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Activités scientifiques, textes et réseaux sociaux. Dynamiques relationnelles à travers les citations, publications et bases de données de la recherche scientifique

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-02069420

https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-02069420

Submitted on 15 Mar 2019

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Activités scientifiques, textes et réseaux sociaux.

Dynamiques relationnelles à travers les citations,

publications et bases de données de la recherche

scientifique

Béatrice Milard

To cite this version:

Béatrice Milard. Activités scientifiques, textes et réseaux sociaux. Dynamiques relationnelles à travers les citations, publications et bases de données de la recherche scientifique. Sociologie. université toulouse jean jaurès, 2011. �tel-02069420�

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Mémoire

En vue de l’obtention de

L’HABILITATION À

DIRIGER

DES RECHERCHES

délivrée par l’Université de Toulouse 2 Discipline : SOCIOLOGIE

___________________________________________________________________

présentée et soutenue publiquement par

Béatrice Milard

Le 12 décembre 2011

Tome 1 : Activités scientifiques, textes et

réseaux sociaux

Dynamiques relationnelles à travers les citations,

publications et bases de données de la recherche scientifique

Référent : Michel Grossetti

JURY :

Franck Cochoy, professeur à l’université de Toulouse 2 (président)

Yves Gingras, professeur à l’université du Québec à Montréal (rapporteur)

Michel Grossetti, directeur de recherche au CNRS, université de Toulouse 2 (référent)

Emmanuel Lazega, professeur à l’université de Paris-Dauphine (rapporteur)

Dominique Vinck, professeur à l’université de Lausanne (rapporteur)

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Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier très sincèrement Michel Grossetti qui m’a encouragée et soutenue pour la réalisation de ce travail. Depuis de nombreuses années que nous collaborons, j’ai beaucoup appris à son contact, de la manière la plus plaisante qui soit, c'est-à-dire dans l’échange et la discussion (même quand nous ne sommes pas d’accord !).

Merci également à Franck Cochoy, Yves Gingras, Emmanuel Lazega et Dominique Vinck d’avoir accepté de faire partie de mon jury.

Merci aux personnes qui ont été à l’origine de mon congé pour recherches et de ma délégation au CNRS, sans lesquelles ce document aurait eu plus de mal à voir le jour.

Merci aux 32 chimistes que j’ai rencontrés, de leur accueil, de leur confiance.

Merci aux participants du séminaire Savoirs, Réseaux et Médiations pour les échanges fructueux que nous avons eus et aurons encore.

Merci aux membres de l’équipe Cers pour la bonne ambiance au laboratoire.

Merci à Émélie et Lucien d’avoir accepté (dans une certaine mesure quand même !) que je sois moins présente ces derniers mois et à Gilles d’avoir entrepris la relecture de ce mémoire avec le même courage et la même ténacité qu’il y a dix ans pour la thèse !

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« Je regarde le titre, les noms des auteurs… Je me dis : je connais, je connais pas, j’ai plein de chose en tête quand je vois un nom… » (Sonia, chimiste)

« La clé est de commencer par l’action sociale prise en son milieu et d’aller en élargissant » (H.C. White, 2004, p. 68)

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SOMMAIRE

Présentation de mon parcours d’enseignement et de recherche... 5

Chapitre 1 - Activités scientifiques et réseaux sociaux, la part des textes ... 19

1. Introduction ...19

1.1. L’activité scientifique dans tous ses états ...19

1.2. La publication, vraiment si impersonnelle ? ...21

2. Textes et activité scientifique : où sont les relations ? ...24

2.1. Quels écrits pour quelles activités scientifiques ?...24

2.2. Les relations sociales de la bibliométrie ...26

2.3. Des collectifs de pensée aux collèges invisibles ...29

2.4. Saisir les citations comme des collèges visibles ...32

3. Vers quelle sociologie se tourner ? ...35

3.1. Quand l’activité cognitive est vue comme instituante, collective, publique et relationnelle par les textes ...36

3.2. Une sociologie de l’activité sociale pour l’étude de l’activité de publication ...40

3.3. Dynamiques relationnelles à travers les textes...43

4. Méthodologie et présentation du terrain...47

4.1. Trois niveaux de recueil et trois types d’informations...47

4.2. Présentation des 32 articles étudiés...50

4.3. Présentation du laboratoire et des chimistes rencontrés...51

Chapitre 2 - Quelle organisation collective pour le manuscrit ? ... 59

1. Trouver sa place dans le groupe des signataires : entre stratification et spécialisation des relations ...61

1.1. Une histoire d’étoile (filante, montante…) ...61

1.2. Les (futurs) doctorants rythment l’activité de publication ...65

1.3. Des techniciens visibles, des techniciens invisibles et des chercheurs-techniciens ...67

1.4. Les post-doctorants : pas encore et déjà des collègues ...70

1.5. Les relations horizontales dans la division du travail ...71

1.6. Mobilités et transformations des groupes de signataires...72

2. Activer des liens pour la rédaction. La formation d’une équipe de signataires ...75

2.1. Des étudiants qu’il faut attirer, intéresser, impliquer ...75

2.2. Des (bonnes) relations avec les techniciens et ingénieurs (disponibles)...78

2.3. Les cosignatures interdisciplinaires : beaucoup de relations interpersonnelles ...79

Chapitre 3 : La constitution de réseaux de références... 91

1. Quelle sociabilité scientifique derrière les références ? ...91

1.1. Liens sociaux ou liens intellectuels ? ...94

1.2. Du repérage lié à l’accessibilité des auteurs...99

1.3. Des relations pas tout à fait homophiles et toujours un peu hétérophiles ...101

1.4. Forces et faiblesses des liens cités...104

2. Des réseaux de références opportuns ...113

2.1. Un contexte offensif ...114

2.2. Un contexte programmatique ...116

2.3. Un contexte historique ...118

3. Réseaux de références et formes d’activité scientifique ...120

3.1. Isolats, groupes et liens dans les graphes : quelles réalités sociales ?...121

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Chapitre 4 : Dynamiques sociales de la littérature scientifique ... 137

1. Des réseaux de références dans des univers de références : vers une autre définition de la performance ... 139

1.1. La performance de Roger (2004) ... 139

1.1.1 Les objectifs de Roger à travers le réseau de références... 140

1.1.2 …qui trouvent un écho dans la littérature... 142

1.2. Différents types d’univers de références et de performances ... 145

1.2.1 Resserrement des liens entre plusieurs collectifs... 146

1.2.2 Evolution de la centralité des groupes ... 149

1.2.3 La fin d’une thématique ou la disparition d’un univers de références... 153

2. Les trajectoires de cosignatures ou comment la publication est un événement dans une carrière ... 156

2.1. Le cas de Roger (2004) ... 156

2.1.1 Une trajectoire thématique et une trajectoire relationnelle ... 157

2.1.2 …qui s’organisent en périodes d’activité et d’entourage... 158

2.2. Les trajectoires relationnelles à travers les publications : l’émergence de nouvelles « identités » ... 161

2.2.1 L’entrée dans la carrière et dans l’équipe ... 162

2.2.2 Différentes façons de devenir chef... 162

2.2.3 Les formes d’émancipation... 164

2.2.4 Les ruptures (ou déprises) ... 166

Conclusion générale et perspectives ... 171

BIBLIOGRAPHIE... 176

ANNEXES ... 188

ANNEXE 1: structures formelles des réseaux de références... 189

ANNEXE 2 : réseaux de références qualifiés... 194

ANNEXE 3 : tableau des calculs pour la typologie... 210

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P

RESENTATION DE MON PARCOURS D

ENSEIGNEMENT ET DE

RECHERCHE

Après avoir soutenu ma thèse de sociologie en décembre 2001, j’ai été recrutée en 2002 comme maître de conférences au département de sociologie de l’université Toulouse 2. Je suis membre du laboratoire LISST, Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés et Territoires (CNRS/EHESS/UT2), dans la composante Cers (Centre d’Etudes des Rationalités et des Savoirs) qui est l’équipe de sociologie. Au sein du LISST, je mène l’essentiel de mes recherches dans l’axe 1 intitulé « Innovation et savoirs : réseaux, médiations, territoires ».

