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La doctrine rappelle que “le contexte familial ne constitue pas une fin de non recevoir

Dans le document Le détournement d'institution (Page 82-90)

Chapitre II : Définition et domaine du détournement d’institution

78. La doctrine rappelle que “le contexte familial ne constitue pas une fin de non recevoir

à la démarche d’adoption, pour autant qu’un intérêt légitime anime les candidats.ˮ338.

Mais en l’absence d’intérêt légitime, ou lorsque l’adoption sert, comme cela a été le cas dans

l’affaire jugée par la Cour de cassation en 2001, à déshériter certains des petits-enfants339,

l’adoption n’est pas permise par les magistrats.

L’adoption sert aussi parfois de succédané au mariage, afin d’acquérir la nationalité française.

e) L’adoption pour acquérir la nationalité française

79. Ainsi, une décision est venue montrer que l’adoption, tout comme le mariage, pouvait

être utilisée pour permettre à l’adopté d’acquérir la nationalité française340. La nationalité

française peut en en effet s’acquérir de plusieurs façons, mais l’acquisition par filiation est,

d’une certaine manière, depuis toujours, la voie « royale » pour devenir français341. Même si

le législateur a pris des précautions, pour éviter que l’adoption ne soit précisément utilisée

dans le but d’acquérir la nationalité française342, la tentation a été grande, face au

338

Dominique GRILLET-PONTON, Le détournement fiscal de l’adoption simple : entre le cœur et la raison …, Droit de la famille, janvier 1999, p. 6 et s. Cf., pour un exemple d’adoption entre frère et sœur, Cour d’appel de PARIS, 10 février 1998, Dr. Famille 1998, n°83, p. 14, note Pierre MURAT. Madame FENOUILLET estime que la jurisprudence se montre plus réservée s’agissant des adoptions « intrafamiliales » : “en l’absence de précision législative, elle semble plutôt réticente à prononcer l’adoption, que doivent justifier des circonstances exceptionnelles ; ainsi s’explique qu’elle procède à une appréciation concrète et globale, qui prend en compte toutes les circonstances du cas : âge des intéressés, conditions actuelles d’accueil de l’enfant … finalité poursuivie par la demande d’adoption (successorale, symbolique, de nom, d’autorité parentale …), …L’élément déterminant est bien souvent le contexte affectif réel : si le lien juridique se borne à habiller après coup un lien filial avéré en fait, la jurisprudence tendrait à prononcer l’adoption. Mais la finalité poursuivie pourra interférer avec le premier critère. (Dominique Fenouillet, L’adoption de l’enfant incestueux par le demi-frère de sa mère,

ou comment l’intérêt prétendu de l’enfant tient lieu de seule règle de droit. Dr. Famille 2003, n° 29). V. Droit de la famille, sous la direction de Pierre MURAT, Dalloz Action, 2008, n°223 et s., p. 666 et s.

339 Civ. 1ère, 16 octobre 2001 ; Bull. civ., I, n°256, p.162 ; D. 2002, J., p. 1097, note François BOULANGER ; Petites Affiches, 28 février 2002, n°43, p. 21, note J. MASSIP ; Defrénois 2002, art. 37478, n°6, p. 195 ; Droit de la famille 2002, n°41, note P. MURAT. Monsieur MURAT note qu’ « Utiliser de surcroît l’adoption à des fins d’exhérédation partielle était manifestement aller au devant de difficultés … ».

340 Pour des exemples de demandes d’adoption en vue d’éviter une expulsion du territoire français d’un étranger en situation irrégulière, cf. Cour d’appel de COLMAR, 2ème ch. Civ., sect. A, 7 mars 2002, RJPF 2003, 6/36, note Thierry GARE. Monsieur GARE relève que « la requérante était la tante par le sang de celui dont l’adoption était demandée ; l’enfant était majeur ; il se trouvait en situation irrégulière sur le territoire français. ». La Cour rappelle dans les motifs de la décision que “l’adoption a pour finalité de créer un lien de filiation entre l’adoptant et l’adopté.ˮ. Cf. Cour d’appel de PARIS, 6 février 1996, Dr. Famille 1996, n°8, obs. Pierre MURAT ; RTD civ. 1996, p. 377, obs. Jean HAUSER et Civ. 1ère, 14 mai 1996, Bull. civ., n°204 ; RTD civ. 1996, p. 597, obs. Jean HAUSER. Pour un exemple d’adoption par un homme âgé de son salarié, aide à domicile, qui n’avait pu rentrer et se maintenir en France, que grâce à l’existence de ce contrat de travail, Cour d’appel de PARIS, 6 février 1996, RTD civ. 1996, p. 377, obs. Jean HAUSER ; Dr. Famille 1996, n°8, obs. Pierre MURAT.

