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du principe initialement lié à la décolonisation

La diachronie dans l'accession à l'indépendance des nouveaux Etats, au commencement du XIXe en Amérique hispanique et lors de la seconde moitié du XXe siècle en Afrique principalement et en Asie, a engendré un bouleversement, sinon une inéluctable transformation de la signification et du contenu du principe de l’uti possidetis . Constater que le contexte international a évolué est un truisme ; le monde européocentré s'est transformé progressivement avant la Seconde Guerre mondiale puis, plus soudainement, après celle-ci en un monde bipolaire, particularité de la guerre froide que Raymond Aron a appelé « le grand schisme ». Le réaliser avec les mots saisissants de Mohammed Bedjaoui captive l’observateur : “A peine tu le tonnerre assourdissant de la Seconde Guerre mondiale, la société internationale fut en effet prise dans les glaces des dissensions Est-Ouest pour être ensuite soufflée par le brûlant sirocco de la décolonisation”12. Tout comme la structure de la société internationale, les normes juridiques la régissant, grâce à d’innombrables interactions permettant une adaptation réciproque entre le droit et le milieu que celui-ci doit régir ou réglementer, se sont elles aussi adaptées. Toutes les caractéristiques du premier n’ont pourtant pas disparu avec l’avènement du second.

L'utilisation africaine, par la projection territoriale du principe de l'uti possidetis d’un continent à l’autre, s'est différenciée de celle du monde hispanique en ce sens que la première (quoique chronologiquement postérieure) a accentué les propriétés stabilisatrices de ce principe après la concrétisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (chapitre II) ; alors que la seconde (et pourtant antérieure) s'était prioritairement appuyée sur l'uti possidetis pour affirmer son affranchissement des puissances coloniales (chapitre I).

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Chapitre I : L’attachement à l’uti possidetis, corollaire

de la déclaration d’indépendance en Amérique latine

L'avènement de l'uti possidetis, dans le sens étudié, au sein de la société internationale a procédé par étapes. Au XIXe,les nouveaux Etats se sont fondés sur ce qui n'était à l'époque qu'une doctrine à visée essentiellement politique pour alléguer l'absence de terra nullius, sorte de « trou noir » de la souveraineté attirant la convoitise des souverainetés lors de leur émancipation vis-à-vis des puissances coloniales (section I). La nature a, on le sait, horreur du vide. Ainsi, tout ce qui échappe à une souveraineté tombe nécessairement sous la coupe d’une autre. Cette fiction juridique13, tirée de l'uti possidetis, interdisait donc aux autres puissances européennes de s'installer, sur de vastes étendues pour la plupart encore vierges, à la place de l'Espagne ou d'y prétendre14.

Nombreuses sont les notions en droit international qui, comme l'uti possidetis, connaissent de multiples acceptions, chacune sensiblement distincte l'une de l'autre. Son particularisme est de comporter également différentes déclinaisons lorsque l'on lui accole un complément -juris ou de facto- avec des effets juridiques divers et/ou opposés. Sur le plan normatif, l'uti possidetis a donc subi de remarquables variations. Initialement principe simplement politique dont l'invocation emportait des effets très mesurés, il a progressivement pris les traits d’une coutume locale15. Grâce à l’écoulement du temps conjugué à l’extension géographique de son application, le principe de l’uti possidetis a acquis les caractéristiques d’une norme coutumière régionale (section II).

13 La définition de la fiction élaborée par J. Salmon correspond bien à la situation : “la fiction est un procédé de technique juridique par lequel on qualifie une situation, de manière contraire au réel en vue de lui attribuer les conséquences juridiques découlant de la qualification”. In “Le procédé de la fiction en droit international public”, RBDI 1974, p. 11 ; voir également, M. Chemillier-Gendreau pour qui « l’effectivité joue exactement le rôle inverse de la fiction ou plus exactement le recours à l’effectivité se fait utile lorsque la falsification opérée par la fiction est si grande qu’elle devient intolérable socialement… Elle joue le rôle inverse de la fiction. Elle démasque ce qu’on avait tenté de masquer par un procédé fictif : on réajuste la norme à une mesure exacte des réalités », in “Origine et rôle de la fiction en droit international public”, APD, 1987, pp. 153-162, notamment p. 162.