Exposer ma trajectoire est une démarche qui me donne l’occasion de conférer une certaine cohérence à un parcours dont je n’ai pas toujours saisi, sur l’instant, la continuité et les tendances convergentes. C’est dans cet esprit que j’ai mené cet exercice. Je commencerai par donner un aperçu des mes activités de recherche et d’enseignement avant mon doctorat de sorte à souligner la polyvalence de mes expériences d’enseignement et de recherche, qui peuvent expliquer en partie l’entrée particulière qui a été la mienne à l’occasion de ma thèse. Je poursuivrai, après une présentation des grandes lignes de mon travail de thèse, par l’exposé de ma trajectoire en tant que maître de conférences. Je prendrai le temps d’insister sur les activités connexes à celles que l’on met généralement en valeur grâce aux listes de publications : les activités pédagogiques et de responsabilité administrative, celles qui relèvent de l’animation de la recherche et enfin mon expérience d’encadrement d’étudiants et de doctorants. Je terminerai par l’exposé de ma démarche de recherche depuis 2002, en montrant qu’elle s’inscrit dans la continuité de mon travail de thèse, tout en étant nourrie des recherches collectives que je mène en parallèle, des fertilisations croisées entre les deux m’ayant conduite à développer le programme de recherche dont je présente une mise en œuvre dans la suite de ce document.

Avant la thèse, des premières expériences d’enseignement et de recherche

J'ai effectué toutes mes études universitaires au département de sociologie de l'Université de Toulouse – Le Mirail. J’y ai appris la sociologie telle qu’on la pratique au sein de ce département, c'est-à-dire dans un esprit pluraliste, tant théorique que méthodologique, et avec un réel souci d’inscrire les travaux de recherche dans une perspective de sociologie générale.

Etant arrivée au milieu des années 1990 dans un contexte de forte massification étudiante, j’ai été, dès mon inscription en doctorat, rapidement propulsée à des fonctions d’enseignement en tant que chargée de cours, avec une forte orientation en méthodologie, qui correspondait à la

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demande du département. Parallèlement à ces activités d'enseignement, j'ai participé entre 1993 et 2002, à plusieurs recherches collectives.

J’ai connu mes premières expériences de recherche dans le cadre d'un bureau d'études privé toulousain, le GERSS, Groupe d'Etudes et de Recherches en Sciences Sociales, fondé et dirigé par Guy Chaboy, qui était par ailleurs professeur associé au département de sociologie. En tant que salariée de l’association, j'ai collaboré à deux études. La première portait sur le logement des jeunes en situation précaire et la seconde était l’étude (sous forme d’audit) d’un hôpital rural. J’ai eu l’occasion de mettre en œuvre mes compétences techniques mais, également, de développer, en grande partie du fait des capacités innovantes de Guy Chaboy, des méthodologies originales : par exemple, le codage séquentiel des trajectoires des jeunes en situation précaire ou encore la prise en compte du dispositif1 dans l’analyse des relations entre les professionnels et les patients de l’hôpital.

Par la suite, j’ai poursuivi mon activité de recherche salariée au sein de l’université en prenant part, entre 1994 et 2002, à plusieurs recherches menées par des équipes des laboratoires de sociologie du département. Les études auxquelles j’ai contribué sont inscrites dans des champs d’études divers : une étude des adhérents de l’organisme d'action sociale d’une entreprise publique avec Marie-Christine Zélem (Certop) ; une analyse de la composition et les attentes des adhérents d’une structure de gestion associative et une recherche sur une plate-forme de services (emploi, logement, santé…) destinée aux jeunes d’un quartier, toutes deux avec Daniel Filâtre (Certop). Il s’agissait d’études contractuelles, dirigées par des collègues plus expérimentés que moi et ma démarche a essentiellement consisté à répondre à la demande. Néanmoins, je réalise à présent que j’ai eu l’occasion, au cours de ces études, de réfléchir plus particulièrement à la notion d’« usager » d’un service, public ou privé et à la question de l’appartenance de membres de droit ou de fait à un collectif institué (composé de professionnels, qui peuvent en être membres aussi), avec les enjeux de familiarité, de proximité, d’historicité des liens entre les membres de ces collectifs, toujours un peu hybrides.

En plus de ces études, plutôt axées sur le versant contractuel, j'ai participé, entre 1994 et 1998, à deux programmes de recherche qui m’ont socialisée à la demande de recherche plus institutionnelle2. C’est également à l’occasion de ces programmes que j’ai abordé les thèmes qui sont au cœur de ma trajectoire de recherche : l’enseignement supérieur et la recherche.

1

en l’occurrence le futur PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d'information) de l’hôpital étudié. 2 Il s’agissait du Programme "Villes et Institutions scientifiques" dirigé par Michel Grossetti (Cers) dans le cadre du PIR-Villes (CNRS), et du Programme "Evaluation du plan Université 2000" (DATAR et MESR), dirigé par Daniel Filâtre (Certop).

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Dans le premier de ces programmes, dont l'objectif général était d'étudier les rapports entre villes et institutions scientifiques dans une démarche historique et sociologique, j'ai contribué, sous la responsabilité de Michel Grossetti (Cers), à la réalisation de la monographie sur Toulouse, notamment à l'étude de la période "charnière" (1870-1914) durant laquelle « Toulouse devient scientifique » en se dotant de nouvelles institutions scientifiques (en l’occurrence un institut de recherche appliquée). J’y ai découvert le travail historique à partir d’archives ou d’entretiens avec des acteurs indirectement impliqués dans ces périodes historiques.

L'objectif général du second programme était l'évaluation du plan Université 2000 et, plus précisément, l'observation des nouvelles implantations universitaires, leur inscription et leurs effets sur la structuration régionale et sur le système d'enseignement supérieur. Je l’ai menée sous la responsabilité de Daniel Filâtre (Certop). Ma contribution à ce programme a consisté essentiellement en l'analyse de l'évolution des effectifs et des caractéristiques des étudiants dans ces nouveaux sites universitaires ainsi qu'à l'étude de la demande de formation et des mobilités étudiantes dans la région Midi-Pyrénées.

La participation à ces programmes m’a mise au cœur d’une des spécialités phare de la sociologie toulousaine (Lisst-Cers et Certop), ce que nous avons nommé plus tard la socio-géographie des activités scientifiques et d’enseignement supérieur. Mais, à l’époque, ma participation à ces programmes fut surtout pour moi l’occasion de réaliser que ces activités, que l'on considèrent souvent comme a-territoriales (cf. "l'universalité de la science", "l'équivalence des diplômes et formations de l'enseignement supérieur"), sont en réalité fortement marquées par leur inscription dans des territoires : l’émergence de la science appliquée dans différentes villes, la configuration de certaines spécialités dans certains sites d’enseignement supérieur étaient autant d’éléments qui venaient empiriquement conforter cette idée.

Ces activités de recherches, que j'ai menées parallèlement à mon travail de thèse, m'ont été très profitables à plusieurs titres. J'y ai parfait mes compétences, découvert le travail en équipe, utilisé les résultats dans le cadre d’activités pédagogiques et présenté certains sous forme de publications3. Mais, outre ces aspects, il me semble à présent que j’ai envisagé ma thèse dans une perspective de complémentarité par rapport à ces travaux. En effet, lors des programmes collectifs auxquels je participais, je saisissais l’activité scientifique à partir d'un de ses cadres sociaux (en l'occurrence le territoire) pour en observer la prégnance sur les savoirs produits.

