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Du repli dans l’espace clos à son ouverture

Dans le document Le dualisme tragique de Tommaso Landolfi (Page 139-141)

Chapitre deuxième Les fondements de l’œuvre narrative et fictionnelle de Tommaso Landolf

B) Le repli dans l’espace intime et l’apparition perturbante de la « bête » B.1) Le rejet de la réalité et le repli dans l’espace domestique

B.2) Du repli dans l’espace clos à son ouverture

La nature romantique de cette valorisation de l‟espace clos, comme espace intime, le plus souvent domestique, apparaît peut-être de manière encore plus nette quand l‟espace clos se révèle être aussi un espace ouvert, voire cosmique. Certes, Carlino, dans Ragazze di provincia, adopte une position qui renvoie symboliquement à celle du fœtus et symbolise ainsi un désir de passivité, chez ce personnage qui revient passer quelques jours dans la maison de sa famille à la campagne :

Il cortile era stato invaso dall‟erba e dalle aiuole erano venuti su grossi gigli che, non si sa perché, si vedevano solo di notte. La prima sera, nel buio, essi se ne stavano perfettamente immobili e un po‟ selvatici, come se fossero stati presi sul fatto ; ma le notti seguenti divennero più domestici e cominciarono perfino a brandire. Gigli di

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Pour ce qui est des rapports amicaux entre personnages masculins, nous pensons au loup-garou recevant la visite de son ami (Il racconto del lupo mannaro), mais aussi aux trois employés qui se rendent dans une maison close (Il sogno dell‟impiegato) et à la discussion des personnages de La piccola apocalisse (MDB) dans un café. Les rapports entre les personnages sont également amicaux dans un autre espace clos : celui de la chambre de l‟auteur fictionnel de Night must fall (DIA).

334 Il s‟agit de rapports soit effectivement sexuels, comme dans Ragazze di provincia ou Il sogno dell‟impiegato,

soit symboliquement sexuels, comme dans Notte di nozze : nous aurons l‟occasion de le voir en détail. Cf. infra, p. 167-168.

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Comme nous l‟avons vu, cet aspect satirique est particulièrement apparent dans Il sogno dell‟impiegato. Nous pouvons également établir une correspondance entre certaines fictions de Landolfi (nous pensons notamment aux dialogues, par exemple Il dente di cera dans Teatrino, DIA) et un texte comme celui de La leçon de Ionesco, en raison de la symbolique à la fois sexuelle et violente qu‟on trouve chez Landolfi comme chez Ionesco. Nous rappellerons que Ionesco est né en 1912, soit trois ans après Landolfi, et qu‟il écrit La leçon un an après La

cantatrice chauve, en 1951. Ce rapprochement entre Landolfi et Ionesco nous semble encore plus pertinent si

l‟on songe au recueil Le labrene (1974), où la symbolique sexuelle ou violente des dialogues, qui ont souvent lieu entre un homme et une femme, est particulièrement évidente. Nous ajouterons enfin qu‟on peut établir un lien entre ce type de textes courts (et souvent fantaisistes) écrits par Landolfi et certains dialogues de

Sant‟Antonio. […] Verso il crepuscolo, quando finalmente le cose assumono il volume e il contorno che loro compete (non più ingrassate e bagnate dalla luce diurna e tuttavia non ancora diffuse da quella notturna), rimaneva a lungo su un gradino della scala esterna, abbracciato alle proprie ginocchia, preso da quella mutezza336

Cependant, nous pouvons aussi noter qu‟il se trouve précisément sur le seuil de la maison et qu‟il regarde son jardin, où les lys plongés dans la lumière du crépuscule lui semblent familiers.