341 C’est le premier mode d’acquisition de la nationalité qui est envisagé par la Code civil. Le Code contient un chapitre troisième, dans le titre un bis consacré à la nationalité française, intitulé « Des modes d’acquisition de la nationalité française ». Le paragraphe 1er de ce chapitre 3 concerne « l’acquisition de la nationalité française à raison de la filiation » et comporte un article unique, l’article 21, qui dispose : « L'adoption simple n'exerce de plein droit aucun effet sur la nationalité de l'adopté ».

342

L’article 21 du Code civil précité précise bien que l’adoption simple ne permet pas d’acquérir de plein droit la nationalité française. Si l’acquisition est possible, elle n’est pas automatique et est soumise à contrôle.

durcissement des conditions d’acquisition de la nationalité par mariage, de chercher refuge dans l’adoption. Evidemment, dans de tels cas, ainsi que le relève fort à propos Madame

RUBELLIN-DEVICHI343 “il ne s’agit pas de donner un enfant à une famille, ni même une

famille à un enfant”.

Une décision, illustrant ce nouveau rôle dévolu à l’adoption, est un arrêt de la Cour d’appel de

Paris du 24 septembre 1996344. Elle donne au juge pour mission de s’assurer que l’adoption

n’est pas demandée dans un but étranger à l’institution.

La Cour rejette la demande en adoption simple faite en l’espèce, alors que “l’ensemble des éléments établit que le but essentiel de la demande est de permettre à l’adopté de nationalité étrangère d’obtenir un titre de séjour en France.”.

80. Mais surtout, deux décisions de la Cour de cassation345, que l’on peut certainement

rattacher à la catégorie des adoptions pour acquérir la nationalité française, tant les faits sont pour le moins « troublants », suggèrent que la Cour de cassation pourrait être amenée à sanctionner de tels détournements de l’institution.

En effet par deux requêtes déposées le même jour, un homme marié, né en 1938, avait sollicité l’adoption simple d’un individu né en 1971, dont le consentement avait été recueilli par le Vice-consul de Fez, au Maroc, et d’un autre individu, né en 1957. Le demandeur à l’adoption avait formé un pourvoi en cassation contre les décisions de la Cour d’appel qui lui avaient refusé les deux adoptions, en raison du fait que le futur adoptant ne démontrait pas entretenir avec les futurs adoptés « une relation à caractère filial ».

La Cour de cassation confirme ces deux décisions, aux motifs « qu’après avoir rappelé à juste titre qu’il lui appartenait d’apprécier l’opportunité de l’adoption sollicitée en considération de l’intérêt de l’enfant et de la vie de famille, qu’elle pouvait la refuser si le but poursuivi constituait un détournement de l’institution et que la finalité de l’adoption résidait dans la création d’un lien de filiation, la cour d’appel a relevé que M. P…, qui avait précisé que M.

R… , son beau-frère, vivait à l’étranger (1ère espèce) / S… ne vivait pas chez lui (2ème espèce),

ne s’était pas exprimé sur les liens personnels qui les unissaient et qu’il ne justifiait, ni même n’alléguait dans ses écritures entretenir avec lui une relation à caractère filial … a souverainement déduit que sa requête devait être rejetée ».

343 Réflexions pour d’indispensables réformes en matière d’adoption, D. 1991, chron., p. 210. 344 Jurisdata n°023275.

345

Civ. 1ère, 25 janvier 2005. Gaz. Pal. 2005, Somm., 2784 ; www.legifrance.gouv.fr, n° de pourvois 01-12.108 et 01-12.109.

Le recours à la notion de détournement d’institution est validé par la haute juridiction, qui

approuve346 la Cour d’appel d’avoir rappelé qu’elle pouvait refuser de prononcer l’adoption

« si le but poursuivi constituait un détournement d’institution ».

