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3.5.1 Reprise des résultats principaux

Peu d’études dans la littérature correspondaient à nos critères d’inclusion. Une majorité de la littérature consistait en articles d’opinion sur le rôle du MG dans la détection et la prise en charge des patients atteints de TCA. La plupart des articles publiés avaient une perspective de soins secondaires et étaient composés d’études transversales. Ils ont été exclus de la revue de la littérature car ils avaient comme objectif de valider des outils de dépistage, tels que les questionnaires EAT-4084, ou 2662, SCOFF64, BITE85, ou le EDE-Q86 dans la population générale ou une population consultant en SP, mais sans information de suivi. L’impact d’un dépistage systématique des TCA chez les patients de la population générale ou en SP n’est pas connu en tenant compte des données actuelles de la science.

Aucune étude n’a donné d’information à propos de l’efficacité d’un dépistage en SP.

Seulement 10 études dans la littérature donnaient suffisamment d’informations de suivi à propos de critères cliniques de guérison ou de recours pour les patients détectés par des procédures de dépistage réalisées par les MG. Seule une étude récente avait le même objectif que notre revue de la littérature, en mesurant l’efficacité du dépistage des TCA par les MG73.

Les informations disponibles sur le parcours de soins après détection des TCA montraient que pour les types de TCA :

- la fréquence des consultations en médecine générale augmentait pour le prise en charge des TCA et la dépression

- le recours aux soins de santé mentale augmentait mais n’avait pas d’impact sur la guérison - la prescription de médicaments psychotropes tels que les AD augmentait

Les informations disponibles sur les critères cliniques des patients après détection des TCA étaient hétérogènes. Il y avait plus d’information pour les patients atteints de BN que d’AM ou de TCA-NS. Les ECR montrait une réduction modérée des épisodes de pulsions alimentaires et de purge pour les patients atteints de BN ayant des traitements spécifiques, mais sur une période courte, 9 mois au maximum.

3.5.2 Caractéristiques méthodologiques des études incluses et impacts sur les résultats

Les résultats des études doivent être interprétés avec précaution.

Premièrement, le recrutement des patients en médecine générale par les MG dans leur patientèle n’avait été réalisé que dans 4 études sur 1073,76,78-79. La confusion entre la population générale et la population consultant en MG était fréquente. Les 6 autres études concernaient des patients issus de consultations de MG, mais qui n’auraient peut-être jamais consulté leur MG pour TCA. Certains patients avaient été recrutés directement pas les chercheurs de l’étude dans les salles d’attente. Les MG n’étaient pas forcément inclus dans le processus de recrutement. Quand les MG participaient au processus de recrutement des ECR, ils n’auraient peut-être jamais détecté ces patients là pour des TCA dans un contexte de soins usuels. 2 ECR sur 3 avaient adressé les patients inclus à des MG volontaires qui n’était pas leur MG habituel80-81. Enfin, certaines études incluaient à la fois des patients des soins

secondaires ou d’unités spécialisées et des patients de SP, constituant un échantillon hétérogène rendant la généralisation des résultats difficile76-77.

Deuxièmement les patients détectés dans les ECR étaient traités systématiquement du fait du protocole de l’étude. Dans un contexte de soins usuels, certains patients détectés n’auraient pas forcément été traités. L’inclusion de patients dans une étude influence les décisions prises par le MG pour traiter ou adresser un patient à un spécialiste d’organes, modifiant le parcours de soins et donc l’impact d’un dépistage intégré dans un contexte naturel de médecine générale. Cet effet Hawthorne est à prendre en compte lors de la mesure de l’efficacité de la prise en charge d’une maladie87.

Troisièmement, les effectifs inclus étaient faibles, de 13 à 204, résultant en un manque de puissance. Walsh expliquait que la prévalence des patients atteints de BN était tellement faible en SP que les chercheurs avaient dû recruter directement les patients dans la population générale pour s’assurer d’un nombre suffisant de patients pour cet ECR81. Pour d’autres études, l’inclusion concomitante de patients ayant des types différents de TCA pouvait avoir conduit à des trajectoires de soins et des critères cliniques modifiés par rapport à une inclusion exclusive. Cette faible prévalence des TCA en SP peut expliquer l’absence dans la littérature de recrutement exclusif dans ce cadre de patients atteints d’AM. Quatrièmement, les critères cliniques et les trajectoires de soins étaient hétérogènes entre les études. Les périodes de suivi étaient variables selon les études, de 1 à 54 mois et les indicateurs non comparables.

Une méta analyse n’était donc pas possible.

Les facteurs prédictifs de guérison n’étaient établis que dans une seule étude ; un âge précoce au moment de la détection était un facteur prédictif de guérison pour les patients atteints de AM, BN et TCA-NS. La guérison était plus rapide pour les patients atteints de BN que ceux atteints d’AN73. La guérison était ici validée par des questionnaires envoyés aux MG. Il aurait été plus pertinent de demander directement aux patients ou d’utiliser les bases de données existantes.

3.5.3 Validité des définitions des TCA en médecine générale

Dans notre revue de la littérature, les faibles incidence et prévalence des TCA en médecine générale étaient souvent expliquées par une sous détection des patients atteints de TCA par les MG69-88. Plusieurs études affirmaient que les MG devaient détecter de façon précoce les patients atteints de TCA67,89-90 et qu’ils devaient être formés à cela de façon urgente70,88,91-92. Mais les données scientifiques actuelles montrent que les MG sont rarement confrontés aux TCA dans un contexte de dépistage uniquement. Il semble que les patients atteints de TCA consultent les MG, mais pour d’autres raisons que cette maladie, expliquant la sous détection par les MG.