3 Michel Grossetti et Béatrice Milard (1997), « Une ville investit dans la science : genèse de l'institut électrotechnique universitaire de Toulouse» in A. Grelon et G. Ramunni (dir.), La naissance de l'ingénieur

électricien. Origines et développement des formations nationales électrotechniques, Paris, PUF, pp. 133-148 ; Béatrice Milard (2000), « Etudiantes en Midi-Pyrénées : les effets des nouvelles implantations universitaires» in M. Membrado et A. Rieu (dir.), Sexes, espaces et corps. De la catégorisation du genre, Toulouse, Editions Universitaires du Sud, pp. 115-129.

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Dans ma thèse, j’ai également abordé la question de l’activité scientifique mais dans sa dimension cognitive, pour en dégager les ancrages sociaux.

Une thèse sur l’argumentation des textes de sciences humaines et sociales

Je me suis intéressée à l’activité scientifique dès mon DEA que j’ai réalisé sous la direction de Jean-Michel Berthelot (Cers). Mon mémoire portait sur les associations scientifiques, notamment internationales, la façon dont elles s’exposent sur la scène publique ainsi que l’étude du processus de socialisation (professionnelle) des chercheurs qui est à l’oeuvre au travers de leurs activités. Après quelques tentatives infructueuses de demandes de financement, j’ai finalement changé de sujet de thèse et opté, en concertation avec Jean-Michel Berthelot, pour une analyse centrée sur des textes scientifiques de sciences humaines et sociales4. Comme j’ai pris le temps de présenter mon parcours pré-doctoral, je prendrais aussi celui de rendre compte de mon travail de thèse parce qu’il permet d’éclairer mes choix futurs de recherche.

Comment une idée, « l'interdisciplinarité », se donne à voir et à comprendre dans l’espace particulier des sciences humaines et sociales (SHS) ? Comment fait-elle débat sur cette scène et quelles évolutions a-t-elle connues depuis son émergence que l’on peut faire remonter, en France, à l’après seconde guerre mondiale ? Telles sont les questions à partir desquelles j'ai entrepris ce travail de thèse. Cependant, au lieu de multiplier les sources et de croiser les origines des discussions, forts nombreuses, que cette thématique a occasionné au sein de la communauté scientifique des SHS, j’ai centré mon analyse sur un corpus de textes particuliers que j’ai considéré comme une archive d'un débat public qui s'est tenu sur ce thème5.

Il s’agissait de s'intéresser aux façons dont cette idée en vient à être convoquée, exprimée et définie au sein de ces articles. Quelles « formes » c'est-à-dire manifestations d’actions basées sur la réciprocité (Simmel 1981) prend le débat sur ce thème et comment inscrit-il sa pertinence dans le monde scientifique et social des SHS ? A quelles pratiques textuelles ou « formation discursive », c'est-à-dire « structuration de l’espace social par différentiation des discours » (Foucault 1969) renvoie-t-il ? Pour répondre à ces questions, j’ai multiplié les éclairages sur ces textes en essayant de mettre en avant les enjeux cognitifs et sociaux liés à chacune des échelles d’analyse.

4 Béatrice Milard (2001), « L'interdisciplinarité » : la construction cognitive et sociale d'une idée. Définitions et

argumentations de l'idée d'interdisciplinarité dans des articles de sciences humaines et sociales depuis les années 60. Thèse de doctorat. Université Toulouse 2 Le Mirail, 708 p.

5 L'archive en question est celle d'un ensemble d'articles de SHS indexés par le mot-clé "interdisciplin*" dans la base de données bibliographiques du CNRS (le Bulletin Signalétique), soit 225 articles parus entre 1964 et 1994.

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En réalité, mon entrée, très textuelle, était entièrement dévolue à la recherche des traces de collectifs sociaux au sein des textes. Il s’agissait de considérer que les textes sont une occasion pour construire des rapports intersubjectifs autour et pour cette idée d’interdisciplinarité. J’y décris les stratégies textuelles, les effets de réseaux et d’implication des collectifs (notamment par les citations) dans les textes et les formes historiques de sédimentation de cette idée au sein des sciences humaines et sociales.

J’ai notamment étudié, ce qui aura de l’importance pour la suite de ma trajectoire, les réseaux constitués par les auteurs et les références des articles retenus. J’ai montré qu'au delà de son statut d'archive, le corpus a aussi une certaine pertinence sociologique et historique dont on trouve des traces dans les bases de données bibliographiques. Le corpus présente en effet un maillage relationnel cognitif (les références communes des textes) et un maillage relationnel social (les collaborations des auteurs) qui s’entremêlent, dans une dynamique générationnelle. J’ai aussi observé que les raisonnements sont – plus ou moins implicitement – émaillés d’incises, de précisions, de réajustements destinées à la création d'un compromis avec le lecteur virtuel, lecteur qui est bien souvent identifié par son appartenance au domaine des SHS. Je me suis également intéressée à la façon dont les personnages (l’auteur, les lecteurs et les références citées) sont présentés dans les textes. J’ai repéré comment les références des auteurs à eux-mêmes sont sous le contrôle de leurs diverses identités (jeune chercheur ou senior, spécialiste ou non, appartenant à la discipline de la revue ou pas…).

Par l’étude des citations, j’ai montré la construction de collectifs cognitifs par rapport auxquels les auteurs se positionnent en tant que proches ou lointains, en tant qu’alliés ou quasi-ennemis, comme membre à part entière ou non d’un collectif. Il s’agissait aussi de voir combien les manières d’argumenter sont façonnées par les expériences des auteurs dans le domaine des SHS et concernant ce débat sur l’interdisciplinarité6.

Dernière échelle d’analyse, j’ai interrogé le corpus dans sa dimension d'archive et proposé une analyse de l'histoire des textes. J’ai interprété cette histoire comme une tendance à la sédimentation du débat sur l’interdisciplinarité, dans le sens où il tend de plus en plus à se présenter comme une « chaîne de parole » (Ricoeur 1986) qui assimile l'historicité des périodes antérieures. Ainsi, l'archive que représente le corpus devient, au fil du temps, une référence pour la suite du discours sur cette idée.

D’une manière générale, l’apport de ce travail a été de montrer à quel point la publication en sciences humaines et sociales est le résultat d’une activité cognitive et sociale complexe et multiforme, mais qui est aussi fortement normée et historiquement située. Il montre également qu’une idée, dès lors qu’elle est diffusée dans un espace social particulier, connaît un cycle de formalisation qui passe par différentes étapes (ou différentes échelles) que je me suis attachée à

6 Cet aspect, dont j’ai spécifiquement développé la question des autocitations, a fait l’objet d’un texte accepté pour publication et actuellement en révision pour la revue Langage et société : « Les autocitations en sciences humaines et sociales. Pour une analyse de la dynamique des collectifs cognitifs » (19 p.).

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définir. C’est dans la perspective de creuser plus avant cette idée que j’ai, quelques années après mon recrutement, relancé un travail de recherche sur les textes scientifiques.

Après mon recrutement comme maître de conférences

J’ai été recrutée en 2002 comme maître de conférences au département de sociologie où, fort classiquement, j’ai organisé mes activités professionnelles entre enseignements, tâches administratives et recherches.

