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La dissémination du concept de développement dans les traités et dans la

Depuis la reconnaissance du concept de développement durable à l’échelle internationale, il est de plus en plus incorporé de manière expresse dans les instruments internationaux ayant un caractère obligatoire. Peu importe le fait que « l’intensité juridique »684 de ses obligations au sein des traités

multilatéraux et des actes fondateurs d’organisations internationales soit caractérisée par une certaine « souplesse »685, il y jouit incontestablement d’une assise juridique (A). À cet égard, il joue un rôle

important dans la résolution des différends internationaux qui se rapportent à lui686. Pour s’en

convaincre, il suffit de parcourir la jurisprudence internationale (B).

A- Aperçu non exhaustif de la présence du concept de développement durable dans le droit conventionnel

Compte tenu de l’existence d’une pléthore d’accords internationaux687 qui évoquent le concept de

développement durable, il conviendra de s’arrêter sur les textes multilatéraux issus de la Conférence de Rio de 1992 (1), et sur les actes constitutifs d’organisations d’intégration régionale à l’échelle continentale (2).

1- La présence du concept de développement durable dans les textes conventionnels issus de la Conférence de Rio de 1992

La Conférence de Rio de 1992, qui a popularisé le concept de développement durable, a conduit à l’adoption de plusieurs textes de nature non contraignante, parmi lesquels les standards internationaux du développement durable : la Déclaration de Rio sur l’environnement et le

développement688, le Programme d’action pour l’environnement et le développement durable connu

684 Fievet, supra note 276 à la p 134.

685 Maljean-Dubois, « Environnement, développement durable et droit international », supra note 303 à la p 596. 686 Opinion individuelle du juge Weeramantry dans l’Affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros, supra note 88 à la p 95.

687 Pour un inventaire exhaustif des conventions multilatérales qui consacrent le concept de développement durable, voir Schrijver, «The Evolution », supra note 296 aux pp 288-309; Opinion individuelle du juge Weeramantry dans l’Affaire

relative au projet Gabcikovo-Nagymaros, supra note 88 à la p 93; Barral, Le développement durable, supra note 42 aux

notes de bas de page 313-348. 688 Supra note 33.

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sous le nom de l’Agenda 21, encore appelé Action 21689. À ces documents non contraignants, s’ajoute

la Déclaration de principes, non juridiquement contraignante, mais faisant autorité, pour un consensus

mondial sur la gestion, la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous types de forêts690. Outre ces textes, ladite Conférence a eu comme répercussion juridique l’introduction du

concept de développement durable dans la sphère du droit conventionnel691, à travers : la Convention sur la diversité biologique692, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques693, la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification dans les pays gravement touchés par la sécheresse et/ou la désertification, en particulier en Afrique694.

Toutes ces conventions mentionnent expressément le concept de développement durable, et engagent juridiquement les États parties à le promouvoir. À ce titre, le concept de développement durable apparaît plus comme une obligation de moyens qu’une obligation de résultat695. Peu importe

sa formulation incitative et son emplacement au sein d’un traité, sa présence n’est pas qu’un simple décor, mais plutôt un élément à prendre en considération dans la mise en œuvre des traités multilatéraux ou régionaux qui s’y rapportent. En d’autres termes, le fait que le ton soit plus incitatif qu’injonctif ne lui enlève en rien son caractère d’obligation, à moins que les parties en disposent autrement. Le propos de Prosper Weil est assez significatif à cet égard :

Les parties ne sont assujetties à une norme que si elles ont eu l’intention d’en créer une. […] Tel est le cas, […] lorsqu’elles ont coulé leur accord dans le moule formel du traité international : leur intention d’assumer

689 Supra note 33.

690 Doc off AG NU, 47e sess, Doc NU A/CONF.151/26 (1992).

691 Stéphane Doumbé-Billé et Alexandre-Charles Kiss, « Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Rio de Janeiro-juin 1992) » (1992) 38:1 AFDI 823 à la p 838.