81. L’adoption viendrait-elle concurrencer le rôle que des candidats à la nationalité

française ont essayé de faire jouer depuis de nombreuses années au mariage ?

Le recours aux adoptions « à tout faire »347 a été tenté, non seulement dans le but d’acquérir la

nationalité française, mais également comme moyen d’établir une paternité biologique.

f) L’adoption pour établir une paternité biologique

82. Dans une espèce, jugée en 2006348, qui concernait une demande de révocation de

l’adoption pour motifs graves, pour vice du consentement et comportement injurieux de l’adopté, la Cour de cassation confirme la décision des juges du fond. Ceux-ci, “après avoir constaté que M. Georges Y… avait sollicité l’adoption simple de M. Jean-Denis X… pour des motifs étrangers à ceux mentionnés dans sa requête en adoption et à la finalité de l’institution qui n’a pas pour objet d’établir une paternité biologique, ont considéré que “l’adoptant ne pouvait se prévaloir d’une fraude dont il était lui-même l’auteur pour solliciter la révocation de l’adoption.

La position prise en 1991349, à propos de l’affaire de l’adoption utilisée pour faire échec à la

législation sur les baux ruraux est réaffirmée, car la formule utilisée par la Cour en 2006 est identique en tous points à celle de 1991.

C’est aussi dans les années 1990 que l’institution du mariage, que l’on a pu qualifier de « berceau » de la notion de détournement d’institution, a enfin vu reconnaître l’existence de détournements en tant que tels.

B – Le détournement d’institution et le mariage

83. La doctrine350 avait, à plusieurs reprises, utilisé l’expression de «détournement

d’institution» pour caractériser les utilisations du mariage effectuées en vue d’un “effet

secondaire du mariage étranger aux buts de l’institution”.351

346 « après avoir rappelé à juste titre ».

347 Pour reprendre l’expression de Monsieur HAUSER.

348

Cf. supra, note 319 : Civ. 1ère 28 février 2006, Bull. civ. 2006, I, n°125, p. 114.

La consécration de la qualification de « détournement d’institution » est venue, non pas des juridictions civiles, mais de la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 8

juin 1993352.

Dans cette affaire, un ressortissant guinéen, sur le point d’être expulsé, alors qu’il n’avait pas de titre de séjour, avait contracté mariage avec une française. Il était établi que le mariage n’avait d’autre but que de procurer un titre de séjour au mari, afin qu’il puisse continuer à séjourner en France.

Le prévenu était poursuivi dans le cadre des dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945 pour délit d’obtention indue de documents administratifs et de séjour irrégulier en

France (article 154 du Code pénal ancien353).

La Cour d’appel de Versailles avait déclaré le mari coupable du délit qui lui était reproché en retenant “qu’un mariage blanc car simulé est un mariage dépourvu de consentement réel, les conjoints n’ayant en réalité jamais consenti à une communauté de vie et s’étant seulement prêtés, par une mise en scène, à la cérémonie du mariage en vue d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale”.

La Cour de cassation approuve la Cour d’appel dans son raisonnement et valide l’indication donnée sur la nature du processus juridique en cause en précisant : “qu’elle retient que, grâce

à ce moyen frauduleux ayant consisté en un détournement de l’institution du mariage,354 K.

s’est procuré des documents administratifs lui permettant de séjourner en France”.

84. La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation a été confirmée par

plusieurs décisions de la Cour d’appel de Rouen, rendue à propos de la même affaire355, dans

350

Notamment I. CORPART-OULERICH, De l’intention matrimoniale ou le mariage était en blanc, Gaz. Pal. 21 octobre 1993, Doct., 1257 ; note VAUVILLE sous Civ. 1ère, 26 juin 1990, JCP 1991, II, 21688, p. 213 et références citées au cours des développements précédents.

351 Le mot institution doit être pris ici au sens de « corps de règles ayant une finalité commune », ce qui a pour résultat d’éviter d’avoir à prendre parti sur l’ancienne querelle du mariage-contrat ou du mariage-institution ; le mot institution étant alors pris dans son premier sens d’“éléments constituant la structure juridique de la réalité sociale ; ensemble des mécanismes et structures juridiques encadrant les conduites au sein d’une collectivité”.( V. G. CORNU, Vocabulaire juridique, précité.).

352

Lexilaser Cassation, pourvoi n°92-84.036.

