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Données obtenues auprès d’enfants sains

5.   Apprentissage procédural chez l’enfant

5.1.   Données obtenues auprès d’enfants sains

L’étude des capacités mnésiques chez l’enfant est relativement récente et s’est principalement attachée à l’exploration des capacités d’apprentissage en mémoire déclarative, les études sur l’apprentissage procédural restant beaucoup plus rares. Un des points principaux a été jusque là de démontrer des trajectoires développementales distinctes entre ces deux systèmes mnésiques. Toutefois, si les données sur la mémoire déclarative offrent un panorama relativement complet des changements survenant depuis l’âge de 9 mois jusqu’à l’âge adulte, l’étude des capacités d’apprentissage procédural comporte de nombreux

« trous », notamment dans la transition entre les observations (peu nombreuses) faites auprès de bébés (jusqu’à 1 an environ), puis les études menées auprès d’enfants d’âge scolaire (dès 4 ans au mieux). Enfin, l’articulation entre le développement de ces deux systèmes mnésiques n’est à ce jour pas abordé dans la littérature, et les effets d’interaction, d’interdépendance ou de compétition entre ces systèmes mnésiques restent largement inconnus.

Les études effectuées dans le domaine de la mémoire déclarative ont mis en évidence une émergence de formes précoces de mémorisation pré-déclarative dès environ 9 mois au moyen de paradigmes d’imitation différée de séquences d’action. Ces compétences montrent

40 ensuite un accroissement important tant dans la quantité d’information retenue que dans la durée de rétention au fil de la prime enfance (Bauer, 1996, Bauer & Mandler 1989). Les premières manifestations de la mémoire déclarative apparaîtraient toutefois au cours de la 2ème année de vie, avec l’apparition du langage. A ce moment, des tests plus précis et plus proches de ceux utilisés chez l’adulte (rappel d’histoires, de mots, de dessins encodés précédemment) peuvent alors être utilisés. Dans l’étude de Newcombe, Lloyd et Ratcliff (2007), les résultats indiquent des changements particulièrement importants entre 2 et 6 ans. Waber et al (2007) montre ensuite une augmentation continue des capacités de rappel jusque vers 10 ans (tâche de liste de mots), avec une progression moindre par la suite. Toutefois, ces études concernent l’apprentissage de données factuelles et ne représentent pas les capacités de mémoire épisodique, qui sollicitent des capacités de rappel du contexte d’encodage (notamment du contexte spatio-temporel) et des composantes subjectives de la scène évoquée (Tulving 1985).

Ces capacités matures de mémoire épisodique n’apparaîtraient que tardivement, aux environs de 5 ans et montreraient une amélioration progressive jusqu’à l’adolescence. En particulier, la mémoire contextuelle montrerait un développement très tardif, après 12 ans (Cycowicz et al., 2001 ; Czernochowski et al., 2005) et serait fortement corrélé aux capacités exécutives, laissant supposer une forte implication des lobes frontaux dans ce type d’apprentissage. Les 2 composantes de la mémoire épisodique- à savoir les capacités de rappel factuel d’une part et de rappel contextuel d’autre part- se développeraient ainsi indépendamment, à des rythmes différents (Czernochowski et al., 2005). Notons également que les souvenirs épisodiques autobiographiques se montreraient particulièrement sensibles à l’âge (Piolino et al., 2007). Je me limiterai à ce bref tour d’horizon des données étant donné qu’il sort de mon champs d’étude, pour montrer que la littérature s’accorde sur une émergence relativement tardive de la mémoire déclarative (et épisodique en particulier) et une forte progression des capacités d’apprentissage déclaratif au cours de l’enfance et de l’adolescence (pour revue, Cowan, 1997 ; Van der Linden, 2009).

Au contraire des aptitudes déclaratives, les capacités d’apprentissage procédural se caractériseraient par une émergence très précoce dans le développement et par une stabilité au fil du temps. Leur exploration a permis de rapporter des compétences d’anticipation de

41 séquences et d’apprentissage de régularités très précoces, dès l’âge de 3 mois déjà dans le domaine visuo-spatial (Haith, Hazan & Goodman, 1988 ; Haith & McCarthy, 1990 ; Wentworth & Haith, 1998) au travers de paradigmes d’anticipation visuelle (« Visual Expectancy »).

