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1. Le droit des réfugiés et le droit de l’apatridie : des domaines du droit

1.2 L’applicabilité incertaine et contestée du droit de l’apatridie lorsqu’un

1.2.2 Le droit de l’apatridie : un domaine du droit ne répondant pas à la

Les deux traités garantissant des droits et une protection spécifiques aux apatrides en droit international sont la Convention relative au statut des apatrides173 du 28

septembre 1954 et la Convention sur la réduction des cas d’apatridie174 du 30 août

1961. Ces deux instruments trouvent leur fondement dans le droit à une nationalité, garanti par la Déclaration universelle des droits de l’Homme (ci-après « DUDH »)175 de 1948. L’article 15 (1) stipule que « tout individu a droit à une

nationalité »176. Même si la Déclaration n’était pas un instrument de droit

international contraignant à l’origine, mais plutôt un « code d’éthique sans valeur juridique »177 selon Jean-Maurice Arbour et Geneviève Parent, les droits qui y sont

garantis font désormais partie de la coutume et ont été repris dans de nombreux traités178. Malgré l’existence de ces deux traités concernant les apatrides, le droit

de l’apatridie est un domaine du droit qui est mal adapté à la réalité des déplacés environnementaux, car il ne répond pas à la spécificité de leur situation. Quatre facteurs font en sorte que le droit de l’apatridie est loin d’être suffisant pour leur accorder une protection effective.

173 Convention relative au statut des apatrides, supra note 161.

174 Convention sur la réduction des cas d’apatridie, 30 août 1961, 989 RTNU 14458.

175 Déclaration universelle des droits de l’Homme, Rés AG 217(III), Doc off AG NU, 3e sess, supp

n°13, Doc NU A/810 (1948) 71.

176 Ibid, à l’article 15(1).

177 Arbour et Parent, supra note 143 à la p 734. 178 Nguyen et al, supra note 157 aux pp 729-730.

Premièrement, ces instruments ne prévoient pas les situations où des populations entières deviendraient apatrides suite à la disparition physique d’un État179, ni dans

le texte des traités, ni dans la façon dont ils sont interprétés, ce qui rend une future protection incertaine. Deuxièmement, les deux traités relatifs aux apatrides ne reconnaissent et ne protègent que les apatrides de jure180. Ainsi, aucune protection

n’est prévue pour les apatrides de facto dans ces instruments internationaux. Comme il est discutable et contesté que la disparition d’un des éléments constitutifs de l’État entraine sa disparition juridique, la désignation éventuelle des déplacés environnementaux en tant qu’apatrides de jure est contestable. Troisièmement, dans l’éventualité où les déplacés environnementaux deviendraient des apatrides de jure, leur État ayant cessé d’exister au regard du droit international, il demeurerait difficile pour eux d’obtenir une protection effective, puisque les deux conventions relatives aux apatrides ont très peu de ratifications. En date du 20 avril 2014, la Convention relative au statut des apatrides compte 80 États parties et la Convention sur la réduction des cas d’apatridie n’en a que 55. Ainsi, peu d’États sont liés par les obligations découlant de ces traités, bien que ce nombre ait augmenté de façon significative depuis 2011 du fait des efforts du HCR qui a tenté de sensibiliser les États à l’importance de ces instruments lors du cinquantième anniversaire de la Convention relative au statut des apatrides181. Il

convient de noter que ces traités étaient peu mis en œuvre au sein des États les ayant ratifiés avant 2011, mais que la situation tend à s’améliorer si l’on observe les récents engagements que les États ont pris puis respectés à ce jour182.

Quatrièmement, la logique du droit de l’apatridie est inadaptée à la spécificité de la

179 Maxine Burkett, « Climate refugees » dans Alam Shawkat et al, dir, Routledge Handbook of

International Environmental Law, New York, Routledge, 2013, 717 à la p 725 [Burkett, « Climate

refugees »].

180 Arbour et Parent, supra note 143 à la p 775.

181 HCR, point de presse, « Le HCR accueillera une réunion internationale sur les apatrides et les

déplacés de force dans le monde les 7 et 8 décembre 2011 » (8 novembre 2011), en ligne : HCR <http://www.unhcr.fr/4eb93ae6c.html>. En août 2011, ces instruments comptaient respectivement 66 et 38 États parties.

