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12.   Synthèse et conclusion

12.2.   Apports et implications théoriques

12.2.2.   Apprentissage procédural cognitif

Notre première étude, développementale, a permis de dégager 2 phases distinctes dans la tâche d’apprentissage procédural cognitif, avec dans un premier temps des aptitudes d’apprentissage procédural cognitif similaires chez des enfants de 8 à 12 ans (100 premiers items), puis l’apparition de différences de scores liées à l’âge en 2ème phase de test (100 derniers items). Une corrélation entre les scores d’apprentissage cognitif et les connaissances déclaratives pour la seconde partie du test a été mise en évidence, indiquant une probable participation tardive du système mnésique déclaratif dans cette tâche.

Notre étude est la première à avoir corrélé les connaissances déclaratives avec l’apprentissage procédural et à montrer ainsi l’interaction des systèmes mnésiques dans la seconde partie de l’apprentissage catégoriel probabilistique. Nos données s’avèrent congruentes avec les résultats obtenus tant auprès de populations cliniques d’adultes que dans une étude d’imagerie fonctionnelle (IRMf). En effet, les patients amnésiques présentent des capacités d’apprentissage procédural initialement comparables à celles de sujets normaux puis des performances significativement moins bonnes dans les phases ultérieures d’apprentissage, suggérant que leur déficit mnésique déclaratif les pénalise dans cette deuxième phase du test (Knowlton et al., 2004, 2006 ; Eldridge et al., 2002). Par ailleurs, dans l’étude d’imagerie fonctionnelle de Poldrack et al. (1999), les résultats indiquent une activation du striatum (associé aux lobes frontaux et pariétaux) parallèlement à la déactivation des lobes temporaux

163 médians dans la première phase d’apprentissage, dé-activation des structures temporales non retrouvée dans la seconde partie de la tâche.

Par ailleurs, notre deuxième étude constitue la première exploration des capacités d’apprentissage procédural cognitif chez des enfants avec atteintes/dysfonctions focales des noyaux gris centraux. Elle a permis de montrer un déficit d’apprentissage cognitif marqué, perdurant sur la première moitié du test (100 essais) chez les enfants avec atteinte des noyaux gris centraux, avec, dans la seconde partie, des scores rejoignant ceux obtenus par les sujets contrôles (normalisation de l’apprentissage). A noter que nos résultats sont similaires à ceux obtenus chez des adultes avec atteintes des noyaux gris centraux, qui présentent également des déficits dans la phase initiale du test, avec une amélioration des performances d’apprentissage dans les phases finales (Knowlton et al., 1996).

Nos résultats ont par ailleurs montré l’absence de différences dans le profil d’apprentissage entre les enfants présentant des atteintes bilatérales versus unilatérales, ainsi que l’absence de différence d’apprentissage chez les enfants présentant des degrés divers d’atteinte neurologique (troubles neurologiques majeurs versus disparition complète des signes neurologiques au moment de l’examen). Ces résultats suggèrent l’absence de plasticité, même lors de la disparition des signes neurologiques, et parlent en faveur d’une fragilité des connexions cortico-striatales et de la persistance d’une altération fonctionnelle de cette circuiterie. Par ailleurs, il semble que les phénomènes de compensation lors d’atteinte unilatérale ne soit pas possibles ou suffisants pour permettre un apprentissage procédural cognitif.

L’ensemble de ces résultats fournit des arguments pour penser que dans un premier temps, cette tâche dépend d’un apprentissage non-déclaratif, procédural, et qu’elle repose sur un traitement striatal. Ceci permet d’une part d’expliquer la similarité (invariance) des scores d’apprentissage chez les enfants normaux de différents âges, et d’autre part d’expliquer le déficit en première partie de tâche chez les enfants avec atteinte des noyaux gris centraux. En revanche, la participation de facteurs mnésiques déclaratifs (lobes temporaux médians) interviendrait dans un deuxième temps. Cela rendrait compte d’une part de la plus grande

164 progression des performances d’apprentissage chez les enfants plus âgés en 2ème phase d’apprentissage (compte tenu de l’accroissement connu de la mémoire déclarative au cours de l’enfance et de l’adolescence), et d’autre part de la possibilité de compensation (tardive) par le biais de la mémoire déclarative chez les enfants présentant une dysfonction striatale.

Nos résultats sont congruents avec l’hypothèse d’une indépendance du système d’apprentissage procédural (Squire, Packard & Knowlton, 2002 ; Grahn et al, 2008) et entrent donc en contradiction avec la position d’Anderson (1982, 1999), qui remet en question la nature autonome du système d’apprentissage procédural cognitif. En effet, pour lui, l’apprentissage cognitif serait contraint par des facteurs de mémoire de travail, par les fonctions exécutives et la mémoire déclarative. Notons toutefois ici que la nature des tâches diffère grandement. Anderson base en effet son modèle sur l’apprentissage de procédures (Tours), nécessitant un effort conscient de mise en place d’une stratégie de résolution de problème et recrutant par là même des processus exécutifs et mnésiques (mémoire de travail et déclarative) en premier lieu. La phase d’automatisation (passage à un processus procédural) n’interviendrait que lorsque la procédure a été très entraînée et ne requiert alors plus le recours à des phénomènes conscients d’apprentissage. Notre tâche (apprentissage probabilistique) ne recrute par contre pas d’effort explicite de mémorisation et se base au contraire sur l’apprentissage graduel d’associations sur la base d’un feedback. Elle ne repose ainsi pas primairement sur des stratégies explicites de résolution de problème. Dans un cas, la tâche (Tours) nécessite une première phase d’apprentissage explicite pour ensuite s’automatiser et devenir alors non déclarative/ procédurale, alors que dans l’autre situation (classification probabilistique), l’apprentissage est primairement procédural, puis permet la participation d’autres facteurs (mémoire déclarative).

