• Aucun résultat trouvé

La culpabilité et la honte

Dans le document Le dualisme tragique de Tommaso Landolfi (Page 64-66)

Chapitre premier Synthèses préliminaires

D) L’influence post-romantique et décadente dans la BDP (LA BIERE DU PECHEUR)

D.4) La culpabilité et la honte

Encore une fois, nous voyons donc que la maladie, si elle rabaisse celui qui la confesse, l‟exalte aussi car elle s‟oppose à la norme, à la bourgeoisie, à la « réalité » : le malade est noble, le malade est un artiste, le malade a un pouvoir, sur les femmes et sur le hasard. Le hasard, dans la BDP, que Landolfi Ŕ en tant que personnage de son récit autobiographique Ŕ maîtrise de deux manières : au jeu, quand il gagne une somme très importante, avant de perdre finalement un autre somme très importante ; avec Ginevra, quand il lit dans sa main un destin sanglant, qui se réalise en fantasme, dans un des passages que nous avons évoqués (celui où l‟auteur prétend qu‟on a tiré sur lui). En effet, dire, ensuite, que ce fantasme est aussi vrai que la réalité, comme nous l‟avons vu, c‟est ne pas renoncer tout à fait à l‟idée de posséder un pouvoir sur le déroulement des choses141.

Etre malade, c‟est donc aussi se distinguer. Mais Landolfi récuse les accusations de « dilettantismo » ou de « compiacenza »142, dont il imagine bien que le lecteur peut le taxer, à la lecture de ce livre où on peut en effet se demander quelle est la part de pose ou d‟artifice : pour lui, il n‟y a aucun moyen d‟échapper au négatif et c‟est la passivité par rapport aux circonstances extérieures, ou l‟inclination irrésistible de sa propre nature, ou encore la bête intérieure qu‟il porte en lui qui a le dernier mot, sans qu‟il admette la possibilité d‟échapper à la dialectique impossible de ces raisonnements. Par conséquent, même s‟il n‟accepte pas l‟idée d‟être accusé de se complaire dans le mal, il finit toujours par se rabaisser, comme on peut le voir dans ce passage qui nous semble très révélateur, par rapport à ce que nous appelons le dualisme tragique :

Veder soffrire Ginevra ? Il cielo preservi questo povero ammalato che si ha tanti riguardi dal soffrire nell‟altra. Cederle, non posso con tutta la mia buona volontà. Eppure non c‟è una terza via. Oh, ma non mi trovo ora press‟a poco nella stessa posizione ? La terza via c‟è, quella della pazienza e dell‟ipocrisia. Sospetto infatti (per non esprimersi brutalmente) che qui dentro, dico qui dentro appunto, ci sia una buona dose di viltà143

Incapable de choisir et d‟agir, Landolfi prend une voie qui ne mène qu‟à l‟autodénigrement, jusqu‟à ce mot de « viltà ».

Ainsi, dans la BDP, la présence féminine introduit la thématique libertine des

141

On retrouve notamment cette idée dans La vera storia di Maria Giuseppa (OM), où Landolfi revient sur l‟histoire de la véritable Maria Giuseppa, qui travailla comme bonne au manoir de Pico, mais qui inspira son premier récit : Maria Giuseppa (cf. infra, p. 524-526).

142

BDP, p. 606.

intrigues amoureuses et la thématique romantique de l‟amour salvateur, mais elle approfondit surtout le thème de la maladie et l‟idée d‟une malédiction dont s‟affirme de plus en plus le caractère tragique. Comme nous l‟avons déjà suggéré, cette idée de malédiction doit beaucoup à Dostoïevski, plus précisément au Dostoïevski des Mémoires du souterrain. D‟emblée, avec l‟idée qu‟on pourra tout trouver, dans les oeuvres de Landolfi et en lui-même, « sauf la vie », la BDP rend compte de cette condamnation dostoïevskienne au souterrain métaphorique de l‟écriture, encore très présente dans les pages des autres journaux comme en témoigne ce passage tiré de RV :