692 5 juin 1992, 1760 RTNU 79 (entrée en vigueur : 29 décembre 1993). Au préambule, les parties contractantes indiquent qu’elles sont « [d]éterminées à conserver et à utiliser durablement la diversité biologique au profit des générations présentes et futures ». L’article 8 e) dipose qu’il faut que chaque partie contractante, promeuve dans la mesure du possible et selon qu’il conviendra, un «développement durable et écologiquement rationnel ». Les articles 1 et 10 marquent l’engagement des États à l’utilisation durable des éléments constitutifs de la diversité biologique.

693 Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, supra note 88. L’article 3 paras 4 et 5 précise que : «Les [p]arties ont le droit d’oeuvrer pour un développement durable et doivent s’y employer ». Par ailleurs, « Il appartient aux [p]arties de travailler de concert à un système économique international qui soit porteur et ouvert et qui mène à une croissance économique et à un développement durables de toutes les [p]arties […] ».

694 17 juin 1994, 1954 RTNU 3 (entrée en vigueur : 26 décembre 1996). Dans cette convention, il y a au total vingt occurences du mot développement durable. Le préambule indique ceci : « Une croissance économique durable, le développement social et l’élimination de la pauvreté constituent des priorités pour les pays en développement touchés, en particulier en Afrique, et sont indispensables pour atteindre les objectifs de durabilité », en outre : « […] la désertification et la sécheresse compromettent le développement durable en raison de la corrélation qui existe entre ces phénomènes et d’importants problèmes sociaux comme la pauvreté, une mauvaise situation sanitaire et nutritionnelle et l’insécurité alimentaire, ainsi que ceux qui découlent des migrations, des déplacements de populations et de la dynamique démographique ». L’article 2 para 1 engage les États à contribuer à l’instauration d’un développement durable.

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des engagements pleinement juridiques ne fait alors aucun doute. Cela est vrai de toutes les dispositions d’un traité […] soumis à la règle pacta sunt servanda […]. Il faut rejeter avec la dernière énergie la suggestion parfois faite de refuser le caractère pleinement juridique à des dispositions vagues et peu contraignantes contenues dans les traités et qui relèvent de la soft law […] Une disposition d’un traité a beau être simplement « directrice », programmatoire, […] elle a beau ne pas aller au-delà d’une déclaration d’intention, elle est néanmoins pleinement juridique. Peut-être une telle disposition n’oblige-t-elle pas à grand-chose; pour le peu qu’elle oblige, c’est une obligation juridique qu’elle crée696.

Pierre Marie-Dupuy et Yann Kerbrat abondent dans ce sens lorsqu’ils affirment que :

Il existe en effet de plus en plus de dispositions conventionnelles rédigées avec une telle prudence normative que l’obligation ainsi énoncée est seulement de s’efforcer à atteindre un certain but, sorte de version édulcorée de l’obligation de résultat. On doit cependant exclure ce type de normes du cadre de la soft law, parce que, formellement, il s’agit bien toujours d’obligations contractuelles697.

2- La présence du concept de développement durable dans les actes constitutifs des organisations d’intégration régionale

Une lecture attentive des dispositions des actes constitutifs des organisations d’intégration régionale révèle que le concept de développement a reçu un accueil favorable dans le droit communautaire régional africain et européen698.

En effet, au préambule du Traité sur l’Union européenne699, les États se disent « déterminés à

promouvoir le progrès économique et social de leurs peuples, compte tenu du principe du développement durable […] ». L’article 3 (3) du même Traité précise que « L’Union [européenne] […] œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement […] ». L’article 21 (f) précise que l’Union européenne mène des politiques communes pour : « contribuer à l’élaboration de mesures internationales pour préserver et améliorer la qualité de

696 Weil, supra note 160 à la p 234; Virginie Barral est de cet avis lorsqu’elle affirque que : « L’État qui ne respecterait pas ses engagements conventionnels aussi souples soient-ils, engage sa responsabilité internationale». Barral, Le

développement durable, supra note 42 à la p 158.