Lorsqu’on regarde quelles sont les stratégies utilisées par les enfants lors de l’apprentissage procédural cognitif, on observe une évolution avec l’âge, allant de l’utilisation de stratégies simples (permettant de prendre en compte l’association d’un indice avec son résultat) chez les plus jeunes, pour adopter ensuite davantage une stratégie plus puissante et complexe (permettant l’intégration des multiples indices et leurs résultats associés). Par ailleurs, l’analyse a montré que lorsque les enfants utilisent une stratégie optimale intégrative,

165 les scores d’apprentissage sont identiques quel que soit l’âge du participant et ceci tout au long de la phase d’apprentissage.

Tant la nature de cette stratégie d’apprentissage (complexe, intégrative) que l’observation d’invariance développementale d’apprentissage lors de son utilisation nous incitent à penser que cette stratégie reflète un apprentissage procédural. Notons à ce propos la disparition de la corrélation entre la connaissance déclarative et la performance d’apprentissage cognitif chez les enfants utilisant cette stratégie complexe, comme si ce processus d’apprentissage procédural était en lui même suffisamment efficace/puissant pour ne pas nécessiter d’autres mécanismes d’apprentissage. La nature de l’apprentissage de la stratégie associative simple reste moins évidente dans la mesure où l’apprentissage d’un indice avec son résultat pourrait procéder d’une mémorisation consciente, déclarative.

Toutefois, nos données ne mettent pas en évidence de différence de performance d’apprentissage avec l’âge lors de son utilisation, ce qui parle contre cette hypothèse.

Il apparaît ainsi vraisemblable que les différentes stratégies utilisées par les enfants reflètent un processus d’apprentissage procédural, plus ou moins complexe. Notre hypothèse pour expliquer ces résultats serait que le striatum, connu pour sa maturation dès un très jeune âge (Sidman & Rakic, 1982 ; Chugani et al, 1984, 1987), permet un apprentissage procédural simple, rudimentaire, mais robuste et invariant. Par contre, des facteurs de maturation des boucles cortico-striatales, et en particulier la maturation des lobes frontaux (et des fonctions exécutives) pourraient permettre le développement de stratégies plus complexes et rendre compte de cette évolution développementale dans les stratégies utilisées.

Notre deuxième étude a également montré la préservation sélective de l’apprentissage procédural cognitif (parallèlement au déficit d’apprentissage procédural moteur) chez deux participants avec une maladie rare, soit une dystonie idiopathique, probablement d’origine génétique. Cette trouvaille illustre le caractère dissociable du système d’apprentissage procédural et constitue une observation intéressante de la possible sélectivité de l’atteinte des boucles cortico-striatales telles que décrites par Alexander et al (1986). En effet, on peut supposer que dans cette condition médicale particulière, seule la boucle sensori-motrice est

166 affectée. Au niveau striatal, cette boucle motrice implique en effet le putamen, et non les noyaux caudés, connus pour leur rôle dans l’apprentissage cognitif (Seger&Cincotta 2005 ; Grahn et al, 2008, 2009). Les autres pathologies et notamment celles qui se traduisent par des mouvements choréiques, pourraient en revanche occasionner une dysfonction plus diffuse de la circuiterie cortico-striatale, impliquant le globus pallidus, le putamen et les noyaux caudés (Cardoso et al., 2006) et donc résulter en une atteinte procédurale plus étendue, incluant les aspects cognitifs.

Notre troisième étude consistait en une première exploration des capacités d’apprentissage procédural cognitif chez les enfants avec TSL. Les résultats ont montré la préservation de ces aptitudes chez les enfants avec dysphasie isolée ou associée à des troubles du développement moteur de type maladresse motrice, alors que le sous-groupe d’enfants présentant un DCD avec des mouvements choréiformes présentait des déficits d’apprentissage procédural cognitif. Cela suggère que plusieurs entités distinctes existeraient parmi les troubles du développement moteur, et qu’une caractérisation précise du type de trouble moteur aurait toute son importance pour comprendre les circuits neuronaux impliqués dans le profil de déficit du patient.

D’un point de vue théorique, nos résultats vont à l’encontre du postulat de déficit procédural global dans la dysphasie (Ullman, 2004, Ullman & Pierpont, 2005). Le modèle déclaratif/procédural d’Ullman mérite ainsi l’introduction de nuances et la dysphasie ne semble pas simplement résulter d’un déficit généralisé du système d’apprentissage procédural.

Nos résultats indiquent que les TSL sont liés à un déficit d’apprentissage dans le domaine verbal, que le déficit d’apprentissage moteur résulterait plutôt de la présence d’un trouble du développement de la coordination motrice associé et enfin qu’il n’y a pas de déficit d’apprentissage cognitif dans les TSL.

Lorsque le bébé acquiert le langage, il est évident qu’il ne procède initialement pas à un apprentissage déclaratif mais que l’apprentissage repose en premier lieu sur un traitement automatique, non conscient (procédural), qui permet à l’enfant de détecter des régularités de la langue à laquelle il est exposé. Il paraît ainsi logique que l’habileté à développer le langage

167 repose d’abord sur une capacité à détecter des règles d’enchaînement phonologiques et par conséquent que les enfants avec un TSL puissent présenter des déficits d’apprentissage procédural verbal. Le développement du langage ne semble en revanche pas primairement dépendant de capacités de détection de régularités dans d’autres domaines, moteurs ou cognitifs. Toutefois, étant donné la proximité anatomique des zones cérébrales sous-tendant l’expression du langage et la motricité, il est vraisemblable qu’une dysfonction fronto-striatale puisse affecter le développement de la parole et du langage et également, dans des degrés variables, le développement moteur plus général.