Un investissement dans les activités pédagogiques

J’ai la chance de faire un certains nombre d’enseignement en lien avec mes thématiques de recherche. Sur la sociologie des réseaux sociaux tout d’abord, pour expliquer aux étudiants la démarche particulière, à la fois théorique et méthodologique, liée à cette perspective de recherche. Je partage ces quelques heures d’enseignements de Licence, Master et Formation Doctorale, avec Michel Grossetti et Ainhoa de Federico, ce qui nous donne fréquemment l’occasion d’échanger sur la manière de présenter ce domaine de recherche aux étudiants. Par ailleurs, j’ai enseigné pendant plusieurs années la sociologie des sciences auprès des étudiants du master 1 professionnel et du master 1 de sociologie générale. Les étudiants sont fortement intéressés par la sociologie des sciences : tant par les aspects historiques de constitution de ce domaine d’activité (institutionnalisation, formalisation des échanges), que les questions de stratification du milieu scientifique (Merton 1973), de construction des énoncés scientifiques (Latour 1995) ou des processus de traduction et de rapports entre science et société (Callon 1989).

Je donne également un ensemble de cours de méthodologie sociologique, domaine qui peut sembler secondaire, mais dans lequel je m’engage pleinement, persuadée que nous avons à l’université des atouts et de la matière pour proposer aux étudiants une posture originale, y compris pour leur insertion professionnelle future, qui s’inspire de la recherche telle qu’elle est menée en sciences humaines et sociales. Dans le cadre de la mise en place de la dernière maquette d’enseignement du parcours licence de sociologie, je me suis investie dans la définition de nouvelles unités d’enseignements autour du projet personnel de l’étudiant : avec d’autres collègues, nous avons pensé ces enseignements comme autant de supports pour que les étudiants réalisent que leur regard sociologique peut être un avantage comparé à d’autres formations moins adaptées à la compréhension de situations sociales complexes.

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Une participation aux responsabilités administratives et pédagogiques

J’ai débuté mes tâches administratives en étant responsable de l’atelier informatique du département de sociologie entre 2002 et 2007. Ce n’était pas une responsabilité bien lourde, mais elle m’a donné l’occasion de découvrir l’univers budgétaire qui est au cœur du fonctionnement de nos universités (et de la comptabilité publique), ce qui est toujours une expérience dans les carrières des jeunes maîtres de conférences ! J’ai assuré pendant trois ans la responsabilité de la 3ème année de licence de sociologie et notamment, par deux fois, la rédaction des maquettes, bilans et projets. La mise au point collective des programmes de nos enseignements est pour moi un moment fort de notre activité et, depuis ma titularisation, je m’y suis investie régulièrement. J’ai, par ailleurs, assuré pendant quatre ans la responsabilité du parcours licence bi-disciplinaire « sociologie-économie sociale », en collaboration avec Catherine Baron, professeur au département d’économie, parcours qui accueille en moyenne 180 étudiants. Nous avons développé cette formation en construisant un parcours sur trois années qui associe une réelle initiation aux deux disciplines et une volonté affichée de transversalité. Ce parcours se nourrit de compétences en économie sociale et en sociologie de l’échange (réseaux sociaux et marchés) présentes dans les départements de sociologie et d’économie. Il est pour moi également l’occasion d’investir le domaine de l’économie sociale où la question des réseaux sociaux est bien souvent centrale (cf. ci-dessous, la thèse de Christophe Ragueneau sur les sociétés coopératives d’intérêt collectif que je co-dirige avec Michel Grossetti). J’ai également été élue à la commission de spécialiste de la section 19 durant 4 ans, puis nommée à l’occasion de 3 comités de sélection. Depuis avril 2011, je suis élue au conseil de département de sociologie-anthropologie. Outre le nécessaire partage des tâches administratives auquel je suis attachée, ces responsabilités dans les instances liées au fonctionnement de l’enseignement supérieur et de la recherche me donnent l’occasion de mieux comprendre les enjeux institutionnels liés à ces activités qui sont aussi mon objet d’étude.

Des activités d’animation et d’encadrement de la recherche

Depuis 2007, j’organise un des séminaires de l’axe « Innovation et savoirs : réseaux, médiations, territoires » du LISST. Ce séminaire intitulé « Savoirs, Réseaux et Médiations » est ouvert aux chercheurs et étudiants de 2ème et 3ème cycles rattachés à cet axe (une quinzaine de participants réguliers). Il comporte une dizaine de séances par an avec des chercheurs invités, en alternance avec des séances organisées autour de la présentation des travaux des participants au séminaire. Nous y présentons les travaux de l’équipe (permanents et doctorants) et nous y invitons des chercheurs en lien avec nos thématiques de recherche7. L’objectif de ce séminaire est de réfléchir

7 tels que Narciso Pizarro (Universidad Complutense de Madrid) et Michel Ferrary (Ceram Sophia Antipolis) sur la thématique des réseaux, Dominique Cardon (Laboratoire des usages d’Orange Labs & CEMS/EHESS) sur les

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à l’articulation entre les thématiques qui structurent les intérêts sociologiques de l’axe 1 du LISST, c'est-à-dire, pour le dire rapidement, comment les savoirs (scientifiques mais aussi issus d’autres domaines) sont impliqués dans des réseaux sociaux et des échanges médiatisés. J’ai également participé à l’organisation de manifestations scientifiques qui montrent, s’il le fallait, le dynamisme du pôle toulousain de la sociologie sur les questions d’enseignement supérieur, de science et de réseaux sociaux8.

Depuis 2008, en plus des encadrements de M1 et M2, j’ai commencé l’expérience de co-encadrement de thèses. Il s’agit de la thèse de Grégori Akermann que je co-encadre avec Michel Grossetti et qui porte sur les logiques sociales de la création d’activités économiques innovantes en sciences humaines et sociales : comment des entrepreneurs se saisissent des savoirs et savoirs faire des sciences humaines et sociales pour produire des activités économiques et comment les écrits professionnels incorporent les relations entre les différents acteurs de cette sphère d’activité. Je co-encadre, également avec Michel Grossetti, la thèse de Christophe Ragueneau sur les nouvelles figures de l’entrepreneuriat social à travers le cas des Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif (SCIC). Cette thèse creuse aussi en partie la question des relations sociales à travers les textes, via notamment l’analyse relationnelle des associés tels qu’ils sont présentés dans les statuts des SCIC. Enfin, je fais partie du comité de thèse (avec Denis Eckert, Michel Grossetti et Myriam Baron) de Marion Maisonoble qui travaille la question de la géographie de l’activité scientifique saisie à partir des données bibliométriques. Cette recherche entre fortement en résonance avec mes propres travaux lorsqu’elle aborde les publications, les collaborations et les citations scientifiques dans un contexte international.

Durant la période 2002 à 2011, mes activités de recherche se sont organisées autour de deux axes. Les numéros entre crochets renvoient aux publications que j’ai rassemblées dans le tome 2. Pour simplifier la lecture, je signale également en note les références précises de ces travaux. Une liste complète de mes travaux se trouve à la fin du présent document.

Des recherches sur la territorialisation des activités scientifiques vue à travers les publications

Comme je l’ai déjà dit, je participe, depuis 1995, à des recherches collectives sur la territorialisation des activités d’enseignement supérieur et de recherche, l’une des spécialités

médiations, Camille Roth (AMS, EHESS) sur les réseaux scientifiques, Yves Gingras (Université du Québec à Montréal) et Pablo Kreimer (université de Quilmes) sur la recherche scientifique.