14 Ch. de Visscher résumait ainsi la situation : “De commun accord, elles [les républiques latines] acceptèrent de considérer comme ayant été effectivement occupées, au titre de la cette réglementation, bien des régions qui, en fait, n'avaient été ni occupées, ni explorées, ni même habitées par des populations aborigènes.” Problèmes de confins en droit international public, Paris, Pedone, 1962, p. 18.

15 Pour une analyse de la notion doublée d’un plaidoyer pour son existence en droit international public, cf. G. Cohen Jonathan, “La coutume locale”, AFDI, 1961, pp. 119-140.

Section I : L’affirmation de l’inexistence de terra nullius

La jurisprudence de la Cour internationale de justice et celle des tribunaux arbitraux s'accordent toutes deux avec la doctrine pour situer la genèse historique et géographique – là s'arrête toute conformité de conception – du principe de l'uti possidetis dans son acception actuelle. Ce dernier remonterait au processus de séparation des Républiques de l'Amérique du Sud tout d'abord, suivi de celui de la désunion de l'Amérique centrale avec les puissances coloniales européennes, principalement l'Espagne et le Portugal. Ces Républiques, désirant ardemment s'émanciper de ces Etats tutélaires, utilisèrent tour à tour, à titre principal et de manière téléologique, la doctrine de l'uti possidetis dans sa fonction d'instrument de délimitation. L’uti possidetis à des fins défensives (§1) lors du processus d’accession à l’indépendance dont la qualification juridique reste discuté (§2).

§1 L’uti possidetis ou l’auto défense collective

Lors du Congrès d'Angostura en 1819, les plus méridionales des nouvelles Républiques établirent le principe de l’uti possidetis dit de 1810, celles d'Amérique centrale, le principe dit de 1821. Ce phénomène avait pour contexte les multiples controverses à propos de différends territoriaux ou frontaliers non résolus entre l’Espagne et le Portugal dans ces lointaines contrées, dans ces zones à la densité d’habitat très faible et à la démarcation très vaporeuse.

La Cour internationale de justice, dans son arrêt Différend frontalier Burkina

Faso/Mali du 22 décembre 1986, a déclaré dans son paragraphe 20 conformément à une

opinion communément admise : “il convient d'observer que le principe d'uti possidetis paraît bien avoir été invoqué pour la première fois en Amérique hispanique, étant donné que c'est sur ce continent qu'on a assisté pour la première fois au phénomène de la décolonisation entraînant la formation d'une pluralité d'Etats souverains sur un territoire ayant appartenu à une seule métropole”16. Plus explicite encore est le paragraphe 23 énonçant que “sa finalité, à l'époque de l'accession à l'indépendance d'anciennes colonies espagnoles d'Amérique, était de priver d'effets les visées éventuelles de puissances colonisatrices non américaines sur des régions que l'ancienne métropole avait assignées à l'une ou l'autre des circonscriptions et qui étaient demeurées non occupées ou

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inexplorées”17. Il importe cependant de noter la très probable influence de la position du juge Mohammed Bedjaoui, Président de la Chambre en la présente affaire qui nous occupe, qui, quelques années auparavant, lors de sa plaidoirie dans l'affaire du Sahara occidental, s'adressait à la Cour en des termes quasi identiques18. Le juge ad hoc Georges Abi-Saab, dans son opinion individuelle19, en vertu de l’article 57 du Statut de la CIJ20, souscrit complètement à cet avis. Il a ainsi déclaré qu'“à ses origines, au moment des indépendances latino-américaines, l'élaboration du principe de l'uti possidetis servait […] un objectif défensif, vis-à-vis du reste du monde, en la forme d'une négation radicale de toute vacance de souveraineté (ou de terra nullius) dans les territoires décolonisés, même dans les zones qui n'étaient pas explorées ou contrôlées par le colonisateur”21.