182 HCR, « Action des États pour lutter contre l’apatridie », en ligne :

HCR <http://www.unhcr.org/pages/52a5c56a6.html>; HCR, Engagements 2011 : Événement

intergouvernemental au niveau ministériel sur les réfugiés et les apatrides, en ligne : HCR

<http://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=521711424>; McAdam, « Environmental Migration », supra note 71 à la p 166.

problématique des déplacés environnementaux, car dans le cas des apatrides de

jure, aucun État ne les considère comme un de leurs nationaux, ce qui n’est pas le

cas pour les déplacés provenant d’États insulaires. Dans leur cas, il n’y a pas de déni de nationalité et l’État est souvent désireux de protéger ses nationaux183. De

plus, il n’est tout simplement pas souhaitable que les déplacés environnementaux deviennent apatrides, que ce soit de jure ou de facto. Comme le mentionne Christel Cournil, il est souhaitable « de protéger, voire de prolonger, les liens étatiques malgré la disparition physique du territoire due aux changements climatiques »184. La prolongation de ces liens étatiques est de la plus haute

importance lorsqu’il s’agit de protéger de façon effective les droits des déplacés environnementaux, puisque comme l’affirme Selma Oliver : « [t]he rights a person

‘has’ are meaningless if there is nobody responsible for (and capable of) protecting them when they are violated or under threat »185.

Pour éviter ces cas d’apatridie, et pour éviter que les États insulaires n’aient à se procurer une portion de territoire à grands frais en l’achetant auprès d’un État tiers, l’auteure Maxine Burkett propose la solution de l’État déterritorialisé186. Ce

nouveau type d’acteur en droit international prendrait la forme d’un gouvernement à distance qui maintiendrait la vie politique et culturelle avec ses nationaux, en s’inspirant du système de tutelle des Nations Unies pour les États déterritorialisés187. L’auteure affirme que : « [a] virtual nation-state, held together

by a social network, may help ease the rootlessness that an uninhabitable territory will engender »188. Pourtant, comme elle le précise, encore faut-il que les habitants

puissent accéder et résider sur le territoire d’autres États, ce qui n’est pas chose faite. De plus, le lien juridique entre l’État déterritorialisé et ses nationaux serait

183 Christel Cournil, « The protection of “environmental refugees” in international law » dans Piguet,

Pécoud et De Guchteneire, supra note 5 à la p 368 [Cournil, « The Protection of “environmental refugees” »].

184 Christel Cournil, « Émergence et faisabilité des protections en discussion sur les "réfugiés

environnementaux" » (2010) 4:204 Revue Tiers Monde 35 à la p 45 [Cournil, « Émergence et faisabilité »].

185 Oliver, supra note 30 à la p 216.

186 Burkett, « The Nation Ex-Situ », supra note 153 à la p 95. 187 Ibid, à la p 107.

peu effectif, puisqu’il dépendrait des compétences territoriales des États tiers sur les territoires desquels les nationaux auraient trouvé refuge. En droit international, la compétence personnelle qu’un État peut exercer envers ses nationaux est limitée lorsque ces derniers se trouvent sur le territoire d’un État tiers, car celui-ci exerce sa compétence territoriale. Ainsi, la possibilité de voir émerger sur la scène internationale un nouveau sujet de droit, soit les États déterritorialisés, revient en quelque sorte à une fiction juridique, les compétences personnelles et territoriales des États étant en opposition.

Ainsi, au-delà de l’importance de prévenir les cas d’apatridie, il est aussi sinon plus important de garantir aux déplacés environnementaux des droits fondamentaux sur le territoire d’un État où ils seront en sécurité. En effet, l’enjeu n’est pas tant leur qualification en tant qu’apatrides, mais plutôt de s’assurer qu’ils accèdent de façon permanente au territoire d’un État tiers et qu’ils ne soient pas discriminés dans l’exercice de leurs droits fondamentaux, et ce qu’ils conservent ou non leur nationalité d’origine189. Or, le droit international des droits de la personne, qui sera

étudié dans le prochain chapitre, est probablement plus pertinent que le droit des réfugiés et le droit de l’apatridie lorsqu’il est question de l’admissibilité des déplacés environnementaux sur le territoire d’États tiers et de la protection de leurs droits fondamentaux.

2. Des

droits

reconnus

aux

déplacés