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La journée consacrée à Alt Duvenstedt ou plus précisément à ses locus LA 121 et 123 a débuté par une communication d'Ingo Clausen sur ces deux locus. Alt Duvenstedt se situe à la limite entre la plaine d‘épandage à l’ouest et les moraines weichséliennes à l’est (Clausen et Hartz, 1988). Lors de l'extraction de sables, neuf locus couvrant des occupations des groupes à Federmesser (LA 92, 120a, 120b), des groupes à Federmesser et du Brommien associés (LA 85, 86, 89) ainsi que de l'Ahrensbourgien (LA 121, 122, 123) ont été examinés par des diagnostics et des fouilles par l'ALSH entre 1985 et 2001 (Clausen et Hartz, 1988 ; Clausen et Schaaf, sous presse). Ces occupations se trouvaient directement au- dessus d'un sol fossile identifié comme un sol de type Usselo (Kaiser et Clausen, 2005) superposé aux sables éoliens et lacustres et recouvert par deux mètres de sables éoliens accumulés au Dryas récent.

Fouillé de 1992 à 1994, le locus LA 121 comprenait une nappe de vestiges lithiques d'environ 72 m² avec une concentration

subcirculaire de 10 x 8 m dont la zone centrale était occupée par un foyer (Clausen, 1995 ; Clausen et Schaaf, sous presse). Grâce à la présence de pointes à pédoncule ahrensbourgiennes, de grattoirs sur lames et de burins ainsi qu'aux critères technologiques de la production laminaire, cette occupation peut être attribuée à l'Ahrensbourgien. La surprise fut d'autant plus grande quand l'analyse radiocarbone d'un fragment de charbon de bois du foyer indiqua une position chronologique à la transition entre l'Allerød et le Dryas récent (AAR-2245 : 10.810 ± 80 BP; AAR-2245.2 : 10.770 ± 70 BP; Kaiser et Clausen, 2005). Cette datation correspond bien à la position stratigraphique de l'occupation, indiquant une légère postériorité par rapport au sol d'Usselo formé au cours de l'Allerød. Tout cela fait du locus LA 121 le témoignage ahrensbourgien le plus ancien en Allemagne du nord. Au centre de la surface fouillée de 204 m² du locus LA 123, une nappe de vestiges lithiques d'environ 5 x 4 m de forme circulaire à ovale a été mise au jour en 1994 et en 2001 (Clausen et Schaaf, sous presse). Elle contenait avant tout un foyer et à l'ouest de celui-ci un poste de taille identifié pendant les fouilles. Faute de pièces caractéristiques, l'attribution culturelle de ces structures restait d’abord ouverte (Clausen, 1995). Puis elle se fonda sur les attributs morphologiques et technologiques des lames qui indiquaient plutôt une origine

 

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Axe 1 : évolution des environnements tardiglaciaires et holocènes

Axe 2 : chronologie des successions culturelles au Tardiglaciaire Axe 3 : palethnographie des sociétés du Tardiglaciaire

Axe 4 : chronologie des successions culturelles au début de l’Holocène Axe 5 : palethnographie des sociétés du début de l’Holocène

ahrensbourgienne mais n’excluaient pas non plus une appartenance aux groupes à

Federmesser (Kaiser et Clausen, 2005),

d'autant plus que l'attribution chronologique du foyer à la fin de l'Allerød (AAR-2246 : 11.060 ± 110 BP; Kaiser et Clausen, 2005), grosso

modo contemporaine de celle du locus

ahrensbourgien LA 121, semblait plus compatible avec une attribution à la tradition plus ancienne. Au cours des deux dernières années, des remontages intensifs de l'industrie lithique des deux locus ont été entrepris, d'un côté par Inger Marie Berg-Hansen (Universitetet i Oslo) dans le cadre de sa thèse sur la transition de l'Ahrensbourgien au Mésolithique en Scandinavie (Berg-Hansen, sous presse) et, de l'autre côté, par Birgit Schaaf, collaboratrice bénévole assidue d'Ingo Clausen. Ces remontages ont premièrement permis d’intégrer la majorité des vestiges des deux locus dans des séquences de taille (Clausen et Schaaf, sous presse) : à LA 121, 488 des 745 pièces en silex (sans esquilles) constituent quatre séquences de production laminaire quasi-complètes, et à LA 123, 277 des 338 pièces en silex (sans esquilles) forment trois séquences de production laminaire quasi- complètes ainsi que deux séquences partielles. Ensuite, la contemporanéité des deux locus a pu être démontrée par l'intégration d'un objet de LA 121 dans une des séquences de LA 123 et par celle de trois artefacts de LA 123 dans

des séquences de LA 121. Grâce à la bonne préservation du site et aux remontages ainsi qu'à leur analyse spatiale, Ingo Clausen est capable de retracer en détail comment les activités des chasseurs-cueilleurs ahrensbourgiens se sont déroulées à Alt Duvenstedt (cf. Clausen et Schaaf, sous presse). Une telle reconstruction palethnographique est exceptionnelle pour les traditions tardiglaciaires en Allemagne du Nord.

