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Comparaison avec la littérature : des caractéristiques spécifiques aux soins primaires ?

4.3 Méthode

4.5.2 Comparaison avec la littérature : des caractéristiques spécifiques aux soins primaires ?

4.5.2.1 Prévalence des TCA en SP

Seuls 0,3% des patients présents dans l’OMG étaient concernés par le RC TCA. La proportion réduite de cet échantillon reflète que le diagnostic de TCA est peu présent lors des consultations de MG de l’OMG. Notons que ce chiffre n’est pas une prévalence des TCA puisqu’il s’agissait de fréquence de prise en charge et non pas de fréquence de diagnostic, non disponible pour notre étude. Cette faible fréquence concorde avec les études récentes d’incidence et de prévalence réalisées dans un contexte de SP. Une étude Finlandaise retrouvait une prévalence d’AM de 1 à 4 %, de BN de 1 à 2 %, de 2 à 3 % de TCA-NS113, confirmant une prévalence différente à celle observée en population générale qui est plutôt de 6 %. Les hypothèses dans la littérature par rapport à ce hiatus de prévalence sont : la sous détection des TCA par les MG, car ils se sentent peu concernés, l’absence réelle de ces patients en SP par non consultation, la difficulté de caractériser ces troubles à un stade précoce.

L’étude la plus récente de Micali retrouvait les mêmes chiffres de prévalence, stable depuis 10 ans hormis pour les TCA-NS augmentant dans la population de SP114. Les MG détectaient probablement ce dernier type plus fréquemment parce que la catégorie TCA -NS n’existe en tant que telle que depuis le DSM IV-TR, et qu’il a fallu attendre le DSM-V pour en faire une entité syndromique à part entière. Néanmoins certains auteurs expliquent que ce type de TCA reste sous-estimé dans un contexte de SP, car il représente plus de 50 % des patients atteints de TCA en population générale6. Notre étude retrouvait 32 % de patients atteints de TCA-NS, c’est-à-dire moins qu’attendu.

On peut émettre l’hypothèse que les MG mettent du temps à caractériser ces TCA-NS. Les TCA-NS sont en effet peu spécifiques. Les MG voyaient probablement des patients ayant des formes subsyndromiques mais ne les relevaient pas comme TCA-NS.

4.5.2.2 Age et genre des patients atteints de TCA

L’âge des patients de notre échantillon était concordant avec la littérature en SP115. Ils étaient dans leur trentaine, quel que soit le type de TCA. Cet âge reflète une population en SP différente de celle hospitalisée en psychiatrie, souvent pendant leur période d’adolescence, en particulier pour l’AM. Les TCA-NS seraient plus fréquents chez les femmes âgées de 30 à 50 ans que les autres types de TCA115. Ceci n’était pas retrouvé dans notre étude.

251 femmes dans notre échantillon avaient plus de 50 ans. Ce résultat est très différent des descriptions habituelles des patients atteints de TCA, même si quelques études dans un contexte de population générale retrouvaient les mêmes catégories d’âge116-117.

Notre étude retrouvait aussi plus d’hommes que prévu par la littérature (2 hommes pour 8 femmes)114.

4.5.2.3 Suivi des patients atteints de TCA

39,1 % des patients atteints de TCA avaient au moins deux consultations pour RCA TCA, suggérant une amorce de suivi. La littérature récente en SP suggère que seul un tiers des patients diagnostiqués en SP sont effectivement traités pour des TCA113. Si on émet l’hypothèse que seuls les patients suivis régulièrement bénéficient à un traitement spécifique, nos résultats concordaient avec la littérature.