La Cour internationale de justice a repris à son compte dans son arrêt, en date du 11 septembre 1992, Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime entre El Salvador et le

Honduras, la sentence arbitrale du Conseil fédéral suisse en l'affaire des frontières colombo-vénézuéliennes du 24 mars 1922. Celui-ci a observé que ce “principe général

offrait l'avantage de poser en règle absolue qu'il n'y a pas en droit, dans l'ancienne Amérique espagnole, de territoire sans maître, bien qu'il existât de nombreuses régions qui n'avaient pas été occupées par les Espagnols et de nombreuses régions, inexplorées ou habitées par des indigènes non civilisés, ces régions étaient réputées appartenir, en droit, à chacune des Républiques qui avaient succédé à la Province Espagnole à laquelle ces territoires étaient attachés en vertu des anciennes ordonnances royales de la mère patrie espagnole. Ces territoires, bien que non occupés en fait, étaient, d'un commun accord, considérés comme occupés en droit dès la première heure par la nouvelle République. ”22

17 Ibid, p. 566.

18 CIJ Mémoires, vol. V, p. 315 (rapporté par M. Kohen, Possession contestée et souveraineté territoriale, op. cit., p. 433).

19 D’après les professeurs Nguyen Quoc Dinh, P. Daillier et A. Pellet, “l’opinion individuelle est celle d’un juge qui accepte le dispositif d’un arrêt mais non son exposé des motifs ; ce type d’opinion lui permet à la fois de justifier son désaccord et de faire connaître les motifs sur lesquels il entend fonder son acceptation du dispositif.”. In Droit international public, Paris, LGDJ, 7e éd., 2002, p. 397. Selon A. P. Serini, cette classification ne fait que reprendre la dichotomie opérée par la Cour, après une période d’incertitudes, dans sa résolution de 1948, “Les opinions individuelles et dissidentes des juges des tribunaux internationaux”, RGDIP, 1964, pp. 835. En revanche, il s’avère que cette catégorisation reste théorique car l’étude des opinions montre une réalité plus mêlée. (cf. M. Manouvel, Les opinions séparées à la Cour internationale. Un instrument de contrôle du droit international prétorien par les Etats, L’Harmattan, Paris, 2005, pp. 107- 113).

20 “Si l’arrêt n’exprime en tout ou partie l’opinion unanime des juges, tout juge aura le droit d’y joindre l’exposé de son opinion individuelle”.

Disponible sur le site Internet : www.icj-cij.org/cij.www/cij.home.htm. 21 Ibid., opinion individuelle de G. Abi Saab, §13, p. 661.

La Cour revenait un peu plus loin : “Enfin ce principe excluait les tentatives d’Etats colonisateurs européens sur des territoires qu’ils auraient pu chercher à proclamer res

nullius”23. En pareille hypothèse, les “tentatives de colonisation intempestives […] devenaient sans portée et sans conséquence en droit”24. Moins affirmative en 1992, la Cour en a conclu néanmoins qu'“un aspect essentiel de ce principe est certainement d'écarter la possibilité d'un territoire sans maître”25. Faut-il lire dans l'adverbe « certainement » que l’uti possidetis laisse subsister un doute non pas tant sur l'affirmation de l'inexistence de

terra nullius, mais sur son caractère fondamental ? Ou alors cet adverbe porte-t-il sur la

possibilité ouverte de création d'un autre effet induit par ce principe ? De quelle nature serait cet effet ? Cette observation se trouve corroborée par les dires de la Cour à propos du sixième secteur en litige dans cette affaire : “El Salvador et le Honduras ont succédé à tous les territoires coloniaux concernés, de sorte qu’il n’y avait pas de territoires sans maître et qu’à aucun moment l’ancienne Alcadia mayor n’a constitué après 1821 un Etat indépendant s’ajoutant à eux”26.

Aujourd’hui, par une sorte d’effet renversé, l’uti possidetis présente un avantage non négligeable à partir du moment où ce principe est appliqué ; en effet, il “dispense l’Etat intéressé d’avoir à justifier son titre de souveraineté”27, car il faut alors présumer que les territoires visés ne sont pas sans maître ou selon la formule de Charles de Visscher “anétatiques”28. Ainsi, dans l’affaire du différend frontalier terrestre, insulaire et maritime, la Cour a procédé par conjecture29.

Il nous appartient de nous interroger sur la signification précise de la locution terra

nullius en droit international contemporain, de mesurer et d’analyser les différences, si

elles existent, entre la définition agréée par la doctrine et celle admise par la jurisprudence, pour bien saisir la rupture fondamentale que marque cette reconnaissance d’absence de territoires sans maître en Amérique30. Cette locution latine est révélatrice du droit

23 CIJ, Rec., 1992, § 42, p. 387. 24 Idem. 25 Idem. 26 Ibid., p. 544, §307. 27

J. Verhoeven, op. cit., p. 507. 28

Ch. de Visscher, Théories et réalités en droit international public, Pedone, 4e éd., 1970, p. 221. 29 CIJ, Rec. 1992, p. 387, §42.