Le repli dans l‟espace clos n‟est donc pas qu‟une régression symbolique dans le ventre maternel : c‟est aussi la possibilité d‟accéder à une « autre réalité », à une dimension surréelle où la nature devient domestique, où l‟espace humain devient sauvage, où le végétal semble animé. Cela est très net dans la PL, où le refuge protecteur de la maison familiale s‟ouvre sur un univers sauvage et primaire, dans lequel Giovancarlo est guidé par Gurù. On peut ainsi remarquer que depuis sa maison, Giovancarlo peut découvrir la vie du village comme on contemple un spectacle, notamment quand il assiste à la procession du village. Or, on peut comparer cette scène à celle de Maria Giuseppa (DIA), la toute première nouvelle publiée par Landolfi, lorsque Maria Giuseppa regarde elle aussi une procession et que le protagoniste est alors saisi par le désir de la posséder sexuellement : entre les deux passages, dont les modalités sont certes assez différentes, nous trouvons une même ouverture de l‟espace clos, protecteur et féminin, que l‟on rencontre encore sous diverses formes dans les fictions des premiers recueils.

Cette ouverture semble devenir illimitée voire cosmique dans les cas où l‟espace clos est aussi un moyen de locomotion. Dans le recueil MDB, nous en voyons trois exemples : dans Il mar delle blatte, avec le vaisseau pirate sur lequel s‟embarquent maître Coracaglina et son fils Roberto qui se révèle être le chef de l‟équipage ; dans Teatrino, avec le train interplanétaire où voyagent les personnages d‟Asfu ; enfin, dans Favola, avec le carrosse du maître de la chienne, décrit par la chienne elle-même, au début du récit de ses aventures :

Nella sua corsa attraverso terre e città sconosciute non si portava dietro soltanto me, ma, anche senza voler parlare dei miei genitori, tanti altri animali […] Suscitando lo stupore e la riverenza di tutti, egli attraversava le città sconosciute in un cocchio sontuoso, tempestato di pietre credo preziose, e dietro altri cocchi, ed entro a questi paoni scimmie pappagalli, e noi cani d‟ogni razza, e altri curiosi animali di remote contrade 337

L‟espace clos, de microcosme, se révèle alors être un macrocosme et, tandis que les villes traversées ne sont pas représentées, les coches sont décrits comme une arche de

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Ragazze di provincia (MDB), p. 240.

Noé multipliée, ce qui en fait un espace surréel au centre duquel se trouve un personnage masculin en qui on peut voir une image de l‟auteur. Devant ces trois exemples, on peut penser à certaines fictions du XIXe siècle, dans lesquelles l‟espace clos

où se réfugie un personnage masculin apparaît comme un monde en soi, artificiellement créé pour le plaisir de ce personnage. Plus généralement, on peut penser à ce qu‟écrit Gaston Bachelard dans La poétique de l‟espace, au sujet de ce qu‟il nomme l‟« immensité intime ». Pour Bachelard, l‟imagination qui se laisse aller à la rêverie contemple un « ailleurs » ; quand cet « ailleurs » est « naturel », il tend à l‟immensité : « L‟immensité est en nous. Elle est attachée à une sorte d‟expansion d‟être que la vie refrène, que la prudence arrête, mais qui reprend dans la solitude »338.

Ainsi, le repli symboliquement régressif dans l‟espace intime, tout à fait typique du romantisme, permet d‟abord de fuir la réalité, avant d‟accéder ensuite à un espace surréel, grâce à un mouvement d‟expansion et d‟ouverture. Mais dans son rapport à l‟espace, la poétique landolfienne ne se limite pas à une valorisation de l‟espace clos qui serait le plus souvent domestique, amenant à une valorisation de l‟immensité qui serait le plus souvent sauvage. Ce mouvement romantique existe bel et bien, mais il coexiste avec une veine fantastique inquiétante : nous retrouvons ici la problématique de l‟articulation entre la valorisation de « l‟autre réalité » et son aspect unheimlich, car le refuge de l‟espace clos ne protège pas le sujet de ses obsessions perturbantes.

Dans le document Le dualisme tragique de Tommaso Landolfi (Page 139-141)

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