• Aucun résultat trouvé

En droit du travail

Dans le document La monnaie comme objet de sûretés (Page 31-34)

22. « Cautionnements » exigés des salariés. – À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la pratique s’était développée en droit du travail d’exiger de certains employés la constitution d’un gage monétaire destiné à garantir la bonne exécution de leur travail. Le conseiller Barbier écrivait ainsi qu’« à Paris, il arrive tous les jours que des industriels, peu scrupuleux, demandent et obtiennent de malheureux à la recherche d’un emploi le sacrifice de leurs dernières épargnes, versées à titre de cautionnement , pour garantie de la gestion de cet emploi tant désiré »18.

15

La restitution de la bicyclette s’entend de son stationnement au point d’attache de départ ou à une autre station.

16 Article 11 des conditions générales d’accès et d’utilisation de « Vélib’ » par les abonnés annuels, et notamment les paragraphes

11.1 et 11.2 (a) : « en cas de caution par chèque, lors de la disparition ou du vol d’un vélo, le prestataire encaisse le montant préalablement consenti à titre de garantie par l’utilisateur […] Après appel de tout ou partie du dépôt de garantie initial, le titulaire d’un abonnement « Vélib’ » devra reconstituer un dépôt de garantie de 150 € pour utiliser à nouveau son abonnement. »

17

D. Bureau, « Le gage-espèces : une sûreté atteignant sa maturité ? », Droit et patrimoine, 1999, n° 77, p. 22. La surenchère est l’acte par lequel une personne requiert une nouvelle mise aux enchères d’un bien adjugé, en offrant un supplément de prix, à charge de rester adjudicataire pour la somme proposée dans l’éventualité où ne se présenterait aucun enchérisseur. L’alinéa 3 de l’ancien article 832 du code de procédure civile mettait à la charge du surenchérisseur l’obligation de fournir une garantie sous forme de cautionnement ou de « nantissement en argent » afin de prévenir les surenchères abusives, comme le rappelle J. Prévault (« Surenchère sur alinéation volontaire », Jurisclasseur Procédure civile, fasc. 896, 1997, n° 42-44, p. 7).

18

Rapport sous Cass. crim. 14 mai 1875, DP. 1876, I, p. 45 ; et pour d’autres manifestations, voir : Cass. crim. 29 novembre 1866, DP. 1867, I, p. 43 ; Cass. crim. 12 décembre 1890, DP. 1891, I, p. 325 ; Cass. crim. 20 avril 1901, DP. 1901, I, p. 369 ;

La pratique a perduré longtemps puisque, jusqu’au 1er

mai 2008, le chapitre VI du titre II du code du travail traitait des « cautionnements » susceptibles d’être exigés des salariés dans le cadre de leur contrat de travail. L’ancien article L. 126-1 du code du travail disposait en effet que « tout commerçant ou industriel qui, à titre de cautionnement, se fai[sait] remettre des sommes d’argent en espèces par ses salariés, [devait] en verser le montant, au nom du salarié, sur un livret spé cial de la caisse nationale d’épargne ou d’une caisse d’épargne ordinaire », voire à la caisse des dépôts et consignations si la somme était supérieure au montant maximal fixé pour les dépôts dans les caisses d’épargne au jour de la remise du « cautionnement ».

L’ancien article L. 126-3 du même code prenait soin d’ajouter que « l’affectation du livret de caisse d’épargne au cautionnement prévu par l’[ancien] article L. 126 -1 entraîn[ait] privilège sur les sommes déposées au profit de l’employeur et à l’égard des tiers qui formeraient des saisies-arrêts aux mains de ce dernier ».

Ces textes, désormais abrogés19, concernaient tous les employés et tous les employeurs dès lors qu’ils étaient liés par un contrat de travail. En pratique, ce dispositif visait surtout les gérants salariés de magasins à succursales multiples20. Mais des affaires ont montré qu’il pouvait s’agir également de codirecteurs21

, de caissiers22, d’employés de bureau23, ou encore d’ouvreuses de théâtre24

.

23. Nature du droit de l’employeur sur les « cautionnements » : propriété pleine et entière ou autre droit réel ? – Le régime de cette remise de sommes d’argent

à titre de garantie improprement appelée « cautionnement » témoignait ce que le créancier bénéficiaire, à savoir l’employeur, n’était pas considéré comme propriétaire des sommes d’argent affectées en garantie.

23-1. Premièrement, les sommes d’argent remises à l’employeur devaient

impérativement être déposées sur un livret d’épargne spécial de la caisse nationale d’épargne ou d’une caisse d’épargne ordinaire, ou à la caisse des dépôts et

Cass. civ. 31 janvier 1935, DH. 1935, p. 134 ; Cass. civ. 16 juin 1936, DH. 1936, p. 411 et RTD civ. 1936, p. 884, obs. H. Solus ; Cass. crim. 20 mai 1937, DH. 1937, p. 429.

19

Ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative).

20 Cass. crim. 23 octobre 1925 (DH. 1925 p. 649, Gaz. Pal., 1925, II, p. 757) ; Cass. civ. 16 juin 1936 (RTD civ. 1936, p. 884,

obs. H. Solus ; DH. 1936 p. 411) ; Cass. crim. 20 mai 1937 (DH. 1937 p. 429) ; Cass. crim. 10 janvier 1956 (Bull. crim. n° 33).