D’autres études – ayant pour toile de fond la question de l’acquisition du langage chez l’enfant- se sont intéressées aux capacités de détection et d’apprentissage de régularités dans le domaine auditivo-verbal. Dans une première étude d’apprentissage d’une langue artificielle, Saffran et al. (1996) ont montré que les bébés de 8 mois étaient capables de segmenter des mots à partir d’un flux continu de parole (sans indice prosodique ou acoustique), sur la base de la structure statistique des enchaînements entre les sons, ceci dès 2 minutes d’exposition. Dans une étude ultérieure, Aslin et al (1998) ont manipulé le paradigme original de manière à maintenir une fréquence identique de co-occurrence de syllabes mais en contrôlant la probabilité de transition entre 2 syllabes au sein d’un mot versus entre 2 mots (probabilité d’association plus élevée au sein d’un mot qu’entre 2 mots). Ils ont ainsi réussi à démontrer que ce n’était pas la fréquence de co-occurrence des syllabes mais bien les probabilités transitionnelles entre les syllabes successives qui étaient détectées. De plus, les enfants de 6-7 ans montraient des capacités d’apprentissage similaires à celles d’adultes (Saffran et al., 1997). Ces données suggèrent donc qu’un mécanisme robuste d’apprentissage permet d’extraire l’information sur la structure statistique d’enchaînement des sons de la parole, que ce processus est disponible déjà très tôt dans le développement (avant l’âge d’un an), puis qu’il se montre stable (invariant) au cours du temps (du moins entre 6 ans et l’âge adulte). Enfin, très récemment, Pelucci, Hay et Saffran (2009) ont montré que ce processus d’apprentissage statistique (« statistical learning ») n’était pas limité au domaine des langues artificielles- hautement simplifiées par rapport aux langues naturelles- et que les bébés de 8 mois étaient sensibles aux probabilités transitionnelles d’une langue naturelle non familière, indiquant que ce mécanisme d’apprentissage statistique est suffisamment robuste pour sous-tendre l’acquisition du langage réel.

Dans le domaine moteur, l’apprentissage procédural a principalement été investigué au moyen de tâches de temps de réaction sériels (Nissen & Bullemer, 1987), chez des enfants

42 d’âge scolaire. Deux études ont mis en évidence des capacités d’apprentissage moteur similaires chez des enfants de différents âges, que ce soit dans une version proposant l’alternance des séquences de positions fixes et aléatoires (Meulemans, Van der Linden &

Perruchet, 1998) chez des enfants de 6 et 10 ans, ou dans une version traditionnelle proposant la répétition en boucle d’une séquence fixe sur plusieurs centaines d’essais chez des enfants de 4, 7 et 10 ans (Thomas & Nelson, 2001). A noter également que des performances d’apprentissage superposables entre les enfants et des adultes ont été rapportées dans l’étude de Meulemans et al. (1998), données parlant encore en faveur d’invariance développementale dans les capacités d’apprentissage procédural. Enfin, dans cette dernière étude, les auteurs ont également vérifié que les participants n’avaient pas accès à la connaissance consciente des séquences (dans une tâche de reconnaissance) et ont pu ainsi exclure la participation d’un apprentissage déclaratif à l’effet documenté. Des performances d’apprentissage d’habiletés motrices, testées au moyen d’une tâche de modification du comportement de dessin spécialement conçue pour éviter toute participation de connaissance explicite (Vinter &

Perruchet, 2000, 2002), ont par ailleurs montré des performances similaires chez des enfants de 4, 6, et 10 ans.

Enfin, une étude a mis en évidence l’indépendance entre les compétences d’apprentissage procédural (testées avec des tâches de TRS et de grammaire artificielle) et les différentes mesures d’intelligence (plusieurs subtests extraits d’échelles d’intelligence standards), alors que les aptitudes mnésiques déclaratives montraient au contraire une nette relation avec l’efficience intellectuelle (Gebauer et Mackintosh, 2007).

L’ensemble de ces données parle en faveur d’une émergence précoce des capacités d’apprentissage procédural, avec une invariance de performance au fil du temps et une indépendance de ce processus d’apprentissage avec les mesures d’intelligence.