8

Citons les Journées d’étude du RESUP Les figures territoriales de l’université, Université Toulouse 2 le Mirail (CERTOP & Cers), 3 et 4 juin 2004 ; Colloque Sociologie des arts, sociologie des sciences, Université Toulouse 2 le Mirail (Cers), 18-20 Novembre 2004 ; Journée commune du RESUP et du CR29 « Sciences, innovations technologiques et sociétés » de l’AISLF Les relations enseignement supérieur et recherche dans un contexte de

changement, Université Toulouse 2, 14 mars 2008 ; Journée Créativité, compétences, territoires, MSH Aquitaine et MSH de Toulouse, Université Toulouse 2 le Mirail, 29 mai 2009 ; Deuxièmes journées d’étude du RT 26 – Réseaux sociaux (AFS) Analyse des réseaux sociaux : quoi de neuf ? Toulouse 16-17 mars 2010

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fortes de la sociologie toulousaine. Une fois installée dans mes fonctions de maître de conférences, j’ai continué à contribuer à différentes études et programmes liés à ces thématiques9.

La structuration territoriale des activités de recherche est une spécialité que Michel Grossetti (et quelques uns de ses collaborateurs) avait déjà largement développée, notamment par ses travaux sur les relations entre les laboratoires de recherche et les entreprises qu’il appréhende à travers les contrats de recherche CNRS/industrie. Mon arrivée a été l’occasion de poursuivre ces travaux en utilisant les bases de données bibliographiques et les publications comme ressource supplémentaire pour l’analyse de la dimension territoriale des activités scientifiques. Je ne vais pas exposer en détail tous les résultats d’analyse auxquels nous sommes parvenus depuis ces dix dernières années. Je vais simplement présenter ce qui me semble être les principaux apports de ma contribution aux travaux de ce collectif.

Au début des années 2000, nous avons été parmi les premiers en France à produire une analyse territorialisée précise des bases de données du Science Citation Index et du Social Science Citation Index (Institut for Scientific Information puis Thomson Reuters). Cela nous a permis de mettre en avant plusieurs tendances, territoriales mais aussi plus générales. Parmi ces dernières, nous avons pu prendre la mesure de l’hybridation de la recherche académique (CNRS et université) dont on parle souvent sans toujours pouvoir l’appréhender empiriquement [13]10.

En termes territoriaux, nous avons pu observer l’évolution de la structuration territoriale des publications scientifiques dans plusieurs pays, la France, l’Espagne et le Portugal [14]11. Le fait d’avoir retenu plusieurs niveaux territoriaux (pays, régions, départements, sites) nous a permis de mettre en évidence des ampleurs et des rythmes différents du mouvement de déconcentration commun aux pays étudiés [10]12. La territorialité des activités scientifiques s’aborde aussi au

9 Par ordre chronologique : Programme « Education et formation : disparités territoriales et régionales », MENR, DATAR, dir. C. Soldano et D. Filâtre, Certop, (et Cers et Lapsac) ; Programme « Innovation, ressource et

gouvernance des Systèmes Productifs Locaux en Midi-Pyrénées », resp., R. Guillaume, CIEU ; Projet International de Coopération Scientifique (PICS) du CNRS avec la Russie. Perspectives de développement multipolaire en

Russie, Le rôle de pôle scientifique des grandes villes, dir. D. Eckert (LISST-Cieu) et V. Kolossov (Académie des Sciences de Moscou) ; Action Concertée Incitative (ACI) du CNRS « Espaces et Territoires ». Innovation et

proximité : mesures et modèles sur données de relations, dir. N. Massard (Université de Saint-Etienne) ; Projet soutenu par l’ANR : Les appuis sociaux de l’entrepreneuriat, dans le cadre de l’appel à projet « Entreprises et formes d'organisation économique. Enjeux, mutations et permanences » dir. P.-P. Zalio (IDHE, Paris) ; Projet soutenu par l’ANR : Science locale, nationale, mondiale en transformation. Pour une socio-géographie des activités

et des institutions scientifiques académiques, dir. M. Grossetti (LISST) dans le cadre de l’appel à projet Sciences, technologies et savoirs en sociétés. Enjeux actuels, questions historiques.

10 Michel Grossetti, Béatrice Milard (2003), « Les évolutions du champ scientifique en France à travers les publications et les contrats de recherche », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 148, juin, pp. 47-56. 11 Michel Grossetti, Philippe Losego, Béatrice Milard (2002), « La territorialisation des activités scientifiques en Europe. (France, Espagne, Portugal) », Géographie, Economie, Société, n°4, pp. 427-442.

12 Béatrice Milard (2003), « Territorialisation de la production scientifique dans le sud-ouest européen » in Michel Grossetti et Philippe Losego (coord.), La territorialisation de l’enseignement supérieur et de la recherche en

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travers des échanges qui se produisent entre les territoires. L’analyse territoriale des cosignatures d’articles au niveau des trois pays a montré deux tendances qui coexistent : il y a, d’une part, une tendance au rééquilibrage et à l'homogénéisation des différents champs disciplinaires en matière de collaborations (internationalisation) mais, par ailleurs, la structuration des échanges est toujours très liée à la spécificité des cartes scientifiques des pays (et leurs différents niveaux de déconcentration territoriale) [11]13.

J’ai ensuite approfondi le cas espagnol avec Philippe Losego et nous avons montré que le dynamisme des sites de création récente se construit aussi en fonction des configurations passées, l’activité de recherche étant, plus que celle d’enseignement supérieur, marquée par de fortes inerties [12]14. Quelques années plus tard, par l’entremise de Denis Eckert du Lisst-Cieu, nous avons investi le cas de la Russie avec Michel Grossetti et nous avons montré une déconcentration territoriale inattendue des activités scientifiques en Russie [9]15. J’ai, par la suite, approfondi l’étude de ce pays en analysant la place de l’héritage soviétique dans l’organisation actuelle de la recherche russe. J’ai montré que les chercheurs russes ont, après la crise, progressivement adopté un nouveau mode de fonctionnement compatible avec la recherche internationale mais aussi que ces dynamismes sont fragiles et à la merci de décisions politiques autoritaires [8]16.

On assiste actuellement (tout au moins en France) à des tentatives politiques de re-concentration des activités scientifiques. Elles interviennent après une période où la politique menée fut inverse : citons, pour la période récente, la provincialisation de certains laboratoires parisiens mais aussi et surtout les délocalisations universitaires en cours depuis une quinzaine d’années maintenant. Il y a plusieurs années nous avions montré une réelle démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur dans ces territoires, dans le sens où les formations y accueillent des publics de plus en plus similaires à ceux des grandes métropoles mais originaires des territoires17. Dans une étude récente, concernant spécifiquement la chimie et une région française, j’ai montré que l’évolution des sites secondaires se produit dans une dynamique d’autonomisation par rapport aux grandes métropoles scientifiques. Les échanges, en se

13 Béatrice Milard (2003), « Collaborations scientifiques et territoires dans le sud-ouest européen » in Michel Grossetti et Philippe Losego (coord.), La territorialisation de l’enseignement supérieur et de la recherche en

Europe. France, Espagne, Portugal, L’Harmattan, Collection « Géographies en liberté », pp. 157-194.

14 Philippe Losego et Béatrice Milard, (2003), « La régionalisation des universités espagnoles » in G. Felouzis (dir),

Les mutations actuelles de l’université, Paris, PUF, pp. 89-108

15 Béatrice Milard, Michel Grossetti, (2006) « L'évolution de la recherche scientifique dans les régions de Russie : déclin ou déconcentration ? », Mappemonde, n°81, pp. 1-13 ; Béatrice Milard et Michel Grossetti, (2006) « Déconcentration et régionalisation de la science russe » (en russe), Ekonomiko-geografitcheski vestnik Rostovskogo

Gosuniversiteta (Bulletin d'économie et de géographie de l'Université d'Etat de Rostov), n°3, pp 58-70.