21

Cass. crim. 31 janvier 1935 (DH. 1935, p. 134).

22

Cass. crim. 12 décembre 1890 (DP. 1891, I, p. 325) ; Cass. soc. 12 mai 1965 (D. 1965, p. 652).

23

Cass. crim. 26 septembre 1867 (DP. 1868, I, p. 42 ; S. 1868, I, p. 139).

24

consignations25, dans un délai de quinze jours à compter de leur remise par le salarié26. Autrement dit, c’était une obligation pour l’employeur de prévenir toute confusion entre les sommes d’argent figurant dans son patrimoine et celles remises à titre de garantie par son employé, en les déposant sur un compte spécial susceptible de les isoler.

23-2. Deuxièmement, le retrait des sommes versées à titre de cautionnement

nécessitait la double signature de l’employeur et de l’employé27. C’était encore le signe de ce que l’employeur ne pouvait librement disposer des sommes qui lui avaient été remises à titre de garantie et de ce que celles-ci restaient la propriété de l’employé-constituant.

23-3. Troisièmement, les textes de loi qualifiaient expressément le droit de

l’employeur sur ces sommes de « privilège »28

. Certes, les dispositions faisant état des saisies-arrêts (désormais saisies-attributions) sur le « livret de cautionnement »29 tendent à assimiler les sommes d’argent remises à titre de garantie à des créances, puisque les saisies-arrêts sont les saisies diligentées sur des créances monétaires. Mais ce n’est pas pour autant que la sûreté est assimilée à une cession de créance à titre de garantie : c’est bien comme un « privilège » qu’est désigné le droit réel de l’employeur créancier, et non comme un droit de propriété30. La garantie devait donc s’analyser comme étant bien plutôt un nantissement de créance.

23-4. Quatrièmement, l’ancien article L. 152-4 du code du travail31 sanctionnait le détournement des sommes remises à titre de « cautionnement » par les peines prévues pour l’abus de confiance32. Or l’abus de confiance sanctionne « le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui

25 Ancien article L. 126-1 du code du travail. 26 Ancien article R. 126-1 du code du travail.

27 Ancien article R. 126-5 du code du travail. En cas de désaccord, c’est le conseil de prud’hommes qui tranchait le litige. 28 Ancien article L. 126-3 du code du travail : « l’affectation du livret de caisse d’épargne au cauti onnement prévu par l’article

L. 126-1 entraîne privilège sur les sommes déposées au profit de l’employeur et à l’égard des ti ers qui formeraient des saisies-arrêts aux mains de ce dernier » (italiques ajoutées).

29 Anciens articles L. 126-3 et L. 126-4 du code du travail.

30 Dans sa thèse intitulée Propriété et garantie (LGDJ, 1995, Bibl. dr. priv, t. 248, préf. M. Gobert, p. 34, note n° 8), le

professeur Pierre Crocq soutient au contraire que l’employeur-créancier était titulaire d’un droit de propriété sur la créance correspondant au solde du compte spécial sur lequel étaient versées les sommes d’argent, dans la mesure où les créanciers de l’employé-constituant ne pouvaient saisir cette créance entre les mains de la caisse d’épargne ou de la caisse des dépôts et consignations - ce qui aurait supposé que ces établissements teneurs de compte fussent les débiteurs de l’employé -, mais seulement entre les mains de l’employeur-créancier - ce qui supposait que les établissements teneurs de compte étaient débiteurs de l’employeur, et non de l’employé et que le titulaire de la créanc e de restitution correspondant au solde du compte spécial était l’employeur, et non l’employé. Mais cette interprétation faisait totalement fi de l’emploi du mot « privilège » dans l’ancien article L. 126-3 du code du travail, terme qui indiquait expressém ent que l’intention du législateur était de conférer au créancier un droit réel accessoire de préférence, et non un droit réel principal de propriété sur les sommes affectées en garantie. Cet te interprétation oblitérait également la sanction de l’abus de confiance prévue en cas d’utilisation indue par l’employeur des sommes affectées en garantie, ainsi que l’exigence de la double signature de l’employeur -créancier et de l’employé-constituant pour tout retrait de ces sommes.

31 Ancien article L. 152-4 du code du travail : « si l’employeur a retenu ou utilisé, dans un intérêt personnel ou pour les besoins

de son commerce, les espèces ou titre remis à titre de cautionnement mentionné au chapitre VI du titre II du présent livre, l es peines encourues seront celles de l’abus de confiance prévues par les articles 314-1 et 314-10 du code pénal ».

32

ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé » (italiques ajoutées)33. Autrement dit, l’employeur qui utilisait ou retenait, dans son intérêt ou dans celui de son commerce, les sommes d’argent remises à titre de garantie était sanctionné comme toute personne qui détourne des fonds qui lui ont été remis avec l’obligation de les restituer et qui ne lui appartiennent donc pas. Cette sanction pénale confirme, s’il en était encore besoin, que le droit réel de l’employeur sur les sommes d’argent remises à titre de garantie n’était pas un droit de propriété au sens de l’article 544 du code civil34

, et que l’affectation en garantie des sommes d’argent, non confondues dans le patrimoine du créancier, n’était pas une forme de propriété-sûreté qui aurait transféré la propriété pleine et entière des sommes d’argent à l’employeur35

.

Dans le document La monnaie comme objet de sûretés (Page 31-34)