353 « Quiconque se sera fait délivrer indûment ou aura tenté de se faire délivrer indûment un des documents prévus en l’article précédent, soit en faisant de fausses déclarations, soit en prenant un faux nom ou une fausse qualité, soit en fournissant de faux renseignements, certificats ou attestations, sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de 500 F à 15.000 F.

Les mêmes peines seront appliquées à celui qui aura fait usage d’un tel document, soit obtenu dans les conditions susdites, soit établi sous un autre nom que le sien ». Cf. articles 441-6, 441-9, 441-10 et 441-11 du Code pénal. 354 C’est nous qui soulignons.

355

Cour d’appel de Rouen, Chambre de l’instruction, 5 janvier, 16 février et 9 mars 2006 ; www.legifrance.gouv.fr, n° 2005/00817, n° 2006/00067, 2006/00132.

laquelle une ressortissante de nationalité marocaine, qui était mise en examen du chef

d’organisation de mariage frauduleux356, avait été placée sous mandat de dépôt et écrouée.

Pour rejeter les différentes demandes de mise en liberté présentées par la personne mise en examen, la Chambre de l’instruction a notamment retenu, que “l’ordre public est perturbé d’un trouble exceptionnel et persistant par ces faits en ce qu’ils portent sur un détournement

de l’institution du mariage à seule fin de résider régulièrement sur le territoire français”357.

85. Evidemment, la décision concernait des dispositions de droit pénal et présente de ce

fait, une autonomie certaine par rapport aux décisions rendues en matière civile358.

En matière civile, précisément, la jurisprudence récente tourne toujours autour de la notion359,

mais sans oser l’utiliser et réaffirme le fondement de l’article 146 du Code civil pour

356 Article L 623-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 Euros d'amende.

Ces mêmes peines sont applicables en cas d'organisation ou de tentative d'organisation d'un mariage ou d'une reconnaissance d'enfant aux mêmes fins.

Elles sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 750 000 Euros d'amende lorsque l'infraction est commise en bande organisée ».

357 Cf. l’article 144 du Code de procédure pénale, qui dispose que « La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire :

1° Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ; 2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;

3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ; 4° Protéger la personne mise en examen ;

5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ; 6° Mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement ;

7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire. ». Ce texte, issu de la loi 2007-291 du 5 mars 2007, a conservé la même règle, qui se trouvait antérieurement au 3°de l’article 144.

358 C’est d’ailleurs un petit peu ce que soutenait le mari «simulateur» dans cette affaire, qui faisait valoir que l’annulation du mariage blanc aurait dû constituer un préalable aux poursuites.

La Cour d’appel répond que “l’annulation du mariage contesté ne saurait constituer un préalable aux poursuites, la constatation des infractions commises n’impliquant aucunement qu’il soit d’abord statué sur l’irrégularité de la convention critiquée”. Et en effet, il est constant en jurisprudence que les questions de nullité du mariage ne constituent pas “une exception préjudicielle devant nécessairement être soumises à une juridiction civile”. V. note DOUCET à la Gazette du Palais du 20 mars 1993, sous Crim. 5 octobre 1992 et références citées. Cf. Crim. 5 octobre 1993, Lexilaser cassation, pourvoi n°92-85.770 : “la validité du mariage ne constituant pas une exception préjudicielle au jugement, il [les juges du fond] leur appartenait seulement de rechercher si, pour obtenir la délivrance du récépissé, le prévenu n’avait pas contracté un mariage simulé”.

359 Les formules retenues par la jurisprudence sont pourtant caractéristiques de la notion de détournement d’institution : il s’agit « de se marier dans un but étranger à l’institution matrimoniale » (Cour d’appel de Douai, 14 janvier 2008, n° RG 06/6780, www.legifrance.gouv.fr., Cour d’appel de Versailles, 9 mars 2006, n° RG 149, www.legifrance.gouv.fr.; Cour d’appel d’Agen, 22 février et 26 avril 2006, www.legifrance.gouv.fr.); ou parce que l’épouse « était animée d’une motivation étrangère aux buts du mariage » (Cour d’appel de Colmar, 11 janvier 2007, n° RG 05/03689, www.legifrance.gouv.fr.,). La Cour de cassation retient des formules similaires : « mariage contracté dans un but totalement étranger à son institution » (Civ. 1ère 12 novembre 1998, pourvoi n°96-19701, www.legifrance.gouv.fr.; Civ. 7 juin 2006, n° de pourvoi 05-15679, www.legifrance.gouv.fr.), ou « le but par elle poursuivi était, de manière exclusive, étranger à la finalité du mariage » (Civ. 1ère 6 juillet 2000,

prononcer la nullité du mariage. C’est le cas par exemple d’une décision de la Cour d’appel de

Versailles du 8 juillet 2005360.

