• Aucun résultat trouvé

Revue bibliographique

2. R EVUE BIBLIOGRAPHIQUE

2.2. E FFET DE L ’ OXYGENE DISSOUS SUR L ’ OXYDATION ET LA CSC DES ACIERS INOXYDABLES

2.2.4. Effet de l’oxygène dissous sur la sensibilité à la CSC

2.2.4.1. Amorçage

Peu de travaux portant sur l’amorçage de fissures de CSC, en milieu primaire REP ou en milieu REB contenant de l’oxygène dissous, ont été publiés (Herbst et al., 2017 ; Huang et al., 2018 ; Huin et al., 2015). Deux tendances distinctes sont obtenues.

Tout d’abord, Huin et al ont réalisé des essais de traction lente en milieu primaire REP fortement hydrogéné ([H2] = 65 mL/kg H2O (TPN)) et aéré ([O2] = 10 ppm et 0,1 ppm), sur des éprouvettes prélevées dans des tôles laminées à chaud (Huin et al., 2015). La teneur en hydrogène dissous du premier milieu est trop importante pour que celui-ci puisse être considéré comme un milieu « nominal ». Néanmoins, les conclusions de cette étude sont supposées pouvoir s’appliquer au milieu nominal, car la teneur en hydrogène ne semble pas avoir une influence du premier ordre sur la cinétique d’oxydation entre 0 et 45 mL/kg H2O (TPN) (Terachi et al., 2008), ni sur la vitesse de propagation de fissures de CSC, entre 30 et 100 mL/kg H2O (TPN) (Raquet et al., 2005).

Les éprouvettes sont embouties en V, puis sollicitées en traction lente, avec des vitesses de déformation équivalentes au niveau du coude : entre 310-7 s-1 et 510-7 s-1. La dureté est de 180 HV0.1 dans les zones non embouties, de 350 à 380 HV0.1 près de la pointe du V, en peau interne, et de 260 HV0.1 à l’apex. Les valeurs de dureté mesurées dans la zones emboutie sont supérieures à la valeur seuil de 240 HV0.1 déterminée par Couvant pour l’amorçage de fissures de CSC dans les aciers inoxydables en milieu primaire nominal (Couvant, 2003).

En milieu primaire hydrogéné, après 2000 h d’essai, des fissures de CSC d’une profondeur de quelques dizaines de micromètres sont observées. Ces fissures, essentiellement intragranulaires, se sont formées au niveau de bandes de glissement. Des fissures intergranulaires sont également observées, au niveau de joints de grains perpendiculaires à la direction de traction lente et correspondant aux zones de plus fortes incompatibilités de déformation entre deux grains voisins. En milieu primaire aéré, les fissures de CSC observées sont plus profondes : avec 10 ppm de O2, des fissures intergranulaires avec une profondeur maximale proche du millimètre, sont observées après seulement 930 h d’essai. Avec 0,1 ppm de O2, les fissures sont intragranulaires, avec une profondeur maximale de l’ordre de 500 µm après 1150 h d’essai. L’augmentation de la teneur en oxygène dissous semble donc accélérer le processus de CSC, et modifier la localisation des fissures.

Des essais d’amorçage sur des éprouvettes RUB sont également réalisés en milieu primaire REP hydrogéné ([H2] = 64 cm3/kg H2O) et aéré ([O2] = 8 ppm) (Herbst et al., 2017). Dans cette étude, un milieu primaire dont les teneurs en oxygène et hydrogène dissous varient cycliquement est également testé : plusieurs cycles de 5 jours en milieu hydrogéné suivis de 2 jours en milieu aéré sont effectués. Comme pour l’étude de Xu et al en oxydation (Xu et al., 2015), ces variations peuvent représenter des transitoires oxygénés.

Plusieurs nuances d’aciers inoxydables, ainsi que différents états de surface sont testés : bruts d’électro-érosion, polis (finition SiC grade 1200), grenaillés, et rectifiés (finition SiC grade 24). L’effet de différents défauts de surface est également étudié : ces défauts sont des rayures de profondeur 0,05 mm, des défauts de soudage, et des inclusions de fer.

Après 5000h d’immersion en milieu hydrogéné, aucune trace d’amorçage n’est détectée quel que soit l’état de surface. Pour les essais avec transitoires oxygénés, après 5656 heures d’essai, aucune fissure de CSC n’a pu être détectée. En revanche, en milieu aéré, des amorces sont observées sur certains échantillons volontairement rayés (après 500h) et sur des échantillons grenaillés (après 1500h). Les fissures s’amorcent soit en intragranulaire, soit en intergranulaire, avant de se propager de manière intergranulaire.

Les résultats des études de Huin et al et Herbst et al suggèrent donc que la sensibilité à l’amorçage est plus importante en milieu primaire aéré qu’en milieu primaire nominal. La teneur en oxygène dissous semble également avoir un effet sur la nature des sites d’amorçage (intra- versus intergranulaires). Toutefois, la localisation des fissures, même en milieu primaire REP nominal, présente une forte hétérogénéité dans le cas d’éprouvettes embouties en V et testées en traction lente. Cette hétérogénéité pourrait résulter des hétérogénéités des champs mécaniques générés par cette méthodologie de prédéformation.