697 Dupuy et Kerbrat, supra note 87 note de bas de page 2 à la p 436.

698 Schrijver, « The Evolution », supra note 296 aux pp 311, 314. Il convient de noter que dans le cadre de cette thèse, on ne s’intéresse pas aux autres organisations comme le Marché commun du Sud (Mercosur), la Communauté andine des nations (CAN), le Système d’intégration centraméricain (SICA) en Amérique latine, l’Association des nations d’Asie du Sud- Est (ASEAN), l’Association pour la coopération régionale en Asie du Sud (SAARC) et le Forum de coopération économique de l’Asie-Pacifique (APEC) en Asie et dans le Pacifique, parce que ces organisations n’ont pas pour objectif l’intégration régionale telle que présentée à l’introduction de cette thèse. Ces organisations visent plutôt des coopérations sectorielles au niveau régional. Voir Sophie Boisseau du Rocher, « L'Asean et les nouvelles règles du jeu. Le régionalisme en Asie du Sud-Est à l’épreuve de la mondialisation » (2001) 3:8 Revue internationale de politique comparée 395; Franck Petiteville, « Les processus d'intégration régionale, vecteurs de recomposition du système international? » (1997) 28:3 Études internationales 511.

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l’environnement et la gestion durable des ressources naturelles mondiales, afin d’assurer un développement durable ». L’article 11 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne700

prévoit que : « Les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union [européenne], en particulier afin de promouvoir le développement durable ».

Dans le cadre de l’Union africaine, l’article 3 (j) de son Acte constitutif701 stipule que l’un des

objectifs de cette organisation panafricaine est de : « Promouvoir le développement durable [des États africains] aux plans économique, social et culturel, ainsi que l’intégration des économies africaines ». Autant le dire, l’insertion du concept de développement durable dans le droit conventionnel est une réponse au Chapitre 39 de l’Agenda 21702 issu de la Conférence de Rio de 1992, qui recommandait

aux États de faire passer le concept de développement durable des déclarations politiques à la sphère juridique, donnant la possibilité à ce concept d’être à l’origine des obligations juridiques703. D’ailleurs,

ce concept a été reçu favorablement dans la jurisprudence internationale.

B- La reconnaissance du concept de développement durable dans la jurisprudence internationale

Le concept de développement durable et les principes qui y sont associés jouissent d’une large reconnaissance dans les décisions judiciaires internationales et dans les décisions rendues par les instances quasi-juridictionnelles internationales, entre autres, dans l’avis relatif à la Licéité de la

menace ou de l’emploi d’armes nucléaires704, ainsi que dans les affaires Gabcikovo Nagymaros705, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay706, États-Unis – Crevettes I707, CE — Hormones708,

700 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (version consolidée), [2012] JO, C 326/47. 701 Acte constitutif, supra note 53.

702 Agenda 21, supra note 33.

703 Frédérique Ferrand, « Le développement soutenable est-il une notion de droit international public? » dans Michael Bothe et Peter H Sand, dir, La politique de l’environnement : de la réglementation aux instruments économiques, 2003, 245 à la p 260.

704 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, supra note 466 aux paras 27-33.

705 Affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie c Slovaquie), Arrêt, 1997 CIJ rec 7 [Affaire Gabcikovo-

Nagymaros].

706 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c Uruguay), Arrêt, 2010 CIJ rec 14 [Usines de pâte à papier]. 707 États-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes (Plainte Inde

et al,) (1998) OMC DOC/WT/DS58/R (Rapport du Groupe spécial) ; États-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes ( Plainte Inde et al,) (1998), OMC DOC/WT/DS58/AB/R (Rapport de

l’Organe d’appel) au para 129 [États-Unis – Crevettes I].

708 CE — Hormones (Plainte du Canada et des États-Unis) (1998), OMC Doc WT/ DS26, 48/AB/R (Rapport de l’Organe d’appel) [CE — Hormones].

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Agrarproduktion Staebelow GmbH c Landrat des Landkreises Bad Doberan709, Ogoni710, pour lesquelles il

convient de faire un très bref rappel des faits.