Il s’agissait en l’espèce d’un mariage-provocation361, dans le sens où il concernait un

transsexuel homme-femme qui voulait épouser un homme, et les futurs époux ne cachaient

pas leur « activisme et leur militantisme pour la cause des lesbiennes et des homosexuels »362.

La Cour estime qu’en l’espèce, “la revendication affichée par Bénito L… de sa féminité alliée à sa détermination de se marier sous l’identité d’usage de Monica et non sa véritable identité confinant à la provocation et témoignant d’une inspiration essentiellement militante que relaie vigoureusement Camille B… font que l’intention matrimoniale alléguée n’est pas conforme à ce qu’induit l’institution matrimoniale du mariage en l’état du droit positif”.

Le « but étranger à l’institution », ou l’absence de conformité à « l’institution matrimoniale du mariage », renvoient sans nul doute au « détournement d’institution ».

Mais la Cour explique aussi, préalablement, comment le détournement d’institution s’articule avec le défaut de consentement au mariage, visé par l’article 146 du Code civil : “la véritable intention matrimoniale sans laquelle il n’y a point de consentement valable s’entend de la volonté de fonder une union librement consentie en s’obligeant mutuellement aux devoirs et obligations que le mariage induit entre l’homme et la femme qui le contractent, et que la recherche au travers du mariage d’un but étranger à l’institution équivaut à un défaut de consentement”. Le détournement d’institution est assimilé à un défaut de consentement, au sens de l’article 146 du Code civil, ce qui conduit soit au prononcé de la nullité du mariage, soit comme en l’espèce, au refus de donner la mainlevée de l’opposition faite par le Parquet. L’adage « pas de nullités sans texte » pourrait certainement permettre d’expliquer l’attitude de

la jurisprudence en l’espèce363 et sa timidité à viser la nullité des mariages sur le seul

fondement du détournement d’institution. Le législateur a eu, en ce qui le concerne, moins

d’états d’âmes, puisqu’il a, à l’occasion de la loi 2003-1119 du 26 novembre 2003364,

n° de pourvoi 98-10462, www.legifrance.gouv.fr.), ou encore « n’avait pas eu l’intention de créer un foyer au sens de l’institution matrimoniale (Civ. 1ère 22 novembre 2005, Bull. civ., I, n°442, p. 369).

360 Cour d’appel de Versailles, 1ère ch., 8 juillet 2005 ; D. 2006, J., n°11, p. 772, note V. BONNET. 361 Voir la note de V. BONNET, précitée.

362 D’ailleurs, le futur « mari » avait déclaré vouloir se marier sous le prénom de « Monica ».

Le Procureur de la République avait fait opposition au mariage et le futur « mari » avait saisi le tribunal de grande instance d’une demande en mainlevée de l’opposition. Sur la question du mariage homosexuel, cf. Philippe MALAURIE et Laurent AYNES, Droit civil, La famille, par Philippe MALAURIE et Hugues FULCHIRON, 3ème éd., Defrénois, 2008, n°171 et s., p. 90 et s.

Les premiers juges ayant confirmé l’opposition, la Cour d’appel de Versailles a été saisie par le « futur » mari. 363 Cf. infra, sanction et fondement du détournement d’institution, p. 239 et s.

364 J.O. 27 novembre 2003, p. 2018, cité par Dominique FENOUILLET, Le détournement d’institution familiale,

Mélanges Philippe MALAURIE, Defrénois, Paris, 2005, p. 237 et s., spéc. p. 239. Sur l’évolution de la législation, cf. François TERRE, Dominique FENOUILLET, Droit civil. Les Personnes, la Famille, les Incapacités, 7ème éd. 2005, Précis Dalloz, n°362, p. 332.

consacré la notion de « détournement d’institution », en indiquant que la loi visait à « éviter

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