage relatif additionnel quand on passe du labour au non-labour

(NT = semis direct (no tillage) ; FIT = labour (full inversion tillage).

Conclusion

Le fait principal qui ressort de cette étude bibliographique est la très forte variabilité des estimations de variation de stock, suivant les études (e.g. Àlvarez et al. 1998; VandenBygaart et al. 2003; Gregorich et al. 2005; Liebig et al. 2005; Puget et Lal, 2005 ; Zinn et al. 2005). Plusieurs raisons expliquent cette variabilité. Parmi les principales, il y a les méthodes employées. L’épaisseur de sol considérée varie d’une étude à l’autre et toutes ne procèdent pas à une comparaison à masse de terre égale (Ellert et Bettany, 1995) ; les techniques de travail du sol regroupées sous le terme « non-labour » ne sont pas toujours définies de la même façon ; enfin, le stockage du carbone est un processus très « site dépendant » et la texture du sol (Campbell et al., 1996) ou le climat jouent sur la dynamique de stockage, même si les revues de Virto et al., (2012), de Luo et al. 2010, et d’Haddaway et al. (2017) ne mettent pas en évidence d’effet du climat ou de la texture sur le stockage. Cependant, plusieurs études ponctuelles de longue durée suggèrent un effet positif plus important sur le stockage additionnel en climat sec ou semi-aride qu’en climat froid et humide.

Certains auteurs (e.g. Virto et al., 2012) mettent en avant la quantité de carbone entrant dans le sol, différente entre labour et non-labour : dans certains cas, le rendement est plus élevé en non-labour, particulièrement en conditions sèches (e.g. So et al., 2009). Dans ce contexte en effet le stock d’eau est mieux préservé lorsque le labour n’est plus pratiqué. Cela peut expliquer le stockage plus important. Dans d’autres cas au contraire, le rendement est plus faible en non-labour (Wang et al., 2006). Les auteurs avancent alors que l’entrée dans le sol d’une quantité plus faible de carbone compense la diminution de la minéralisation liée à la non-fragmentation et au moindre

mélange entre la terre et les résidus en non-labour. Les déterminants biophysiques de la variabilité des taux de stockage de C additionnel restent donc pour partie inexpliqués.

3.8.1.5. Effets de l’abandon du labour sur les émissions de N2O et sur la réduction des émissions

Outline

Documents relatifs