4.5.2.4 Dépression et prescription médicamenteuse des patients atteints de TCA

Un tiers de nos patients avaient eu moins une fois une prise en charge pour DEP dans leur suivi par le MG. Ceci était concordant avec la littérature en SP, dans laquelle 40% des patients atteints de TCA avaient des troubles anxio dépressifs 113. Ceci représente aussi 3 à 6 fois plus de patients déprimés que la population générale en France118. Le syndrome dépressif est connu pour être une comorbidité importante des TCA dans notre étude. La prise en charge pour DEP ne précédait pas la prise en charge pour TCA. La littérature à ce sujet est très hétérogène et aucune étude n’a pu trancher sur la temporalité d’apparition et de prise en charge, quel que soit le contexte (SP, soins secondaires, milieu hospitalier). La plupart des chercheurs incluant des patients hospitalisés en psychiatrie émettent l’hypothèse que la prise en charge pour dépression précède celle pour TCA52. Dans notre étude aucun profil de prise en charge pour DEP (profil 1,2,3 ou 4) ne se démarquait des autres profils par rapport à la consultation d’inclusion.

Mais il semblait que les patients DEP TCA étaient plus suivis et que surtout ils avaient plus de première prise en charge pour TCA ou DEP. Il semble que le codiagnostic survenait dans un suivi de durée longue des patients atteints de TCA. Certaines études suggèrent d’explorer les TCA chez les patients déprimés car ils sont plus fréquents que dans la population générale99. En SP l’important serait plus la coexistence de ces deux pathologies que la relation de cause à effet entre les deux ou leur temporalité. Cette coexistence peut s’exprimer par le fait qu’une des deux des pathologies donneraient l’alerte au MG pour rechercher l’autre. Les patients atteints de BN avaient plus souvent une prise en charge pour DEP et de nouvelle prise en charge pour DEP que les autres TCA. Ils avaient aussi un suivi plus spécifique du TCA que l’AM, c’est à dire moins d’autres RC (anxiété, troubles digestifs, troubles

gynécologiques,…) dans notre étude. Ceci peut s’expliquer par une approche du MG des patients atteints de BN plus en lien avec la dépression, ce qui est retrouvé dans la littérature anglosaxonne 77-78. Les MG auraient donc tendance à prendre en charge plus les symptômes dépressifs des patients boulimiques que les symptômes alimentaires, car ces patients ont souvent un IMC normal. Cet IMC normal diminuait l’attention du médecin sur les symptômes alimentaires.

Dans notre étude, 18,4 % patients atteints de TCA avaient eu au moins une fois une prescription d’AD, et 2 fois plus souvent quand ils avaient eu au moins un RC DEP. Cette proportion plus importante de prescription d’AD pour des patients déprimés est logique. Mais 75 % des patients TCA et DEP de plus de 18 ans dans notre étude avaient eu au moins une fois une prescription de benzodiazépines dans cas (43,1 % pour l’ensemble des patients atteints de TCA). Ceci est presque 5 fois supérieur aux chiffres d’une étude réalisée sur la même base de données. Celle-ci retrouvait que 12,5 % des patients de cette base de plus de 18 ans avaient eu au moins une fois une prescription de benzodiazépines, majoritairement dans le cadre d’un trouble anxiodépressif119. Les patients TCA se voient donc prescrire beacoup plus d’AD que les patients tout venants de la même base.

4.5.3 Forces et faiblesses de l’étude

A notre connaissance, il s’agit de la seule étude de cohorte réalisée en France en MG s’intéressant aux patients atteints de TCA. La prise en charge en MG n’avait pas encore été étudiée. Seul le dépistage a déjà été évoqué dans littérature (cf partie revue de la littérature).

Premièrement l’OMG est un recueil de données en routine utilisant le DRC, qui est avant tout un outil clinique. Il est aussi utilisé à des fins de recherche. Les RC sont issus de concepts permettant aux MG de créer des dossiers médicaux détaillés dans le but d’un suivi à long terme des patients avec une description précise des diagnostics effectués lors de la consultation. Ils sont notés quand le MG considère que la pathologie concernée a été évoquée en consultation. Un patient peut donc déjà être atteint d’une pathologie sans qu’un RC soit noté dans le cas où il ne s’agit pas d’une prise en charge selon le MG ce jour-là. Les pathologies ainsi notées par le MG sont en lien avec ce qu’il observe et non un critère centré sur le patient. Ceci entraine donc un risque de sous recensement des comorbidités d’un patient (biais de classement). De plus une prise en charge peut avoir été effectuée sans être renseignée dans le dossier (défaut de remplissage des dossiers médicaux). Ce phénomène est probablement plus important dans les recueils de données en routine que dans ceux réalisés spécifiquement dans le cadre d’un protocole de recherche.