En revanche, l’étude de Huang et al (Huang et al., 2018), réalisée en milieu REB hydrogéné (16 mL/kg H2O (TPN) ou aéré (0,2 et 10 ppm d’oxygène dissous) donne un résultat opposé à celui des deux autres études. L’acier 316L est testé à l’état hypertrempé à l’aide d’essais de traction lente à 5x10-7 s-1 jusqu’à rupture, sur des éprouvettes sont polies miroir avec une finition à la pâte diamantée (0,25 µm), sans entaille ni coude. L’amorçage de fissures de CSC n’est pas observé sur les faciès de rupture des deux éprouvettes testées en milieu REB aéré (rupture ductile uniquement). En milieu hydrogéné, au contraire, il y a amorçage de fissures intergranulaires de CSC, qui se popagent en mode intragranulaire ; des fissures intergranulaires sont également observées sur les faces latérales de l’éprouvette. Dans le cas de ces essais, la sensibilité à l’amorçage semble donc être plus importante en milieu nominal qu’en milieu aéré, contrairement à ce qui peut être conclu des deux autres études.

En conclusion, la présence d’oxygène dissous a un effet du premier ordre sur la sensibilité à l’amorçage de fissures de CSC en milieu primaire REP et en milieu REB. En revanche, les trois études citées donnent lieu à deux tendances en apparence contradictoires : la sensibilité à l’amorçage peut être fortement augmentée ou diminuée par la présence d’oxygène dissous, par rapport à un milieu hydrogéné. Cependant, les études sont très différentes les unes des autres en termes de type d’essai, de prédéformation, et d’état de surface, ce qui rend la comparaison délicate. Etant donné l’absence de consensus sur cette question, il est justifié d’étudier l’effet de l’oxygène dissous sur l’amorçage en milieu primaire REP. Nous reviendrons plus en détail sur ce point au cours de la partie 6 de ce manuscrit.

2.2.4.2. Propagation

Un nombre plus important de travaux portent sur l’effet de l’oxygène dissous sur la vitesse de propagation de fissures de CSC, pour des aciers inoxydables non sensibilisés, à la fois en milieu REP (Arioka et al., 2007 ; Zhang et al., 2014 ; Zhu et al., 2018) et en eau pure, sous les conditions de température du REP (Du et al., 2015) ou du REB (Andresen et al., 2003 ; Andresen et al., 2005 ; Lu et al., 2008). Ces études montrent que la vitesse de propagation augmente d’au moins un ordre de grandeur entre un milieu hydrogéné et un milieu contenant quelques ppm d’oxygène dissous (Figure 44), voire quelques centaines de ppb d’oxygène dissous (Du et al., 2015). Entre un milieu désaéré (mais non hydrogéné) et oxygéné, l’écart sur la vitesse de propagation est moins important et varie plus largement selon les études (augmentation d’un facteur 2 pour Zhang et Wang, d’un ordre de grandeur pour Du et al).

Figure 44 Synthèse des vitesses de propagation en fonction de la limite d’élasticité pour des éprouvettes testées en milieu primaire nominal ou aéré oxygéné ou hydrogéné. D’après (Arioka et

al., 2007). Les résultats d’Andresen sont issus de (Andresen et al., 2003).

Il est clair que l’oxygène dissous a un effet accélérateur sur la vitesse de propagation des fissures de CSC. La plupart des auteurs supposent que cet effet accélérateur est relié à un changement de mécanisme d’oxydation en pointe de fissure (nature des oxydes formés, dissolution). Cependant, les oxydes ne sont dans l’ensemble, pas étudiés dans les études portant sur l’effet de l’oxygène dissous sur la propagation des fissures de CSC.

2.2.5. Synthèse

La présence d’oxygène dissous a pour effet d’augmenter significativement le potentiel de corrosion des aciers inoxydables, en milieu primaire REP comme en milieu REB (Tableau 2). MacDonald et al ont montré que le potentiel de corrosion présente deux « quasi-plateaux » (faible variation du potentiel) en fonction de la teneur en oxygène dissous (MacDonald et al., 1993). Avec peu ou pas d’oxygène dissous, le potentiel est faible (-0,6 +/- 0,1 V/ESH), tandis que des valeurs de potentiels beaucoup plus élevées (+/- 0,1 V/ESH) sont obtenues pour des teneurs en oxygène dissous de l’ordre du ppm. Entre ces deux plateaux, le potentiel augmente de façon extrêmement rapide avec la teneur en oxygène dissous, dès que l’on dépasse une valeur-seuil, qui varie entre quelques dizaines et quelques centaines de ppb, en fonction des caractéristiques de l’écoulement. Par conséquent, en présence d’oxygène dissous, le milieu primaire REP (ou REB) est soit de potentiel équivalent à celui obtenu en milieu nominal (de l’ordre de -0,6 V/ESH), soit à un potentiel bien plus élevé (de l’ordre de 0V/ESH). En, revanche, il est très peu probable que le potentiel soit à une valeur intermédiaire, quelles que soient les conditions d’essai.