16 Béatrice Milard (2008), L’héritage soviétique dans la nouvelle organisation de la science en Russie : quels effets sur les pratiques et la valorisation de la recherche ?, Revue d’Anthropologie des connaissances, vol. 2-3, n°3, pp. 391-412

17 Béatrice Milard (2000), « Etudiantes en Midi-Pyrénées : les effets des nouvelles implantations universitaires» in M. Membrado et A. Rieu (dir.), Sexes, espaces et corps. De la catégorisation du genre, Toulouse, Editions Universitaires du Sud, pp. 115-129.

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développant, se tournent vers l’international, mais s’organisent aussi au sein d’un système régional et entre pôles secondaires. J’ai récemment défendu l’idée qu’une « verticalisation » des collaborations entre les sites scientifiques va à contresens d’une tendance à l’horizontalité des échanges, source de potentiel dynamique [6]18.

Autre enjeu soulevé par les problèmes de territorialisation des activités scientifiques, leur lien avec les formes de savoirs produits. A plusieurs reprises, nous avons souligné dans nos travaux la prégnance des spécialités disciplinaires dans la structuration territoriale de l’activité scientifique. Nous avons récemment réalisé une synthèse sur les rapports entre mondialisation et territorialisation de la recherche, c'est-à-dire à la fois son ancrage local mais aussi son implication dans les échanges internationaux [7]19. Ainsi, l’activité de recherche de certains sites secondaires peut être considérée de niveau international, dans le sens où, progressivement, elle s’oriente vers les spécialités disciplinaires de pointe, qu’elle est de plus en plus visible à travers les publications des bases de données et de plus en plus citée. Mais se pose alors la question de la standardisation de la recherche par rapport aux bases de données internationales. Il y a donc aussi, dans l’internationalisation de la recherche, et compte tenu de son inscription locale, des enjeux cognitifs.

Ces travaux sont fortement en lien avec ceux que je mène, de manière plus personnelle, sur les textes scientifiques et les relations sociales.

Une recherche sur les textes scientifiques et les relations sociales

Comme je l’ai dit ci-dessus, ma spécialisation dans l’étude des textes scientifiques trouve son origine dans mon travail de doctorat. En 2004, j’ai investi le domaine de la chimie et j’ai débuté une étude dont l’objectif est l’analyse des logiques relationnelles impliquées dans les publications scientifiques. Ce projet est pour moi l’occasion de consolider les liens entre mes deux lignes d’analyse.

Il prolonge les travaux que j’ai engagés lors de ma thèse dans le sens où il s’agit d’approfondir la question des textes comme « porteurs » d’intersubjectivité en interrogeant précisément cette intersubjectivité : quels acteurs, quels collectifs, quelles formes de liens entre les auteurs et leurs alters ? Les publications (et les citations qu’elles mobilisent) sont donc appréhendées comme une

18 Béatrice Milard (à paraître en 2011), Emergence, internationalisation et autonomisation de villes scientifiques

secondaires. L'exemple de la chimie à Nantes, Angers et Le Mans, dans M. Mespoulet (dir.), Université et territoires,

Rennes, Presses Universitaires de Rennes.

19 Michel Grossetti, Philippe Losego, Béatrice Milard (2009), La territorialisation comme contrepoint à

l’internationalisation des activités scientifiques, in J.-Ph. Leresche, Ph. Larédo et K. Weber (dir.) Recherche et enseignement supérieur face à l’internationalisation, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, pp.281-300.

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expression de la sociabilité scientifique et, de par cette qualité, comme des « dynamiseurs relationnels », comme une occasion, pour les auteurs, de construire des liens entre différentes personnes ou collectifs, de les formaliser, de les renforcer et parfois de les atténuer.

Par rapport aux travaux collectifs sur la territorialisation de la recherche et les formes des échanges autour des publications, ma recherche est l’occasion d’explorer ce qui fait souvent figure de « boîte noire » : quelles sont les relations concrètes entre les cosignataires, celles entre les auteurs et les personnes citées en références ? Mais, plus encore, il s’agit de voir comment la publication est un acte social lors duquel on peut voir se concrétiser certaines tendances plus générales dont on ne parvient pas, à l’échelle où on les traite habituellement, à saisir toute la complexité : comment se forme l’internationalisation, comment se cristallisent des spécialités... Enfin, à l’heure où l’on s’interroge de plus en plus sur la puissance des citations comme indicateurs pour évaluer ou modéliser l’activité scientifique, la prise en compte de leur caractère relationnel et leur analyse d’un point de vue qualitatif et longitudinal présentent un apport original et nécessaire pour une meilleure compréhension du monde de la recherche.

Cette recherche est également pour moi l’occasion de travailler une perspective sociologique qui inscrit la relation au cœur de l’activité sociale. En ce sens elle se rapproche par bien des aspects des travaux que mène Michel Grossetti depuis de nombreuses années (outre ceux que nous menons ensemble), j’aurais l’occasion d’en parler dans la suite de ce document. Elle se nourrit également beaucoup de la perspective d’Harrison White à qui j’ai eu l’occasion de présenter mes travaux lors de son séjour au laboratoire20 et dont les remarques ont profondément marqué la tournure de ma recherche, notamment l’idée (mais j’y reviendrai dans la partie suivante) que les textes (qui seraient une forme de ce qu’Harrison White nomme les « récits ») « marquent les liens dans des réseaux émergents » (White 2011, p. 65).

J’ai donc appréhendé les publications (et les citations qu’elles mobilisent) comme une expression de la sociabilité scientifique et le possible vecteur de transformation des collectifs scientifiques. Dans ce contexte, mon objectif est de montrer que les textes publiés concourent à déterminer, consolider ou détruire les relations entre certains groupes et participent pour une part à la configuration des collectifs scientifiques dans leurs diversités et leurs évolutions.

J’ai déjà eu l’occasion de mettre en évidence certains des enjeux sociaux liées aux activités de publication dans la recherche. J’ai montré combien la mise en forme est l’occasion pour les chercheurs d’organiser et de réguler leur activité à de multiples échelons du collectif : du simple

20 Je pourrais presque dire que la présence d’Harrison White au laboratoire, invité par Michel Grossetti dans le cadre d'une chaire d'excellence Pierre de Fermat, et la découverte de ses travaux ont été pour moi comme une expérience de post-doctorat (à domicile !) dans le sens où cela a été l’occasion de renouveler mes travaux de thèse en les croisant avec une autre perspective qui m’était inconnue au moment de la réalisation de mon doctorat.

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niveau de l’équipe jusqu’à celui bien plus vaste de la communauté scientifique [5]21. J’ai également eu l’occasion d’aborder la soumission de l’article et de montrer que c’est un moment où la sociabilité entre les chercheurs est renforcée et où se construisent ou se clarifient les réseaux auxquels ils appartiennent ou se confrontent [4]22. J’ai également publié un article plus général sur l’évaluation de la recherche par les pairs montrant notamment que, comme dans d’autres domaines, l’expression de la sociabilité entre les acteurs est au cœur du fonctionnement de la sphère d’échanges de textes [3]23. J’ai également montré comment les références d’une publication font partie d’un « univers de références » (l’ensemble des autres publications qui les citent) qu’elles contribuent en partie à construire [2]24. Dans la perspective d’exposer ma méthode d’analyse, j’ai également publié un article qui, à partir du cas particulier d’une publication, repère les diverses circonstances de sa configuration relationnelle, que ce soit à l’échelle de la trajectoire scientifique du chercheur interrogé, à un niveau plus contextuel (ses relations avec d’autres équipes) ou sur un plan très général (dans la littérature) [1] 25.

Cee mémoire original que j’ai décidé, en concertation avec Michel Grossetti, de présenter à l’occasion de mon Habilitation à Diriger des Recherches est une analyse qui mobilise certains des résultats déjà publiés mais qui se présente comme une synthèse inédite de ma recherche sur l’activité scientifique, les textes et les réseaux sociaux.