30 Cette notion a la fonction cardinale dans l’ordre international en ce sens que celle-ci a toujours été entendue comme caractérisant l’étranger au système de droit dominant. Ainsi sous l’antiquité romaine, cela concernait tout territoire non romain, de même, à l’époque des grandes découvertes ou expansions coloniales, (XVIe et XVIIe) tout territoire qui n’appartenait pas à un souverain chrétien était qualifié de nullius, ou au XIXe, tout territoire qui n’appartenait pas à un Etat dit « civilisé ». In J. F. Prévost, “Observations sur l’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice relatif au Sahara occidental (« terra nullius » et

international car elle porte à la lumière, par effet de diffraction, ce qui échappait au principe directeur réglementant la société internationale. Elle est en quelque sorte l'antithétique de la souveraineté étatique. Comme prisme d’analyse, il faut néanmoins noter qu“elle apparaît donc comme ayant une constance étonnante dans sa signification (reflet du principe directeur) et une remarquable flexibilité dans ses critères de détermination (variations de ce principe)”31. En 1895, Alphonse Rivier, dans une conception européo- centrée du droit international, constatait que “pour qu’un territoire soit susceptible d’occupation, il faut qu’il soit sans maître, peu importe (…) qu’il soit habité ou non. Sans maître, en effet, puisqu’il s’agit de souveraineté, signifie sans Etat : res nullius civitatis.”32. Dans la même optique, Paul Fauchille expliquait que si cette expression qualifiait jusqu’aux XVIe et XVIIe les territoires habités par les païens ou infidèles, à la fin du XIXe siècle encore l’expression terra nullius concernait les territoires n’appartenant pas à un « pays civilisé »33. A titre d’illustration, retenons qu’il a simplement fallu à la Grande- Bretagne déclarer terra nullius l’Australie pour en prendre possession en 1748.

La jurisprudence internationale adopta le même critère dans sa sentence arbitrale opposant la France au Mexique, rendue le 28 janvier 1931. Le Roi d’Italie, Victor- Emmanuel III, releva que “la preuve d’un droit historique du Mexique n’est appuyée par aucune manifestation de sa souveraineté sur l’île, souveraineté qui n’a jamais été exercée jusqu’à l’expédition de 1897… Par conséquent il y a lieu d’admettre que, lorsqu’en novembre 1858, la France proclama sa souveraineté sur Clipperton, cette île était dans une situation juridique de territorium nullius et, par suite, susceptible d’occupation”34.

Ainsi, les Etats nouvellement indépendants ont donc renversé cette notion ou plutôt ont accaparé “ce concept technique forgé in abstracto par de grandes puissances pour justifier leur politique”35 en lui attribuant un sens nouveau qui donnait priorité à l’aspect fonctionnel. Ces dernières rompaient avec l’acception classique de ce moment de l’histoire, optant pour une analyse téléologique, afin de tendre vers une égalité entre groupes humains.

autodétermination)”, JDI, 1976, pp. 834-836. L’auteur reprend en cela la distinction tripartite de M. Bedjaoui exposée lors des débats relatifs à cet avis.

31 Ibid. p. 834.

32 A. Rivier, Principes du droit des gens, Paris, 1895, I, p. 188. 33

P. Fauchille, Traité de droit international public, t. 1, 2e partie, 1925, pp. 685-692.

34 Sentence arbitrale au sujet du différend relatif à la souveraineté sur l’île de Clipperton, RGDIP 1932, p. 131.

35 J.-F. Prévost, “Observations sur l’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice relatif au Sahara occidental (« terra nullius » et autodétermination)”, op. cit., p. 839.