Les MG sont peut-être en contact avec des patients à risque mais différents de ceux diagnostiqués et hospitalisés, dans un contexte de soins secondaires. Il se peut que les patients détectés en soins secondaires ne consultent pas en SP. Dans deux études, l’âge moyen de patients détectés pour AM était plus élevé (22,7 ans73 ou 28,11 ans77) qu’en soins secondaires où ce sont régulièrement des adolescents qui sont pris en charge.

L’utilité de la classification DSM en SP peut également être discutée. Dans les études de Van Son et Tunrbull, certains cas suspectés par les MG étaient invalidés par les chercheurs des études7879. Les études pour lesquelles les MG recrutaient des patients montraient que les chercheurs validaient le diagnostic dans 60 à 80 % des cas73,78-79,82. On peut supposer que les MG détectent probablement les patients atteints de TCA avec une plus grande sensibilité que les psychiatres, suggérant que les MG ont plutôt un rôle de « suspicion » et les psychiatres un rôle de confirmation. La distinction des types de TCA est aussi questionnée en SP. Les MG tiennent compte des symptômes importants pour les patients sans forcément faire de diagnostic spécifique93.

Un cadre nosologique en SP est à construire. Van Son a crée un critère composite tenant compte à la fois de critères cliniques en lien avec la classification DSM (IMC, nombre d’épisodes de pulsions alimentaires et de purge,…) et de l’impression de guérison des MG73. La classification DSM-IV n’était pas appropriée pour son étude. La classification DSM-V postérieur à l’étude de Van Son était plus en lien avec le terrain des SP, en définissant les BED (Binge Eating Disorder, hyperphagie boulimique en français). Cette définition introduite en 2013 correspond un sous type de TCA-NS dans le DSM-IV, avec une approche plutôt basée sur des symptômes que sur un syndrome défini. Les BED sont probablement les TCA les plus fréquemment observés en SP et soins secondaires94.

Des classifications plus spécifiques des SP comme la CISP 2 peuvent être une base utile pour combiner des procédures diagnostiques (Anorexie et Boulimie définis par le code P86) et des situations biopsychosociales (domaines généraux et non spécifiés code AXX)95.

De nouveaux critères quantitatifs et qualitatifs pour détecter les TCA sont à explorer. Le sentiment de perte de contrôle lié à la nourriture est un élément intéressant de critère centré sur le patient permettant une union des idéologies de la classification DSM avec celle du contexte des SP96 97.

Certaines études incluses n’ont pas retrouvé de différence de taux de guérison entre les patients adressés et non adressés à un spécialiste. Les patients atteints de syndromes plus sévères étaient probablement adressés plus facilement aux psychiatres, alors que les patients moins atteints étaient pris en charge seulement par leur MG. Il serait intéressant d’évaluer quand les MG pourraient adresser les patients atteints de TCA aux spécialistes, plutôt que d’évaluer les deux types de prise en charge.

3.5.4 Implications pour la pratique clinique future

Des informations issues de bases de données spécifiques aux SP et un recrutement effectué par les MG, comme les études de cohorte réalisées aux Pays Bas sont à réaliser dans d’autres pays.

Des cohortes comparant les caractéristiques des patients atteints de TCA suivis en SP et ceux suivis en soins secondaires ou spécialisés devraient être construites. Les données semblaient plus pertinentes en termes de recherche et de pratique clinique lorsque les études étaient conduites par une équipe pluridisciplinaire (MG, psychiatres, épidémiologistes)73-78. Le recueil de données devrait cibler les critères cliniques et sociaux, le recours aux soins, la fréquence des consultations et la prescription médicamenteuse. La difficulté principale de ce type d’études serait la gestion des données manquantes

et l’obtention de détails des consultations de MG, en se centrant sur les symptômes des patients consultant leur MG.

La CISP est décrite dans la littérature comme une classification intéressante pour ces enjeux95. Des ECR devraient également être conçus à partir de la population consultant en SP afin de comparer les critères cliniques de guérison de patients détectés par les MG systématiquement et la prise en charge usuelle.

La BN semblait dans la littérature aussi fréquente voire plus fréquente en population générale que l’AM18. Les MG ont peut-être un rôle important dans la détection de ces patients atteints de BN. Il semble enfin que la dépression est une comorbidité fréquente dans la population atteinte de TCA. L’ensemble des études tenaient compte de la dépression, certains articles montraient des taux élevés de prescription d’antidépresseurs78-80, les scores de dépression étaient pris en compte et ceux-ci étaient améliorés en traitant les TCA79-83. La prise en compte de la dépression est probablement une piste d’amélioration du pronostic des patients atteints de TCA58.

3.5.5 Forces et faiblesses de l’étude

A notre connaissance, il s’agit de la première revue systématique de la littérature évaluant l’efficacité d’un dépistage des patients atteints de TCA par les MG dans un contexte de SP. Elle a été réalisée à partir de cinq bases de données internationales et à partir de la librairie Cochrane mais sans prendre en compte l’ensemble de la littérature grise. Une autre force est la collaboration pour l’étude de psychiatres, épidémiologistes et médecins généralistes avec une perspective de SP. Une méta analyse n’a pu être réalisée faute de données spécifiques et du caractère hétérogène du recueil des données et de l’analyse des données. Nous avons discuté les critères méthodologiques de chaque étude en s’inspirant des scores de validité d’études, tels que CONSORT, sans l’utiliser directement.

Une faiblesse de l’étude est l’absence de prise en compte des différences de système de santé et de type de SP entre les Etats Unis, les différents pays d’Europe du Nord et du Sud. Aux Etats Unis, des unités de SP sont présentes en milieu hospitalier, ce qui n’est pas le cas en Grande Bretagne ou aux Pays Bas (cf chapitre 1.3.1). Ceci pouvait rendre difficile la comparaison des caractéristiques des patients98.