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2.3 La décennie 1990 (1992-1999)

2.3.1 La dure décennie 1990 pour la Russie

Une fois l’URSS disparue, les problèmes du pays ne sont pas pour autant résolus. L’économie en recomposition, mêlée à des problèmes politiques, empêche la stabilisation du pays et la « transition démocratique ». Les bouleversements de l’année 1991 apportent une nécessité de changements dans les structures du pays, mais dès lors la question se pose à tous les niveaux : comment changer un système toujours présent?

2.3.1.1 La transition à une économie de marché

Malgré les importants changements politiques de 1991, l’économie russe est toujours dans un état lamentable. D’importantes réformes économiques sont nécessaires. Ainsi, le nouveau ministre de l’économie, E. Gaïdar, lance en 1992 une politique dite de la « thérapie de choc ». Grandement inspirée des théories libérales, sinon néolibérales, cette politique « […] vise au désengagement de l’État dans tous les domaines, prenant ainsi le contre-pied radical de la construction soviétique qui plaçait l’ensemble des ressources et des institutions économiques sous le contrôle public » (Daucé 2008, 13). Bien évidemment, dans un système aussi centralisé que l’économie soviétique, une telle initiative ne pouvait qu’avoir des coûts très élevés en matière sociale (Daucé 2008, 12-14). En résultent une forte inflation, la perte de l’épargne des particuliers et l’apparition du chômage à grande échelle.

Pour appuyer les réformes économiques et interdire tout retour en arrière, le gouvernement russe se lance dans une politique de privatisation de masse24, espérant créer de toutes pièces une nouvelle classe de propriétaires. Les espoirs du gouvernement sont cependant déçus dans la mesure où la majorité des citoyens demeure en dehors du processus. Ne connaissant ni le fonctionnement d’une économie de marché « à l’occidentale », ni les possibilités offertes par ces nouveautés et surtout souvent pressés par les nécessités quotidiennes, les gens revendent à bas prix les coupons plutôt que « d’attendre les dividendes à long terme de leurs actions » (Daucé 2008, 15).

Il s’agit là d’un des aspects de la transition économique du pays. D’autres sont tout aussi importants : la criminalisation d’une partie de l’économie, l’endettement croissant du gouvernement, l’enrichissement énorme d’une petite partie d’initiés ou d’avantagés, bientôt surnommés les « oligarques ». Ainsi posés, ces problèmes illustrent le contexte économique

24 « 240 000 petites et moyennes entreprises sont privatisées entre 1992 et 1994. Les petites entreprises sont

généralement vendues à leurs salariés. Les entreprises moyennes sont privatisées par coupons (vouchers), distribués à plus de 140 millions de personnes » (Daucé 2008, 15).

difficile dans lequel évolue la Russie dans les années 1990. Une citation de W. Rosenberg (2002, 36) résume fort bien les changements du début et de la fin du système soviétique :

Suffice it here only to say that if the early Bolsheviks, driven by uncompromising ideas about rationalizing the state, destroyed human rights and compromised social welfare in their brutal and corrupt effort to create fictive socialism by controlling every facet of production and distribution, their post-Soviet successors, driven by uncompromising ideas about rational choice and rational markets, have destroyed social welfare and compromised human rights in their brutal and corrupt effort to create fictive capitalism by privatizing every facet of production and distribution.

2.3.1.2 La lutte pour le pouvoir et la crise de 1993

Dans ce contexte, les alliances politiques de 1991 ne tardent pas à éclater face aux désaccords sur les réformes économiques. Le conflit s’enracine entre la présidence d’Eltsine et le parlement élu (Soviet suprême du Congrès des députés du peuple). Ce dernier avait, en 1990-1991, appuyé Eltsine en lui donnant les pleins pouvoirs pour mener les réformes politiques et économiques. Toutefois, suite aux problèmes engendrés par la thérapie de choc de Gaïdar, l’appui à Eltsine au sein du Soviet suprême se mue en opposition, voire en affrontement armé en octobre 1993. Les désaccords économiques et constitutionnels, doublés de conflits de personnalités, amènent Eltsine à dissoudre le Soviet suprême en septembre 1993. Ses opposants directs au Parlement, R. Khasboulatov et A. Routskoï, entrent en lutte ouverte contre lui. Des manifestations de militants « pro- parlement » dégénèrent en affrontements avec les forces de sécurité, jusqu’à ce qu’Eltsine ordonne à l’armée de prendre d’assaut la Maison Blanche25 où s’étaient retranchés ses opposants (Sakwa 2008, 50-53).

Cette victoire d’Eltsine sur le Parlement est déterminante pour le régime politique russe actuel car la Constitution adoptée fin 1993 est liée aux caractéristiques établies lors de cette crise26. Eltsine se retrouve donc à la tête d’un système présidentiel « fort », lui

25 La « Maison blanche » est à l’époque le siège du parlement russe, situé à l’ouest du centre de Moscou. 26 « Le dénouement de la crise d’octobre 1993 entre le président et le Soviet suprême constitue

indéniablement un tournant décisif dans le design institutionnel qui s’impose alors en Russie. En utilisant l’armée contre le Parlement, B. Eltsine instaure de fait un pouvoir présidentiel fort » (Daucé 2008, 28).

donnant une grande étendue de pouvoirs sur les chambres du gouvernement. Toutefois, la résolution du conflit par la violence le déconsidère durablement aux yeux de la population russe et lui font perdre toute apparence de « démocrate ».

2.3.1.3 La période Eltsine (1993-1999) et la crise de 1998

En plus de toutes les conséquences politiques de l’action d’Eltsine de 1993, la Russie voit se développer un fédéralisme marqué par l’inégalité entre les sujets et des relations centre-périphérie tendues (Daucé 2008, 44-47). La Constitution accordant beaucoup de compétences aux sujets27, plusieurs entreprennent de négocier des accords avantageux par rapport au gouvernement fédéral. Les plus riches d’entres eux (par exemple, la République du Tatarstan, assise sur de riches champs pétrolifères) parviennent à officialiser leurs aspirations, tandis que d’autres se retrouvent englués dans des conflits avec Moscou, notamment la Tchétchénie. Il en résulte donc un fédéralisme inégal, amenant son lot de conflits et affaiblissant d’autant la position du centre.

Cette période voit également un appauvrissement de la population, malgré le développement d’une petite classe de nouveaux riches, dont certains profitent de la faiblesse du pouvoir politique pour servir des intérêts parfois douteux et encore aujourd’hui controversés (Daucé 2008, 44-47).

À cela vient s’ajouter la crise des paiements de 1998. Subissant le contrecoup de la crise financière asiatique de 1997, la Russie prend des mesures radicales : dévaluation de la monnaie, moratoire unilatéral sur les dettes externes, défaut sur la dette interne, etc. (Daucé 2008, 55). Cette crise économique se double d’une autre politique et les années 1998-1999 sont le théâtre d’une « valse » des premiers ministres, avant l’arrivée au pouvoir de V. Poutine.

27 Les « sujets de la Fédération » sont l’équivalent des provinces dans le système canadien. La Russie dispose

d’un éventail de sujets différents : république ou république autonome, oblast, kraï, okroug, etc. Au nombre de 83, elles ont toutes une certaine autonomie législative, notamment en matière archivistique.

Globalement, la décennie 1990 est une période difficile et amère, constituée de revers sérieux aux plans économique et politique. Il importe d’avoir ces difficultés à l’esprit pour bien se représenter le contexte dans lequel les archivistes russes entreprennent la réforme de leur système selon les nouveaux principes du moment.