1- L’Avis de la CIJ sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires

Il s’agit d’un avis consultatif demandé à la CIJ par l’Assemblée générale des Nations unies en 1994. L’Assemblée générale des Nations unies voulait savoir s’il est permis en droit international de recourir à la menace ou à l’emploi d’armes nucléaires en toute circonstance. Après avoir rappelé que : « l’environnement est menacé jour après jour et […] que l’emploi d’armes nucléaires pourrait constituer une catastrophe pour le milieu naturel », la CIJ a repris les termes du principe 24 de la Déclaration de

Rio de 1992, en indiquant que : « “La guerre exerce une action intrinsèquement destructrice sur le

développement durable. Les États doivent donc respecter le droit international relatif à la protection de l’environnement en temps de conflit armé et participer à son développement, selon que de besoin.” »711.

On remarque que dans cet avis, le juge international limite la conception du développement durable à la protection de l’environnement en prenant appui sur la Déclaration de Rio de 1992. On ne saurait l’en blâmer, dans la mesure où ladite Déclaration qu’il cite pour soutenir ses arguments ne dit pas mot pour mot que le développement durable est constitué de trois piliers interdépendants (économique, social et environnemental), même si ces piliers se trouvent en filigrane dans les principes 4, 5, 12 de ladite Déclaration. Par ailleurs, le fait que le juge de la CIJ s’appuie sur la Déclaration de Rio de 1992 pour étayer son raisonnement n’est pas anodin. En effet, selon l’article 38 para 1 du Statut de la CIJ, la Cour applique les traités, la coutume internationale et les principes généraux de droit reconnus par les « nations civilisées ». En outre, elle ne peut se référer qu’aux décisions judiciaires et à la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, considérées comme moyens auxiliaires de détermination des règles de droit en appui de son raisonnement dans le cadre d’une affaire qui lui est soumise. Or, la Déclaration de Rio de 1992 n’est pas de la doctrine juridique, encore moins un traité, une coutume internationale ou un principe général de droit. Il s’agit d’une déclaration politique tout comme la Déclaration de Johannesburg de 2002 sur le développement durable712. Le fait que la CIJ se réfère à la Déclaration de Rio confirme l’idée développée dans cette étude, selon laquelle le

709 CJE Agrarproduktion Staebelow GmbH c Landrat des Landkreises Bad Doberan, C-504/04, [2006] ECR I – 681[Agrarproduktion Staebelow GmbH].

710 Social and Economic Rights Action Center (SERAC) and Center for Economic and Social Rights (CESR) c Nigéria, 155/96 AHRCLA (Comm Afr DHP 2001) au para 52 [Affaire Ogoni].

711 Kanga Bertin Kouassi, Précis de jurisprudence de la Cour internationale de justice, Paris, Publibook, 2004 aux pp 421- 431; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, supra note 466 aux paras 29-30.

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document susvisé, et par ricochet tous les autres textes de nature non contraignante relatifs au développement durable adoptés sous l’égide de l’ONU (l’Agenda 21, la Déclaration de Johannesburg, le Document final de Rio+ 20), sont des standards internationaux713 en la matière. Ces textes apparaissent également comme la manifestation de l’opinio juris des États se rapportant à leur tentative de définir une règle coutumière relative au concept de développement durable714, dans la mesure où ces textes sont « constamment cité[s] ultérieurement par l’Assemblée générale [de l’ONU] et forment la base de ses actions concrètes »715. Par conséquent, bien que ces textes n’« engagent pas juridiquement [les États], ils les engagent quand même d’une certaine façon »716. Pour cette raison, on estime qu’il est légitime que l’action des États en faveur du développement durable soit évaluée au regard de ces standards, qui d’ailleurs posent les conditions d’effectivité du développement durable en droit international.

2- L’Arrêt de la CIJ sur l’Affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros

Cette affaire qui a opposé la Hongrie à la Slovaquie au sujet de la construction et de l’exploitation des barrages sur le Danube fut la première affaire soumise à la CIJ dans laquelle la question environnementale était centrale. Dans ce différend, la CIJ a reconnu que les Parties ont commis des actes illicites croisés, et que la question de l’indemnisation pourrait être résolue de façon satisfaisante si chacune d’elles renonçait à toutes ses demandes et contre-demandes d’ordre financier ou les annulait717. Avant de parvenir à cette conclusion, la Cour a tenu à mettre en relief le concept de

développement durable ainsi qu’il suit :

