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a) Résumé du passage et remarques préliminaires

Dans le document Le dualisme tragique de Tommaso Landolfi (Page 188-191)

Chapitre deuxième Les fondements de l’œuvre narrative et fictionnelle de Tommaso Landolf

D) La représentation d’une forme surréelle de sexualité ou d’érotisme

D.3. a) Résumé du passage et remarques préliminaires

Les huit pages du rêve, parce qu‟elles reproduisent le processus analogique propre à l‟activité onirique, sont d‟une densité qui rend leur analyse délicate et qui nous invite à tout d‟abord résumer le texte. Au début du passage, Rosalba semble plutôt rêvasser en cherchant le sommeil que rêver véritablement : le fait qu‟il n‟y ait pas de passage net de la rêverie au rêve constitue une qualité indéniable du texte. Elle a envie de pleurer sans raison à la vue de sa maison au coucher de soleil et elle ressent un poids en elle au moment du bain, signes évidents de son éveil à la sexualité484. Ainsi désire-t-elle se

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La morte del re di Francia compte vingt-huit pages dans l‟édition Rizzoli des œuvres complètes (DIA, p. 25- 33), tandis que les nouvelles Notte di nozze et Il racconto del lupo mannaro n‟en comptent que trois chacune. Nous préciserons les conditions particulières de la rédaction : les manuscrits indiquent que les différents passages de la nouvelle ont tous été écrits la nuit, en quatre séances d‟écriture, entre le 20 et le 23 juin 1934 et que la partie du rêve de Rosalba a été rédigée en une nuit et avant celle qui prend place au début du récit. Nous ajouterons que les principaux éléments de ce rêve sont présents, sous une forme plus condensée, dans Notte di

nozze, que Landolfi écrivit un an plus tard : les significations sexuelles évidentes ; le point de vue féminin ; la

présence de la bête ; le mouvement tantôt centrifuge, tantôt centripète de la bête, ou du sujet féminin, à l‟intérieur de la maison ; la confusion, orgasmique ou chaotique, entre les éléments de la maison ; la confusion du plaisir, ou de la joie, avec la douleur.

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La morte del re di Francia (DIA), p. 25-26 : « […] quel piangere interno rare lagrime dava ma grosse e lente che se ne sentiva lo scorrere sulle guance, lagrime che si svellevano con isforzo dal calmo alveolo... [...] la

libérer en extériorisant une réalité intérieure prenant une forme physique (les pleurs), ou une forme plus indéfinie (le poids)485. Mais ce mouvement centrifuge s‟inverse ensuite ; pour se libérer, en effet, il faut se laisser aller à un mouvement non plus vers l‟extérieur, mais vers l‟intérieur :

Forse è necessario liberarsi di quel peso con un sospiro più profondo, più profondo, un inaudito sospiro : è un momento, si risale, si risale ancora più dentro, sempre più in fondo, fino alla vertigine, fino a carpire l‟ultimo bioccolo di fiato che si è aggroppato nel fondo (ma di che cosa?) e si è liberi486

L‟enjeu dramatique du texte est constitué par la nécessité de se défendre contre la menace que représente l‟irruption d‟un désir sexuel qui n‟est d‟ailleurs sans doute pas seulement, comme nous le préciserons, celui du personnage féminin. Cette menace fait naître une pulsion destructrice, dont les allers et retours vont eux aussi guider la vision onirique, tout comme l‟alternance entre mouvement centrifuge et mouvement centripète487.

Dans un premier temps, Rosalba se voit emportée dans une mer qui recouvre tout ; un monstre marin puis des homards gigantesques y apparaissent. Sans que le lecteur ait pu percevoir une véritable rupture, la rêverie est donc devenue un rêve impressionnant. Ensuite, la mer disparaît et Rosalba se voit dans la maison, descendant les escaliers puis allant dans la cuisine et enfin dans la resserre (« dispensa »), à la recherche d‟un rire (« riso ») ; enfin, dans un troisième temps, alors qu‟elle est assise sur un muid (« moggio »), dans la resserre, elle voit un monstre sortir du trou dans le sol destiné à l‟évacuation des eaux sales et se diriger vers elle, précisément vers son sexe. Par ailleurs, plusieurs mots, indiqués en italique dans le texte, semblent stimuler agréablement Rosalba en suscitant de nouvelles images, selon une sorte de jeu qui rappelle les libres associations en psychanalyse : « colata », « schiacciato », « binocolo », « cotenna », jusqu‟à un mot inventé, « canie ». « Buco » et « amore » ne suscitent en revanche aucune nouvelle image, mais Rosalba s‟interroge sur la raison qui lui a fait penser au mot « buco ». Il importe donc de remarquer dès maintenant que dans

ruvidezza della spugna è ormai quasi piacevole e brividosa sull‟arco delle reni, il fiato è greve d‟un peso che costringe a sospirare ogni cinque minuti ».