Cette position ne sera juridiquement consacrée que bien plus tard. Pour rendre son avis consultatif sur le Sahara occidental, du 16 octobre 1975, la Cour a eu l’obligation de s’intéresser à cette notion. Elle constate, dans un premier temps, que “l’expression terra

nullius était un terme de technique juridique employé à propos de l’occupation en tant que

l’un des modes reconnus d’acquisition du territoire. L’occupation était en droit un moyen originaire d’acquérir pacifiquement la souveraineté sur un territoire, autrement que par la voie de cession ou de succession, l’une des conditions essentielles d’une occupation valable était que le territoire considéré fût une terra nullius – un territoire sans maître – au moment de l’acte censé constituer l’occupation”36. Elle déclare cependant en rupture avec la doctrine du XIXe37 qu’“il ressort de la pratique étatique de la période considérée que les territoires habités par des tribus ou des peuples ayant une organisation sociale ou politique n’étaient pas considérés comme terra nullius”38. Cette solution ne s’est réalisée qu’au prix d’âpres discussions. En témoignent les textes des déclarations et surtout des multiples opinions individuelles jointes à l’avis. Presque tous les juges ont ressenti le besoin d’écrire quelques réflexions sur cette notion de terra nullius. Il s’avère également que la Cour parvint à cette conclusion grâce à l'attrait des brillants exposés riches “de vues pénétrantes” de Ammoun Bayona-ba-meya et Mohammed Bedjaoui rejoignant sur ce point la position d’Emmerich Vattel, selon qui la terra nullius est “une terre vide d’habitants”39. Le premier, représentant de la République du Zaïre, a rejeté “la notion matérialiste de la terra nullius, notion qui a abouti, à la suite de la Conférence de Berlin de 1885, au dépeçage de l’Afrique” pour y substituer “un concept spiritualiste : le lien ancestral entre la terre, ou la « mère nature », et l’homme qui en est issu”40. Ainsi, selon le juge Ammoun Bayona-ba- Meya, est exclu de la notion de terra nullius, tout territoire habité ; tout comme il nie l’acception de terra nullius “au sens d’une terre susceptible d’appropriation par quelqu’un qui n’en est pas issu. Mohammed Bedjaoui alors ambassadeur d’Algérie en France, en continuateur de la pensée – œuvre isolée au XVIe siècle – de François de Vitoria qui s’était érigé contre l’application de la notion de res nullius aux indiens de l’Amérique pour les déposséder de leurs terres, a condamné, depuis les temps antiques jusqu’aux temps

36 Elle se réfère à l’arrêt de la CPJI, Statut juridique du Groenland oriental, série A/B n°53, pp. 44-45. 37

Cela se manifeste par l’incise liminaire de son dictum, “quelles qu’aient pu être les divergences d’opinion entre les juristes”. CIJ, Sahara occidental, avis consultatif du 16 octobre 1975, Rec. 1975, p. 39, §80. 38 Ibid.

39 Opinion individuelle du juge Ammoun, op. cit, pp. 85-86. 40

modernes en passant par l’époque des grandes découvertes, l’instrumentalisation de cette notion au profit de la conquête ou de la colonisation41.

Cette analyse promue par les puissances hispano-américaines, fondée sur le caractère défensif de l'uti possidetis, est partagée par les membres de la doctrine dans leur très grande majorité. Alberto Guani retenait que parmi les principales considérations sur lesquelles reposait le principe de l'uti possidetis de 181042 “il n'existait, en réalité, à l'époque de l'indépendance sud-américaine, aucun territoire pouvant être considéré comme

res nullius, et pouvant être, par conséquent, l'objet d'une occupation ou d'une conquête”43. Ainsi, comme l'écrit Paul de La Pradelle trois années plus tard, “la proclamation dans le monde du principe de l'uti possidetis de 1810 par les jeunes Républiques latines est une véritable déclaration d'indépendance”44 ou “une proclamation mondiale de l’indépendance globale du continent sud-américain”45. Il ajouta même qu’ “affirmé en principe comme une règle de droit public américain, l’uti possidetis de Lima était en fait (1847) une protestation officielle contre l’occupation par la Grande-Bretagne en 1833 des îles Malouines”46. Charles Visscher expliquait, quatre décennies plus tard, l’attitude des nouvelles Républiques également par l’assertion qu'elles héritaient “d'un passé historique qui, en dépit des lacunes et des incertitudes de ses délimitations, excluait toute idée de terra

nullius […]”47. Roberto Ago, lors des discussions au sein de la Commission de droit international en 1968, expliquait qu’ “il s’agissait d’affirmer en 1810, qu’il n’y avait pas en Amérique de territoire sans maître afin de pas laisser d’autres puissances s’installer à la

41 Ibid. 42

“1° C'est un titre de propriété territoriale qui doit remonter à ses origines, c'est-à-dire aux bulles