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Chapitre 1 - Activités scientifiques et réseaux sociaux, la part des textes

3. Vers quelle sociologie se tourner ?

3.3. Dynamiques relationnelles à travers les textes

Le schéma suivant donne une présentation de la démarche que j’ai suivie pour comprendre les dynamiques relationnelles à travers l’activité de publication. Il s’agit d’une ébauche de schématisation que je soumets à la discussion et à la critique.

Figure 1 : Les textes comme opérateurs d’échelle39 des activités scientifiques : dynamiques relationnelles à travers les textes

discours actions objets

39 J’emprunte l’expression « opérateur d’échelle » à Michel Grossetti (2006)et je l’utilise dans un sens très proche du sien, à savoir que ce ne sont pas seulement des opérateurs méthodologiques mais aussi des opérateurs d’activité.

ARCHIVES (mémoire)

MANUSCRIT (en train de se faire)

PUBLICATION (exposition) DOCUMENT (support matériel) ENONCIATION (discours)

Normalisation /

standardisation/

évaluation

Organisation

collective

Aménagement de

collectifs socio-

cognitifs

Inscription dans une

« chaîne de parole »

CATEGORIES / STATUTS (stabilisés)

Dialogisme /

polyphonie

Cristallisation /

catégorisations

Niveau

micro

Niveau

macro

Niveau

méso

(équipes) (revues) (bases de données)

Le principe du cercle est de concevoir le texte dans plusieurs de ses configurations qui sont déterminées par le type d’activité relationnelle qui s’y déploie. Ainsi, le texte, selon la situation sociale qui se joue autour et par lui, est appréhendé parfois comme une action (un manuscrit en train de se faire ; une publication qui s’expose), parfois un objet (un document avec un support matériel ; une archive mémorisée), parfois un discours (des catégories et des statuts40 stabilisés ; une énonciation).

Le cercle est dynamique du fait d’un certain nombre de processus liés aux échanges engagés. Certains de ces processus sont des encastrements, d’autres sont des découplages (White 2011).

Les découplages sont des formes d’institutionalisation qui permettent de faire passer le texte d’un statut à un autre (discours à action, action à objet, etc.). Ils sont sous-tendus par une activité sociale particulière et une « institution » particulière. Ainsi, l’organisation collective permet de transformer le texte de simple énonciation (discours mais aussi inscriptions provisoires…) en un manuscrit (qui implique la rédaction). Derrière cette activité, se tiennent les équipes et les laboratoires. Par ailleurs, la normalisation et l’évaluation sont l’activité sociale qui transforme la publication (soumise) en un document (dont le contenu est figé). Cette activité est organisée par le système d’édition et de revues, derrières lesquelles se trouvent les disciplines dans leur dimension institutionnelle et thématique. Enfin, des activités de catégorisation, de cristallisation permettent un passage du texte comme archive (stocké, mémorisé) à un texte faisant état de catégories (contenus) et de statuts (d’auteurs, de références) stabilisés. Ces activités sont menées au travers d’institutions telles que les bases de données bibliographiques (mais aussi les bibliothèques, les catalogues d’indexation…).

Les encastrements sont les dynamiques relationnelles qui permettent un changement d’échelle pour le texte. Ils ne sont pas institués et sont, au contraire, constitués de séries de couplages et découplages (pris comme l’inverse du couplage). Ainsi, pour que le texte devienne un énoncé, il faut qu’aient été mobilisées des catégories et des statuts, mais évidemment pas tous et pas n’importe comment. Je propose ici les notions de dialogisme et polyphonie pour rendre compte de ce type d’encastrement, avec les idées, propres à ces concepts, d’altérité ou d’hétérogénéité. Pour le dire vite, c’est un encastrement qui a pour enjeu de coordonner des entités différentes pour une même opération. Un phénomène d’encastrement se produit également lorsque le manuscrit devient une publication qui s’expose. Le fait d’être soumis va engager, autour du texte et dans le texte, une manière de présenter les individus et les groupes. Enfin, il y a de nouveau encastrement quand le document passe de son statut de support matériel à celui de mémoire. Ici la dynamique relationnelle est liée à l’inscription dans une « chaîne de parole » (Ricoeur, 1986).

Ce cercle fonctionne donc par une succession d’encastrements et de découplages qui formalisent le texte et lui procurent son épaisseur sociale. Il permet de mettre en évidence des dynamiques relationnelles qui se produisent à deux niveaux : pour le texte et par le texte.

Je commencerai l’exposé de mes résultats par le niveau micro, partant du principe que « la vie sociale commence avec l’activation des identités, chacune d’entre elles étant encastrée dans une discipline de ses constituants, mais se découplant en cherchant le contrôle de ses liens » (White 2011 p. 123).

Le chapitre 2 est donc une analyse, à partir de l’étude empirique de cas de publications, de la façon dont des auteurs (avec certains statuts) deviennent des co-signataires à l’occasion d’une publication. J’y montre que l’altérité et l’hétérogénéité sont au fondement de la constitution de ce groupe éphémère et que celui-ci est le fruit d’une activité relationnelle importante. Il s’agit de voir aussi comment la réalisation de la publication est l’occasion de trouver sa place dans un groupe de signataires. Ce chapitre est essentiellement centré sur les auteurs et les co-auteurs et les dynamiques relationnelles autour du texte. Il serait tout à fait envisageable de compléter cette analyse par une analyse de la dynamique relationnelle dans le texte avec, par exemple, l’étude des références présentes dans le texte : comment ont-elles été sélectionnées, quelles hétérogénéités ont été favorisées41 ?

Le chapitre 3 traite globalement du mouvement qui va faire passer le texte du manuscrit au document. Comment se figent les textes ? J’aurais pu analyser les relations impliquées au cours du processus d’évaluation de la publication qui est au cœur de ce mouvement et poursuivre l’analyse de la dynamique relationnelle autour des textes42. J’ai opté ici pour une analyse qui s’intéresse à la dynamique relationnelle par les textes et je me suis servie des références pour la comprendre. Je rappelle dans ce chapitre que, derrières les références, il existe des relations, plus ou moins sociales et intellectuelles, et je montre à partir de l’étude de cas concrets que le texte est l’occasion d’actualiser ces relations, notamment par la constitution de collectifs visibles dans la publication. Par l’étude comparée des réseaux de références tels qu’ils apparaissent dans les textes, je tente de dégager ce qui peut rendre compte de leurs différentes configurations.

Le chapitre 4 s’intéresse au passage du statut de document à celui de catégories et statuts stabilisés. Comment le document contribue à pérenniser certaines catégories et certains statuts ? Pour traiter cette question, j’ai observé des dynamiques relationnelles dans les textes et des dynamiques relationnelles pour les textes. Concernant les premières, il s’agit de repérer dans quelle mesure et en quoi la parution du texte (et de son réseau de références) a transformé (ou, en tous cas, révèle une transformation de) l’univers de références (issu de la littérature scientifique)

41 J’ai, dans mon travail de thèse, largement présenté la question de l’encastrement des catégories et des statuts dans des discours, cf. Milard (2001).

dans lequel il se trouve. Je développerai ici une autre idée de la performance. Je termine par l’analyse d’un autre type de dynamique relationnelle, pour les textes, puisqu’il s’agit de comprendre comment les réseaux de cosignatures interviennent dans la constitution d’une carrière scientifique, comment les textes (dans leur dimension relationnelle) sont des appuis pour la transformation des contenus scientifiques et des trajectoires.