485 Nous remarquerons par ailleurs que l‟éveil à la sexualité se présente comme quelque chose que la jeune fille

subit (« che costringe ») et que cet éveil fait se rejoindre deux sensations opposées, l‟une implicitement désagréable (« la ruvidezza della spugna », qui fait penser, par les sonorités avant tout, au « raschiare sordo » de

Notte di nozze), l‟autre clairement agréable (« è quasi gradevole »). Le lien entre douleur et plaisir est confirmé

par l‟une des phrases suivantes (La morte del re di Francia, DIA, p. 26) : « Ad ogni modo c‟è in fondo a quel peso come la promessa di un piacere nascosto e nuovo ».

486 Ibid, p. 26. 487

La pulsion destructrice nous semble se traduire dans une phrase comme : « Occorre che quel peso sia schiacciato ecco : schiacciato » (ibid., p. 26).

le rêve de Rosalba, la matière symbolique des mots a autant d‟importance que la matière imaginaire de sa vision. Au sein même du rêve de Rosalba, le langage détaché de la réalité extérieure qu‟il désigne habituellement se mêle au pouvoir créateur de l‟imagination débridée. Ainsi, avant même que nous nous interrogions sur les relations entre écriture et onirisme, nous pouvons relever ici les liens entre langage et onirisme488. Sans commenter toutes les images de ce texte extrêmement dense, nous soulignerons également que l‟acte sexuel, comme présence symbolique latente, apparaît et disparaît plusieurs fois dans le rêve sous la forme d‟une créature (le monstre marin, puis les « canie », puis la bête) guidée par un mouvement centripète. Tantôt centrifuge, tantôt centripète, le mouvement qui anime la vision onirique est aussi rythmique, avec l‟image du ressac et le rythme des mots entendus par Rosalba : « Free-ddo del moo-ggio, freee- ddo del moo-ggio (sull‟aria del Bandolero stanco)489 ». Ce mouvement rythmique participe certes de la symbolique sexuelle du rêve : comme dans Notte di nozze, lors de cet acte sexuel symbolique, le sujet féminin est totalement passif et la pulsion destructrice, qui semble grandir en même temps que s‟affirme le désir, menace de tout détruire. Mais ce qui se produit finalement n‟est pas un triomphe du chaos ; au contraire, la douleur se transforme finalement en joie :

Ma la bestia non le ha strappato nulla, non le ha strappato il bocciolo più tenero, nel cavo tra le cosce, per mangiarselo. La bestia vuol suggerla tutta. Ebbè, faccia pure. Dolore ? Che dite mai Marchesa ? No, nessun dolore […] Il dolore, il dolore !! No, la gioia490

Le néant, le tout, le vide et le plein peuvent se mêler en une ultime fusion chaotique, qui s‟affirme comme l‟épanchement libérateur préparé dès le début du passage :

E l‟àstrico e l‟acquaio e le pareti e le travi gialle e sporche, prima a vortice poi indietreggiando, svaniscono. Ecco ancora galleggia sul grigio perla, colore del vuoto, la cotenna. Silenzio. Non c‟è più nulla e il nulla è punteggiato d‟un sorger muto di linfe, di un rovesciarsi di vuoto dentro vuoto, di cieli giacintini dentro cieli, di universi color pesca dentro universi. Silenzio e rumore assordante. / Ed ecco il sorgere delle linfe di giada si precisa. Non sorgono, sfuggono. Fluiscono irrimediabilmente e dolcemente, purificano, liberano, portano via la vita (la vita ?) tutto. Si dissolvono il sangue le vene le ossa i visceri e fluiscono via in linfa. Purificazione, la liberazione ! La liberazione e forse, sì, sì, la vita ! Le linfe fluiscono, colano./ Colano. Né tristezza né gioia, perché non sono necessarie né l‟una né l‟altra. Necessario (perché è) è il fluire delle linfe, il colare491 Il se produit donc alors quelque chose qui ne peut advenir, quand le sujet masculin est aux prises avec la bête, dans d‟autres scènes étranges écrites par Landolfi : la pulsion

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Nous ne arrêterons pas ici sur les liens poétiques entre langage et onirisme, ni sur l‟influence certaine exercée sur Landolfi par la théorie psychanalytique.

489 La morte del re di Francia, p. 31. 490

Ibid., p. 31.

destructrice ne détruit rien, et le désir d‟un épanchement est satisfait, dans cette scène où l‟être féminin se soumet avec une totale passivité à un acte sexuel surréel qui lui procure une douleur se transformant finalement en joie. Le passage consacré au rêve de Rosalba ne s‟arrête toutefois pas sur cette vision : nous y reviendrons.

D.3.b) Le fantasme d’une pureté absolue

Dans le document Le dualisme tragique de Tommaso Landolfi (Page 188-191)

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