21 Béatrice Milard (2007), « La mise en forme des publications scientifiques : entre routines, contraintes et

organisation de l’expérience collective », in F. Gaudez (dir.), Sociologie des arts, sociologie des sciences, Paris, L’Harmattan, pp. 203-212.

22Béatrice Milard (2008), La soumission d’un manuscrit à une revue : quelle place dans l’activité scientifique des

chercheurs ? Schedae (Presses Universitaires de Caen), n°1, pp. 1-12

23 Béatrice Milard (2010), L’évaluation de la recherche par les pairs : les risques d’une formalisation contre performante, Interrogations ?Revue pluridisciplinaire en sciences de l’homme et de la société, n°11, varia, pp. 22-44.

24 Béatrice Milard (2010), Les citations scientifiques : des réseaux de références dans des univers de références. L’exemple d’articles de chimie, REDES, Revista hispana para el análisis de redes sociales, vol.19, n°4, pp. 69-93. 25 Béatrice Milard (à paraître en 2011), Dynamiques relationnelles d’un article scientifique : « Roger et al., (2004) » et ses réseaux, Terrains et travaux, n°19, (18p.).

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(24)

C

HAPITRE

1 -

A

CTIVITES SCIENTIFIQUES ET RESEAUX SOCIAUX

,

LA PART DES TEXTES

Ce chapitre est un prolongement de la présentation de ma trajectoire de recherche. Il rend compte du cadrage général au sein duquel je situe mon travail de recherche. On n’y trouvera donc pas une discussion exhaustive des travaux sur la science, ni même sur les textes ou les réseaux sociaux mais l’exposé d’une ligne de recherche. Je commencerai, en guise d’introduction, par présenter brièvement les enjeux liés à l’étude de l’activité scientifique afin de situer mon objet, l’activité de publication. Je poursuivrai en essayant de montrer qu’au regard de la littérature existante, une approche de l’activité de publication qui s’interroge spécifiquement sur la dimension relationnelle peut être fructueuse. Je continuerai en présentant le cadrage théorique à l’aide duquel j’ai construit mon analyse de l’activité de publication comme une activité cognitive (qui est donc aussi une activité sociale) qui mobilise des textes. Je terminerai par une présentation de ma méthodologie et de mon terrain d’étude.

1. Introduction

1.1. L’activité scientifique dans tous ses états

Ces dernières années, les travaux sur la science ont mis en évidence des changements importants dans les fonctionnements de l’activité scientifique. L’essor de la collaboration et de l’internationalisation (Wagner 2008; Gingras 2002), le développement des échanges avec l’industrie et le monde politique (Etzkowitz et Leydesdorff 1997), le recours systématique à l’expertise et la diminution des financements par dotation au profit du financement par contrat (Collins et Evans 2002), la réorganisation des recrutements, des carrières et des institutions scientifiques (Musselin 2005) ne sont que quelques exemples des évolutions que l’activité scientifique a connu durant la période récente. Les travaux portant sur la transformation des relations professionnelles et sociales des chercheurs dans la perspective de mieux comprendre la nouvelle organisation de la recherche montrent que l’activité scientifique est de plus en plus une co-production entre monde scientifique et société civile, les implications se produisant de la société civile vers la recherche mais aussi de la recherche vers la société civile (Vinck 2007). On

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a insisté sur l’évolution historique des « modes d’appréhension de la nature » et de leurs « porteurs » (Gingras, Keating, et Limoges 2000) ou de leurs territorialisations (Grossetti et Losego 2003), allant parfois jusqu’à invoquer de nouveaux régimes, qui coexistent (Shinn et Ragouet 2005), qui se succèdent (Pestre 1995), voire même un mode 2 qui transformerait radicalement le contexte de l’activité scientifique (Limoges et al. 1994).

Ces transformations récentes affectent les contextes d’activité des chercheurs, favorisant de nouvelles relations, les redéfinissant, leur apportant de nouveaux contenus et participant ainsi au processus général d’évolution de ce secteur d’activité.

On étudie beaucoup les collectifs scientifiques, du laboratoire (Louvel 2011) aux communautés instrumentales (Mody 2011; 2006; Simoulin 2007; Genuth, Chompalov, et Shrum 2000) ou épistémiques (Knorr-Cetina 1999; Keating et Cambrosio 2003; Berthelot, Martin, et Collinet 2005; Roth 2008). On insiste sur leur caractère structurant, mais aussi mouvant et parfois même insaisissable (cf. Granjou et Peerbaye 2011). Les questions qui se posent portent sur l’émergence de ces communautés autour d’instruments et d’objets de recherche communs, sur la façon dont des collectifs sociaux sont aussi structurés par des enjeux cognitifs. On s’interroge aussi sur la manière (ou les manières) dont ces communautés produisent des connaissances, comment se « cristallisent » des savoirs, quels sont les « appuis » (objets, instruments, méthodes, etc.) mobilisés, dans quelle mesure peut-on parler de cultures scientifiques ?

Mais, même s’ils soulignent souvent que ces changements dans les pratiques et organisations des activités scientifiques ont des conséquences sur le contexte de travail des chercheurs, peu de ces travaux s’intéressent à l’entourage relationnel des chercheurs d’une manière systématique : de quelle nature sont les relations entre les chercheurs et ceux qu’ils fréquentent au cours de leur activité, comment se structurent ces relations ? Analyser les logiques relationnelles doit pouvoir permettre de mieux comprendre l’activité scientifique dans sa réalisation quotidienne mais aussi de voir en quoi elles interviennent dans la reconfiguration des collectifs scientifiques sur un plan plus général.

Comme on peut le voir dans les travaux cités ci-dessus, les activités des scientifiques sont par nature nombreuses. Même si l’on s’en tient aux activités strictement scientifiques, leur diversité est importante (et j’en oublie probablement)26 : produire des inscriptions et des mesures, trouver de l’argent et des instruments, mettre au point des résultats intermédiaires, les présenter oralement, discuter et travailler avec des collaborateurs, évaluer les écrits des autres chercheurs, assister à des réunions de travail, organiser des réunions scientifiques, recruter des jeunes chercheurs, chercher des collaborations avec les industriels (ou autres), être amené à intervenir

26 Pour une présentation exhaustive des activités scientifiques, (cf. Vinck 1995; 2007a; O. Martin 2000; Dubois 2001).

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comme expert, s’impliquer éventuellement dans une démarche entrepreneuriale… Toutes ces activités, dont on voit qu’elles débordent souvent le strict cadre académique, sont, plus ou moins, affectées par les transformations récentes de cette sphère d’activité.

Parmi toutes les circonstances dans lesquelles se déploie l’activité scientifique, j’ai fait le choix de l’activité de publication, et plus précisément l’activité de publication d’articles de recherche.

Je n’ai pas abordé l’activité de publication « en train de se faire » et, quand je me suis rendue dans un laboratoire de chimie, ce n’était pas pour observer (même si je les ai vus27) les nombreux allers et retours des divers documents entre la paillasse et le bureau des chercheurs. Je n’y suis pas allée non plus pour remarquer comment les instruments produisent des inscriptions mystérieuses pour certains et familières à d’autres et comment elles sont ensuite rapidement transformées en autres inscriptions. Tout cela a déjà été fait et de manière approfondie (Latour et Woolgar 1988; Karin Knorr-Cetina 1981; 1999; Latour 1995; Lynch 1985). Je n’ai pas observé le laboratoire dans ses modes de fonctionnement au quotidien et je n’ai pas repéré (directement) les tensions entre les équipes, les hiérarchies entre les personnels (Shinn 1980; 1988; Amiot 1996; Vinck 2009; Louvel 2011). Je ne suis pas non plus sortie du laboratoire pour suivre les chercheurs avec leurs inscriptions (par exemple Callon 1986) ou leurs contrats de recherche (par exemple Grossetti et Bès 2001). Je suis allée interroger des chercheurs d’un laboratoire sur leurs publications et leurs pratiques de publication. Mon objet n’est donc bien que la partie émergée d’un iceberg au sein duquel les différents types d’activités sont imbriqués et toujours « en train de se faire » sur un temps plus ou moins long, au cœur de tensions institutionnelles et normatives et dans un constant rapport entre dedans et dehors.