Le potentiel technologique de ces remontages était au centre de l'intérêt de cette journée de mars 2015. La communication d'Ingo Clausen fut suivie par l'observation du matériel pendant la matinée. Les questions soulevées par le fouilleur et les nôtres, inspirées de la comparaison avec le Belloisien et les groupes à Federmesser, se rejoignaient pour structurer cette observation autour des sujets suivants : mode de débitage (uniquement à la pierre tendre ou aussi au percuteur tendre organique ?), objectif et méthode de production laminaire ahrensbourgiens, différence de compétence du tailleur entre LA 121 et LA 123. La discussion clôturant la matinée a apporté les réponses qui suivent. Malgré la variabilité relative des parties proximales de lames à Alt Duvenstedt LA 121 et LA 123, l'opinion générale considère la percussion directe à la pierre tendre comme

 

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seul mode de débitage employé pour le détachement des produits laminaires recherchés. Tenant compte de la souplesse permise dans le geste du tailleur avec un percuteur de pierre tendre, ce constat n'a rien d'étonnant. Ceci est d'autant plus vrai que le percuteur tendre organique était plutôt rare au sein du Paléolithique supérieur, comme Boris Valentin nous l'a rappelé au cours de la discussion, de sorte qu'on devrait plutôt poser la question pourquoi il a été utilisé dans certains contextes. Les incertitudes sur les modes de débitage à Alt Duvenstedt ont bien montré que leur identification peut parfois être difficile ce qui a amené Mikkel Sørensen (Københavns Universitet), préhistorien et tailleur expérimenté, à nous inviter à « sharpen [our] eyes », c'est-à-dire à développer nos méthodes d'analyse afin de pouvoir mieux distinguer entre les stigmates provoquées par un percuteur tendre organique et ceux résultant de l’usage d’un percuteur de pierre tendre.

En ce qui concerne les méthodes de la production laminaire, Mikkel Sørensen en a résumé les plus frappantes pendant la discussion : comme les volumes recherchés pour l'initialisation du plein débitage étaient plutôt plats, pour pouvoir installer la table laminaire sur une surface étroite, de grands éclats ont d'abord été détachés de gros blocs de silex de type Falster, disponibles, selon Ingo Clausen, à 2 km de distance du site. Ces éclats

présentaient un volume spécifique possédant un angle aigu qui a servi à créer un cintre prononcé à la table laminaire initiale. Dans le but probable de protéger ses mains, le tailleur rendait le futur dos du nucléus moins tranchant en installant une crête sur un bord de l'éclat, avant d’amener ce volume de départ au site et d'y ouvrir le premier plan de frappe par le détachement d'un seul éclat dont le négatif formait un angle d'environ 70 ° avec la table laminaire. Le second plan de frappe a seulement été installé lorsque des accidents, notamment des réfléchissements, sont survenus. Il ne faut pas négliger non plus que quelques débitages débutaient sur place à partir de nodules de silex ou de nucléus préparés au préalable. Les volumes de départ avaient alors des sections différentes, plutôt ovales à circulaires, et les débitages progressaient avec une extension plus ou moins grande (Berg- Hansen, sous presse) de sorte qu’Inger Marie Berg-Hansen a soulevé la question de l’existence de plus d’un schéma opératoire. Pour la plupart des chercheurs présents ce n’est pas le cas et les différences dans la largeur de la surface d’initialisation du débitage ainsi que dans l’extension de celui-ci étaient dues aux variations dans les volumes. D’ailleurs, dans sa communication au workshop à Kiel, la collègue norvégienne décrivait des nucléus exploités sur tout leur pourtour et possédant un plan de frappe concave, sous forme de surface

 

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naturelle ou négatif d’éclat, qui permettait ainsi une progression tournante sans réaménagement de l’angle formé par le plan de frappe et la table laminaire. Malgré les différences apparentes dans le soin des débitages entre les deux locus, certains interprétaient les productions laminaires remontées comme l’expression d’un seul tailleur compétent, ce qui transparaissait entre autres à travers sa gestion uniforme des accidents de taille et des impuretés du silex.

Les lames recherchées à Alt Duvenstedt LA 121 et 123 ont un profil longitudinal plutôt rectiligne et sont minces (Clausen et Schaaf, sous presse). Très peu d’entre elles ont été transformées en pointes à pédoncule ou outils. En ce qui concerne le choix des supports des pointes aménagées sur le locus LA 121, son caractère ciblé a été souligné et expliqué par le fait qu’une seule personne l’avait probablement effectué. Par contre, un site comme Stellmoor (Kr. Stormarn) où les chasses ahrensbourgiennes ont eu lieu à plusieurs reprises montre un corpus de pointes à pédoncule plus hétérogène.

L’Ahrensbourgien plus évolué et final :