Dans le domaine de la protection de l’environnement, la vigilance et la prévention s’imposent en raison du caractère souvent irréversible des dommages causés à l’environnement et des limites inhérentes au mécanisme même de réparation de ce type de dommages […] De nouvelles normes et exigences [relatives au droit de l’environnement] ont été mises au point, [et ont] été énoncées dans un grand nombre d’instruments au cours des deux dernières décennies. Ces normes nouvelles doivent être prises en considération et ces exigences nouvelles convenablement appréciées non seulement lorsque des États envisagent de nouvelles activités, mais aussi lorsqu’ils poursuivent des activités qu’ils ont engagées dans le passé. Le concept de développement durable traduit bien cette nécessité de concilier développement économique et protection de l’environnement718.

713 Voir la définition de standards internationaux à l’introduction de cette thèse. 714 Voir Barral, Le développement durable, supra note 42 aux pp 188, 191-195.

715 Jean J A Salmon, « La règle de droit en droit international public » dans Chaïm Perelman, dir, La règle du droit, Bruxelles, Bruylant, 1971, 193 à la p 198.

716 Weil, supra note 160 à la p 233.

717 Affaire Gabcikovo-Nagymaros, supra note 705 au para 156. 718 Ibid au para 140.

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À l’analyse, il apparaît que la CIJ limite le concept de développement durable à deux piliers, l’économique et l’environnemental, et ne fait aucune allusion au pilier social. Mais ce qui est le plus frappant dans cette affaire, c’est que le concept de développement durable a servi de point d’appui aux arguments du juge, alors que vraisemblablement ce concept juridique était inconnu en 1977, c’est- à-dire à l’époque de la conclusion du traité à l’origine du différend entre la Hongrie et la Slovaquie, puisque l’expression développement durable a été employée pour la première fois dans les années 1980. En outre, il est vrai que dans le compromis notifié conjointement à la Cour par les Parties, celle- ci est priée de régler le litige « sur la base du traité et des règles et principes du droit international général, ainsi que de tous autres traités qu’elle jugera applicables »719. Toutefois, on note que la Cour

utilise le concept de développement durable comme clé d’interprétation sans se référer à une convention précise. En se servant ainsi du concept de développement durable pour soutenir ses arguments, il est clair que le juge confirme le caractère juridique de ce concept en dehors du cadre conventionnel.

3- L’Arrêt de la CIJ relatif à l’Affaire Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay

Ce différend opposait l’Argentine à l’Uruguay au sujet de prétendues violations par ce dernier de ses obligations découlant du Traité de 1975 relatif à l’utilisation du fleuve Uruguay partagé par les deux États720. L’Argentine prétendait que cette violation résultait de l’autorisation par l’Uruguay de construire

et de mettre en service deux usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay. L’Argentine soutenait que ces activités auraient des effets néfastes sur la qualité des eaux du fleuve Uruguay et sa zone d’influence. Dans son ordonnance sur la demande en indication de mesures conservatoires, la CIJ note que : « il doit être tenu compte de la nécessité de garantir la protection continue de l’environnement du fleuve ainsi que le droit au développement économique des États riverains »721 . Dans son Arrêt, la CIJ dit que l’Uruguay a manqué aux obligations de nature procédurale

lui incombant en vertu des articles 7 à 12 du Statut du fleuve Uruguay de 1975722, obligations qui

consistaient à notifier préalablement à la commission administrative du fleuve Uruguay tout projet de

719 Ibid à la p 8.

720 Statut du fleuve Uruguay, 26 février 1975, 1295 RTNU 340 (entrée en vigueur : 26 février 1975).

721 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c Uruguay) demande en indication des mesures conservatoires, Ordonnance du 13 juillet 2006, [2006] CIJ rec 1 au para 80 [Usines de pâte à papier, mesures conservatoires]; Malgosia Fitzmaurice, « Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay » (2007) 2:1 Journal Judicaire de la Haye 61 aux pp 65‑67; Loïc Vatna, « L̕affaire des “Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay)”: un nouveau différend environnemental devant la Cour internationale de justice » (2009) 22:2 RQDI 25 aux pp 26-30.