M‟ero forse detto che tutto dovevo sacrificare a questa bellissima e nobilissima cosa che è la poesia, e in parte avvedendomene e gloriandomene, per lo più senza saperlo, feci tale violenza alla mia natura, che non è meraviglia non abbia mai trovato e non trovi pace: sta bene certo farsi violenza, ma fino a un certo punto, oltre il quale si casca in un nero peccato, e per l‟uomo vero immagino a tanto si riduca l‟esercizio del discernimento, a non varcare quel limite andandogli il più possibile accanto. E dico: può essere vita questa ?144

Seulement, comme nous l‟avons vu, l‟espoir de rédemption, qui s‟opposerait à la condamnation, est sans cesse vaincu et ce sont toujours la maladie, la malédiction et la déréliction qui ont le dernier mot, si bien que la BDP, comme récit d‟un passé proche qui ramène au présent de l‟écriture, apparaît comme un livre sans issue pour son créateur, qui est aussi son protagoniste. Le désespoir des Mémoires du souterrain, au lieu de s‟articuler avec l‟espoir de rédemption, qu‟on trouve surtout, pour ce qui est de Dostoïevski, dans d‟autres œuvres de cet écrivain145

, devient dans la BDP de Landolfi comme le creuset où affluent tous les éléments pessimistes qui traversent la fin du XVIIIe

et le XIXesiècles.

Aussi Landolfi apparaît-il à la fois comme maudit, abandonné et coupable : quand elle ne laisse pas la place au blasphème, la prière à Dieu évolue vers une autoaccusation qui n‟appelle pas de rémission. Les mots « peccato », « peccatore » ou encore « peccaminosamente », mais aussi des notions comme celles de l‟« ozio » ou des adjectifs comme « turpe » ou encore « vile », dans des phrases que nous avons eu l‟occasion de citer, renvoient alors à l‟idée d‟une culpabilité honteuse qui constitue un

144

RV, p. 317. Cette vision de l‟écriture comme condamnation est aussi très visible dans ces lignes tirées d‟un article consacré à Julien Green : « quasi la letteratura fosse almeno un mestiere come un altro e non fosse invece uno stato, una condanna di disperazione, di solitudine, anche di vergogna, che desola l‟esistenza e rende incerti dell‟avvvenire ». La notion de honte apparaît comme indissociable de ce thème de la condamnation : la culpabilité honteuse est bien un leitmotiv de l‟œuvre landolfienne.

145

Landolfi perçoit bien cet espoir de rédemption propre à Dostoïevski, comme on peut s‟en rendre compte au détour d‟un article sur une biographie de Baudelaire. Cf. La farfallina di Baudelaire (GO), p. 251 : « Ciò che sopra ogni cosa gli sta a cuore [al biografo] è che l‟opera di Baudelaire non abbia a figurare il trionfo del male, ma al contrario la sua debellatio, riducendosi esso (seppure inevitabilmente elevandosi) a strumento necessario di salvezza, il tutto in un senso press‟a poco dostoievschiano ».

véritable leitmotiv de l‟œuvre landolfienne et participe de sa dimension tragique. Ainsi, au terme du passage consacré au séjour oisif passé avec Adele, l‟écrivain écrit notamment qu‟il se sentait « abbietto » et ajoute :

Ogni giorno passavamo davanti alla stazione, e malgrado tutto ci prendeva un segreto, quasi inconfessabile desiderio di partenza : verso regioni più pure della nostra anima. La partenza seguì, ma fu disperata e vergognosa come la morte del peccatore146

De manière encore plus forte que chez les libertins ou les romantiques, Landolfi aspire bien à une pureté absolue et l‟impureté qu‟il perçoit dans sa propre vie, marquée d‟après lui par l‟insuffisance, l‟impuissance ou la maladie est associée à une faute honteuse qui occupe une place centrale dans son œuvre fictionnelle autant qu‟autobiographique.

D.5) La synthèse pessimiste et mélancolique opérée par Landolfi au-delà du

Dans le document Le dualisme tragique de Tommaso Landolfi (Page 64-66)

Outline

Documents relatifs