Le potentiel de corrosion a un impact très important sur la nature des espèces thermodynamiquement stables formées dans ces conditions ; en particulier, Beverskog et al prévoient la dissolution du chrome sous haut potentiel (milieu aéré) (Beverskog et al., 1999). En milieu REB, la chimie du milieu (milieu oxygéné « NWC » ou hydrogéné « HWC ») a un effet sur la nature de la couche externe, avec de l’hématite formée en conditions les plus oxydantes, parfois associée à la magnétite et/ou la maghemite (Tableau 2). En revanche, il ne semble pas y avoir d’effet avéré sur la couche interne d’oxyde, sachant que dans la plupart des études, ni la nature ni la composition de cette couche ne sont finement caractérisées. En milieu REB toujours, lorsque les échantillons sont exposés alternativement aux conditions oxygénées et hydrogénées, la nature des oxydes de la couche externe correspond à celle du milieu de la dernière séquence d’oxydation. En d’autres termes, les modifications de nature de la couche externe entre les conditions HWC et NWC sont réversibles. Encore une fois, des analyses et observations complémentaires seraient nécessaires pour ce qui concerne la couche interne. On peut noter que, même si les teneurs en oxygène ou hydrogène dissous dans les milieux REB NWC et HWC ne sont pas très importantes (quelques centaines de ppb de chaque gaz), les potentiels de corrosion dans les deux types de milieux correspondent aux valeurs des « quasi-plateaux » présentés plus haut. En revanche, après deux expositions successives en conditions REB désaérées puis fortement oxygénées (ou inversement), les résultats de Kuang et al suggèrent que la nature des cristallites externes et la composition de la couche interne ne sont pas celles obtenues au cours de la seconde exposition, ce qui va à l’encontre de la « réversibilité » de la nature des couches qui semble être valable entre les conditions HWC et NWC (Kuang et al., 2012).

De même, en milieu primaire REP, plusieurs études montrent qu’une teneur en oxygène dissous de quelques ppm a un effet très important sur la nature des oxydes formés (Tableau 2), ainsi que leur morphologie. Comme en milieu REB, la couche externe est constituée de magnétite en conditions nominales (hydrogénées) et d’hématite, éventuellement associée à de la magnétite ou de la chromine, en conditions aérées. La couche interne est de structure spinelle dans les deux cas, mais sa composition en chrome diminue fortement en milieu aéré, ce qui pourrait diminuer fortement sa passivité. Enfin, la composition des oxydes formés n’est pas réversible lorsque la teneur en oxygène dissous est modifiée ; en particulier, la couche interne formée en milieu aéré, n’est plus transformée lors d’expositions ultérieures au milieu primaire nominal.

Les effets de l’oxygène dissous en milieu primaire sur la sensibilité à la CSC des aciers inoxydables sont clairs en ce qui concerne l’étape de propagation : la vitesse de propagation augmente fortement en présence d’oxygène dissous (un ordre de grandeur par rapport au milieu désaéré ou hydrogéné), pour les milieux REB comme REP. En revanche, l’effet sur l’amorçage ne fait pas l’objet d’un consensus ; les aciers sont beaucoup plus sensibles (Herbst et al., 2017 ; Huin et al., 2015) ou au contraire non sensibles (Huang et al., 2018) à l’amorçage en milieu primaire REP ou REB aéré, par rapport au milieu contenant de l’hydrogène dissous. Cette dispersion pourrait être liée aux différences de conditions d’essai (géométrie, état de surface, protocole de prédéformation) entre les études citées.

Des essais d’amorçage avec changements cycliques de la chimie du milieu, qui simulent des transitoires oxygénés, ont été commencés (Herbst et al., 2017), mais n’ont pas encore donné de résultats à ce jour.

Le faible nombre d’études en milieu primaire REP contenant de l’oxygène dissous, et plus encore des transitoires oxygénés en milieu primaire REP, justifie l’intérêt de cette étude. Après une présentation du matériau d’étude et des techniques utilisées, nous présenterons les résultats obtenus en CSC, puis en oxydation.

Tableau 2 Tableau de synthèse : potentiels de corrosion et propriétés des oxydes formés en milieu primaire REP et en milieu REB avec et sans oxygène dissous

Milieu Potentiel de

corrosion (V/ESH6) Couche externe Couche interne

REP nominal, [H2] = 2,2 - 3,1 ppm -0,85 à -0,5 Fe3O4 (Fe,Ni)(Fe,Cr)2O4 REP aéré, [O2] = 3 - 8 ppm -0,1 à + 0,1 α-Fe2O3 (Fe,Ni)(Fe,Cr)2O4, fortement appauvri en Cr par rapport au REP nominal REB NWC [H2] = 15 ppb [O2] = 200 ppb -0,2 à +0,1 Généralement α-Fe2O3 et γ-Fe2O3,

plusrarement NiFe2O4

(Fe,Cr)3O4

REB HWC [H2] < 500 ppb

0,5 à -0,45 Fe3O4 ou NiFe2O4 (Fe,Cr)3O4

Chapitre 3 :