Que gagne t-on à prendre pour objet la publication scientifique dans le but de comprendre l’activité scientifique ?

1.2. La publication, vraiment si impersonnelle ?

La publication scientifique est une caractéristique de la profession de chercheur, même s’il existe d’autres professions qui ont la publication comme mode d’exposition de leur activité ; on peut penser au monde du journalisme, de la justice, de l’expertise, de la politique institutionnelle (et probablement d’autres encore). Il existe, depuis quelques années, un courant de recherches

27 Je m’y suis quand même rendue une trentaine de fois entre 2004 et 2006, au moins durant deux heures à chaque fois. J’ai passé du temps dans les lieux communs ou les bureaux à patienter le temps que mes interlocuteurs soient disponibles. J’ai aussi beaucoup déambulé au sein du laboratoire pour aller d’un bureau à un autre ou parce que les travaux avaient occasionné des déménagements temporaires vers d’autres laboratoires. Les entretiens ont été souvent interrompus parce que mes interlocuteurs avaient des affaires courantes à régler. J’ai donc aussi eu un aperçu de l’activité en train de se faire au sein de ce laboratoire.

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(plutôt anglo-saxon) très développé sur cette question, que l’on appelle les writing studies qui s’intéresse à la dimension rhétorique des écrits, notamment scientifiques (Bazerman 1988; Prior 1998). Ces travaux sont venus enrichir les connaissances sur les professions par l’étude de

professionnal writing dans le sens où les professions seraient en partie définies par l’établissement de rhétoriques particulières construites et véhiculées par les écrits et les textes (Bazerman et Paradis 1991).

C’est un peu dans cette lignée (quasi littéraire) que les premiers travaux des sociologues ont appréhendé la publication scientifique. Gusfield (1976) fait correspondre une rhétorique sociale aux autres niveaux de rhétorique (littéraires) et replace ainsi le texte dans son contexte social d'émergence. De même, et toujours selon cette orientation, les énoncés scientifiques sont vus comme ayant différents statuts rhétoriques, du plus tacitement admis au plus spéculatif, en passant par différents stades de modalisation (Latour et Fabbri 1977; Latour et Woolgar 1988).

Quelques années plus tard, dans une perspective plus ethnométhodologique que textuelle, Woolgar (1988) s’interroge sur la pratique des scientifiques au cours de l’activité de publication. Il présente celle-ci comme le résultat d’un processus de « dissociation et d’inversion » : dans un premier temps, le scientifique dispose d’inscriptions ; il en fait émerger un objet ; il extrait l’objet de la contingence des inscriptions ; il suppose que les inscriptions émergent de l’objet ; il ne présente que la phase 4 dans son article publié. Woolgar en a conclu à une « horreur méthodologique » du point de vue des chercheurs qui refuseraient le caractère indexical de leurs publications. Or, comme le souligne Lynch (2001), les scientifiques refusent l’indexicalité quand on les place dans une position réflexive, mais, dit-il, au cours de leur travail (j’ajouterais y compris dans l’article publié), l’indexicalité est bien présente et on doit pouvoir en comprendre la présence autrement que « par quelque stratégie rhétorique ou interprétative » (p. 144).

La publication scientifique présente la particularité d’être le fruit d’une activité collective. En effet, lorsque les chercheurs s’activent pour produire cette dissociation-inversion au bout de laquelle est produite la publication, ils sont rarement seuls. Des travaux ont déjà montré les enjeux de paternité et contributorialité concernant la publication scientifique (Pontille 2004). Mais, dès lors qu’on s’intéresse à l’activité scientifique (et non à la signature elle-même), ce sont les phénomènes de participation et de mobilisation pour la publication qu’il faut interroger.

Par ailleurs, la publication scientifique, en tant que production écrite, est intrinsèquement faite pour s’inscrire dans la durée (par des mécanismes de mémorisation, d’archivage) et elle prédispose à une certaine transportabilité (Goody 1979). Dans le cadre de l'analyse de l'origine et du développement de la presse scientifique et technique de 1665 à 1790, on a souligné cette double qualité de la revue (et de la publication) : « la revue scientifique a été mise en œuvre pour jouer deux rôles dans le processus de la communication scientifique : 1) celui de servir de

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véhicule pour la communication de nouvelles découvertes et idées 2) celui de fonctionner comme dépositaire du savoir » (Kronick, p. 8). Outre ces qualités d’objet permanent et transférable, des travaux insistent sur l’impersonnalité du discours qui y est rapporté. Faisons un (très bref) détour historique pour situer cette notion d’impersonnalité.

L’apparition au XVIIe siècle des publications scientifiques a fortement soutenu la mise en place de la science moderne en Europe occidentale (Kronick 1962).On fait remonter leur origine à la création de deux revues, le Journal des Sçavans en France et le Philosophical Transaction en Angleterre en 1665. Leur développement a été progressif puisqu’on ne compte toujours qu’une dizaine de journaux scientifiques au début du XVIIIe siècle. Cependant, dès son origine, le format a rencontré un grand succès parmi les savants du monde européen occidental qui se le sont rapidement approprié. En réalité, ces journaux ont été la formalisation d’une activité épistolaire intense, d’échanges et de débats entre des « cercles savants », activités que l’on peut faire remonter au début du XVIIe siècle. Par ailleurs, ils se sont mis en place parallèlement au développement d’un groupe professionnel particulier, les savants, qui ont progressivement remplacé les amateurs de sciences mondains (grâce aussi au rôle joué par les Académies des sciences, créées en Europe à la même période). Pratiquement, le développement des périodiques scientifiques a donné un caractère public et plus collectif au débat scientifique qui, lorsqu’il se cantonnait aux lettres, restait interpersonnel. En outre, le nouveau format a permis une exposition plus rapide et régulière des résultats que les livres, dont la procédure d’édition était bien plus longue. Ces transformations d’ordre pratique se sont accompagnées de changement au niveau des contenus et des procédures des recherches.

Au cours du XVIIe et du XVIIIe siècle, les publications ont été le lieu de la transformation du régime de la preuve dans le domaine des sciences de la nature (Licoppe 1996). Au fur et à mesure du développement de la presse scientifique, le contenu des publications a évolué et ce qui est exposé a changé. Pour résumer, on est passé d’une « théâtralisation de l’expérience » à la mise en place d’une « technologie littéraire » (Shapin et Schaeffer 1993). Les premières publications étaient en effet émaillées de détails concernant l’expérience elle-même, sa mise en œuvre, les témoins qui avaient assisté à l’expérience et dont la notoriété était censée garantir la crédibilité. Elles rendaient compte d’un événement, l’expérience scientifique, en en précisant les contextes (y compris sociaux). Dès le milieu du XVIIIe siècle, progressivement, les comptes-rendus d’expérience paraissant dans les revues scientifiques évoquent de moins en moins des conditions de production des résultats scientifiques. On assiste à une dépersonnalisation du récit de l’expérience, dans le sens où sont de moins en moins évoqués dans les textes les auteurs eux-mêmes mais aussi les témoins qui étaient jusqu’alors convoqués. Par contre, ce mouvement est allé avec la présence renforcée de graphiques, de tableaux et de citations d’autres travaux, de plus en plus seuls garants de la crédibilité du discours scientifique.

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