Toutefois, la notion d’invariance développementale reste controversée. En effet, des différences liées à l’âge ont été rapportées, tant dans l’apprentissage de séquences présentées en modalité visuelle (Visual Expectancy) que verbale (Statistical Learning). Ainsi, alors que les plus jeunes bébés (3 mois) montrent l’anticipation du regard pour des séquences simples

43 d’alternance, les bébés de 4 et 5 mois (Smith et al., 1997 ; Cloehessy et al., 2001) montrent la possibilité d’apprendre des séquences plus longues (de type 1-2-3). Seuls les bébés plus âgés (18 mois) réussissent à détecter les régularités de séquences complexes, contenant une position ambiguës de type 1-2-1-3 (Cloehessy et al., 2001). La participation des capacités d’attention (sous-tendues par le lobe frontal) dans l’apprentissage de séquences complexes est postulée par les auteurs pour expliquer cette progression.

Des différences liées à l’âge dans l’apprentissage verbal (« statistical learning ») ont par ailleurs été rapportées par Evans, Saffran et Robe-Torres (2009), suggérant que des différences méthodologiques dans la complexité du matériel présenté et/ou dans la charge cognitive sollicitée par la tâche (regard préférentiel chez les bébés versus choix forcé chez les enfants plus grands et les adultes) pouvaient intervenir dans les résultats obtenus.

Enfin, des résultats remettant en question la notion de compétences invariantes au fil du développement sont aussi apparus dans une étude mesurant l’apprentissage moteur séquentiel (Thomas et al., 2004), avec des capacités d’apprentissage supérieures chez les adultes que chez les enfants (7 et 11 ans). A noter cependant que malgré la similarité entre les paradigmes employés par Thomas et al (2004) et Meulemans et al. (1998), des différences dans la complexité des séquences (davantage ambiguës et donc moins prédictibles chez Thomas) étaient présentes et ont pu jouer un rôle dans les variations de résultats. Par ailleurs, des activations cérébrales différentes entre les enfants et les adultes ont été rapportées par Thomas et al. (2004) : tandis qu’un recrutement plus important des structures motrices sous-corticales (càd putamen) étaient notées chez les enfants, de plus grandes activations corticales (incluant le cortex prémoteur) étaient relevées chez les adultes. Ces résultats suggèrent ainsi un recrutement de réseaux neuronaux différent entre les enfants et les adultes dans cette tâche.

Citons finalement des différences développementales (liées à l’âge et au niveau mental) dans les performances d’apprentissage non déclaratif rapportées dans 2 études (Mayberry, Taylor & O’Brian, 1995, Fletcher et al, 2000) visant à faire apprendre à des enfants la covariation entre la position d’une image sur une matrice 4x4 (4 cadrans de 4 images) et deux indices (couleur de fond de la matrice et côté de présentation – par la droite ou par la gauche-

44 des matrices par l’examinateur). En effet, en comparant les aptitudes d’apprentissage d’enfants de 6 à 12 ans avec bon potentiel intellectuel versus avec léger retard mental (QI<70), Fletcher et al (2000) ont mis en évidence un lien entre les performances d’apprentissage et les mesures d’intelligence. Une analyse plus détaillée a permis de montrer une relation entre les capacités d’apprentissage non déclaratif et l’âge mental des participants.

Cependant, une corrélation entre l’apprentissage non déclaratif et les connaissances explicites développées par les participants a été observée, que les auteurs interprètent comme une interdépendance des systèmes mnésiques déclaratifs et non déclaratifs (par opposition au postulat d’indépendance des systèmes mnésiques). Il se pourrait toutefois que cette tâche fasse plutôt appel à plusieurs compétences mnésiques et cognitives simultanément et que la contribution de la mémoire de travail et de facteurs attentionnels explique ces résultats. En outre, une phase d’apprentissage sur seulement 8 essais était proposée, ce qui paraît peu pour développer des apprentissages procéduraux.

L’ensemble de ces données montre ainsi la persistance de zones d’incertitudes quant à l’invariance développementale des capacités d’apprentissage procédural (et le possible recrutement de régions cérébrales différentes selon la période de vie) et quant à la participation de processus cognitifs non procéduraux (fonctions exécutives en particulier) dans les apprentissages d’habiletés. Par ailleurs, il n’existe à notre connaissance aucune étude sur l’apprentissage procédural cognitif chez l’enfant, utilisant des tâches classiques (Tours ou classification probabilistique). La première partie de notre travail consistera ainsi en l’étude des capacités d’apprentissage procédural dans ses différentes facettes chez des enfants normaux de différents âges.