Deuxièmement Ces chiffres de prise en charge ne sont pas une prévalence en effet il s’agissait de RC et non pas de diagnostics réels centrés sur les patients. Mais nous avons choisi de prendre en compte la validité des critères des RC dans le cadre des diagnostics.

Troisièmement la temporalité étudiée est celle des prises en charge et non celle de survenue réelle des pathologies, ne permettant pas de donner d’information sur l’histoire naturelle de la coexistence de ces troubles. D’autant que les patients ont été sélectionnés par le TCA – les patients DEP non TCA n’ont

donc pas été étudiés. Néanmoins ce travail fourni des données importantes et non connus jusque-là sur les TCA et leur prise en charge en MG.

D’abord notre étude est concordante avec la littérature concernant l’âge moyen des patients atteints de TCA en SP, la fréquence de survenue de la dépression chez des patients atteints de TCA. Ensuite ces données de prescription médicamenteuse, même si elles étaient incomplètes ont permis d’illustrer les tendances observées par l’analyse des RC associés aux TCA. Le critère « N » des RC a lui permis de centrer l’analyse sur le parcours de soin du patient et pas seulement sur les données issues des consultations du MG. La robustesse de ce critère a été décrite par la SFMG mais des travaux supplémentaires sont nécessaires97.

Quatrièmement le nombre élevé de patients ayant eu un seul RC « TCA » (60,9 % de l’échantillon) pourrait aussi être considéré comme une limite puisque limitant l’étude du suivi de ces patients. D’autant que le nombre de cas était déjà peu faible dans l’OMG (n=1310). D’abord ce faible suivi a eu pour conséquence une absence de normalité de distribution de nombreuses variables. Les durées de suivi étaient souvent en lien avec une consultation unique et l’étude de la temporalité était donc complexe. C’est pour cela que nous avons construit des variables de suivi spécifiques et des profils de suivi. Mais ces données étaient concordantes avec la littérature sur les TCA en SP c’est-à-dire des troubles peu fréquents et des patients ayant des difficultés d’amorce de suivi, du fait d’un probable déni, une honte possible. Néanmoins certaines descriptions spécifiques n’ont pas été conduites (les hommes, l’anxiété) pour cause de faible effectif.

Cinquièmement Aucun modèle explicatif n’a été réalisé, Une analyse de survie pour étudier l’association entre la dépression et les TCA avait été envisagée, mais abandonnée du fait de la dépendance des deux variables dans la population étudiée. Nous n’avons pas non plus réalisé d’étude cas témoins qui aurait apporté des éléments importants de comparaison entre les patients atteints de TCA et indemnes de TCA.

Sixièmement la validité des RC DEP et TCA peut être discutée. La validité clinique d’un RC DEP ou TCA n’a pas été évaluée dans la littérature. La définition du RC DEP est spécifique à l’OMG et au DRC. D’abord nous avons associé les RC dépression et humeur dépressive réduisant de fait l’homogénéité de la population DEP. Ensuite la caractérisation du syndrome dépressif n’est pas en lien direct avec la classification DSM. Enfin la notion d’épisode dépressif ne peut être établie par le recueil des RC. Nous avons donc considéré qu’au moins une seule consultation contenant un RC DEP concernait un épisode dépressif. Concernant le RC TCA les données biométriques ne font pas partie de la définition du RC TCA, en particulier l’IMC est important pour le diagnostic d’AM. Néanmoins le risque de sous-estimation des pathologies était surement très supérieur à leur surestimation. De plus le RC peut être considérée une classification opérationnelle, le MG a de fait pris en charge « comme si c’était une DEP ou TCA ». Sur cette consultation le MG a considéré que le patient était TCA et/ou DEP et a proposé une prise en charge adaptée.